Influenceurs : pris entre le marteau et l’enclume

En fait. Le 1er juin, le Sénat a adopté à l’unanimité la proposition de loi « Anti-arnaques et anti-dérives des influenceurs », comme l’avait fait la veille l’Assemblée nationale dans la foulée d’un accord en commission mixte paritaire. Avant même sa promulgation, la DGCCRF épingle les mauvais joueurs.

En clair. La promulgation de la loi « visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux » n’est que pure formalité. La proposition de loi transpartisane a été adoptée les 31 mai et le 1er juin derniers par respectivement l’Assemblée nationale et le Sénat. Et ce, après un accord trouvé le 25 mai en commission mixte paritaire (CMP) entre sénateurs et députés. Portée par les députés Arthur Delaporte (Nupes) et Stéphane Vojetta (Renaissance), la loi « Influenceurs » a l’encre à peine sèche que la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), basée à Bercy (Bruno Le Maire), a dégainé le 2 juin des sanctions « name and shame » (nommer et blâmer) à l’encontre de six influenceurs (1). Trois sont épinglés pour « pratiques commerciales trompeuses » et trois autres pour non-divulgation de « partenariat commercial rémunéré » (pub clandestine).
Ils sont tenus de publier sur leur profil en ligne, et durant 30 jours, leur condamnation. Le 3 mai, la DGCCRF avait indiqué avoir « contrôlé » 50 influenceurs au cours du premier trimestre. Des injonctions et des procès-verbaux pénaux pleuvent. « Bruno Le Maire et la DGCCRF rendront publiques les mesures prises à l’encontre de certains influenceurs dans une optique de sensibilisation aux enjeux de loyauté, et dans le respect des procédures du code de la consommation », avait prévenu Bercy (2). La loi « Influenceurs », elle, renforce les pouvoirs de la DGCCRF avec la création d’« une brigade d’influence commerciale constituée dans un premier temps de 15 agents » (temps plein), opérationnelle en septembre prochain. Ils « surveilleront » les réseaux sociaux, et répondront aux « signalements » de SignalConso (3).
La brigade sanctionnera les influenceurs coupables, fermera leurs comptes, voire les déférera devant un juge. La loi officialise aussi un « guide de bonne conduite » pour les influenceurs, déjà disponible avec un édito de Bruno Le Maire (4), et crée des « Assises de l’influence responsable » qui auront lieu tous les ans à Bercy. Les photos et vidéos retouchées ou produite par de l’IA seront à indiquer. La promotion d’actes de santé, de chirurgie esthétique ou d’animaux sauvages est interdite. Tandis que les influenceurs installés à l’étranger (Dubaï. Bahamas, Ile Maurice, …) doivent « nommer un représentant légal en France ». @

La proposition de loi pour « lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs » fait débat

La proposition de loi sur les influenceurs a été adoptée à l’unanimité le 30 mars à l’Assemblée nationale. Mais le texte ne fait pas l’unanimité parmi les intéressés. La France risque de corseter ce jeune métier créatif, avec dommages collatéraux. Prochain débat : au Sénat, le 9 mai.

Portée par les députés Arthur Delaporte (photo de gauche) et Stéphane Vojetta (photo de droite), respectivement Socialiste-Nupes et Renaissance, la proposition de loi transpartisane (opposition et majorité) visant à « lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux » défraie la chronique depuis qu’elle est débattue au Parlement. Son libellé est pour le moins stigmatisant envers tous les influenceurs qui, aux yeux du public, sont plus que jamais présentés comme des malfaiteurs patentés. Le renforcement de l’arsenal judiciaire les concernant tous est une épée de Damoclès au-dessus de leur tête.

Unanimité gouvernementale et parlementaire
« Notre loi protègera le modèle des créateurs de contenu qui font aujourd’hui leur travail de manière responsable. Notre boussole : la protection des consommateurs. […] Aucune mesure ne concerne la liberté d’expression des influenceurs dans leurs vidéos », a nuancé Arthur Delaporte, dans un tweet posté le 26 mars. Et ce, après avoir lancé juste avant, de façon plus agressive : « Cette loi est une réponse à l’absence de règles d’un secteur qui concerne des millions de personnes et qui touche énormément d’argent. La loi de la jungle ou l’autorégulation, cela n’est pas possible. […] Cette loi, c’est aussi une réponse à la protection des consommateurs et un message adressé aux victimes d’arnaques d’influenceurs : nous sommes à vos côtés » (1). De son côté, Stéphane Vojetta, qui explique avoir coécrit cette proposition de loi après avoir été interpelé par des collectifs de victimes d’arnaques d’influenceurs, a tenté de rassurer les quelque 150.000 influenceurs actifs en France. « Notre seule boussole : la protection des consommateurs. Nos 4 points cardinaux : clarifier, encadrer, responsabiliser, protéger. […] Notre proposition de loi #influenceurs pose un cadre clair au monde de l’influence commerciale et de la création de contenus sponsorisés en ligne » (2).
Cette proposition de loi, sur laquelle le gouvernement a engagé le 22 mars la procédure accélérée sur ce texte, a été adoptée le 30 mars – à l’unanimité (3). Ce texte transmis au Sénat veut « créer et renforcer un appareil juridique qui pourra à la fois responsabiliser et sanctionner le cas échéant tous les influenceurs, leurs agences, les annonceurs ainsi que les plateformes de diffusion, afin de renforcer la protection des utilisateurs des réseaux sociaux et des consommateurs », selon l’exposé des motifs (4). Et comme Internet n’a pas de frontières et les influenceurs non plus, le texte reterritorialise la responsabilité : « Conscients que de nombreux influenceurs ont choisi de s’installer en dehors de France à dessein [comme par exemple à Dubaï, ndlr] afin d’y exercer leur activité, nous avons également ajouté un bornage contraignant l’influenceur à désigner un représentant légal en France ». Dans tous les cas, il s’agit selon les deux coauteurs de lutter contre les dérives dans la promotion d’objets, de fournitures ou de services. Ils citent en exemple des médicaments contre le cancer, des produits cosmétiques provoquant des pertes de cheveux ou plaques rouges sur le corps, des articles vendus bien plus chers que leur valeur (abus du dropshipping), inscription à des formations médicales ou esthétiques à l’étranger, abus du compte personnel de formation (CPF), abonnements à des pronostics sportifs bidons, produits achetés et payés mais qui ne sont jamais livrés etc.
Même le Conseil d’Etat s’était ému en septembre 2022 de l’absence de statut juridique des influenceurs (5). Le législateur va y remédier. « Le monde de l’influence ne doit pas être une zone de non-droit et doit répondre à des règles de protection des consommateurs suffisamment étoffées pour mettre fin aux dérives constatées », justifient les deux députés. Pour autant, les parlementaires admettent que « l’instauration d’un seul cadre juridique ne suffira pas à mettre un terme définitif aux abus de certains influenceurs ». D’où le renforcement des moyens de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), laquelle dépend de Bercy.

L’influence transpartisane de Bruno Le Maire
Le locataire des lieux, le ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire (photo page suivante), est à la manœuvre depuis l’automne dernier, notamment depuis la table ronde du 9 décembre dernier à Bercy où il avait convoqué le microcosme du marketing d’influence en pleine polémique sur les agissements de certains influenceurs peu scrupuleux (6). Un mois après, il lançait une consultation publique de 23 jours : « J’ai besoin de vous » (8) – l’Union des métiers de l’influence et des créateurs de contenu (UMICC), cofondée le 18 janvier par sept agences d’influence marketing : Smile Conseil, Bump, Follow, Point d’Orgue, Reech, Influence4You et Spoutnik. Ce sont les conclusions de la consultation publique que Bruno Le Maire a présentées le 24 mars à Bercy, en présence de ses deux ministres délégués – JeanNoël Barrot, chargé de la Transition numérique et des Télécommunications, et Olivia Grégoire, chargée des PME, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme – mais aussi de nos deux députés, Arthur Delaporte et Stéphane Vojetta. « Parce que des députés travaillaient également sur le sujet, j’ai aussi voulu dépasser les clivages. Je me suis engagé, avec [les deux coauteurs de la proposition de loi], à ce que ces mesures soient présentées au Parlement dans une démarche transpartisane », a déclaré Bruno Le Maire.

 

Ne pas effrayer ni corseter les influenceurs
Près de 19.000 citoyens ont participé à la consultation publique, dont 400 professionnels qui ont contribué à établir treize mesures : de la création d’une définition juridique de l’activité d’influence commerciale, à la mise en place d’une « brigade de l’influence commerciale » au sein de la DGCCRF (réseau d’enquêteurs spécialisés constitué « dans un premier temps » de 15 agents), en passant par l’application des mêmes règles que la publicité à l’influence commerciale, la responsabilisation des plateformes et réseaux sociaux (Instagram, YouTube, TikTok, Facebook, …) ou encore des sanctions « renforcées et graduées » (notamment jusqu’à 2 ans de prison et 300.000 euros d’amende pour pratique commerciale trompeuse).
De son côté, le Syndicat du conseil en relations publics (SCRP) a annoncé le 24 mars la création avec l’Association française de normalisation (Afnor) d’un label d’« Agence conseil en influence responsable » qui pourra être demandé à partir d’avril (9). Il vient en complément du « Certificat de l’influence responsable » (10) délivré depuis l’automne 2021 par l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). « Le secteur de l’influence commerciale et de la création de contenus n’est pas encore suffisamment pris au sérieux. C’est une erreur, a déclaré Bruno Le Maire le 24 mars. Alors qu’il est un formidable vecteur de créativité et de richesse économique, ancré dans le quotidien de millions de nos compatriotes, ce secteur souffre de règles inexistantes ou trop floues. Les conséquences sont directes, avec certains agissements trompeurs qui discréditent le secteur ».
Autrement dit, en creux, le gouvernement veut tourner la page des « influvoleurs » (néologisme popularisé par le rappeur Booba (11)) pour ouvrir celle de l’« influrégulation » (néologisme proposé par Edition Multimédi@). Mais le ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique a tenu à rassurer sur les intentions du gouvernement…. et des parlementaires. « Je veux être très clair : il ne s’agit pas d’être plus dur avec les influenceurs qu’avec d’autres canaux de communication comme la télévision ou la radio. (…) Ce n’est pas un combat contre les influenceurs », a-t-il assuré.
Mais les précautions du locataire de Bercy n’ont pas suffi à rassurer tous les professionnels du marketing d’influence mis sous pression réglementaire. D’où la tribune signée par 150 créatrices et créateurs de contenu d’influence, dont Squeezie, Cyprien, Enjoy Phoenix, Anna Rvr, Seb La Frite ou encore Amixem, et publiée dans le Journal du Dimanche le 25 mars à l’initiative de l’UMICC. Dans leur « appel aux députés », les signataires appellent les députés à séparer le bon grain de l’ivraie : « Arnaques, contrefaçons, pratiques commerciales douteuses, … Certains ont fait croire ces derniers mois qu’ils étaient représentatifs de notre secteur alors qu’ils ne représentent qu’une minorité ». Et à ne pas être pris pour ce qu’ils ne sont pas : « Nous travaillons avec des marques, des organisations, des institutions qui nous ressemblent parce que nous partageons leurs valeurs. Nous ne sommes pas des panneaux publicitaires ambulants. (…) Notre histoire est complexe. Elle ne se résume ni à une vidéo de 30 secondes, ni à des dérives que nous dénonçons fermement. Nous entendons parler des “influvoleurs”, “du combat à mener” contre nous. Nous pensons que c’est une erreur. Qu’une minorité est devenue une généralité. (…) Ne cassez pas le modèle vertueux que nous construisons aux quatre coins de la France avec et pour les Français. Comprenez-le, protégez-le, faites-le grandir » (12). Mais d’autres « stars » de l’influence, pourtant signataires de cette tribune qui avait le mérite de valoriser ce nouveau métier, se sont rapidement désolidarisés de cette prise de position collective.

Squeezie et Seb La Frite renient la tribune
Squeezie, numéro un en 2022 des influenceurs en France (13), s’est fendu d’un tweet le 26 mars pour déclarer qu’il avait « fait l’erreur de donner son accord [à la] tribune maladroite » de l’UMICC parue dans le JDD. Il estime que « cette tribune ne fait aucune distinction entre les créateurs de contenu et les influenceurs », assurant, lui, « [avoir] toujours été irréprochable » et « n’[ayant] rien à perdre avec cette réforme » (14). Seb La Frite a aussi regretté sur France Inter le 27 mars de l’avoir signée. « Je me réjouis car cette tribune un peu maladroite a in fine permis que les influenceurs se penchent sérieusement sur notre texte » (15), s’est félicité le député Stéphane Vojetta. Rendez-vous le 9 mai au Sénat. @

Charles de Laubier

La communication des opérateurs mobiles brouille la 5G, dont l’image est déjà écornée

La 5G semble mal partie en France. Les quatre opérateurs – Free, Bouygues Telecom, SFR et Orange – se sont lancés dans une course effrénée à sa commercialisation. Mais la clarté de l’information et la transparence dues aux consommateurs ne sont pas au rendez-vous.

En plus des interrogations sur son impact sur la santé et l’environnement, voilà que la 5G se retrouve accusée de publicité mensongère. Car il n’y a pas une seule qualité 5G, mais bien plusieurs. Encore faut-il que le consommateur sache de quoi il retourne à propos de connexion mobile « ultra haut débit ». Il y a moins de trois mois, le secrétaire d’Etat à la Transition numérique et aux Communications électroniques, Cédric O (photo), avait mis en garde les quatre opérateurs mobiles sur leurs communications « 5G » auprès du public.

La DGCCRF censée contrôler, l’Arcep aussi
« J’ai demandé la plus grande responsabilité aux opérateurs et affirmé aux associations que la DGCCRF (1) serait particulièrement vigilante dans ses contrôles. Il est de notre intérêt commun que les citoyens disposent de l’information la plus factuelle possible pour les orienter dans leurs choix », avait prévenu le ministre (2). La 5G est en réalité multiforme car les gains en termes de débit sont très variables et dépendent de divers paramètres, tels que les bandes de fréquence utilisées (700 Mhz ou 3,4-3,8 Ghz), la densité de l’installation des équipements 5G et le nombre d’utilisateurs connectés à l’antenne 5G au même moment. Concrètement, il y aura dans les territoires autant de « 5G » qu’il y aura d’abonnés : chacun n’aura pas forcément la même connexion que son voisin en termes de débits, de temps de latence ou de réception entre quatre murs.
« Le lancement des premières offres utilisant cette technologie appelle donc une grande vigilance sur l’information donnée aux consommateurs, notamment dans les communications commerciales qui accompagneront ces offres », avait assuré Cédric O. L’Arcep, elle, est censée « faciliter pour les consommateurs la lecture technique des premières offres 5G ». Le gendarme de la concurrence avait bien émis en octobre 2020, « en lien avec la DGCCRF », des recommandations opérationnelles pour le lancement commercial de la 5G mais elles ne portaient que sur la présentation des cartes de couverture de la 5G publiées par Orange, Bouygues Telecom, SFR et Free. L’impasse a été faite sur l’information et les publicités aux consommateurs (3), lesquels sont invités par le gouvernement et le régulateur à consulter eux-mêmes ces cartes « pour s’informer sur les zones précises où le service sera effectivement disponible et le niveau de service associé dans chacun de ces lieux ». Le problème est que les premières cartes 5G présentées au public par les opérateurs mobiles sont imprécises et ne reflètent pas la réalisé des différentes qualités 5G. Dès le 15 décembre, l’UFC-Que Choisir a mis en demeure Bouygues Telecom, Free et SFR de « modifier la présentation de leurs cartes » – qualifiées de « miroirs aux alouettes » (4) – en engageant une action en justice contre eux trois. Orange, lui, a été sommé d’« apporter des précisions techniques sur sa communication ». Dans une interview au Télégramme, le président d’UFC-Que Choisir, Alain Bazot, dénonçait : « La plupart propose de la 5G avec des fréquences utilisant les bandes 700 Mhz ou 2.100 Mhz. Mais, en réalité, cette 5G n’est pas plus intéressante que la 4G en termes de débit. La véritable 5G, celle utilisant la bande des 3,5 Ghz, en est, elle, à ses débuts (5). Donc, cela induit en erreur le consommateur » (6).
L’Arcep avait demandé le 16 décembre aux opérateurs 5G d’être plus explicites « sur les différents niveaux de service offerts, par exemple sur les débits maximums selon les bandes de fréquences, dont la publication gagnerait à être plus systématique et plus lisible ». Premier opérateur 5G en nombre de sites (7), Free Mobile avait publié au lancement le 15 décembre de son réseau 5G sa première communication : « Le plus grand réseau 5G de France », clamait d’emblée la filiale mobile du groupe Iliad présidé par Xavier Niel, avec en bas des affiches publicitaires « N°1 en nombre de site 5G* ». Pas plus, pas moins, malgré l’astérisque et sa petite note en bas presque illisible : ni prix ni débit.

Après UFC-Que Choisir, Familles Rurales
Cette communication minimaliste a déplu la fédération nationale Familles Rurales, qui, le 21 janvier, a annoncé avoir engagé une action devant le tribunal judiciaire de Paris à l’encontre de Free mobile pour « pratiques commerciales déloyales » et demandé au gouvernement d’encadrer la publicité sur la 5G (8). « Toutes les 5G ne se valent pas ; chacune dispose de spécificités propres ayant une incidence sur les débits, la latence ou la pénétrabilité au sein des bâtiments », rappelle Familles Rurales, dirigée par Guillaume Rodelet. Pour UFC-Que Choisir, « les opérateurs se moquent de nous ». Pour Stéphane Richard, PDG d’Orange, « c’est une façon de tromper un peu le consommateur »… @

Charles de Laubier

L’obsolescence programmée prend un coup dans l’aile, avec une loi contre et un indice de réparabilité

Le 12 janvier, le Sénat a adopté à la quasi-unanimité la proposition de loi pour « réduire l’empreinte environnementale du numérique en France ». Est prévu un délit d’obsolescence programmée et d’obsolescence logicielle. Par ailleurs, un indice de réparabilité est en vigueur depuis le 1er janvier.

La proposition de loi visant à « réduire l’empreinte environnementale du numérique en France », adoptée le 12 janvier en première lecture au Sénat, est maintenant entre les mains de l’Assemblée nationale. Le texte a été cosigné par plus de 130 sénateurs de tous bords politiques, parmi lesquels « son principal auteur » : le sénateur Patrick Chaize (photo de gauche), par ailleurs président de l’Association des villes et collectivités multimédias (Avicca).

Qu’on y reprenne plus Apple et d’autres
Selon la chambre haute du Parlement, cette proposition de loi vise notamment à « limiter le renouvellement des terminaux numériques, dont la fabrication est le principal responsable de l’empreinte carbone du numérique en France ». Le texte prévoit ainsi de sanctionner l’obsolescence logicielle, d’améliorer la lutte contre l’obsolescence programmée et de soutenir les activités de reconditionnement et de réparation par une baisse du taux de TVA à 5,5 %. Les pratiques consistant à programmer justement la fin de vie d’un appareil ou d’un terminal, ou d’en détériorer progressivement les performances pour pousser l’utilisateur à en changer, ont déjà fait l’objet de condamnations.
Il y a un an, en France et à la suite d’une plainte de l’association Hop (1), la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a infligé une sanction pécuniaire à Apple d’un montant de 25 millions d’euros, dont la marque à la pomme s’est acquittée dans le cadre d’une transaction (2). Même si l’accusation d’obsolescence programmée n’a pas été retenue dans cette affaire-là, le fabricant d’iPhone et d’iPad a été condamné pour « pratiques commerciales trompeuses par omission », faute d’avoir informé des détenteurs d’iPhone que les mises à jour du système d’exploitation iOS qu’ils installaient étaient susceptibles de conduire à un ralentissement du fonctionnement de leur smartphone (3). « C’est une première victoire historique contre des pratiques scandaleuses du prêt-à-jeter », s’était félicitée Hop en février 2020, alors que la France promulguait au même moment une loi de « lutte contre le gaspillage et [pour] l’économie circulaire » (4). Selon cette association cofondée en 2015 par Laëtitia Vasseur (photo de droite), sa déléguée générale, la condamnation d’Apple a ouvert la voie à des demandes en dommages et intérêts de la part des clients lésés (5). La firme de Cupertino semble coutumière du fait car les Etats- Unis l’ont aussi condamnée : à l’automne dernier, une trentaine d’Etats américains – excusez du peu – ont contraint Apple à verser pas moins de 113 millions de dollars pour régler un litige portant sur le ralentissement des performances d’iPhone dans le but caché de ménager leurs batteries vieillissantes. Parallèlement, dans le cadre d’une procédure en nom collectif (class action) lancée par des utilisateurs, Apple a accepté de payer quelque 500 millions de dollars pour mettre fin aux poursuites.
En France, Hop fait figure de David contre les « Goliath » de la Big Tech. L’association avait déjà attaqué il y a trois ans le fabricant d’imprimantes Epson et, l’an dernier, accusé Google d’« encourager l’obsolescence culturelle d’appareils » avec une publicité « changez pour Chromebook ». Elle entend aussi convaincre la Commission européenne d’agir dans le cadre de son plan d’action pour une économie circulaire : « Les décideurs européens ont une responsabilité décisive dans la mise en place d’un cadre législatif qui favorise les produits de longue durée », conclut Hop dans son livre blanc en faveur des « produits durables », publié en novembre dernier (6). Depuis, le Vieux Continent avance : la Commission européenne a adopté en mars 2020 son nouveau plan d’action pour une économie circulaire, ou CEAP (7) ; le Parlement européen a approuvé le 25 novembre dernier une résolution intitulée « Vers un marché unique plus durable pour les entreprises et les consommateurs » (8).
La France, elle, commence à passer à l’action sur le terrain dans sa lutte contre l’obsolescence programmée : depuis le 1er janvier 2021, un « indice de réparabilité » est obligatoire pour notamment « les producteurs, importateurs, distributeurs ou autres metteurs sur le marché d’équipements électriques et électroniques », y compris dans le e-commerce.

Longue vie aux ordinateurs et smartphones
Un lot de décret et d’arrêtés – tous datés du 29 décembre 2020 – ont été publiés au J.O. le 31 décembre par le ministère de la Transition écologique (9). Outre le décret instaurant cet indice de réparabilité et un arrêté qui en fixe les modalités d’affichage et de calcul, il y a sept autres arrêtés (par produit), dont un pour les ordinateurs portables et un autre pour les smartphones. Hop a mis en ligne son site d’information produitsdurables.fr. Longue vie à eux ! @

Charles de Laubier

Jean-Frédéric Lambert (ePresse) : « La pluralité de la presse numérique n’est pas protégée »

La loi « Bichet » de 1947 est morte, vive la loi de 2019 sur la modernisation de la distribution de la presse. Elle a été publiée au Journal Officiel le 19 octobre. Mais selon Jean-Frédéric Lambert, président de Toutabo et d’ePresse, le pluralisme de la presse sur le numérique n’est pas garantie.

1947-2019 : la loi « Bichet » est morte, vive la loi « Garcia-Laugier » ! Soixante-douze ans après la loi instaurant le « statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques », voici venue la loi de «modernisation de la distribution de la presse » (1). C’est qu’entre ces deux lois, le tsunami du numérique a chamboulé toute la presse française – comme celle du monde entier – à partir du milieu des années 1990 (2) avec comme conséquences la disparition de titres et la chute de nombre de kiosques physiques.

Pas d’obligation d’aller sur les « e-Kiosques »
Mais sur le volet numérique de la loi, le pluralisme de la presse est loin d’être garantie. C’est du moins l’avis de Jean-Frédéric Lambert (photo), président du conseil d’administration de Toutabo, qui a racheté fin 2015 le kiosque numérique ePresse (dont il est aussi président). Contacté par Edition Multimédi@, il estime que la nouvelle loi ne va pas assez loin, même si elle entérine bien l’existence des kiosques numériques comme moyen de distribution de la presse : « En fait, nous estimons que la pluralité de la presse d’actualité en format numérique n’est pas protégée dans le cadre de cette loi, car nous ne pouvons pas obliger les différents journaux et magazines à être présent sur nos kiosques numériques », regrette-t-il. Par exemple : ni Le Monde, ni Le Canard Enchaîné, ni les titres du groupe Centre France (La Montagne, …) ne veulent être présents sur un kiosque numérique comme ePresse. Le président du directoire du groupe Le Monde, Louis Dreyfus, s’est toujours refusé à franchir le pas, estimant que « c’est un risque trop important » car il y a, selon lui, trop de destruction de valeur (3). Les kiosques numériques s’inscrivent en faux, regrettant qu’il y ait un amalgame de fait – comme dans le rapport Schwartz-Terraillot pour moderniser la distribution de la presse remis en juin 2018 au gouvernement (4) – entre les kiosques numériques et les agrégateurs d’information. La nouvelle loi est censée garantir la pluralité de la distribution de la presse d’information et réguler les kiosques et les agrégateurs numériques, en soumettant les premiers à des obligations de diffusion et les seconds à des obligations de transparence. Objectif : garantir le libre choix des lecteurs de journaux sur l’ensemble du territoire. Les kiosques numériques – dont le chiffre d’affaires dépasse un seuil déterminé par décret – ne pourront s’opposer à la diffusion d’un service de presse en ligne d’information politique et générale (IPG) ou de la version numérisée d’un titre d’IPG (5), dès lors qu’elle serait réalisée dans des conditions techniques et financières raisonnables et non discriminatoires (6). « La seule obligation qui nous est faite, explique Jean-Frédéric Lambert, est d’accepter de distribuer tous les titres d’IPG, ce que nous faisons déjà. En effet, les deux paragraphes consacrés à la presse numérique [lire encadré page suivante, ndlr] ont pour objectif de s’assurer que la pluralité de la distribution de la presse d’information soit respectée ». Mais rien n’oblige donc ces mêmes éditeurs de journaux d’aller sur ePresse, LeKiosk ou encore SFR Presse/Milibris. « Pour être efficace, estime-t-il, la loi devrait prévoir une obligation de diffusion équitable de toutes les titres d’IPG ».
L’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (« Arcepdp ») – prenant la place du Conseil supérieur des messageries de la presse (CSMP) et l’Autorité de régulation de distribution de la presse (ARDP) – disposera d’un pouvoir de sanction à l’encontre des acteurs qui ne respecteraient pas les règles. « Pour l’instant, le régulateur ne pourra que relever les compteurs. Son objectif à terme devrait être double : s’assurer de la présence de tous les titre d’IPG et s’assurer que les algorithmes de mise en avant assure une visibilité équilibrée pour tous les titres. On en est encore très loin et la loi ne lui donne pas encore d’instrument d’intervention », déplore le patron de Toutabo et d’ePresse.

Agrégateurs : pas d’obligation de référencer
Toujours concernant le souci de la loi de garantir la pluralité de la distribution de la presse, les agrégateurs que sont les moteurs de recherche donnant accès à l’actualité se voient obligés de « fourni[r] à l’utilisateur (…) une information loyale, claire et transparente sur l’utilisation de ses données personnelles dans le cadre du classement ou du référencement de ces contenus » et d’« établi[r] chaque année des éléments statistiques, qu’ils rendent publics, relatifs aux titres, aux éditeurs et au nombre de consultations de ces contenus ». Là aussi, selon Jean-Frédéric Lambert, la diffusion en direct des différents journaux et magazines n’est pas garantie par les agrégateurs : « Même si les agrégateurs jouent le jeu de la transparence sur leurs algorithmes, tel que cela est prévu dans la loi, rien ne les empêchera de ne pas référencer des titres. Si demain les agrégateurs décident que le contenu de tel journal ne génère pas assez d’audience, ils pourront faire disparaître tout son contenu de leur page. Le journal en question, même s’il a une forte image de marque comme Le Monde, n’a aucun moyen d’assurer sa diffusion si les agrégateurs ne le diffusent plus. On peut d’ores et déjà constater que le journal L’Humanité a souffert de ce manque d’exposition ».

Les spectres de Google et d’Amazon sur la loi
Quant à la directive européenne sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique, elle pourrait pousser les GAFA à déréférencer certains titres de presse si le coût de diffusion de ces derniers était trop élevé. « Ils préfèrerons les déréférencer, craint Jean-Frédéric Lambert. Nous allons ainsi nous retrouver dans une situation de bras de fer similaire à celui que l’on rencontre dans la grande distribution entre les distributeurs et les producteurs ». Le 24 octobre, la presse française – via l’Alliance de la presse d’information générale (APIG) et d’autres syndicats d’éditeurs (SEPM, FNPS, …) – a annoncé avoir déposé plainte auprès de l’Autorité de la concurrence contre Google qu’elle accuse de « bafouer la loi » sur le droit voisin (lire EM@219, p. 5).
Outre les démêlés de la presse française avec le moteur de recherche dominant et son Google News, le spectre d’Amazon plane aussi sur cette loi. En juillet dernier, un amendement avait tenté de barrer la route au géant américain du e-commerce en voulant interdire que les société de distribution de la presse soient détenues « par des entreprises ou leur filiales dont l’activité principale n’est pas la distribution de la presse », au motif, selon des parlementaires à l’origine de cet amendement finalement rejeté, « que rien n’empêche que de grands groupes, aux pratiques contestables et contestées, comme Amazon, créent des filiales de distribution de la presse. Ce secteur mérite pourtant des égards, d’une part pour assurer que les salarié·e·s seront correctement traité·e·s, ainsi que pour assurer l’absence de conflits d’intérêts dans la distribution de la presse ». A défaut d’empêcher complètement un GAFA comme Amazon ou une entreprise non-européenne, un autre amendement (n°15) a, lui, été adopté cet été également. Il prévoir « une limitation à 20 % de la part d’actionnariat extra-communautaire directe ou indirecte dans une société de distribution de presse ». Pour les parlementaires qui ont obtenu gain de cause, « il s’agit de garantir la libre circulation des idées et l’expression de la pluralité des opinions à travers la distribution de notre presse nationale, contre toute velléité d’influence étrangère trop importante » (7). Un autre amendement (n°36), adopté lui aussi, est allé dans le même sens (8). Ce plafond capitalistique de 20 % n’est pas une première en France puisque, par ailleurs, il est déjà utilisé dans la loi de du 1er août 1986 sur la réforme du régime juridique de la presse vis-à-vis des entreprises éditant une publication de langue française (9).
Cette nouvelle loi entérine définitivement la fin du quasimonopole de l’ère des NMPP (Nouvelles messageries de la presse parisienne), dont le nom a été changé il y a dix ans maintenant pour celui de Presstalis. Avec les Messageries lyonnaises de presse (MLP), nées deux ans avant les NMPP créées avec la loi Bichet, la France s’est contentée d’un duopole de la distribution des journaux en quasi-faillite. Avec la nouvelle loi de 2019, le marché de la distribution de la presse va pouvoir s’ouvrir. Mais il faudra encore attendre… le second semestre 2023 avant de voir apparaître des nouveaux entrants distributeurs agréés par l’Arcep-dp. Cette dernière devra publier avant le 1er janvier 2023 le cahier des charges qui sera fixé par décret après consultation des professionnels de la presse (10). Y seront consignées les obligations des distributeurs de journaux « dans le respect des principes d’indépendance et de pluralisme de la presse, de transparence, d’efficacité, de non-discrimination et de continuité territoriale de la distribution ainsi que de protection de l’environnement [et] en tenant compte de la diversité des titres de presse ». En outre, les sociétés candidates à la distribution de la presse en France devront garantir le droit des éditeurs à la portabilité des données les concernant. @

Charles de Laubier

ZOOM

Les kiosques relèvent de l’Arcep-dp, les agrégateurs de la DGCCRF
Le titre II de la loi est intitulé « La diffusion numérique de la presse » et comporte deux paragraphes.
• Le premier concerne les kiosques numériques (« personnes qui proposent, à titre professionnel, un service de communication au public en ligne assurant la diffusion numérique groupée de services de presse en ligne ou de versions numérisées de journaux ou publications périodiques »). La loi précise que la régulation de ces kiosques numérique (LeKiosk, ePresse, SFR Presse/Milibris, …) est assurée par l’Arcep-dp.
• Le second paragraphe concerne cette fois les agrégateurs d’informations (« opérateurs de plateformes en ligne proposant le classement ou le référencement de contenus extraits de publications de presse ou de services de presse en ligne d’information politique et générale et qui dépassent un seuil de connexions sur le territoire français fixé par décret »). Ces agrégateurs d’actualité (Google News, Yahoo News, Microsoft MSN, …) relèvent, eux, de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). @