La disparition des MVNO n’est pas bon signe pour la concurrence mobile en France et ses tarifs

Les rachats successifs des MVNO depuis dix ans – dont dernièrement Coriolis, Syma ou encore EIT (Crédit Mutuel Mobile, NRJ Mobile, CIC Mobile, Auchan Telecom, …) – ne sont pas de bon augure pour les consommateurs. Cette concentration prépare-t-elle un passage à trois opérateurs mobiles ?

Les opérateurs de réseau mobile virtuel, ou MVNO (Mobile Virtual Network Operator), sont une espèce en voie de disparition. Bien que ne disposant pas de leur propre réseau radio, ils sont néanmoins considérés comme des opérateurs mobiles à part entière. Aussi, pour offrir des services mobiles à leurs abonnés, ces MVNO – qui ne sont plus qu’une petite quinzaine en France – s’appuient sur les services d’un ou de plusieurs opérateurs de réseau mobile choisi parmi les quatre présents sur le marché (Bouygues Telecom, Free Mobile, Orange et SFR) auxquels ils leur achètent des communications en gros.

Bérézina virtuelle depuis dix-huit mois
Mais force est de constater que leur part de marché cumulée chute depuis décembre 2020 où ils atteignaient 11,9 %, pour se retrouver à seulement 6,7 % à fin juin 2022, d’après les chiffres publiés par l’Arcep le 4 août dernier. Au meilleur de leur forme, en 2014, la cinquantaine de MVNO d’alors affichaient 8,9 millions de clients, soit alors 13 % du marché de la téléphonie mobile. A l’époque, la montée en charge de Free Mobile – lancé il y a dix ans – leur avait déjà coupé l’herbe sous le pied. Les trois opérateurs mobiles historiques, Orange, SFR et Bouygues Telecom, avaient répliqué à l’opérateur de Xavier Niel en lançant leurs propres marques low-cost : respectivement Sosh, Red et B&You. Depuis lors, les MVNO étaient entre le marteau (les opérateurs de réseau mobile qui les hébergent) et l’enclume (les offres à bas prix de ces même opérateurs hôtes). Bref, ce fut des conditions concurrentielles telles que les MVNO furent cantonnés à des marchés de niche (les communautés ethniques, les expatriés, les voyageurs d’affaires, les jeunes, etc.).
D’une cinquantaine à leur apogée, les MVNO en France sont passés à une trentaine avant 2020, pour se retrouver une quinzaine aujourd’hui – en perdant au passage quelque 3,7 millions de clients en dix-huit mois – passant d’un total de 9 millions à seulement 5,3 millions de clients à fin juin 2022 – et en cédant 5,2 points de part de marché. Cette bérézina est due notamment aux MVNO qui, à bout de souffle, se sont fait racheter par des opérateurs de réseau mobile, le plus souvent leur propre opérateur hôte. Ainsi, en mai dernier, SFR (groupe Altice) s’est emparé de Syma Mobile et de ses près de 700.000 clients (acquisition finalisée fin juin). Ce MVNO s’appuyait à la fois sur les réseaux d’Orange et de SFR. Sa maison mère Altice France avait déjà acquis auparavant Coriolis et ses 500.000 clients – considéré comme le deuxième « virtuel » en France – à la suite du feu vert fin avril de l’Autorité de la concurrence (1). Moins d’un an auparavant, Altice France avait aussi mis la main sur un autre MVNO arrimé au réseau SFR : Afone et ses moins de 80.000 clients, notamment avec les offres Afone Mobile et Reglo Mobile vendues dans les supermarchés Leclerc. Ironie de l’histoire : Afone avait saisi en 2006 l’Arcep pour régler un différend avec SFR qui refusait, à l’époque, de lui ouvrir son réseau pour être un « full MVNO » ! Le gendarme des télécoms avait finalement donné raison à Afone en avril 2006 dans une décision que SFR avait attaquée devant la cour d’appel, laquelle avait rejeté ce recours (2). Dans l’acquisition de MVNO, SFR s’était déjà distingué en rachetant les 2 millions de clients de Virgin Mobile (Omea Telecom, ex-Omer Télécom) qui fut absorbés fin 2014, mettant un terme à l’aventure du premier MVNO français en taille (3).
De son côté, Bouygues Telecom a racheté fin 2020 le MVNO Euro-Information Telecom (EIT) — filiale du Crédit Mutuel intégrant NRJ Mobile, CIC Mobile, Crédit Mutuel Mobile, Auchan Telecom (cédé par Auchan) et Cdiscount Mobile. EIT, né en 2005 avec la marque NRJ Mobile, utilisait les réseaux « hôtes » d’Orange, de Bouygues Telecom et de SFR pour franchir lui aussi la barre des 2 millions de clients. EIT avait racheté en 2018 le fonds de commerce de Sisteer, un MVNE (Mobile Virtual Network Enabler) proposant un ensemble de services ou d’équipements nécessaires à l’activité d’opérateur mobile à des MVNO tels que Carrefour Mobile (racheté en 2012 par Orange), Grand Public Darty Telecom (cédé à Bouygues Telecom), ZeroForfait (revendu à Prixtel), Budget Mobile et SIM+.

Des MVNO détenus par les « telcos »
Quant à La Poste Mobile, elle dispose du vaste réseau de distribution postale physique : plus de 8.000 bureaux de poste à l’époque (5.000 aujourd’hui complétées par plus de 4.000 points-relais). Ce qui a permis à cette filiale du groupe La Poste (51 % du capital) et de SFR (49 %) – créée en 2011 à partir des actifs de Simplicime, héritier d’un pionnier des MVNO français, Debitel (marque qui a disparu en 2008) – d’atteindre un parc total de près de 2 millions de clients. Ce MVNO publicprivé, La Poste Mobile, a fait de SFR son unique opérateur hôte. A la suite de ces acquisitions en série (4), la plupart des clients des MVNO ainsi absorbés ont été encouragés voire forcés à basculer sous la marque de l’opérateur mobile acheteur. D’autres ont disparu eux aussi. Pour les MVNO détenus à plus de 51 % par un opérateur de réseau mobile – comme Bouygues Telecom Business-Distribution (ex-EIT), Keyyo détenus par Bouygues Telecom ou Nordnet contrôlé par Orange – l’Arcep les comptabilise non pas en tant que MVNO mais en intégrant leurs clients dans ceux de l’opérateur hôte et maison mère.

Free, toujours pas de MVNO
Les derniers survivants des opérateurs mobiles virtuels se nomment, par ordre alphabétique :
côté particuliers, Joi Telecom (ACN Communications), Brazile Telecom (téléphonie pour seniors), CTExcelbiz (China Telecom), Lebara France, Lycamobile, Vectone (Mundio) ou encore Truphone ;
côté entreprises, Alphalink, Cellhire, Cubic Telecom (MtoM (5)), Netcom, SCT Telecom, Sewan Communications, Truphone, Voip Telecom, Airmob (racheté par Altitude) ou encore Transatel (MtoM).
Ce dernier, Transatel, fut un pionnier français des MVNO qui fut racheté en février 2019 par l’opérateur télécoms historique japonais NTT. Cofondé en 2000, Transatel s’est historiquement développé auprès d’une clientèle composée d’hommes d’affaires européens, de résidents étrangers et de transfrontaliers, mais aussi en tant que MVNE/A (Mobile Virtual Network Enabler/Aggregator) pour le compte de tiers et de pas moins de 180 MVNO en Europe. Ses activités sont aujourd’hui orientées connectivité MtoM, avec des solutions de cartes SIM virtuelles – eSIM – proposées depuis 2014 sur les marchés de l’Internet des objets ou de la voiture connectée.
A noter que parmi les quatre opérateurs de réseau mobile, seul Free n’a pas accueilli de MVNO malgré deux offres à leur attention lancée il y a dix ans (MVNO Light et Full MVNO), avec l’intention de limiter à quatre ses opérateurs mobiles virtuels sur son réseau. Mais les prix pratiqués la filiale d’Iliad ne laissent pas d’espace économique suffisant aux candidats, certains criant à l’époque au scandale. Il faut dire que Free Mobile, lancé en 2012, faisait pâle figure en termes de couvertures géographique (Lire p.3). Free réussira l’exploit de n’être l’hôte d’aucun MVNO, sans que le régulateur n’y trouve à redire, malgré ses engagements sur la 5G.
Autre anomalie : bien que la Commission européenne et le Parlement européen ont supprimé depuis juin 2017 les frais d’itinérance (roaming) pour les consommateurs circulant dans les Vingt-huit (passés à Vingtsept) Etats membres, une dizaine de MVNO disposent encore d’exemptions – accordées par leur « Arcep » nationale – leur permettant de facturer un surcoût en cas de roaming. D’après NextInpact (6), Reglo Mobile (Altice/E. Leclerc) continue de le faire sans avoir demandé le renouvellement de son exemption. @

Charles de Laubier

Le chinois TikTok fait une percée sur le marché français de la publicité dominée par les Gafam

Alors que les acteurs européens de la publicité digitale en France ne pèsent que 20 % du marché français, face notamment à la domination américaine des Google, Meta (Facebook) et autres Amazon, la « progression fulgurante » du chinois TikTok pourrait accroître encore le poids des non-européens.

« TikTok fait au premier semestre 2022 une progression fulgurante, qui représente deux tiers de la croissance de la publicité en ligne sur les réseaux sociaux », a souligné Sylvia Tassan Toffola (photo), présidente du SRI, le syndicat français des régies Internet, lors de la présentation le 12 juillet de son Observatoire de l’e-pub. La filiale du groupe chinois ByteDance profite en France comme ailleurs de la croissance exponentielle des vidéos de courte durée sur les réseaux sociaux. TikTok en est un précurseur dans le monde, Instagram, Snap et YouTube ayant par la suite adopté des formats similaires.

TikTok : haro sur Google, Meta et Amazon
Résultat, sur l’Hexagone, TikTok contribue largement à la plus forte croissance qu’enregistre la publicité sur les réseaux sociaux (le « Social », dans le jargon des professionnels de la publicité digitale), à savoir + 27 % sur les six premiers mois de l’année par rapport au semestre de l’année précédente, pour atteindre plus de 1,2 milliard d’euros.
Selon Médiamétrie, TikTok en France arrive en 23e position en termes d’audience mensuelle avec plus de 18,2 millions de visiteurs uniques par mois (sur mai 2022, dont les chiffres ont été publiés fin juin). Ainsi, le chinois TikTok vient perturber la domination des géants du Net américains – dont « le trio Google-Meta-Amazon (GMA) » qui représente encore les deux tiers (66 %) du marché global de la publicité en ligne en France. Tandis que les acteurs européens pèsent moins d’un quart (20 %). Ce trio GMA prend en compte Alphabet (Google, YouTube), Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp), Amazon (dont Twitch), mais pas Apple ni Microsoft.
TikTok pourrait jouer les trouble-fête si sa croissance se poursuit à ce rythme. La filiale de ByteDance (1) grignote des parts de marché « Social » à ses principaux concurrents que sont Meta, Twitter, Pinterest et LinkedIn (Microsoft). TikTok participe aussi, de près ou de loin, au « léger recul » du trio Google-Meta-Amazon, dont la part de marché en France passe de 68 % à 66 % – « du fait d’un ralentissement de leur croissance » (+16 % versus + 27 % entre 2021 et 2020). Mais ce triumvirat a généré à lui seul au premier semestre 2022 un chiffre d’affaires publicitaire de plus de 2,8 milliards d’euros. Selon l’Observatoire de l’e-pub, réalisé par le cabinet OliverWyman pour le SRI en partenariat avec l’Udecam (2), Meta accuse un ralentissement de sa croissance et sa part de marché « Social » s’est érodée. Un rééquilibrage entre les trois dominants Google-Meta-Amazon et les autres acteurs qui ne font pas partie du GMA est en tain de se faire, mais principalement en faveur de TikTok : les GMA ont progressé en six mois de « seulement » 16 % pendant que les non-GMA ont fait mieux avec une augmentation de leurs revenus de 16 %. « Les dynamiques de croissance montrent une forme de rééquilibre. Mais dans ce + 26 % de hausse des non-GMA, il y a bien évidemment la progression d’acteurs du “Social” comme TikTok », constate Sylvia Tassan Toffola, par ailleurs directrice générale de TF1 Publicité (dont la maison mère veut fusionner avec M6). La montée en puissance du chinois en France risque d’accroître le poids des acteurs non-européens – déjà massif avec 80 % de parts de marché – face aux acteurs européens (dont la maison mère est située en Europe) cantonnés actuellement à 20 %. « Là, c’est vrai, c’est un peu préoccupant puisque le poids des Européens a perdu 3 pourcents, passant de 23 % du marché français au premier semestre 2021 à 20 % au premier semestre de cette année, s’est inquiétée Sylvia Tassan Toffola. Mon message, il est le suivant : dans les périodes de crise, vous, agences, annonceurs, vous devez faire des choix, et des choix d’efficience [notamment en faveur de] la proposition de valeur des membres du SRI pour relever vos propres défis ».
Selon les prévisions du cabinet OliverWyman, la croissance du marché français de l’e-pub devrait ralentir au second semestre 2022 pour aboutir à une hausse d’environ 14 % sur l’ensemble de l’année, à 8,8 milliards d’euros.

Europe : la filiale de ByteDance contrariée
En Europe, où il compte 100 millions d’utilisateurs, TikTok est aussi en pleine croissance publicitaire. Mais le chinois rencontre quelques difficultés. « Sa stratégie de croissance largement centrée sur le e-commerce (3) a ralenti en Europe, à la suite de la performance décevante des outils comme TikTok Shopping en test au Royaume-Unis », relève l’étude OliverWyman. Par ailleurs, le 12 juillet dernier, un porte-parole de la « Cnil » irlandaise – la DPC (4) – a annoncé au site américain TechCrunch que TikTok mettait « sur pause » une mise à jour controversée de ses règles de confidentialité (privacy policy) et de ciblage publicitaire (5) qui devaient entrer en vigueur le 13 juillet. Ce qu’a aussitôt confirmé TikTok (6). La « Cnil » italienne avait, elle, été la première à « avertir formellement » (7) la filiale de ByteDance. @

Charles de Laubier

Pour la première fois en France, plus de la moitié des prises FTTH disponibles ont trouvé un abonné

C’est un point de bascule que l’Arcep relève dans son dernier observatoire du haut et du très haut débit, publié le 9 juin dernier : pour la première fois en France, le nombre d’abonnés à la fibre jusqu’au domicile ou au local correspond à plus de la moitié (50,2 %) des prises FTTH « raccordables ».

« On ne parle pas suffisamment du taux de pénétration de la fibre optique : la différence entre le raccordable et le raccordé (…). Cela doit être un de nos chantiers dans les prochains mois », avait prévenu il y a deux ans – le 2 juillet 2020 aux Assises du Très haut débit (1) – Julien Denormandie, alors ministre de la Ville et du Logement, quelques jours avant d’être nommé ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation (fonction qu’il a quittée le 20 mai dernier).

Les abonnés « FTTH » se sont fait désirer
Car si les prises FTTH – Fiber-To-The-Home – ont été déployées en France à coup de milliards d’investissement pour atteindre au 31 mars 2022 (dernier chiffre en date de l’Arcep) les 30,8 millions de prises, moins de la moitié d’entre elles faisaient jusqu’alors l’objet d’un abonnement. Or – et c’est une première en France – le taux d’abonnés par rapport au parc de prises FTTH raccordables a dépassé le taux des 50 %, à 50,2 % précisément. Autrement dit, sur ces 30,8 millions de lignes de fibre optique de bout-en bout, 15,470 millions d’entre elles ont trouvé preneur. C’est-à-dire que ces dernières ont chacune fait l’objet d’un contrat effectif d’abonnement auprès d’un opérateur télécoms. Pour autant, près de la moitié des autres prises de fibre optique déployées sur le territoire restent inactives, faute de clients. Depuis près de quinze ans que la fibre de bout-en-bout est commercialisée en France, la montée en charge en termes d’abonnements contractés se fait laborieusement. Les Français n’ont pas vu l’intérêt de se précipiter sur le très haut débit optique, puisque la qualité du réseau haut débit ADSL – voire du très haut débit VDSL2 (près de 6 millions de lignes sur les 11,6 millions d’abonnés « xDSL », – leur suffisait amplement. Et ce, au grand dam des opérateurs télécoms (Orange, SFR, Bouygues Telecom et free en tête) qui ont investi ensemble entre 20 et 30 milliards d’euros – voire 35 milliards selon des estimations – pour déployer la coûteuse fibre optique sur tout le territoire national dans le cadre de l’ambitieux plan « France Très haut débit ».
La commercialisation de la fibre optique de bout-en-bout a vraiment commencé courant 2008, l’Arcep faisant état des premiers abonnés FTTH au 30 juin de cette année-là avec les premiers 36.000 clients. Le seuil de 100.000 abonnés FTTH n’est atteint que deux ans plus tard, au 30 juin 2010. Il faudra attendre le 31 décembre 2011 pour voir ce nombre doubler à 200.000 abonnés. Le demi-million d’abonnés à la fibre de bout-en-bout sera franchi seulement deux ans plus tard, au 31 décembre 2013, à 540.000 abonnements. La fibre optique a beau être ultra-rapide en débit ; elle séduit très lentement les clients. La barre du million sera enfin franchie plus d’un an après, soit au cours du premier trimestre 2015 à 1.038.000 abonnés FTTH précisément. Quant à la barre des deux millions, elle sera à son tour franchie mais presque deux plus tard : au quatrième trimestre 2016 à 2.185.000 abonnés FTTH. Ce n’est qu’à partir de l’année 2017 que la fibre optique de bout-en-bout en France commence vraiment à décoller – quoique toujours très progressivement – comme le montre le graphique ci-contre. Bien que la fibre de bout-en bout ait trouvé preneur en termes d’abonnés pour plus de la moitié de ses prises raccordables, ses un peu plus de 15,4 millions d’abonnements représentent encore moins de la moitié (48,9 % au 31 mars 2022) du total de tous les abonnements « haut débit et très haut débit » confondus, lesquels atteignent un global de 31,6 millions d’abonnés. Mais si l’on s’en tient aux abonnements « très haut débits », le FTTH atteint tout de même 80 % dans cette catégorie. « Ainsi, le nombre d’abonnements FTTH représente 80 % du nombre total d’abonnements à très haut débit et 49 % du nombre d’accès Internet (+12 points en un an). L’accroissement du nombre de ces abonnements se fait toujours à un rythme très soutenu avec +1 million d’abonnements en un trimestre. Par ailleurs, la moitié des locaux éligibles à la fibre disposent d’un abonnement actif à fin mars 2022 », relève donc l’Arcep.

Fibre et 5G lorgnent les abonnés du cuivre
Il n’en reste pas moins que près de la moitié des 30,8 millions de prises FTTH raccordables ne le sont toujours pas. Et encore, à ce stade, toutes les prises du plan « France Très haut débit » – lequel vise « la fibre pour tous » d’ici 2025 – ne sont pas encore posées. Le président-candidat de 2022 n’a-t-il pas promis à nouveau d’« achever la couverture numérique du territoire par la fibre d’ici 2025 » (2) ?
Le rythme d’augmentation annuelle des prises raccordables est actuellement de plus de 20 % et devrait atteindre au milieu de la décennie en cours (2025) jusqu’à 44 millions de prises « optiques », d’après l’Association des villes et collectivités multimédias (Avicca). Ce sont les réseaux d’initiative publique (RIP) qui déploient le plus ces prises FTTH, devant les zones d’initiative privée (ZIP). Les RIP sont cofinancés par les collectivités territoriales, avec notamment la Banque des Territoires de la Caisse des Dépôts (CDC), via des appels à manifestation « d’intention d’investissement » (AMII) ou « d’engagements locaux » (AMEL). Ces investissements coûtent très chers aux collectivités locales. D’autant qu’il reste encore beaucoup de prises FTTH à poser pour rester dans les clous « 2025 » du plan France Très haut débit, comme le montre le graphique ci-contre. Les zones moins denses d’initiative publique ont le plus prises « optiques » à poser, suivies par les zones moins denses d’initiative privée. Les abonnés, eux, seront-ils tous au rendez-vous ? Rien n’est moins sûr. Les problèmes récurrents rencontrés par les clients lors de leur raccordement effectif à la fibre optiques ont renvoyé une image dégradée sur le FTTH. Le 4 avril dernier, 28 collectivités locales – parmi les membres de l’Avicca (3) – ont cosigné un avertissement aux opérateurs télécoms et à leurs sous-traitants accusés de « mauvaises pratiques pour raccorder à la fibre optique les Français ». L’Avicca regroupe 15 villes, 72 intercommunalités et syndicats de communes, 112 structures départementales et 22 régionales, représentant 67.000.000 d’habitants. Et début juin, en ouverture de son colloque Territoires et réseaux d’initiative publique (Trip) soutenu par la Banque des Territoires (CDC), l’Avicca a lancé – par la voix de son président et sénateur Patrick Chaize (photo page précédente) : « Il s’agit d’un “mauvais film” ! ».
Le scénario catastrophe peut faire de la fibre optique un cauchemar. Alors que l’extinction progressive du réseau de cuivre « à partir de 2023 », sur lequel prospèrent encore aujourd’hui plus de 11,6 millions d’abonnés ADSL/VDSL2, a été décidé par l’opérateur télécoms historique Orange pour inciter fortement à basculer vers la fibre optique. Car déployer le coûteux FTTH, c’est bien. Mais rentabiliser ces investissements colossaux, c’est mieux. Pour l’heure, le cuivre perd du terrain au profit de la fibre. Pour la première fois, depuis fin 2021, le nombre d’abonnements Internet par la fibre optique de bout-en-bout a dépassé le nombre abonnement Internet sur réseaux cuivre. @

Charles de Laubier

Le feu vert à Starlink en France inquiète certains

En fait. Le 2 juin, l’Arcep a annoncé avoir attribué – par décision du 25 mai 2022 – des fréquences à la société Starlink appartenant au milliardaire Elon Musk pour le service Internet fixe par satellite qu’il va lancer en France en recourant à sa constellation déjà en orbite. Ce nouveau concurrent tombé du ciel inquiète.

En clair. Le Conseil d’Etat avait annulé le 5 avril 2022 la première autorisation accordée par l’Arcep à Starlink (1) deux mois plus tôt, car le régulateur avait omis de lancer une consultation publique préalable (2). Cette dernière a finalement eu lieu et nous donne un aperçu de l’état d’esprit avec lequel les opérateurs télécoms ou satellitaires déjà en place accueillent l’arrivée de ce nouvel entrant sur le marché français de l’accès à Internet.
« L’arrivée en France de la société Starlink peut perturber le marché de l’accès à haut débit par satellite existant. (…) Le déploiement massif et avancé de satellites pour la constellation Starlink en orbite basse risque de créer une situation dominante », s’inquiète l’opérateur par satellite Eutelsat, dans sa réponse à l’Arcep, en évoquant des « risques de déstabilisation du marché de la connectivité par satellite » et un « risque de constitution d’un monopole », voire des « risques environnementaux ». Selon l’opérateur français Eutelsat, Starlink est aujourd’hui – « et de très loin » – la constellation la plus avancée en termes de déploiement par le constructeur aérospatial américain SpaceX (fondée aussi par Elon Musk), avec plus de 2.100 satellites en service. Son objectif est d’en déployer plus de 4.400 satellites d’ici 2027 et à (long) terme 42.000 – « ce qui est considérable ». Ses concurrents Kuiper (de société Blue Origin appartenant au milliardaire Jeff Bezos) et OneWeb (groupe indo-britannique détenu à 24 % par Eutelsat) sont bien moins avancés.
De son côté, Orange utilise des capacités spatiales louées à des opérateurs satellitaires tels qu’Eutelsat, Intelsat, SES ou encore Arabsat pour fournir des services VSAT (3) à ses entreprises clientes, sur terre ou en mer. « S’agissant des aspects économiques et concurrentiels, nous [Orange] constatons que les constellations sont en train de se développer de manière importante : Kuiper, Bosch [via Sapcorda Services, avec Mitsubishi Electric et U-blox, ndlr], OneWeb, Télésat [M7 Group alias Canal+ Luxembourg, ndlr], la Commission européenne ont annoncé leur projet […]. Cette concurrence vis-à-vis des réseaux fixes et des offres d’Internet fixe avec satellites géostationnaires déjà présents doit se faire dans les règles […], en particulier […] en zone rurale, ou en zones difficiles d’accès, par exemple les zones de montagne ». @

Blocage de Russia Today et Sputnik en Europe et en France : rappel des fondements, avant débat au fond

RT et Sputnik ne diffusent plus en Europe depuis la décision et le règlement « PESC » du 1er mars. Saisi par RT France d’un recours en annulation de ces actes mais aussi d’un référé pour en suspendre l’exécution, le Tribunal de l’UE a rejeté le 30 mars ce référé. Retour sur ce blocage inédit.

Par Anne-Marie Pecoraro*, avocate associée, UGGC Avocats

Le 8 mars 2022, soit une semaine après la décision (1) du Conseil de l’Union européenne (UE), RT France avait déposé un recours en annulation de cette décision relevant de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l’UE et du règlement afférent (2), auprès du Tribunal de l’UE. La filiale de Russia Today a également déposé une demande en référé pour obtenir le sursis à l’exécution de ces derniers. Cette dernière demande a été refusée le 30 mars par le président du Tribunal, en raison de l’absence de caractère urgent.

La procédure au fond est accélérée
Selon l’ordonnance de rejet, RT France n’a pas suffisamment démontré l’existence d’un« préjudice grave et irréparable » (3). Le média russe avait fait état d’un préjudice économique et financier, d’une grave atteinte à sa réputation, et plus largement « d’une entrave totale et durable à l’activité d’un service d’information et [le fait] que de tels actes seraient irrémédiables et particulièrement graves au sein de sociétés démocratiques » (4). Quant au recours en annulation des deux actes (non législatifs), il suit son cours. Mais le président du Tribunal a précisé que « compte tenu des circonstances exceptionnelles en cause, le juge du fond a décidé de statuer selon une procédure accélérée » et que « dans l’hypothèse où RT France obtiendrait gain de cause par l’annulation des actes attaqués dans la procédure au fond, le préjudice subi (…) pourra faire l’objet d’une réparation ou une compensation ultérieure » (5). RT France pourra faire appel devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) contre l’ordonnance rejetant sa demande en référé. D’après le recours publié le 4 avril au JOUE, les bases légales invoquées par RT France reposent exclusivement sur des articles de la Charte des droits fondamentaux de l’UE. La chaîne estime que les droits de la défense, le respect du contradictoire, la liberté d’expression et d’information, la liberté d’entreprise et le principe de non-discrimination ont été méconnus (6). Compte tenu de ces fondements, les débats porteront certainement sur l’indépendance et le rôle des médias dans une société démocratique.
Comment en est-on arrivé là ? Dès le 27 février, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a annoncé l’interdiction de diffuser les médias russes Russia Today et Sputnik, en raison de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Elle estime en effet que ces médias – contrôlés par le Kremlin – diffusent des messages de propagande continues ciblant les citoyens européens, et menacent ainsi l’ordre et la sécurité de l’UE. Le 1er mars, le Conseil des ministres de l’UE a par conséquent adopté des mesures inédites, ordonnant de suspendre la diffusion et la distribution par tout moyen et sur tous les canaux des contenus provenant de ces médias.
Tous les opérateurs concernés ont immédiatement mis en œuvre le 2 mars 2022 ces mesures qui dérogent de manière inédite aux lois et procédures en la matière, notamment françaises.
Quels sont les fondements juridiques européens ? Sur la procédure, la décision PESC du 1er mars 2022 se fonde sur l’article 29 du Traité sur l’UE et l’article 215 du Traité sur le fonctionnement de l’UE. Ces deux articles présentent des moyens légaux pour sanctionner financièrement des personnes physiques ou morales, des groupes ou entités non étatiques, dans le cadre de la PESC. Le Conseil de l’UE peut prendre seul des décisions, de manière unanime. Le Parlement, qui est habituellement le colégislateur, en est seulement informé. Par ailleurs, la CJUE est compétente que de manière très limitée lorsque des actes sont adoptés sur cette base. Elle peut notamment être saisie pour contrôler la légalité des décisions prévoyant des mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales (7). Le Conseil de l’UE a recours habituellement à ces dispositions lorsqu’il souhaite stopper des échanges économiques visant à soutenir des groupes armés (8), imposer des restrictions à l’entrée de l’UE ou encore geler les avoirs dans l’UE de personnes étrangères. Bien que le champ de ces actions soit limité, les textes européens offrent par ce biais un pouvoir unilatéral important aux gouvernements – d’où le caractère inédit, l’ampleur et la rapidité des sanctions à l’égard de ces médias russes.

Liberté d’expression et des médias
Sur les droits fondamentaux protégés par l’UE, fondements de la décision PESC du 1er mars, l’UE justifie son action sur la base de l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, relatif à « la liberté d’expression et d’information » (9). Ce texte ainsi que les décisions qui en découlent, à l’instar de la décision PESC contre RT et Sputnik, doivent être mis en œuvre et respectés par l’ensemble des Etats membres. En pratique, l’article 11 de la Charte renvoie à « la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières ». Et l’article 11 d’ajouter : « La liberté des médias et leur pluralisme sont respectés ». Pour autant, l’exercice de ces libertés peut être limité – par des lois – en raison d’objectifs d’intérêt général et s’il est nécessaire de protéger la sécurité nationale, l’intégrité du territoire ou la sûreté publique, entre autres (10). Comme ces limites doivent respecter le principe de proportionnalité, le Conseil de l’UE justifie sa décision PESC par le respect notamment de la liberté d’entreprise, et précise qu’elle ne modifie pas l’obligation de respecter les constitutions des Etats membres. La protection de l’ordre et de la sécurité de l’UE a donc été centrale dans la motivation des Etats membres à adopter ces mesures exceptionnelles.

Suspensions et blocages exceptionnels
Quelle mise en œuvre par les Etats membres ?
L’Arcom (ex-CSA), qui est l’autorité publique française de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, s’est immédiatement conformée à ces décisions d’urgence et a résilié le 2 mars sa convention avec RT France – Sputnik, lui, n’étant pas conventionné (11), étant diffusé sur Internet. De la même manière, les fournisseurs d’accès à Internet, les réseaux sociaux et les moteurs de recherche ont immédiatement ou très rapidement bloqué l’accès au site en ligne et aux contenus de ces deux médias. On peut aussi se demander si l’application de cette décision par l’Arcom pourrait faire l’objet d’un recours devant un tribunal administratif français. Le Berec, lui, en tant qu’organisation européenne des régulateurs des télécoms, a par ailleurs précisé par le biais de deux communiqués (12) que ces sanctions sont conformes à la régulation européenne sur l’« Internet ouvert ».
La mise en œuvre de ces sanctions européennes est exceptionnelle car elle a été d’application directe et immédiate. En principe, lorsqu’il est question d’interdire la diffusion d’un média étranger sur le territoire français, la loi impose de respecter un certain nombre de conditions. Pour ce qui est de l’interdiction de diffusion et de distribution de RT et de Sputnik en Europe, comme en France, aucune des dispositions légales courantes en la matière n’a été appliquée. Cette décision PESC déroge par conséquent aux modes habituels d’interdiction de diffusion d’un média et de contenus illicites en ligne, et également en matière de blocage de sites Internet. En effet, selon la loi française de 1986 relative à la liberté de communication, la diffusion d’un média en France est en principe libre. Elle est dans certains cas soumise à l’autorisation préalable et à la conclusion d’une convention avec l’Arcom (13). Selon cette même loi et le droit européen (14), un média extra européen peut être rattaché à la compétence d’un Etat membre s’il est transmis principalement par un mode correspondant aux conditions de diffusion satellitaire (notamment par Eutelsat) décrites par les textes, et peut donc être soumis à des droits et obligations en France. Cependant, des raisons impérieuses doivent justifier une limite à l’exercice de cette liberté, notamment la sauvegarde l’ordre public ou la défense nationale (15). En cas de manquement, l’Arcom peut s’adresser – via un courrier de mise en garde – aux opérateurs de réseaux satellitaires et aux services de médias audiovisuels, afin de faire cesser ce manquement. La procédure peut aller ensuite de la mise en demeure de cesser la diffusion du médias audiovisuel (service de télévision notamment) à la saisine du Conseil d’Etat afin qu’il ordonne en référé la cessation de la diffusion de ce média par un opérateur (16). Depuis la loi de 2018 contre la manipulation de l’information, les pouvoirs de l’Arcom ont été étendus et elle peut prononcer la suspension provisoire de la diffusion d’un média et (17), dans certains cas, peut, après mise en demeure, prononcer la sanction de résiliation unilatérale de la convention avec un média extra européen, dès lors qu’il porte atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, notamment par la diffusion de fake news (18). Concernant le blocage des sites Internet en France, en l’occurrence ceux de RT France et de Sputnik, le code pénal et différentes lois, telles que la loi de 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), prévoient le retrait de contenus illicites, le blocage des sites et leur déférencement (19). Cette loi autorise par exemple l’autorité judiciaire à prescrire toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser un dommage causé par le contenu d’un site web ou un média en ligne (20). Dans des cas plus spécifiques, notamment la provocation à des actes terroristes et l’apologie publique de ces actes, ainsi que la pédopornographie, l’autorité administrative peut demander aux sites web ou autres intermédiaires en ligne de retirer les contenus en question. Concernant le blocage, il est mis en œuvre par les opérateurs télécoms sur la base d’une décision judiciaire ou administrative. Concernant le déréférencement, à savoir demander à un moteur de recherche de supprimer certains résultats de recherche associés à un mot, l’autorité administrative peut également notifier les adresses électroniques des sites en question afin de faire cesser le référencement (21).

Faire face au reproche de censure ?
La France, en donnant son accord à la décision et au règlement PESC, a certainement considéré l’évidence de son application directe et immédiate, par opposition à la législation française inopérante dans un tel cas d’immédiateté. Le secrétaire d’Etat chargé du numérique, Cédric O, a d’ailleurs énoncé le souhait de revoir les règles de régulation – « y compris en ce qui concerne les médias » – dans les situations de conflits (22). Plusieurs voix au sein de l’UE disent aussi vouloir travailler à un nouveau régime horizontal afin de lutter contre la désinformation, conscientes des difficultés en matière de transparence et de concertation que soulève une telle décision. @

* Anne-Marie Pecoraro est avocate spécialisée en droit de la
propriété intellectuelle, des marques, des nouvelles technologies