Emmanuel Macron fait sienne la « taxe streaming » controversée pour financer le CNM

L’Elysée a fait sa Fête de la Musique le 21 juin dernier et Emmanuel Macron l’a inaugurée en lançant un ultimatum aux plateformes de streaming musical afin qu’elles trouvent –d’ici le 30 septembre — un accord avec le Centre national de la musique (CNM) sur une « contribution obligatoire ».

« On le sait – vous le pratiquez –, il y a de plus en plus de streaming. Ce que je lui ai demandé [à Rima Abdul-Malak, ministre de la Culture] est, d’ici à la fin du mois de septembre, de trouver un accord de place pour que toutes les plateformes – qui font parfois beaucoup d’argent avec le streaming – nous aident à le redistribuer de la manière la plus intelligente pour financer la création et les artistes [via le Centre national de la musique]. Comme on l’a fait en France avec le cinéma et la création audiovisuelle [via le CNC, ndlr] », a déclaré Emmanuel Macron (photo), président de la République, lors de son discours d’ouverture de la Fête de la Musique, à l’Elysée, le 21 juin dernier.

Mises en garde au gouvernement
Et le chef de l’Etat, micro sur scène, de prévenir les Spotify, YouTube, Apple Music, Amazon Music, Deezer et autres Qobuz : « C’est un très bon modèle qui permet de respecter le droit des artistes, de défendre la diversité des cultures et l’exception culturelle à laquelle nous tenons tant. Donc, il faut que l’on ait un accord avec ces plateformes de streaming. Sinon, de toute façon, on prendra nos responsabilités pour les mettre à contribution et nous aider à financer les musiques » (1). Cet ultimatum fait suite au rapport « sur le financement des politiques publiques en direction de la filière musicale » que le sénateur Julien Bargeton, appartenant à la majorité relative présidentielle, a remis le 20 avril à Rima Abdul-Malak (2). Il préconise une « taxe streaming » à 1,75 % sur le chiffre d’affaires des plateformes de streaming pour la musique enregistrée, qui serait le pendant de la « taxe billetterie » à 1,75 % du spectacle vivant actuellement en vigueur.
« Faute d’un accord au 30 septembre 2023, le gouvernement se réservera la possibilité de saisir le Parlement d’une contribution obligatoire des plateformes de streaming, du type de celles proposées par le sénateur Julien Bargeton », a aussi annoncé l’Elysée dans un communiqué (3). Depuis le printemps, le prochain projet de la loi de finances 2024 est évoqué comme véhicule législatif pour faire adopter cette « taxe streaming » si la filière musique ne réussissait pas à se mettre d’accord à temps avec les plateformes de musique en ligne (4). « Le président de la République souhaite en outre que la France porte au niveau européen la poursuite des avancées obtenues sur la rémunération des artistes par les plateformes de streaming », indique aussi l’Elysée. Le Syndicat des éditeurs de services de musique en ligne (ESML), dont sont membres Spotify, Deezer, Qobuz et 17 autres plateformes musicales et services des artistes s’est dit inquiet suite à la déclaration d’Emmanuel Macron : « Nous craignons les conséquences catastrophiques de cette taxe sur le streaming musical, sur les ayants droits et finalement sur la création ». L’ESML, dont est président Ludovic Pouilly, par ailleurs vice-président de Deezer en charge des relations avec les institutions et l’industrie de la musique, estime que « cette taxe s’apparenterait ainsi à un nouvel impôt de production, reposant sur des acteurs indépendants européens et français du streaming musical comme Deezer, Spotify et Qobuz dont l’activité n’est pas encore rentable. Alors que nos services de streaming musical français et européens souffrent d’une concurrence déloyale des GAFA, qui ne contribuent pas à la même hauteur que nous au financement de l’industrie musicale (…) » (5).
De son côté, le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep), qui représentant notamment les majors Universal Music, Sony Music et Warner Music, fustige depuis des mois « la création d’un nouvel impôt sur le streaming dont notre secteur devrait s’acquitter ». Dans un communiqué du 22 juin, le Snep, son bras armé « droit d’auteur » la SCPP (6), La Scène Indépendante et le Réseau des musiques actuelles de Paris (Map) mettent aussi en garde le gouvernement : « La situation du streaming reste fragile ».

Bertrand Burgalat : #taxestreamingnonmerci
Et les quatre organisations de poursuivre : « Les plateformes françaises et européennes, dont le modèle économique est centré sur la diffusion de musique, n’ont pas atteint le seuil de rentabilité. Elles opèrent de surcroît sur un marché moins dynamique ici que dans les autres grands pays de la musique, dans un contexte de concurrence accrue et d’incertitude sur l’intelligence artificielle » (7). Le président du Snep, Bertrand Burgalat (producteur, musicien, compositeur, arrangeur et chanteur français), s’est fendu de deux tweets assassins. Le premier pour lancer le 21 juin : « Après avoir empêché la guerre en Ukraine et refondé la France en cent jours, le président Macron s’attaque au streaming » (8) Le second le 24 juin pour dire : « Le président de la République a donc demandé à Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la Culture, de réunir sans délai l’ensemble des acteurs de la filière etc : déjà 2 jours ouvrés sans signe de vie du ministère. #taxestreamingnonmerci » (9). Aucun commentaire de la ministre de la Culture n’est en effet intervenu après l’allocution d’Emmanuel Macron à L’Elysée, où Rima Abdul Malak était bien présente face à la scène de la Fête de la Musique du « Château ».

Financer le CNM pour aider la filière
En revanche, l’Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI) ainsi que son bras armé « droit d’auteur » la SPPF (10) sont favorables à cette taxe sur les plateformes de streaming musical. Avec une vingtaine d’autres organisations, notamment du spectacle vivant comme le Syndicat des musiques actuelles (Sma), le Syndicat national du spectacle musical et de variété (Prodiss) et d’autres (Camulc, Felin, Forces musicales, Prodiss, Profedim, …), elles ont « salu[é] l’annonce volontariste du président de la République de favoriser la concertation rapide de la filière et, à défaut d’une piste qui fasse l’unanimité, de mettre en œuvre une contribution de la diffusion numérique ». Et de rappeler au gouvernement : « Nous avions collectivement soutenu la piste d’une mise à contribution de la diffusion numérique (plateformes de streaming, réseaux sociaux, etc.), tant dans son activité payante que gratuite ».
Cette « taxe streaming » permettrait, selon leurs supporteurs, de financer le Centre national de la musique (CNM), établissement public à caractère industriel et commercial placé sous la tutelle du ministre de la Culture, afin de mieux aider la filière musicale et ses artistes.
La Société des auteurs compositeurs dramatiques (SACD) y est, elle aussi, favorable. « La mise en place d’une contribution des plateformes de streaming, qui pourrait intervenir dans la prochaine loi de finances, si les professionnels ne parvenaient pas à faire émerger des solutions adaptées d’ici le 30 septembre, serait une mesure juste, utile et efficace, comme l’est déjà de façon analogue pour l’audiovisuel et le cinéma la taxe sur les services de vidéo à la demande », considère la société de gestion collective fondée par les auteurs réunis autour de Beaumarchais en 1777 pour défendre les droits des auteurs (11). « Le bon choix du PR [président de la République, ndlr] en soutien de l’excellent rapport du sénateur @JulienBargeton », a tweeté le 21 juin Pascal Rogard, directeur général de la SACD (12). La perspective de cette « taxe streaming » a creusé les divisions au sein de la filière musicale française. L’opposition entre le Snep et l’UPFI est à son comble. La Fête de la Musique a même été gâchée, notamment à l’occasion d’un dîner-débat organisé le 21 juin par l’UPFI et le Prodiss où était convié « l’ensemble de l’écosystème pour un débat ouvert et franc » et où « la question du financement de la filière a été au coeur des échanges » (13). Le Snep représentant les majors de la musique enregistrée avait décliné l’invitation en ces termes twittés le jour même : « Le Snep ne participe pas au déjeuner du Prodiss et de l’UPFI, qui multiplient les faux-semblants d’union d’un écosystème musical plus divisé que jamais. Face à ce constat, la ministre de la Culture a annoncé une concertation par les pouvoirs publics. Il est temps en effet de sortir de l’impasse : des solutions existent pour éviter l’écueil d’un nouvel impôt de production, injuste, qui mettrait en risque toute la chaîne de valeur de la musique enregistrée, les plateformes françaises et européennes, les artistes, les auteurs, les compositeurs, les éditeurs et les producteurs » (14). Ambiance. Présent à ce dîner, Antoine Monin, directeur général de Spotify pour la France et le Benelux, a pris la parole au nom de l’ESML en déclarant : « La filière musicale française et le CNM méritent mieux que le rapport Bargeton. Si la première saura se remettre d’une énième guerre picrocholine, je ne suis pas certain que le second survivra à une telle fracture originelle ». Les protestations ont fusé parmi les convives.

Une « taxe anti-rap » et « taxe raciste » ?
Comme le rap caracole en tête de la musique enregistrée depuis quelques années, porté par le streaming et son succès auprès de la jeune génération, la « taxe streaming » a dès l’automne dernier été… taxée de tous les maux. « Non à la taxe streaming. Taxe anti-rap. Taxe raciste. Taxe non justifiée », avait tweeté le rappeur Niska le 4 octobre dernier à l’attention de Rima Abdul Malak (15). Face à la montée de la polémique sur les réseaux sociaux, le président du CNM, JeanPhilippe Thiellay (photo ci-dessus), avait dû s’inscrire en faux : « C’est un raccourci biaisé de dire que ce serait une taxe anti-rap. Sur le top 10.000 des écoutes, ce genre en représente un quart, pas plus. Et dire que le CNM n’aime pas le rap, c’est faux. Et nous accuser de racisme, c’est blessant » (16). @

Charles de Laubier

La chronologie des médias est l’art du très difficile compromis sur fond de négociations perpétuelles

Proposés par le CNC, les deux avenants à l’actuelle chronologie des médias devraient être bientôt signés par les professionnels du cinéma, de la télévision et des plateformes vidéo. Le recours à des expérimentations fait avancer les négociations qui continueront au-delà de l’accord.

Par Anne-Marie Pecoraro, avocate associée, et Rodolphe Boissau, consultant, UGGC Avocats

Février 2023 marque un renouveau dans le droit de l’audiovisuel. Alors que le nouveau règlement général des aides financières du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) est entré en vigueur le 1er février dernier (1), c’est au tour de la chronologie des médias d’être visée par deux avant-projets d’avenants du CNC (2), pour lesquels une signature par les parties prenantes était espérée en février. Olivier Schrameck, ancien président du CSA (3) et conseiller d’Etat, s’est en outre vu confier début février une « mission de consultation juridique » par la SACD sur les fondements de la chronologie des médias.

Expérimentations et diminution des délais
Chef d’orchestre évitant la cacophonie d’une œuvre qui serait disponible sur tout support, la chronologie des médias vient rythmer le cycle d’exploitation d’une œuvre, clef de voûte d’une architecture particulière. Du grec kinema, le cinéma signifie le « mouvement » et du mouvement il y en a eu ces derniers temps dans le paysage audiovisuel français, avec l’arrivée de nouveaux acteurs et, donc, de nouvelles problématiques auxquelles la chronologie des médias tente de s’adapter au mieux afin de résister à l’épreuve du temps.
En effet, les plateformes de SVOD, Disney+ en fer de lance, se trouvent actuellement confrontées à un délai d’attente de 15 voire 17 mois afin de pouvoir exploiter une œuvre, et ce pour une durée de 7 à 5 mois seulement, puisqu’elles se voient contraintes de retirer l’œuvre de leur offre à l’ouverture de la fenêtre en exclusivité de la télévision en clair, ne pouvant dès lors plus exploiter l’œuvre pendant 14 mois. Pour répondre à ces difficultés, le CNC a choisi d’emprunter la voie de l’expérimentation, voie à laquelle l’audiovisuel fait la part belle. L’expérimentation constitue un outil de négociation, qui permet l’adoption plus facile d’une disposition dont les parties savent qu’elle est temporaire et réversible. Ainsi, les deux nouveaux avant-projets d’avenants réaménageant la chronologie des médias, proposés par le CNC fin janvier dernier, sont composés exclusivement d’expérimentations (4). En effet, comme l’a révélé Contexte (5), le CNC a dû revoir sa copie à la suite des contestations de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF) et de Canal+. Et ce, après une première rédaction des deux avant-projets sur la base de propositions du Syndicat des éditeurs de vidéo à la demande (Sévad), des chaînes gratuites et des services de médias audiovisuels à la demande (SMAd) payants (SVOD, VOD par abonnement). C’est à l’œuvre que l’on reconnaît l’artisan (6) : si les plateformes de TVOD (vidéo à la demande payante à l’acte) et SVOD gagnent un peu de terrain, celui-ci reste occupé par les salles et chaînes payantes de cinéma (7). Le premier projet émis par le CNC prévoit la création d’une fenêtre dite « premium » de téléchargement définitif (exploitation en TVOD) à l’expiration d’un délai dérogatoire de 3 mois après la date de sortie en salles, moyennant un prix plus élevé pour le consommateur. Le second projet émis par le CNC prévoit des expérimentations dans le cadre d’un accord de co-exploitation entre les plateformes de SVOD et les chaînes gratuites de télévision. L’expérimentation-phare consiste à prolonger de 2 mois la fenêtre d’exploitation en SVOD d’une œuvre produite en interne par des éditeurs de SMAd par abonnement (plateforme SVOD), avec un budget de plus de 25 millions d’euros et non préfinancée par un service de télévision en clair. Ceci répond aux critiques de plateformes comme Disney, à l’encontre de leur fenêtre trop courte. En contrepartie, les chaînes gratuites bénéficieront d’une fenêtre étanche de deux mois après la première diffusion de l’œuvre sur leur canal (8).
Ces expérimentations s’ajoutent à la longue liste des exceptions aux délais de principe, essence même de la chronologie des médias et marqueur topique de son origine négociée. Enfin, ces expérimentations sont prévues pour une durée de deux années qui suivent la date de signature des avenants, à la suite de quoi les parties prenantes devront décider de leur reconduction ou de leur modification.

Chronologie des médias, une histoire sans fin
Terreau d’expérimentations nouvelles, la chronologie des médias est le fruit de négociations perpétuelles. La règlementation est tenue de rattraper et de s’adapter à l’évolution des modes de consommation des œuvres, chaque nouveau mode bouleversant l’économie existante. Certes, le cinéma n’a pas dit son dernier mot, avec plus de 10 millions d’entrées pour le second volet d’« Avatar, la voie de l’eau ». Mais l’exigence pressante des consommateurs d’accéder rapidement à l’œuvre, catalysée par l’arrivée des plateformes et le piratage, appellent périodiquement des refontes de la chronologie des médias. Les plateformes – Netflix et Disney+ en tête – ont su rappeler qu’elles étaient en capacité de passer outre la chronologie par la voie du e-cinéma, qui consiste à sortir un film uniquement sur les plateformes, et non en salles (9), Disney se prévalant de représenter un quart des recettes des salles françaises par an.

« Chronologie chronophage » pour le CNC
Aussi, la diminution de moitié des délais d’attente pour l’exploitation d’une œuvre sur une plateforme SVOD est une des modifications notoires apportées par l’arrêté du 4 février 2022 portant extension de l’accord interprofessionnel pour le réaménagement de la chronologie des médias conclu le 24 janvier de la même année (10). Schématiquement, la version entrée en vigueur l’année dernière prévoit que les exploitants de salles de cinéma disposent d’un délai de 4 mois à compter de la date de sortie nationale pour exploiter l’œuvre cinématographique. Ensuite et sauf exception, cette exploitation s’organise actuellement, à compter de la date de sortie en salles de cinéma, à l’expiration des délais suivants (11) : 4 mois pour une exploitation sous forme de vidéogramme destiné à la vente ou à la location (DVD et Blu-ray) et TVOD ; 8 mois pour une exploitation sur les chaînes payantes de cinéma (type Canal+) ; 17 mois (Disney+) pour une exploitation sur les SMAd » ou 15 mois si un accord a été conclu (Netflix) ; 22 mois pour une exploitation sur les chaînes de télévision en clair, gratuites (type TF1, M6) et les chaînes payantes autres que de cinéma ; 30 mois pour une exploitation en SVOD avec accord d’obligation investissement ; 36 mois pour une exploitation en SVOD sans accord d’obligation investissement ainsi que pour un SMAd gratuit (type YouTube).
Du latin chronologia d’après le grec ancien kronos et logia, la chronologie est composée du temps et de la parole. Or depuis 2009, l’élaboration de la chronologie des médias sous l’égide du CNC est véritablement un temps de parole avec une place de choix faite à la négociation interprofessionnelle. Celle-ci va aboutir à un accord professionnel, rendu obligatoire par la procédure de l’arrêté d’extension, devenue courante en matière audiovisuelle. Ce renvoi substantiel aux accords professionnels est conforme aux dispositions de la directive européenne « Exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle » du 11 décembre 2007 et aux accords dits « de l’Elysée » (12) du 23 novembre 2007.
Ainsi, dans le processus d’élaboration de la chronologie des médias, les parties prenantes ne participent pas à course contre la montre, à la poursuite de la période d’exploitation la plus proche de la date de sortie en salles de l’œuvre, mais bien à une course de relais, dans laquelle les différents professionnels vont transiger sous les yeux de l’arbitre CNC. Comme le relève l’avis présenté le 17 novembre 2022 par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat sur le projet de loi de finances pour 2023, la chronologie des médias – bien que « chronophage » pour le CNC – souligne « l’interdépendance des différentes parties » (13). Cette interdépendance va permettre de remplir les objectifs de la chronologie des médias qui sont de deux ordres. D’une part, il faut préserver la primauté de la salle de cinéma, considérée comme un lieu d’exposition essentiel d’un point de vue esthétique, social et économique. D’autre part, il faut stimuler le financement et le rayonnement de l’œuvre en additionnant les revenus.
Le critère pris en compte pour cette deuxième finalité est le mode de réception des œuvres par le public, complété par la notion de large public. L’on voit ici poindre les acteurs majoritaires, le cinéma d’abord, les chaînes de télévision et les plateformes ensuite. Leur interdépendance va donc mener à une forme d’auto-régulation par la négociation interprofessionnelle, dont l’accord en résultant sera étendu par arrêté (14). Ce nouveau mode de régulation fait florès dans le domaine audiovisuel, comme en témoignent les mécanismes d’extension d’accords collectifs sur la transparence des relations auteurs-producteurs ou encore sur la reddition des comptes, mais également dans le code de la propriété intellectuelle puisqu’on le retrouve par exemple dans le domaine de l’édition.
Afin d’encourager les négociations, le code du cinéma et de l’image animée ainsi que l’accord sur la chronologie des médias prévoient une clause de revoyure. Cela signifie que l’accord est conclu et peut être étendu pour une durée maximale de 36 mois (15). Par ailleurs, au bout de 12 mois suivant l’entrée en vigueur de l’accord, les parties conviennent de se rapprocher, sous la houlette du CNC, afin de dresser un premier bilan de son application. Enfin, au plus tard 12 mois avant l’échéance du présent accord, les parties conviennent de se rapprocher dans les mêmes conditions, pour convenir de sa reconduction ou de son adaptation aux évolutions du secteur (16).

Délais plus favorables aux « vertueux »
Les acteurs à la table des négociations – entreprise du secteur du cinéma, éditeur de services de médias audiovisuels à la demande, éditeur de services de télévision – vont donc être à la recherche d’un compromis entre leurs différents intérêts en présence. Deux garde-fous dans ces négociations en garantissent la pérennité.
D’abord, les principes de neutralité technologique (17) et de récompense des engagements vertueux de certains diffuseurs, lesquels se voient attribuer des délais plus favorables, accordés en fonction des obligations d’investissement dans la production audiovisuelle française. Ensuite, la présence du CNC qui veille à l’équilibre des négociations et tient la barre face au courroux de certains acteurs (18), alors que résonnent au loin les sirènes du day-and-date – sortie simultanée en salles et en VOD. @

 

Droits d’auteur : musiciens et artistes peuvent s’affranchir des sociétés de gestion collective

Les Sacem, Sabam, Gema et autres SACD – sociétés de gestion collective des droits d’auteur et/ou des droits voisins des créateurs – ne sont plus des passages obligés pour les artistes en Europe à l’ère du streaming. Des « entités de gestion indépendantes » comme Bridger peuvent les concurrencer.

La directive européenne du 26 février 2014 concernant la gestion collective du droit d’auteur et des droits voisins dans la musique – censée être transposée par les Vingt-sept depuis six ans (1) – a ouvert ce marché européen toujours dominé par la Sacem (France), la Gema (Allemagne), la Sabam (Belgique), la Sgae (Espagne) ou encore la Siae (Italie). Elle a créé un statut d’« entité de gestion indépendante », ou IME (2) en anglais, dont l’activité principale est de gérer le droit d’auteur ou les droits voisins du droit d’auteur pour le compte de titulaires.

IME : Soundreef, MPLC, Bridger, …
Ces entités à but lucratif sont « indépendantes » dans le sens où elles ne sont détenues ni contrôlées par des titulaires de droits, contrairement aux sociétés de gestions collective. Mais qu’elles soient « indépendantes » ou « collectives », ces organisations sont toutes – conformément à la directive européenne de 2014 – soumises à des obligations en matière de gestion et de transparence, notamment sur les aspects financiers de l’exploitation des droits. Plusieurs sociétés ont obtenu ce sésame IME en Europe pour « disrupter » ce marché du copyright management telles que Soundreef en Italie, Motion Picture Licensing Company (MPLC) en Grande-Bretagne ou encore Bridger en France.
Cette dernière est une filiale du groupe belge Audiovalley fondé en 2003 par Alexandre Saboundjian (photo de gauche). Une autre de ses filiales, Jamendo (3), avait aussi obtenu en février ce statut d’IME au Luxembourg (4). « Ces deux filiales ont le statut IME aujourd’hui, mais seule la société Bridger est appelée à le porter à l’avenir », indique à Edition Multimédi@ Jocelyn Seilles (photo de droite), fondateur et directeur général de Bridger. Cette nouvelle IME a été lancée officiellement le 13 avril dernier. « Ouverte aux auteurs-compositeurs du monde entier, Bridger collecte et répartit les droits d’auteur générés par le streaming des œuvres musicales. Elle s’adresse aux auteurs-compositeurs indépendants qui ne sont pas affiliés à une société de gestion collective, ainsi qu’aux auteurs-compositeurs qui souhaitent bénéficier d’un service 100 % digital en complément de leur affiliation à une société de gestion collective », explique la nouvelle société Bridger. Edition Multimédi@ a voulu savoir si des compositeurs, des artistes interprètes, des scénaristes ou des réalisateurs – soit des auteurs dans la musique, dans l’audiovisuel et/ou dans le cinéma – pouvaient s’affranchir des sociétés de gestion collective comme la Sacem (5) ou la SACD (6), ou d’autres en Europe et parfois en situation de « monopole légal » localement, pour ne s’en remettre qu’à des IME. La réponse est oui, mais : «Un musicien peut tout à fait quitter la Sacem et n’être qu’avec Bridger pour la collecte de ses droits d’auteur. Toutefois en faisant cela, il se priverait de ses droits radio et télé que Bridger ne collecte pas encore. C’est pourquoi, il est peut-être plus intéressant pour un auteur-compositeur de rejoindre Bridger uniquement sur la partie digitale. Cela dépend de chaque projet musical. Si un artiste génère 100 % de ses droits sur les plateformes de streaming, alors il vaut mieux pour lui qu’il rejoigne Bridger », nous a expliqué un porte-parole de la filiale d’Audiovalley. Bridger collecte les droits issus du digital (streaming mais aussi téléchargement) et nous indique qu’elle prévoit d’intégrer une partie de ceux de l’audiovisuel : « Dans le futur, nous collecterons les droits des auteurs et compositeurs des musiques utilisées/synchronisées dans des productions audiovisuelles (de tous types) au titre de leur mise à disposition publique par les plateformes digitales, mais nous ne revendiquerons pas les droits d’auteur des réalisateurs, scénaristes, etc. de ces mêmes productions ». Pour les droits liés à la radio et à la télévision, il est prévu de conclure des accords de réciprocité et de représentation avec les sociétés de gestion collective. Mais cela se fera en fonction des besoins exprimés par les membres de Bridger qui sont plutôt orientés streaming.
Les nouveaux entrants IME sur ce marché mondial très lucratif de la collecte et de la gestion des droits d’auteur et droits voisins s’appuient sur les métadonnées (metadata) qui permettent d’identifier en ligne chaque morceau de musique et qui composent le registre des oeuvres musicales (7).

Streaming : 600 M€ mal et pas reversés
La blockchain et les NFT vont accélérer dans musique la redistribution des cartes et des rémunérations (8). Ces technologies du Web3 mettent un terme à la fameuse « boîte noire » constituée par les royalties que les plateformes de streaming (Spotify, Deezer, Qobuz, …) n’ont pas pu reverser à leurs auteurs faute d’avoir été identifiés : selon, l’association britannique de musiciens indépendants Ivors Academy (9), au moins 600 millions d’euros de redevances « ne sont pas attribuées ou mal attribuées ». @

Charles de Laubier

Raison fiscale ou digitale : fin de la redevance ?

En fait. Le 7 mars, lors d’un déplacement à Poissy (Yvelines) pour son premier meeting de président-candidat, Emmanuel Macron a lancé lors d’un échange avec des Pisciacais : « On va supprimer des impôts qui restent ; la redevance télé en fait partie ». Trois de ses rivaux la supprimeraient aussi. Dès 2023. Démagogique ?

En clair. La droite et l’extrême droite promettent la suppression de la contribution à l’audiovisuel public, alias la redevance, tandis que la gauche et l’extrême gauche sont contre sa disparition. Preuve encore que le clivage gauche-droite resurgit dans cette campagne présidentielle 2022.
Les réactions du monde de la production audiovisuelle et cinématographique, qui dépendent de la manne des chaînes publiques, ont fusé : « Le candidat-président assume un choix hypocrite et dangereux. Hypocrite car les ressources (…) devront être prélevées sur les ressources de l’État, financées par les impôts des Français. Dangereux car ce choix aboutira à la fragilisation de l’audiovisuel public et à la remise en cause de son indépendance en soumettant son financement aux aléas et au bon vouloir des décisions gouvernementales », a vertement critiqué la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), fustigeant « la démagogie en marche » et « un cynisme insupportable ». Le BBA (Bloc, Blic, Arp), lui, parle d’« une grande inconséquence » aux « conséquences dramatiques ». Le Syndicat des producteurs indépendants (SPI) a fait part de son côté de « sa stupéfaction et son incrédulité ». Quant à la Société civile des auteurs multimédias (Scam), elle évoque « le bug Macron » où le candidat « ignore » que le président a confié en octobre 2021 une mission à l’IGF (1) et à l’Igac (2) sur « l’avenir du financement du service public de l’audiovisuel », dont le rapport lui sera remis au printemps. Au gouvernement, Bercy et Culture sont en désaccord sur le plan B. Roch-Olivier Maistre, président de l’Arcom (ex-CSA) a suggéré le 8 mars sur France Inter : « Pourquoi ne pas envisager (…) que le régulateur donne chaque année un avis sur les dotations qui sont attribuées au service public ? ».
Au-delà de sa remise en cause par quatre candidats (Le Pen, Zemmour, Pécresse et Macron), la redevance audiovisuelle faisait débat depuis dix ans. La Suisse a été le premier pays a décider en mai 2013 de ne plus la faire payer aux seuls détenteurs de téléviseur, mais par tous les foyers dotés d’écrans numériques – en réduisant la taxe au passage (3). En France, la règle obsolète du poste de télévision perdure malgré la révolution numérique. Cette taxe annuelle, stabilisée à 138 euros depuis 2020, a rapporté l’an dernier 3,7 milliards d’euros – dont 65% affectés à France Télévision et 16 % à Radio France (4). @

Cinéma : les salles et Canal+ protégées pour 3 ans

En fait. Le 24 janvier, toute la filière professionnelle du cinéma français et des plateformes de VOD/SVOD a signé – à l’exception de la SACD (1) – l’accord sur le réaménagement de la chronologie des médias. Malgré la révolution des usages, Canal+ (Vivendi) et les salles de cinéma (FNCF) préservent leur pré-carré jusqu’en février 2025.

En clair. Deux monopoles vont pouvoir continuer à prospérer en France à l’ombre de la nouvelle chronologie des médias que viennent de signer la quasi-totalité des organisations du cinéma français – le Blic (2), le Bloc (3) et l’ARP (4) – avec Canal+ (historiquement favorisé car grand financeur de films) et la Sévad (Syndicat des éditeurs de vidéo à la demande). Ces deux monopoles du 7e Art français, reconduits pour trois nouvelles années (jusqu’en février 2025), sont : d’une part, les salles de cinéma, qui conservent encore leur exclusivité durant quatre mois pour la première diffusion des nouveaux films, et, d’autre part, Canal+ du groupe Vivendi, qui est la seule chaîne cryptée avec OCS (dont Canal+ détient 33,33 % du capital aux côtés des 66,67 % d’Orange) à bénéficier des films dès six mois après leur sortie en salle.
Ces deux opérateurs historiques – les salles obscures et la chaîne cryptée – ne sont pas concurrencés sur leur propre marché respectif, entendez sur leur « fenêtre de diffusion » (dans le jargon de la chronologie des médias) pas aucun rival. Et pour cause : Canal+ et la FNCF (5) ont chacun défendu becs et ongles leur exclusivité monopolistique, les salles de cinéma durant quatre mois (trois mois en cas de rares dérogations) et la chaîne cryptée durant au moins neuf mois (sur les seize mois alloués). Ce statu quo des salles (aux quatre premiers mois inchangés) et de la chaîne cryptée (passant même à six mois après la salle au lieu de huit) paraît incompréhensible au regard de la révolution des usages numériques qui est à l’oeuvre depuis ces dernières années.
La nouvelle génération n’a pas d’attirance pour ni les salles ni la télé. En revanche, ces générations Y, Z et Alpha regardent volontiers leurs films et séries sur les plateformes de VOD et encore plus sur la SVOD : Netflix, Amazon Prime Video et Disney+ en tête. Or le « réaménagement » de la chronologie des médias, laquelle reste inexplicable pour le grand public, maintient la VOD à l’acte à quatre mois après la sortie des films et la SVOD par abonnement à… quinze mois voire dix-sept après la sortie des mêmes films. Certes, la SVOD avancent de quelques cases, comme dans un jeu de l’Oie, puisqu’elle était auparavant à trente-six mois. Le grand danger d’une telle anachronie est d’encourager le piratage sur Internet de ces œuvres cinématographiques et audiovisuelles. @