Rémunération centrée sur l’artiste : les premiers résultats correspondent aux attentes de Deezer

Six mois après le lancement de la rémunération « artist centric », la plateforme française de streaming musical Deezer se dit satisfaite des premiers résultats. Après Universal Music, Warner Music ou encore, depuis fin mars, Merlin (groupement de labels indépendants), les artistes seraient gagnants.

Alors que la filière musicale s’interroge toujours sur la méthode de rémunération des ayants droits – poursuivre sur le mode market centric ou passer au user centric –, tout en luttant contre la fraude aux clics ou fake streams (1), la plateforme française de streaming musical Deezer prévoit de généraliser en 2024 le modèle de rémunération dit « artist centric » au reste du monde. Lancé uniquement en France avec Universal Music (première major mondiale de la musique enregistrée) en septembre 2023, cette rémunération centrée sur l’artiste promet de mieux payer les musiciens et les ayants droits.

Labels indépendants mieux rémunérés
Deezer a aussi signé avec Warner Music dans ce sens en novembre 2023 et discute avec Sony Music. Alors que Deezer a annoncé le 21 mars dernier un nouvel accord (2)) avec le groupement international de labels indépendants Merlin, Edition Multimédi@ a contacté Deezer pour connaître le premier bilan des six mois d’application du mode de rémunération artist centric. « Actuellement, une très vaste majorité des streams sont rémunérés sur la base du modèle centré sur l’artiste – incluant à la fois les artistes des majors et de labels indépendants, ainsi que les services de distribution. Il est encore un peu tôt pour évaluer l’impact global de la rémunération artist centric, mais les premiers résultats correspondent à nos attentes, avec notamment une augmentation significative de la part de marché de la musique locale en France », nous a répondu la société Deezer. Elle indique que l’étude d’impact menée avec la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) sera rendue publique « prochainement ».
La plateforme française a depuis le 1er avril un nouveau PDG, mais par intérim : l’Américain Stu Bergen (photo de gauche), qui remplace Jeronimo Folgueira, sur fond de « taxe streaming » appliquée par la France depuis le 1er janvier (3). Le temps de trouver un successeur, le nouveau patron – ancien de Warner Music – dirigera la plateforme française fondée à Paris en 2007 et dotée aujourd’hui d’un effectif global de plus de 600 employés répartis en France, en Allemagne, au Royaume-Uni, au Brésil et aux Etats-Unis. En presque trois ans, Jeronimo Folgueira (4) a accompagné Deezer vers ce modèle de rémunération artist centric. « Je suis très heureux de voir Merlin et ses membres adopter notre modèle centré sur l’artiste et contribuer ainsi au déploiement d’un mode de rémunération du streaming plus équitable pour les artistes. Dès le départ, notre ambition a été de créer un modèle pour tous les artistes disposant d’une solide base de fans, y compris pour les artistes indépendants membres de l’écosystème Merlin », s’est félicité Jeronimo Folgueira le 21 mars. Après Universal Music et Warner Music, Merlin (Music and Entertainment Rights Licensing Independent Network) – basé à Londres après avoir été créé à Amsterdam en 2008 et fort de plus de 500 membres représentant quelque 30.000 labels indépendants, distributeurs, sociétés de services aux labels et autres détenteurs de droits – est le troisième grand signataire avec Deezer de ce nouveau mode de rémunération censé être plus équitable pour les artistes. Merlin est considéré comme une sorte de « quatrième major » (après Universal Music, Sony Music et Warner Music), mais à but non lucratif, qui revendique « 15 % du marché de la musique enregistrée ». Son PDG depuis janvier 2020, Jeremy Sirota (photo de droite), fonde de grands espoirs sur le modèle économique artist centric pour mieux payer les musiciens : « Nous avons travaillé avec Deezer afin de nous assurer que ce nouveau modèle profite à l’ensemble de nos membres et ouvre la voie à une meilleure reconnaissance et rémunération de la création musicale de qualité pour tous les artistes concernés », a-t-il assuré le 21 mars. Pour lui, comme pour Ryan McWhinnie, vice-président de Merlin en charge des affaires commerciales et juridiques, cette collaboration artist centric avec Deezer intervient à un moment charnière pour l’industrie musicale qui explore de nouvelles pistes d’amélioration de la rémunération des artistes sur les plateformes de streaming. « Nous sommes un organisme à but non lucratif, qui est entièrement financé par nos membres moyennant des frais administratifs de 1,5 % », précise Merlin.

La France, pays-pilote de l’artist centric
Si Deezer a trouvé un terrain d’entente avec Merlin Network au niveau mondial pour ses membres (5), il n’en a pas été de même au départ pour les deux accords signés avec respectivement Universal Music en septembre 2023 et Warner Music en novembre 2023. Dans ces deux cas, c’est la France qui a été pris comme pays d’expérimentation. D’autres pays devraient suivre, courant 2024. « Après un long engagement avec Deezer tout au long de 2023, nous sommes très fiers d’être pionniers en France dans le déploiement […] de leur version du modèle artist centric. Cette initiative globale valorisera beaucoup plus efficacement l’engagement des fans et la diffusion active de la musique créée par les artistes », a déclaré l’an dernier Olivier Nusse, PDG d’Universal Music France (6). Dans son rapport financier 2023, la première major mondiale de la musique enregistrée indique avoir également passé un accord artist centric avec Spotify qui devait débuter au cours de ce premier trimestre 2024 (7), ainsi qu’avec Tidal (8). De son côté, Alain Veille, président de Warner Music France, a aussi fait part de son enthousiasme : « Je suis ravi que Warner Music France s’associe à Deezer pour ce nouveau modèle de rémunération des ayants droits, dans cette volonté que nous avons ensemble de faire évoluer le modèle économique des plateformes de streaming en faveur des artistes » (9).

Deezer se met en quatre pour les artistes
Le nouveau modèle axé sur les artistes mis en place par Deezer s’appuie sur l’analyse approfondie des données générées par les streams et les fans. Il s’articule autour de quatre axes :
Se concentrer sur les artistes. Deezer attribue un double coup de pouce à ceux qu’il définit comme des « artistes professionnels » – à savoir ceux qui ont un minimum de 1.000 streams par mois par un minimum de 500 auditeurs uniques. Et ce, afin de les récompenser plus équitablement pour la qualité et l’engagement qu’ils apportent aux plateformes et aux fans.
Récompenser le contenu engageant. En plus de donner un double coup de pouce aux chansons avec lesquelles les fans s’engagent activement, Deezer réduit l’influence économique de la programmation algorithmique.
La démonétisation du bruit des non-artistes. Deezer remplace le « bruit des non-artistes » (le non-artist noise audio comprend des enregistrements de sons de la nature ou autres qui sont souvent utilisés pour la concentration ou la relaxation) par son propre « contenu musical fonctionnel ». Quant au non artistique, il ne touche plus de redevances.
S’attaquer à la fraude. Deezer a mis en place un système de détection de la fraude propriétaire mis à jour et plus strict, en supprimant les incitations pour les « mauvais acteurs » et en protégeant les redevances du streaming pour les artistes.
Sur ce dernier point de la fraude, les plateformes de streaming luttent depuis des quelques années contre les « fake streams » (faux clics) issus de l’achat de streams et contre les « fake artists » émanant de faux artistes (10). Sur la base des données de Deezer, Qobuz et Spotify, le Centre national de la musique (CNM) avait relevé qu’en 2021 la part globale de streams considérés comme frauduleux s’élevait à respectivement à 2,6 %, 1,6 % et 1,1 % du total de leurs streams (11).
La rémunération artist centric fait donc la part belle au modèle user centric ou User Centric Payment System (UCPS) qui répartit le montant de chaque abonnement en fonction des écoutes réelles des auditeurs et fans, au détriment du market centric ou Market Centric Payment System (MCPS) qui oriente les revenus du streaming vers les titres les plus écoutés. « Il s’agit du changement le plus ambitieux apporté au modèle économique depuis la création du streaming musical et d’un changement qui soutiendra la création de contenu de haute qualité dans les années à venir, avait estimé Jeronimo Folgueira (photo ci-contre), le désormais ex-patron de Deezer. Il n’y a pas d’autre industrie où tout le contenu est valorisé de la même façon, et il devrait être évident pour tout le monde que le son de la pluie ou d’une machine à laver n’est pas aussi précieux qu’une chanson de votre artiste préféré diffusée en streaming et en hi-fi ».
Chez Spotify, où l’artist centric devait commencer au premier trimestre de cette année, il est aussi prévu un seuil de streams annuels minimum avant qu’une musique ne commence à générer des redevances. « Cette décision devrait démonétiser une partie des titres qui absorbaient auparavant 0,5 % du pool de redevances de Spotify – la publicité profite aux 99,5 % restants », avait-il été précisé lors de l’annonce faite en octobre dernier (12). Il est même prévu des sanctions financières pour les distributeurs de musique, y compris les labels, lorsqu’une fraude est flagrante en termes de « streaming artificiel ».

La Sacem dans le sillage du CNM
L’approche artist centric est analysée de près par la Sacem, ainsi que par la fédération dont elle est membre, la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs (Cisac). Faut-il généraliser l’« artist centric » pour une rémunération plus équitable ? C’est toute la question de l’étude d’impact menée depuis l’automne dernier par la Sacem et Deezer sur ce « modèle de redistribution de valeur centrée sur l’artiste pour le compte des producteurs de musique enregistrée » (13). Elle s’inscrit dans le prolongement des études (14) du Centre national de la musique (CNM) – financé par la « taxe streaming » – sur la rémunération user centric. @

Charles de Laubier

Lutte contre le piratage : les « cyberlockers » donnent du fil à retordre aux industries culturelles

Aiguillonnée par l’Alpa et l’Arcom, la justice française multiplie les décisions de blocage de sites pirates qui recourent aux « cyberlockers », hébergeurs générant des liens web pour permettre à leurs utilisateurs d’accéder à des fichiers de films, séries, musiques ou livres, souvent piratés.

Les « cyberlockers » ont le vent en poupe et jouent au chat et à la souris avec les ayants droits, les régulateurs et les juges. En France, rien qu’en janvier 2024, ce ne sont pas moins cinq d’entre eux – Turbobit, Rapidgator, Streamtape, Upstream et Nitroflare – qui ont été bloqués par décision de justice. En un an, près d’une quinzaine de ces sites d’hébergement générateurs de liens web uniques ou multiples – des URL (Uniform Resource Locator) pour permettre de télécharger des fichiers de contenus et de les partager – ont été bloqués, sur décision du juge, par les Orange, SFR, Bouygues ou Free.

Les 25 membres de l’Alpa en lutte
Outre les cinq cyberlockers épinglés en janvier, il en a aussi été ainsi de Doodstream, Mixdrop, Vidoza et Netu par jugement de juin 2023, de Uptobox en mai 2023 (1), ainsi que de Uqload, Upvid, Vudeo et Fembed en janvier 2023. C’est ce que révèle une étude de l’Association de la lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa), réalisée avec Médiamétrie et publiée discrètement le 7 mars dernier – communiquée, sans présentation formelle, aux membres de l’Alpa qui l’a mise en ligne sur son site web (2). Contacté par Edition Multimédi@, le délégué général de l’Alpa depuis plus de 21 ans, Frédéric Delacroix (photo), nous explique que « les sites pirates utilisent les cyberlockers pour héberger les contenus illicites qu’ils proposent sur leurs pages en mettant à disposition des liens – de téléchargement DDL (3) ou de streaming – renvoyant sur ces derniers, les cyberlockers étant des services essentiels dans l’écosystème pirate et ne servant qu’à l’hébergement de contenus illicites ». Les sites pirates et leurs sites miroirs peuvent y recourir pour brouiller les pistes en multipliant les URL. Les sites miroirs sont, eux, de nouveaux chemins d’accès via de nouveaux noms de domaine qu’utilisent les sites pirates, faisant l’objet de mesures de blocage sur leur nom de domaine initial, pour poursuivre leur activité illégale. Ces sites illégaux se nomment 1fichier.com, Yggtorrent.qa, Wawacity.autos, Papadustream.to ou encore Rapidgator.net, pour ne citer que les plus utilisés en décembre 2023 d’après Médiamétrie. « Les cyberlockers ont longtemps bénéficié du statut (favorable) d’hébergeurs, supprimant sur notification les fichiers illicites notifiés par les ayants droit, mais en favorisant leur réintroduction à l’identique en connivence avec les administrateurs pirates. Nous avons réussi à prouver que leur système économique ne reposait que sur la contrefaçon d’œuvres protégées », poursuit Frédéric Delacroix.
Le délégué général de l’Alpa rappelle que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a – dans son arrêt « Cyando/ Uploaded » du 27 juillet 2021 (4) – édicté des principes permettant d’établir le caractère contrefaisant de ce type de cyberlocker (plateforme de partage de vidéos ou plateforme d’hébergement et de partage de fichiers). « Ce qui a permis aux ayants droit, membres de l’Alpa et à notre initiative, d’en demander le blocage en justice fin 2022 ». Et depuis 2017, les ayants droit membres de l’Alpa sont à l’initiative de décisions de justice portant sur 1.300 sites pirates à ce jour, correspondant à l’utilisation de plus de 3.400 noms de domaine. L’Alpa – association française créée il y aura 40 ans l’an prochain et présidée depuis plus de 20 ans par Nicolas Seydoux (84 ans), président de Gaumont – compte aujourd’hui vingt-cinq membres que Edition Multimédi@ présente de façon inédite par catégorie : Organisations professionnelles : Association des producteurs indépendants (API), Auteurs, réalisateurs et producteurs (L’Arp), Fédération nationale des éditeurs de films (FNEF), Motion Picture Association (MPA), Société civile des producteurs de cinéma et de télévision (Procirep), Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem), Syndicat de l’édition vidéo numérique (SEVN), Syndicat des producteurs indépendants (SPI), Union des producteurs de cinéma (UPC). Studios de cinéma : Gaumont, Paramount Picture France, Pathé Films, Sony Pictures Home Entertainment, Universal Pictures Vidéo France, Walt Disney Entertainment, Warner Bros Home Video. Salles de cinéma : Fédération nationale du cinéma français (FNCF), UGC (ex-Union générale cinématographique). Chaînes de télévision : France Télévisions, Canal+, TF1, M6 via sa Société nouvelle de distribution (SND). Plateforme de SVOD : Netflix. Autorité publique : Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC).
L’Alpa touche des subventions publiques, notamment de la part du CNC qui est un établissement public à caractère administratif placé sous l’autorité du ministère de la Culture.Le CNC pourra bientôt saisir l’Arcom
Grand argentier du cinéma, de l’audiovisuel et du multimédia (dont la création numérique sur Internet, jeu vidéo, réalité virtuelle et métavers), le CNC pourrait voir ses pouvoirs étendus aux sites miroirs par la proposition de loi « visant à conforter la filière cinématographique ». Ce texte législatif, qui a été adopté en première lecture au Sénat le 14 février dernier et est actuellement entre les mains de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale (5) a fait l’objet d’un amendement adopté en commission début février (6). Celui-ci prévoit que les titulaires de droits ne soient plus les seuls à pouvoir saisir l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) pour lui demander d’enjoindre directement aux fournisseurs d’accès à internet (FAI) et sans passer par un juge (7) – comme c’est cas depuis octobre 2022 – de bloquer des sites miroirs de ces sites illégaux et cyberlockers déjà condamnés par la justice. Avec la nouvelle mesure, le CNC aurai aussi la possibilité de saisir l’Arcom pour lutter contre ces sites miroirs. Les ayants droits, les organismes de gestion collective et les organismes de défense professionnelle – autrement dit « toute personne qualifiée pour agir » (8) – pourraient aussi saisir l’Arcom sur ces sites miroirs. D’autant que les premiers résultats de cette procédure sans juge sont considérés par le régulateur et les parlementaires comme « prometteurs » au regard de « la baisse de l’audience des “galaxies” de sites miroirs ». L’Arcom aurait ainsi reçu jusqu’à maintenant plus de 600 demandes d’« actualisation de décisions de justice » qui ont lui ont permet de notifier depuis plus d’un an 770 noms de domaine aux FAI pour en empêcher l’accès.

L’audience des sites illicites baisse
Ces jugements de blocage de cyberlockers, ordonnés le plus souvent par le tribunal judiciaire de Paris aux opérateurs télécoms et FAI contribuent – à l’instar du blocage des sites illégaux ou de leurs miroirs – à la baisse de l’audience des sites de streaming vidéo en France. A chaque décision judicaire, les audiences de ces cyberlockers et plus généralement des sites pirates ou de leurs répliques (sites miroirs) reculent de façon significative. Pour autant, la fréquentation de ces mêmes cyberlockers et/ou sites pirates peut reprendre du poil de la bête avec la mise en ligne de nouveaux sites miroirs et de nouveau liens URL, mais sans retrouver les niveaux d’avant les jugements (voir graphique plus haut).
Résultat, toujours selon Médiamétrie pour l’Alpa : l’audience globale des sites illicites en France ne cesse de baisser d’année en année (sauf en 2018), passant de 15,1 millions d’« internautes pirates » en 2016 à seulement 6,3 millions en 2023. Si l’on part de l’année 2018 où les smartphones ont été pris en compte pour la première fois, portant à 15,4 millions le nombre d’« internautes pirates », cela représente un recul de 59 % en cinq ans (voir graphique ci-dessous). Mais le piratage en ligne (streaming et téléchargement) n’est pas mort pour autant. « L’efficacité est “relative” si l’on regarde la courbe du piratage », relève le délégué général de l’Alpa, d’autant que « nos statistiques ne prennent pas en compte les blocages des services IPTV que nous opérons depuis 2020 ». @

Charles de Laubier

L’affiliation publicitaire croît, notamment grâce à la presse pratiquant le « content-to-commerce »

Les articles de presse publicitaires sont de plus en plus nombreux sur les sites de presse en ligne (Le Figaro, Le Parisien, Le Point, 20 Minutes, Ouest-France, …) grâce aux liens d’affiliation. C’est une pratique éditoriale de vente en ligne en plein boom. Les journaux prennent des airs de boutiques.

Cette pratique marketing de plus en plus courante, qui consiste pour un éditeur de site web – presse en ligne en tête – de publier des articles qui promeuvent – en échange d’une commission perçue par lui sur les ventes générées par son intermédiaire – des produits ou des services. Lorsque le lecteur de cet article de presse – sans forcément d’ailleurs savoir qu’il s’agit d’un contenu éditorial de type publirédactionnel pour telle ou telle marque – clique sur le lien d’affiliation et va jusqu’à acheter le bien (souvent en promotion alléchante), le journal perçoit des royalties commerciales.

Près de 4 % du marché de l’e-pub
En France, de nombreux médias – et parmi les grands titres de presse (Le Figaro, Le Parisien, Le Point, 20 Minutes, Ouest-France, Le Monde, …) ou de l’audiovisuel (Europe 1, …) – se sont entichés de cette nouvelle forme de publicité éditoriale, quitte à rependre à l’identique l’habillage des articles écrits par leur rédaction de journalistes. A ceci près qu’il est parfois indiqué dans les articles d’affiliation la mention, par exemple, « La rédaction du Figaro n’a pas participé à la réalisation de cet article » ou « La rédaction du Parisien n’a pas participé à la réalisation de cet article ».
Les médias ne sont pas les seuls à pratiquer l’affiliation publicitaire, mais ils sont en première ligne étant donné leurs fortes audiences susceptibles de générer du « CPA ». Ce « coût par action » (Cost Per Action) est à l’affiliation ce que le « coût pour mille » (Cost Per Thousand) est au nombre de 1.000 « impressions » (affichages) d’une publicité mise en ligne, ou au « coût par clic » (Cost Per Click) lorsque le lecteur va cliquer sur une annonce publicitaire. Les prestataires d’affiliation se sont multipliés ces dernières années, notamment en France où l’on en compte de nombreux tels que : Awin, CJ Affiliate, Companeo, Effinity, Kwanko, Rakuten, TimeOne, Tradedoubler ou encore Tradetracker. En 2023, le marché français de l’affiliation publicitaire a bondi de 7,1 % sur un an pour atteindre 367,4 millions d’euros de chiffre d’affaires (voir tableau page suivante). Ce sont les chiffres de l’Observatoire de l’e-pub publiés le 6 février, avec l’Union des entreprises de conseil et d’achat médias (Udecam), par le Syndicat des régies Internet (SRI), dirigé par Hélène Chartier (photo). L’affiliation pèse donc tout de même près de 4 % (3,95 % précisément) du marché total de la publicité digitale en France, lequel atteint en 2023 un peu plus de 9,3 milliards d’euros. Les professionnels du secteur sont pour la plupart réunis au sein du Collectif pour les acteurs du marketing digital (CPA), syndicat français qui fédère les acteurs du « marketing digital à la performance » créé en 2008. Le CPA représente un chiffre d’affaires global de 600 millions d’euros et 10.000 emplois.
De plus en plus de médias y trouvent leur compte. Face à la baisse des recettes publicitaires sur leurs supports traditionnels, notamment dans leurs éditions imprimées, des éditeurs de journaux optent pour ce « content commerce » (ou content-to-commerce). De nombreux titres de presse, même parmi les plus prestigieux, s’y mettent. Il ne s’agit plus là de mesurer le nombre de lecteurs de leurs articles habituels écrits pas leurs journalistes, mais de « calculer un revenu généré par page » et donc par article publicitaire ou promotionnel.
L’éditeur devenu e-commerçant peut, lorsque le CPA se vérifie, toucher une commission sur le prix de vente aux consommateur-lecteur allant, d’après Affilizz, plateforme de gestion d’affiliation pour les médias (start-up incubée par le Média Lab de TF1), de 2 % pour un produit hightech (smartphones, téléviseurs, montres connectées, etc) à 15 % pour les produits de luxe ou de cosmétiques (1). Certains médias, notamment de grands quotidiens, peuvent ainsi générer sur l’année quelques millions d’euros. Le taux de conversion de ces articles d’affiliation soumis au CPA se situent en moyenne autour des 3 % à 5 %, là où la publicité digitale classique (bannière ou display) atteint à peine 1 %.

Google News : 4,1 millions de lecteurs/mois
Pour optimiser leurs recettes « CPA », les médias concernés ont créé des rubriques en ligne d’articles dédiées telles que « Le Figaro Services », « Ouest-France Shopping », « Europe 1 l’équipe Shopping », « 20 Minutes Guide d’achat/Bon plan » ou encore « Le Point Services ». Contrairement aux articles payants des journalistes de leurs rédactions, ces articles d’affiliation vantant des produits ou des services sont accessibles gratuitement sur le site de presse en ligne (2). Ces contenus éditoriaux publicitaires et/ou promotionnels pullulent notamment sur les agrégateurs d’actualités – au premier rang desquels Google Actualités (3), comme l’a relevé Edition Multimédi@ (4). Une même campagne d’affiliation pour tel ou tel produit peut même y apparaître sous différents titres de presse auxquels le lecteur de Google News a accès via le lien « couverture complète de cet événement », comme n’importe quelle autre actualité ainsi regroupée. Et cela peut rapporter gros, dans la mesure où le numéro un des agrégateurs d’actualités est consulté par plus de 4 millions d’utilisateurs par mois – 4,17 millions mensuels en 2023, indique Google – pour un total chaque mois pour les éditeurs de médias référencés de plus de 3,8 milliards d’affichages de résultats et 194 millions de clics vers leurs sites de presse en ligne (5).

« La rédaction n’a pas participé à cet article »
Pas grand-chose cependant ne distingue ces publirédactionnels des autres articles de la rédaction des journalistes (même logo du titre de presse, même éditorialisation du texte, mêmes typos et titrailles, …). Pour le lecteur habitué du journal en question, il peut ne pas se douter que l’article au titre accrocheur est en fait commercial et rémunérateur pour l’éditeur.
A ceci près qu’au détour de la mise en page de cet article, le lecteur ou le consommateur (c’est selon) peut tomber sur la mention précisant que « la rédaction n’a pas participé à la réalisation de cet article ». Certains éditeurs en disent plus à la fin de l’article d’affiliation comme Le Figaro : « Contenu conçu et proposé par Le Figaro Services. La rédaction du Figaro n’a pas participé à la réalisation de cet article. Les prix mentionnés dans cet article le sont à titre indicatif. Lorsque vous achetez via nos liens de vente, nous pouvons percevoir une commission d’affiliation », précise le quotidien du groupe Dassault (6). Ou comme Le Parisien : « La rédaction du Parisien n’a pas participé à la réalisation de cet article. Certains liens sont trackés et peuvent générer une commission pour Le Parisien. Les prix sont mentionnés à titre indicatif et sont susceptibles d’évoluer », averti le quotidien du groupe LVMH (7). Contacté par Edition Multimédi@ sur les règles applicables dans Google Actualités – Google News que dirige mondialement Richard Gingras (photo ci-contre) – au regard de ces articles sponsorisés et/ou soumis à CPA, Google nous a répondu ceci : « Nous n’autorisons pas de contenu dans Google Actualités ou “À la une” qui dissimule ou déforme le caractère sponsorisé de ce contenu. Les articles qui apparaissent dans Google Actualités doit respecter les règles de Google en matière d’actualités ».
Et le géant du Net de nous renvoyer à son règlement où l’on peut lire une mise en garde des éditeurs à propos de leurs annonces et contenus sponsorisés : « La publicité et d’autres contenus promotionnels rémunérés sur vos pages ne doivent pas occuper plus d’espace que vos contenus d’actualités. Nous n’autorisons pas les contenus qui dissimulent la nature du contenu sponsorisé ou qui le font passer pour du contenu éditorial indépendant. Tout sponsoring (y compris, mais sans s’y limiter, un intérêt en tant que propriétaire ou société affiliée, une rémunération ou un soutien matériel) doit être clairement indiqué aux lecteurs. Le sujet du contenu sponsorisé ne doit pas être axé sur le sponsor sans que cela soit explicitement signalé » (8).
Si un site web d’un titre de presse enfreint ses règles, Google « se réserve le droit d’examiner le contenu et supprimer des URL individuelles [liens vers l’article hébergé sur le site de l’éditeur, ndlr] afin qu’elles n’apparaissent pas dans Google Actualités ». Le site web, dont l’actualité sponsorisée a été déréférencée, doit alors corriger son contenu pour qu’il puisse apparaître à nouveau dans la recherche et les actualités. Une chose est sûre : les « médias commerçants » ont le vent en poupe, au risque de ternir leur image dans un mélange de genres éditorial. @

Charles De Laubier

Le bitcoin – reine des cryptomonnaies créée il y a 15 ans – fait indirectement son entrée en Bourse

Ark Invest, Bitwise, BlackRock, Fidelity, Franklin Templeton, Grayscale, Hashdex, Invesco, WisdomTree, Valkyrie et VanEck : ce sont les onze « ETF bitcoin spot » que le gendarme boursier américain (SEC) a autorisés. Une consécration historique pour la reine des cryptos qui fête ses 15 ans.

Alors que le bitcoin fête ses 15 ans, ayant été créé le 9 janvier 2009 par un inconnu toujours non démasqué et utilisant le nom de Satoshi Nakamoto (photo (1)), le gendarme américain de la Bourse – la SEC (Securities and Exchange Commission) – a finalement autorisé le 10 janvier 2024 les tout premiers « ETF bitcoin spot », au nombre de onze. Il s’agit de fonds d’investissement cotés qui se négocient au comptant sur les marchés boursiers (« Exchange Traded Fund ») et qui sont indexés directement (« spot ») sur la reine des cryptomonnaies (le bitcoin).

Cautionner les ETF, pas les cryptos
Ces onze ETF bitcoin spot – Ark Invest, Bitwise, BlackRock, Fidelity, Franklin Templeton, Grayscale, Hashdex, Invesco, WisdomTree, Valkyrie et VanEck – concernent pour l’instant les Etats-Unis où le feu vert leur a été donné, mais pas d’autres marchés boursiers comme ceux de l’Union européenne. Cette consécration du bitcoin par la SEC, laquelle était depuis dix ans hostile à l’introduction de ces actifs sur le marché boursier, est intervenue après des mois de tergiversations et de spéculations. Finalement, le mercredi 10 janvier 2024, l’autorité américaine des marchés financiers a approuvé une liste de onze ETF bitcoin spot lors d’un vote de ses cinq commissaires.
Selon les constatations de Edition Multimédi@, il s’en est fallu de peu puisque trois d’entre eux – le président Gary Gensler, la commissaire Hester Peirce et le commissaire Mark Uyeda – ont voté pour, tandis que les deux autres – la commissaire Caroline Crenshaw et le commissaire Jaime Lizárraga – ont voté contre (2). Ce n’est pas la première fois que la SEC examinait des projets d’ETF bitcoin spot. « Sous la présidence de Jay Clayton en 2018 et jusqu’en mars 2023, la Commission [la SEC, ndlr] a désapprouvé plus de 20 dépôts d’ETF bitcoin spot au comptant », a rappelé Gary Gensler. L’un de ces dépôts rejetés, effectué par Grayscale Investments, envisageait la conversion du Grayscale Bitcoin Trust en ETF. Cette société américaine de gestion d’actifs en monnaie numérique, et filiale de Digital Currency Group fondé en 2013 et basé à Stamford (Connecticut), avait saisi la justice et réussi à faire annuler en 2023 la décision négative de la SEC par la Cour d’appel du district de Columbia (3). « Compte tenu de ces circonstances et de celles dont il est question plus en détail dans l’ordonnance d’approbation, j’estime que la voie la plus durable consiste à approuver l’inscription et la négociation de ces actions ETF en bitcoin au comptant », estime aujourd’hui Gary Gensler dans sa déclaration du 10 janvier. Mais le président de la SEC a tenu à préciser qu’il ne s’agit pas de cautionner les cryptomonnaies elles-mêmes, dont les Etats-Unis – notamment la Fed (4) – se méfient au regard de la suprématie du dollar : « Il est important de noter que les mesures prises aujourd’hui par la Commission [la SEC] s’appliquent aux ETF détenant un produit non-sécurisé, le bitcoin. Il ne devrait en aucun cas signaler la volonté de la Commission d’approuver les normes d’inscription des titres de cryptoactifs. L’approbation n’indique pas non plus quoi que ce soit sur l’opinion de la Commission quant au statut d’autres actifs cryptographiques en vertu des lois fédérales sur les valeurs mobilières ou sur l’état actuel de non-conformité de certains participants au marché des crypto-actifs avec les lois fédérales sur les valeurs mobilières » (5).
Dans son ordonnance d’approbation de vingt-deux pages (6) en faveur des ETF bitcoin spot, le gendarme boursier américain demandent aux Bourses américaines – Nyse, Nasdaq et Cboe – ainsi qu’aux organismes financiers concernés des mesures précises pour assurer la protection des investisseurs (information complète, équitable et véridique sur les produits, cotation et négociation sur les Bourses nationales réglementées, …). « Ces bourses réglementées doivent respecter des règles conçues pour prévenir la fraude et la manipulation, met en garde la SEC, et nous les surveillerons de près pour nous assurer qu’elles les appliquent. En outre, la Commission mènera une enquête approfondie sur toute fraude ou manipulation sur les marchés des valeurs mobilières, y compris les systèmes utilisant des plateformes de médias sociaux ». Elle rappelle au passage qu’elle a porté plainte en décembre 2022 contre huit influenceurs accusés de stratagème de manipulation d’actions de 100 millions de dollars, promu sur les réseaux sociaux Twitter et Discord (7).

Uniformiser les règles du jeu des émetteurs
Gary Gensler tient en outre à préciser que la SEC « n’approuve ni ne cautionne les plateformes de crypto-trading ou les intermédiaires qui, pour la plupart, ne sont pas conformes aux lois fédérales sur les valeurs mobilières et ont souvent des conflits d’intérêts ». La SEC procèdera aussi en parallèle à l’examen des relevés d’enregistrement des ETF bitcoin au comptant, ce qui contribuera à uniformiser les règles du jeu pour les émetteurs et à promouvoir l’équité et la concurrence, ce qui profitera aussi aux investisseurs et au marché dans son ensemble. Et le président de la SEC de prendre encore ses distances par rapport à la reine de cryptomonnaies : « Je souligne que […] le bitcoin est principalement un actif spéculatif et volatil qui est également utilisé pour des activités illicites, y compris les rançongiciels, le blanchiment d’argent, l’évasion de sanctions et le financement du terrorisme ».

La commissaire Peirce critique la SEC
La commissaire Hester Peirce, elle, n’a pas mâché ses mots pour dénoncer la manière dont la SEC – où elle été nommée il y a six ans (le 11 janvier 2018) par le Sénat américain (où elle est membre du Parti républicain), après avoir été désignée par Donald Trump – a instruit le dossier des ETF bitcoin spot. « Aujourd’hui [10 janvier 2024, ndlr] marque la fin d’une saga inutile, mais conséquente. Plus de dix ans après le dépôt de la première demande de produit négocié en bourse (ETF), la Commission [la SEC] a finalement approuvé de multiples demandes d’inscription et de négociation d’ETF au comptant de bitcoin. Cette saga aurait probablement duré bien au-delà d’une décennie sans le DC Circuitex-machina [le verdict de la Cour d’appel de Columbia en faveur de Grayscale, ndlr] ». Et d’enfoncer le clou plus loin : « La SEC, plutôt que d’admettre une erreur, offre une explication faible pour son changement d’avis. […] Nous avons gaspillé une décennie d’occasions de faire notre travail. Si nous avions appliqué la norme que nous utilisons pour d’autres ETF fondées sur les produits de base [métaux comme l’or, matière première, index boursier, …, ndlr], nous aurions pu approuver ces produits il y a des années, mais nous avons refusé de le faire jusqu’à ce qu’un tribunal [nous contredise]. Et même aujourd’hui, notre approbation ne vient qu’à contrecœur » (8).
Pourquoi la SEC de Gary Gensler (photo ci-dessus) a traîné des pieds pendant des années sur les ETF bitcoin spot ? C’est d’autant plus incompréhensible – à part peut-être avec l’idée derrière la tête de ne pas consacrer la reine des cryptomonnaies – que les « ETF bitcoin futures », eux, sont autorisés aux Etats-Unis. Certes, les ETF futures investissent dans des contrats à terme (futures) sur les actifs considérés sans avoir à détenir directement l’actif suivi, seulement en pariant sur leur prix futur. Par exemple, depuis 2017, les Bourses de Chicago – Chicago Board of Trade (CBOT) et Chicago Mercantile Exchange (CME) – sont régulés par l’agence gouvernementale américaine CFTC (Commodity Futures Trading Commission) et liste en cotation des ETF bitcoin futures. Certains pays dans le monde ont autorisé des ETF bitcoin spot ou futures. Edition Multimédi@ a constaté que le tracker CoinMarketCap (CMC), filiale de Binance, a créé une page dédiée aux ETF de cryptomonnaies (bitcoin ou ethereum), où l’on trouve pas moins de 56 de fonds cotés. Parmi eux, 24 sont enregistrés en Europe – dont souvent la Suisse et dans les îles anglo-normandes Jersey et Guernesey, ainsi qu’au Liechtenstein. Il y a en a aussi en Allemagne et en Suède, mais… pas en France (9). Contactée par Edition Multimédi@, la spécialiste de la blockchain et des actifs numériques Helen Disney (basée à Londres) nous indique que « l’ETF “Jacobi FT Wilshire Bitcoin” est réglementé à Guernesey et est le seul ETF bitcoin spot en Europe ». Introduit à la Bourse Euronext Amsterdam en août 2023 (10), ce fonds est géré par Jacobi Asset Management (11), dont Helen Disney fut porteparole. A propos de la liste établie par CoinMarketCap, elle nous explique : « Ces autres produits sont tous des ETP/ ETN (12) (produits négociés en Bourse). Ce n’est pas exactement la même chose car vous ne possédez pas l’actif sous-jacent, contrairement aux ETF bitcoin spot. Les ETF détiennent le bitcoin comme actif du fonds, tandis que les ETN (instruments de dette/produits structurés) peuvent être adossés à des swaps ou détenir des actifs physiques en garantie dans le cadre d’accords de sécurité complexes ».

L’Union européenne à l’ère « MiCA »
Entré en vigueur le 29 juin 2023 et applicable entre le 30 juin 2024 et le 30 décembre 2024, le règlement européen sur les marchés des crypto-actifs, dit MiCA pour Market in Crypto-Assets (13), créé cette année les conditions pour que les ETF bitcoin spot puissent se développer dans les Vingt-sept. Le MiCA oblige les acteurs financiers et boursiers à protéger les investisseurs et les consommateurs, ainsi qu’à préserver la stabilité financière.
La France, elle, est aux avant-postes avec sa loi « Pacte » qui a introduit dès 2019 dans le code monétaire et financier (14) une définition des actifs numériques (15) que sont les jetons (tokens) et les crypto-actifs – et par extension… les ETF bitcoin spot. Mais, pour l’instant, Paris n’en compte pas encore. MiCA prévoit aussi un agrément obligatoire pour les prestataires fournissant des services sur crypto-actifs – statut PSCA –, dont les obligations sont proches du statut français PSAN des prestataires de services sur actifs numériques. @

Charles de Laubier

La CSNP demande à l’Etat de lancer une étude d’impact sur les communs numériques

La Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP) a publié le 8 novembre un avis sur les communs numériques. Bien qu’ouverts et gratuits, plusieurs « freins » à leur développement sont identifiés. Les Etats jouent parfois contre eux, en finançant des produits ou services similaires. Parmi les onze recommandations que fait la Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP) – instance bicamérale et transpartisane en interaction avec Bercy – dans son avis rendu le 8novembre et intitulé «Commun numériques : vers un modèle souverain et durable », la n°5 suggère à l’Etat français de « lancer une étude d’impact économique et sociétale comparée pour les communs numériques d’intérêt général ». Et ce, « afin d’évaluer, notamment d’un point de vue comparatif, les coûts générés et évités par les communs numériques d’intérêt général ». Clarifier les aides d’Etat dans les communs La CSNP, dont la mission sur les communs numériques a été pilotée par Jeanne Bretécher (photo), mentionne juste en guise d’exemple où une étude comparée pourrait être pertinente : « NumAlim versus Open Food Facts ». Mais sans expliquer pourquoi. Ces deux initiatives poursuivent le même objectif : fournir des informations sur les produits alimentaires. Mais les deux sont d’origine différente, comme l’analyse Edition Multimédi@. Open Food Facts est un projet collaboratif lancé par des citoyens bénévoles pour créer une base de données libre et ouverte sur les produits alimentaires, utilisé par NutriScore, Yuka, Foodvisor et ScanUp ou encore Centipède. Alors que NumAlim est en revanche un projet initié par l’Ania (1), le lobby de l’industrie alimentaire, et opéré par la société Agdatahub (détenue par la holding API-Agro), pour créer une plateforme de données ouvertes mais aussi payantes sur les produits alimentaires. Mais au-delà du fait qu’Open Food Facts à but non lucratif est un vrai commun numérique gratuit et que NumAlim est une plateforme commerciale avec sa place de marché « BtoB » HubAlim, leurs financements diffèrent : Open Food Facts dépend principalement des contributions de bénévoles et de dons, tandis que NumAlim bénéficie du financement de la Banque des Territoires, filiale d’investissement de la Caisse des Dépôts (CDC), bras armé financier de l’Etat français. Cet exemple illustre le deux poids-deux mesures dans la façon dont l’Etat français appréhende les « communs numériques ». La France apparaît plus encline à financer des start-up – au nom de la French Tech ou de la Start-up Nation – qu’à subventionner des projets de communs numériques d’intérêt général. Or pour ces derniers, relève la CSNP, « les modèles de financement des “start-ups”, avec prise de participation, ne sont pas adaptés ». Une telle dichotomie dans l’accès au financement opère implicitement une discrimination entre start-up et communs numériques, alors que la réglementation européenne des aides d’Etat considère les communs numériques d’intérêt général comme une activité économique classique, au même titre que des start-up. Ces communs numériques pourraient même entrer dans la catégorie des Services économiques d’intérêt général (SIEG) dont les aides publiques peuvent être plus élevées. L’étude d’impact économique et sociétale comparée que la CSNP appelle de ses vœux permettrait d’y voir plus clair sur la stratégie d’investissement de l’Etat français dans les communs numériques – que cela soit par la CDC via ses filiales Banque des Territoires et Bpifrance (2), ou par ses différents programmes d’investissement. « Cette étude pourrait être portée par la Cour des comptes, l’Inspection générale des finances [interministérielle, ndlr], France Stratégie [service du Premier ministre, ndlr] ou le Conseil général de l’économie [CGE à Bercy, ndlr] », propose la CSNP qui va même plus loin. « D’une manière générale, la CSNP souhaite que des études d’impact soient conduites sur les investissements publics dans des domaines numériques (French Tech, NumAlim, Qwant…) ». La plan gouvernemental French Tech aura dix ans fin 2023, dont la mission est installée depuis 2017 chez l’incubateur Station F fondé par le milliardaire fondateur de Free, Xavier Niel. Quel impact a la French Tech et ses 22.767 start-up (3) soutenus par l’Etat sur les communs numériques ? Le moteur de recherche d’origine franco-allemand Qwant, cofinancé par la CDC et le groupe Axel Springer, est-il – depuis son lancement avec Emmanuel Macron à l’Elysée il y a plus de dix ans (4) – un commun numérique ou un « Google à la française » à but lucratif ? Une étude d’impact serait donc la bienvenue. D’autant que les communs numériques – ou digital commonsen anglais – sont de plus en plus répandus et utiles. « Wiki », « Open data » ou encore « Freeware » Ce sont par exemple : les logiciels libres comme OpenOffice ou Linux ; les plateformes comme Wikipedia ou OpenStreetMap ; les bases de données ouvertes comme Open Food Facts ou Open Library ; les « fédivers » comme les médias sociaux interopérables Mastodon ou PeerTube (5) ; les initiatives publiques comme les Géo-communs de l’IGN (6), la messagerie instantanée Tchap de la DINum (7), la formation à distance avec BigBlueButton de l’Education nationale, l’accès au droit comme Open Law de la Dila (8) et d’Etalab, ou encore le logiciel libre socio-fiscal OpenFisca de France Stratégie (9) et d’Etalab (10). @

Charles de Laubier