Yannick Carriou, PDG de Médiamétrie : « Nous allons mesurer en 2024 les plateformes de SVOD comme Netflix »

Médiamétrie – dont le conseil d’administration est composé de membres actionnaires issus des médias (télés en tête), des annonceurs, des agences, mais pas encore des plateformes – sortira en septembre 2024 les volumes de consommations de Netflix, Amazon Prime Video et autres, « qu’ils le veuillent ou non ».

Médiamétrie, qui fêtera ses 40 ans dans deux ans (en juin 2025), fait monter encore plus la pression sur les grandes plateformes numériques comme Netflix, Amazon Prime Video, Disney+ ou Apple TV+. Alors que les discussions confidentielles s’éternisent depuis plus d’un an avec certaines d’entre elles, dont Netflix, l’institut français de mesure d’audience réaffirme sa volonté aller de l’avant, avec ou sans leur coopération. « Nous sortirons une quantification totale de consommation des plateformes, puis au niveau des principaux contenus des audiences, avec des définitions ayant du sens, une information auditée, un certain niveau de transparence. A partir de septembre 2024, du moins au troisième trimestre 2024, on sortira des volumes de consommation, par exemple de Netflix. Puis six à neuf mois plus tard [soit à partir de mars 2025 au plus tôt, ndlr], on descendra au niveau des contenus », a indiqué Yannick Carriou (photo), PDG de Médiamétrie, lors d’une rencontre le 12 juillet avec l’Association des journalistes médias (AJM), dont fait partie Edition Multimédi@. Et d’ajouter : « C’est la raison pour laquelle nous avons passé un accord avec Nielsen, qui nous apporte immédiatement des technologies que nous sommes en train de tester et d’adapter à l’Internet français pour faire cette mesure-là ».

Vers une plateforme coactionnaire de Médiamétrie ?
Nielsen, le géant américain de la mesure d’audience présent dans le monde, collabore déjà avec Médiamétrie depuis 1999 mais, avec ce nouveau partenariat signé fin 2022, il fournit au français ses technologies – déjà éprouvées aux Etats-Unis – de mesure des flux digitaux à domicile par des routeurs Internet, de gestion informatique des contenus numériques de télévision, ainsi que de reconnaissance de contenus des plateformes de vidéo à la demande (VOD, SVOD, AVOD, FAST, …). « On sait mesurer quand un terminal se connecte à un serveur qui appartient à Netflix, Amazon ou Spotify, et quantifier automatiquement et de manière assez certaine les volumes de consommation. La situation est un peu différente au niveau des contenus : dans l’univers de la SVOD, 90 % à 95 % des contenus sont quasi exclusifs et on les reconnaît par une technique de type Shazam [reconnaissance de contenus, ndlr], alors que sur la télévision les contenus sont watermarqués [par du watermarking ou tatouage numérique, ndlr]. Sur l’audio digital, c’est plus difficile car les contenus sont aussi diffusés par les autres », explique Yannick Carriou. Médiamétrie travaille déjà sur Continuer la lecture

La chronologie des médias est l’art du très difficile compromis sur fond de négociations perpétuelles

Proposés par le CNC, les deux avenants à l’actuelle chronologie des médias devraient être bientôt signés par les professionnels du cinéma, de la télévision et des plateformes vidéo. Le recours à des expérimentations fait avancer les négociations qui continueront au-delà de l’accord.

Par Anne-Marie Pecoraro, avocate associée, et Rodolphe Boissau, consultant, UGGC Avocats

Février 2023 marque un renouveau dans le droit de l’audiovisuel. Alors que le nouveau règlement général des aides financières du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) est entré en vigueur le 1er février dernier (1), c’est au tour de la chronologie des médias d’être visée par deux avant-projets d’avenants du CNC (2), pour lesquels une signature par les parties prenantes était espérée en février. Olivier Schrameck, ancien président du CSA (3) et conseiller d’Etat, s’est en outre vu confier début février une « mission de consultation juridique » par la SACD sur les fondements de la chronologie des médias.

Expérimentations et diminution des délais
Chef d’orchestre évitant la cacophonie d’une œuvre qui serait disponible sur tout support, la chronologie des médias vient rythmer le cycle d’exploitation d’une œuvre, clef de voûte d’une architecture particulière. Du grec kinema, le cinéma signifie le « mouvement » et du mouvement il y en a eu ces derniers temps dans le paysage audiovisuel français, avec l’arrivée de nouveaux acteurs et, donc, de nouvelles problématiques auxquelles la chronologie des médias tente de s’adapter au mieux afin de résister à l’épreuve du temps.
En effet, les plateformes de SVOD, Disney+ en fer de lance, se trouvent actuellement confrontées à un délai d’attente de 15 voire 17 mois afin de pouvoir exploiter une œuvre, et ce pour une durée de 7 à 5 mois seulement, puisqu’elles se voient contraintes de retirer l’œuvre de leur offre à l’ouverture de la fenêtre en exclusivité de la télévision en clair, ne pouvant dès lors plus exploiter l’œuvre pendant 14 mois. Pour répondre à ces difficultés, le CNC a choisi d’emprunter la voie de l’expérimentation, voie à laquelle l’audiovisuel fait la part belle. L’expérimentation constitue un outil de négociation, qui permet l’adoption plus facile d’une disposition dont les parties savent qu’elle est temporaire et réversible. Ainsi, les deux nouveaux avant-projets d’avenants réaménageant la chronologie des médias, proposés par le CNC fin janvier dernier, sont composés exclusivement d’expérimentations (4). En effet, comme l’a révélé Contexte (5), le CNC a dû revoir sa copie à la suite des contestations de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF) et de Canal+. Et ce, après une première rédaction des deux avant-projets sur la base de propositions du Syndicat des éditeurs de vidéo à la demande (Sévad), des chaînes gratuites et des services de médias audiovisuels à la demande (SMAd) payants (SVOD, VOD par abonnement). C’est à l’œuvre que l’on reconnaît l’artisan (6) : si les plateformes de TVOD (vidéo à la demande payante à l’acte) et SVOD gagnent un peu de terrain, celui-ci reste occupé par les salles et chaînes payantes de cinéma (7). Le premier projet émis par le CNC prévoit la création d’une fenêtre dite « premium » de téléchargement définitif (exploitation en TVOD) à l’expiration d’un délai dérogatoire de 3 mois après la date de sortie en salles, moyennant un prix plus élevé pour le consommateur. Le second projet émis par le CNC prévoit des expérimentations dans le cadre d’un accord de co-exploitation entre les plateformes de SVOD et les chaînes gratuites de télévision. L’expérimentation-phare consiste à prolonger de 2 mois la fenêtre d’exploitation en SVOD d’une œuvre produite en interne par des éditeurs de SMAd par abonnement (plateforme SVOD), avec un budget de plus de 25 millions d’euros et non préfinancée par un service de télévision en clair. Ceci répond aux critiques de plateformes comme Disney, à l’encontre de leur fenêtre trop courte. En contrepartie, les chaînes gratuites bénéficieront d’une fenêtre étanche de deux mois après la première diffusion de l’œuvre sur leur canal (8).
Ces expérimentations s’ajoutent à la longue liste des exceptions aux délais de principe, essence même de la chronologie des médias et marqueur topique de son origine négociée. Enfin, ces expérimentations sont prévues pour une durée de deux années qui suivent la date de signature des avenants, à la suite de quoi les parties prenantes devront décider de leur reconduction ou de leur modification.

Chronologie des médias, une histoire sans fin
Terreau d’expérimentations nouvelles, la chronologie des médias est le fruit de négociations perpétuelles. La règlementation est tenue de rattraper et de s’adapter à l’évolution des modes de consommation des œuvres, chaque nouveau mode bouleversant l’économie existante. Certes, le cinéma n’a pas dit son dernier mot, avec plus de 10 millions d’entrées pour le second volet d’« Avatar, la voie de l’eau ». Mais l’exigence pressante des consommateurs d’accéder rapidement à l’œuvre, catalysée par l’arrivée des plateformes et le piratage, appellent périodiquement des refontes de la chronologie des médias. Les plateformes – Netflix et Disney+ en tête – ont su rappeler qu’elles étaient en capacité de passer outre la chronologie par la voie du e-cinéma, qui consiste à sortir un film uniquement sur les plateformes, et non en salles (9), Disney se prévalant de représenter un quart des recettes des salles françaises par an.

« Chronologie chronophage » pour le CNC
Aussi, la diminution de moitié des délais d’attente pour l’exploitation d’une œuvre sur une plateforme SVOD est une des modifications notoires apportées par l’arrêté du 4 février 2022 portant extension de l’accord interprofessionnel pour le réaménagement de la chronologie des médias conclu le 24 janvier de la même année (10). Schématiquement, la version entrée en vigueur l’année dernière prévoit que les exploitants de salles de cinéma disposent d’un délai de 4 mois à compter de la date de sortie nationale pour exploiter l’œuvre cinématographique. Ensuite et sauf exception, cette exploitation s’organise actuellement, à compter de la date de sortie en salles de cinéma, à l’expiration des délais suivants (11) : 4 mois pour une exploitation sous forme de vidéogramme destiné à la vente ou à la location (DVD et Blu-ray) et TVOD ; 8 mois pour une exploitation sur les chaînes payantes de cinéma (type Canal+) ; 17 mois (Disney+) pour une exploitation sur les SMAd » ou 15 mois si un accord a été conclu (Netflix) ; 22 mois pour une exploitation sur les chaînes de télévision en clair, gratuites (type TF1, M6) et les chaînes payantes autres que de cinéma ; 30 mois pour une exploitation en SVOD avec accord d’obligation investissement ; 36 mois pour une exploitation en SVOD sans accord d’obligation investissement ainsi que pour un SMAd gratuit (type YouTube).
Du latin chronologia d’après le grec ancien kronos et logia, la chronologie est composée du temps et de la parole. Or depuis 2009, l’élaboration de la chronologie des médias sous l’égide du CNC est véritablement un temps de parole avec une place de choix faite à la négociation interprofessionnelle. Celle-ci va aboutir à un accord professionnel, rendu obligatoire par la procédure de l’arrêté d’extension, devenue courante en matière audiovisuelle. Ce renvoi substantiel aux accords professionnels est conforme aux dispositions de la directive européenne « Exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle » du 11 décembre 2007 et aux accords dits « de l’Elysée » (12) du 23 novembre 2007.
Ainsi, dans le processus d’élaboration de la chronologie des médias, les parties prenantes ne participent pas à course contre la montre, à la poursuite de la période d’exploitation la plus proche de la date de sortie en salles de l’œuvre, mais bien à une course de relais, dans laquelle les différents professionnels vont transiger sous les yeux de l’arbitre CNC. Comme le relève l’avis présenté le 17 novembre 2022 par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat sur le projet de loi de finances pour 2023, la chronologie des médias – bien que « chronophage » pour le CNC – souligne « l’interdépendance des différentes parties » (13). Cette interdépendance va permettre de remplir les objectifs de la chronologie des médias qui sont de deux ordres. D’une part, il faut préserver la primauté de la salle de cinéma, considérée comme un lieu d’exposition essentiel d’un point de vue esthétique, social et économique. D’autre part, il faut stimuler le financement et le rayonnement de l’œuvre en additionnant les revenus.
Le critère pris en compte pour cette deuxième finalité est le mode de réception des œuvres par le public, complété par la notion de large public. L’on voit ici poindre les acteurs majoritaires, le cinéma d’abord, les chaînes de télévision et les plateformes ensuite. Leur interdépendance va donc mener à une forme d’auto-régulation par la négociation interprofessionnelle, dont l’accord en résultant sera étendu par arrêté (14). Ce nouveau mode de régulation fait florès dans le domaine audiovisuel, comme en témoignent les mécanismes d’extension d’accords collectifs sur la transparence des relations auteurs-producteurs ou encore sur la reddition des comptes, mais également dans le code de la propriété intellectuelle puisqu’on le retrouve par exemple dans le domaine de l’édition.
Afin d’encourager les négociations, le code du cinéma et de l’image animée ainsi que l’accord sur la chronologie des médias prévoient une clause de revoyure. Cela signifie que l’accord est conclu et peut être étendu pour une durée maximale de 36 mois (15). Par ailleurs, au bout de 12 mois suivant l’entrée en vigueur de l’accord, les parties conviennent de se rapprocher, sous la houlette du CNC, afin de dresser un premier bilan de son application. Enfin, au plus tard 12 mois avant l’échéance du présent accord, les parties conviennent de se rapprocher dans les mêmes conditions, pour convenir de sa reconduction ou de son adaptation aux évolutions du secteur (16).

Délais plus favorables aux « vertueux »
Les acteurs à la table des négociations – entreprise du secteur du cinéma, éditeur de services de médias audiovisuels à la demande, éditeur de services de télévision – vont donc être à la recherche d’un compromis entre leurs différents intérêts en présence. Deux garde-fous dans ces négociations en garantissent la pérennité.
D’abord, les principes de neutralité technologique (17) et de récompense des engagements vertueux de certains diffuseurs, lesquels se voient attribuer des délais plus favorables, accordés en fonction des obligations d’investissement dans la production audiovisuelle française. Ensuite, la présence du CNC qui veille à l’équilibre des négociations et tient la barre face au courroux de certains acteurs (18), alors que résonnent au loin les sirènes du day-and-date – sortie simultanée en salles et en VOD. @

 

Copié par les géants du Net, le réseau social audio Clubhouse persévère au bout de trois ans

En mars, cela fera trois ans que la société californienne Alpha Exploration Co a lancé le réseau social audio Clubhouse. Après avoir fait parler de lui, surtout en 2021, cette agora vocale est retombée dans l’oubli. Copiée par Facebook, Twitter, LinkedIn ou Spotify, l’appli tente de rebondir.

La pandémie de coronavirus et les confinements avaient fait de Clubhouse l’application vocale du moment, au point d’atteindre en juin 2021 un pic de 17 mil- lions d’utilisateurs actifs par mois. Deux mois plus tôt, Twitter faisait une offre de 4 milliards de dollars pour l’acquérir. C’est du moins sa valorisation à l’époque après une levée de fonds qui avait porté à 110 millions sa collecte auprès d’investisseurs, dont la société de capital-risque Andreessen Horowitz (1). Mais les discussions entre la licorne Alpha Exploration Co et l’oiseau bleu n’aboutirent pas.

Entre marteau (Big Tech) et enclume (Cnil)
Depuis, d’après la société d’analyse SensorTower, les installations de l’appli (sur Android ou iOS) ont chuté de plus de 80 % depuis son heure de gloire. Disruptif à ses débuts, Clubhouse a très vite été copié par Twitter avec « Spaces », Facebook avec « Live Audio Rooms », LinkedIn avec « Live Audio Events » ou encore Spotify avec « Live » (ex-Greenroom). Snapchat avait subi les conséquences de ce copiage, tout comme BeReal aujourd’hui. Clubhouse sera-t-il racheté par un géant du Net avant d’être fermé, à l’image de Periscope après son rachat en mars 2015 par Twitter ?
Alpha Exploration Co a dû aussi se battre en Europe. Les gendarmes des données personnelles et de la vie privée avaient mis sous surveillance Clubhouse. Cela a abouti en Italie à une amende de 2 millions d’euros infligée en décembre 2022 par la « Cnil » italienne, la GPDP, qui lui a reproché de « nombreuses violations : manque de transparence sur l’utilisation des données des utilisateurs et de leurs “amis” ; possibilité pour les utilisateurs de stocker et de partager des enregistrements audio sans le consentement des personnes enregistrées ; profilage et partage des informations sur les comptes sans qu’une base juridique correcte ne soit trouvée ; temps indéfini de conservation des enregistrements effectués par le réseau social pour lutter contre d’éventuels abus » (2). En France, la Cnil avait ouvert de son côté une enquête dès mars 2021 après avoir été saisie d’une plainte à l’encontre de Clubhouse qui était aussi la cible d’une pétition (3). « Les investigations sont désormais clôturées après plusieurs échanges avec la société [Alpha Exploration Co], indique la Cnil à Edition Multimédi@. Nous restons évidemment vigilants sur les traitements de données à caractère personnel qu’elle met en œuvre, en particulier en cas de nouvelles plaintes ». Pour tenter de se démarquer des Big Tech « copieuses », Clubhouse a fait de son mieux pour offrir une meilleure expérience audio en direct, en ajoutant des fonctionnalités comme le sous-titrage en temps réel et la diffusion audio de haute qualité. Il y a un an, a été ajoutée une messagerie instantanée – des chats – pour ceux qui veulent participer aux discussions mais sans prendre la parole. Cet « in-room chat » (écrits et/ou émoji en direct) permet à ceux qui ne se sentent pas à l’aise à l’oral de participer quand même – « parce que même sur Internet, le trac existe » (4). Clubhouse a aussi lancé Wave pour entamer des échanges plus rapidement autours de « petits moments intimes ou spéciaux » (5). Mais c’est surtout le lancement de Houses qui marque un tournant pour Clubhouse : chacun peut créer son propre « clubhouse » privé. Cette fonctionnalité fut annoncée par le cofondateur Paul Davison (photo de gauche) dans un tweet le 4 août 2022 : « Grande nouvelle 🙂 @clubhouse se divise… en plusieurs clubs. C’est une énorme évolution de l’application sur laquelle @rohanseth [Rohan Seth, l’autre cofondateur (photo de droite), ndlr], l’équipe et moi travaillons depuis des mois » (6).
Autrement dit, chaque utilisateur peut devenir l’administrateur où il instaure ses propres règles. Pour attirer les participants dans sa « maison », le « clubhouseur » dispose d’icônes pour indiquer les sujets (« topics ») abordés. La variété des thèmes a été étoffée depuis le 6 février dernier (7). C’est un change- ment stratégique d’Alpha Exploration Co, alors que – jusqu’au lancement de Houses – Clubhouse était un espace ouvert mais sur invitations seulement en fonction d’intérêts communs. Le réseau social devenu à la fois audio et textuel permet de créer des espaces privés avec des connaissances personnelles.

Des licenciements et des recrutements
Clubhouse se veut moins élitiste et plus démocratisé. Après être sorti d’abord sous iOS uniquement, l’appli a été rendue disponible seulement en mai 2021 sous Android (pourtant le système d’exploitation le plus répandu au monde), puis depuis janvier 2022 en version web (8). Ce changement de stratégie a amené la licorne à licencier du personnel, selon Bloomberg en juin dernier (9), dont la journaliste Nina Gregory qui était responsable de l’information et éditeurs média. Mais depuis, Alpha Exploration Co cherche toujours à recruter (10) mais des profils ingénieurs logiciel, « data scientist » et designers. @

Charles de Laubier

L’AFDPM refuse Amazon, Alibaba et Cdiscount

En fait. Le 14 février, l’Alliance française des places de marché (AFDPM) – fondée en octobre 2022 par Back Market, eBay, Etsy, ManoMano et Rakuten – a annoncé que Leboncoin, Vinted et Ankorstore l’avaient rejointe comme nouveaux membres. En revanche, Amazon, Alibaba ou Cdiscount ne sont pas les bienvenus.

En clair. Amazon a confirmé à Edition Multimédi@ ne pas être membre de l’Alliance française des places de marché (AFDPM). Mais le géant du e-commerce est adhérent de bien d’autres organisations ou fédérations professionnelles telles que la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (Fevad), l’Alliance française des industries du numérique (Afnum), l’Alliance Digitale (issue du rapprochement de Mobile Marketing Association et d’IAB France) ou encore l’Union TLF (Transport et Logistique de France).
Amazon, pourtant numéro une mondiale des plateformes de e- commerce et première aussi en France selon Médiamétrie, n’est pas la seule à ne pas être membre de l’AFDPM cofondée en octobre 2022 par Back Market, eBay, Etsy, ManoMano et Rakuten. Ne sont pas adhérents de cette alliance Cdiscount (groupe Casino), numéro trois des plateformes de e-commerce en France (derrière Amazon et Leboncoin), mais aussi le chinois Alibaba et sa plateforme AliExpress. Et pour cause. « L’AFPDM vise à rassembler des places de marché qui n’ont pas d’activité significative de vente directe de biens, afin de se concentrer sur les enjeux propres au statut d’intermédiaire, et qui contribuent au développement de l’économie française notamment s’agissant des vendeurs présents sur ces plateformes. Seules les places de marché remplissant ces critères ont vocation à rejoindre l’association », nous a répondu le président de cette nouvelle alliance, Sébastien Duplan, par ailleurs directeur des affaires publiques de ManoManon.
Les « marketplaces » ne doivent donc pas faire de vente en propre ni concurrencer leurs vendeurs tiers. « Nous ne serons jamais rejoints par des acteurs comme Amazon ou Cdiscount », avait-il précisé dans LSA (1). Si l’AFDPM se veut « une structure à laquelle les pouvoirs publics et l’ensemble de l’écosystème e-commerce peuvent s’adresser », elle entretient la division face au gouvernement qui, lui, vient de créer le Conseil national du commerce (CNC) présidé par Olivia Grégoire, ministre déléguée en charge des PME, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme (2). Dotée de 24 millions d’euros pour financer cette transformation en 2023, cette instance gouvernementale – dont la première réunion a eu lieu assez discrètement le 9 décembre dernier (3) – entend faire des propositions « dès juin 2023 » pour faire évoluer le secteur du commerce en France. @

Cookies et consentement des internautes : les leçons à tirer des récentes sanctions de la Cnil

En décembre 2021 et en décembre 2022, la Cnil a sanctionné Google, Facebook, TikTok, Apple, Microsoft et Voodoo d’une amende allant de 3 millions à 90 millions d’euros. Il leur est reproché de ne pas faciliter aux internautes le refus des cookies publicitaires aussi facilement que leur acceptation.

Par Vanessa Bouchara et Florian Viel, cabinet Bouchara Avocats

Pour la seconde année consécutive, le mois de décembre aura été riche en décisions rendues par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) sur la thématique de la gestion des cookies. Alors que le mois de décembre 2021 voyait le gendarme de la protection des données personnelles et de la vie privée prononcer des sanctions administratives contre Google (1) et Facebook (2), ce sont en décembre 2022 les sociétés TikTok (3), Apple (4), Microsoft (5) et Voodoo (6) qui ont fait à leur tour l’objet de sanctions pour des manquements à loi française « Informatique et Libertés » dans le cadre de la gestion de leurs cookies.

Pas de consentement, pas de cookies
Google a eu une amende de 90 millions d’euros, Facebook de 60 millions d’euros, TikTok de 5 millions d’euros, Apple de 8 millions d’euros, Microsoft de 60 millions d’euros et Voodoo de 3 millions d’euros. Il ressort de toutes ces décisions deux principaux manquements récurrents que tout éditeur de site Internet ou d’application mobile devrait appréhender afin de les éviter.
Comme le rappelle la Cnil dans l’ensemble de ces décisions, « tout abonné ou utilisateur d’un service de communications électroniques doit être informé de manière claire et complète, sauf s’il l’a été au préalable, par le responsable du traitement ou son représentant : 1° de la finalité de toute action tendant à accéder, par voie de transmission électronique, à des informations déjà stockées dans son équipement terminal de communications électroniques, ou à inscrire des informations dans cet équipement ; 2° des moyens dont il dispose pour s’y opposer » (7). Se faisant, ces accès ou inscriptions – via l’utilisation de traceurs – ne peuvent avoir lieu qu’à condition que l’abonné ou la personne utilisatrice ait exprimé, après avoir reçu cette information, son consentement. Par exception à ce qui précède, il est prévu deux cas spécifiques dans lesquels certains traceurs bénéficient d’une exemption au consentement : soit lorsque ceux-ci ont pour finalité exclusive de permettre ou faciliter la communication par voie électronique, soit lorsqu’ils sont strictement nécessaires à la fourniture d’un service de communication en ligne à la demande expresse de l’utilisateur (8). Ainsi, afin de déterminer si l’utilisation de cookies nécessite le recueil préalable du consentement de l’abonné ou de l’utilisateur, l’éditeur du site en ligne ou de l’application mobile doit déterminer si l’ensemble des finalités associées à ces cookies sont exemptées ou non de consentement. Comme le souligne expressément la Cnil dans ses décisions à l’encontre de respectivement Apple et de Microsoft, à l’appui de ses lignes directrices du 17 septembre 2020 (9), l’utilisation d’un même traceur pour plusieurs finalités, dont certaines n’entrent pas dans le cadre de ces exemptions, nécessite de recueillir préalablement le consentement des personnes concernées. Sans consentement, l’éditeur du service en ligne devra alors s’abstenir d’utiliser ce cookie pour la finalité non exemptée de consentement.
En effet, en considérant que les éventuelles différentes finalités fonctionnelles et non fonctionnelles d’un même cookie sont indissociables les unes des autres, l’utilisation de cette catégorie de traceurs reviendrait alors à détourner les dispositions de la loi « Informatique et Libertés » puisque le consentement de l’utilisateur ne serait plus jamais sollicité préalablement au dépôt de cookies. Par extension à ce qui précède et comme le remarque la Cnil dans sa décision à l’encontre de la société Voodoo, le refus exprès d’un utilisateur à l’utilisation de cookies pour des finalités non exemptées de consentement se doit d’être respecté par l’éditeur du service concerné, à défaut de quoi ce dernier prive d’effectivité le choix exprimé par l’utilisateur.

Aussi facile d’accepter que de refuser
Depuis l’entrée en application du RGPD, le « consentement » prévu à l’article 82 de la loi « Informatique et Libertés » précité doit s’entendre au sens du règlement général européen sur la protection des données (RGPD), c’est-à-dire qu’il doit être donné de manière libre, spécifique, éclairée et univoque, et se manifester par un acte positif clair. Dans ses décisions prononcées à l’encontre des sociétés Google, Facebook, TikTok et Microsoft, la Cnil rappelle que le considérant 42 du RGPD : « Le consentement ne devrait pas être considéré comme ayant été donné librement si la personne concernée ne dispose pas d’une véritable liberté de choix ou n’est pas en mesure de refuser ou de retirer son consentement sans subir de préjudice ». La Cnil précise par ailleurs que, comme mentionné dans ses lignes directrices et ses recommandations (10) datées du même jour, et confirmées par un arrêt du Conseil d’Etat du 19 juin 2020 (11), il doit être aussi aisé de refuser ou retirer son consentement aux traceurs que de le donner.

Inventivité des éditeurs et « dark pattern »
Le caractère « libre » du consentement implique en effet un choix et un contrôle réel pour les personnes concernées (12). Or, dès lors qu’un éditeur rend le refus d’utilisation de cookies non fonctionnels plus complexe que son acceptation, celui-ci incite l’internaute qui souhaite pouvoir visualiser le site Internet ou utiliser l’application rapidement, à accepter ces cookies en le décourageant à les refuser – viciant ainsi son consentement qui n’est plus libre. Les modalités proposées à l’utilisateur pour manifester son choix ne doivent donc pas être biaisées en faveur du consentement, comme l’indique la Cnil dans sa décision à l’encontre de Microsoft.
Par ailleurs, si le refus de l’utilisateur de consentir aux cookies peut potentiellement se déduire de son silence, c’est à la stricte condition que l’utilisateur en soit pleinement informé, et que l’équilibre entre les modalités d’acceptation et de refus soit respecté. Ainsi, si l’utilisation d’un bouton « tout accepter » est commune sur les bandeaux cookies, cette modalité de recueil du consentement de l’utilisateur ne sera licite que si l’utilisateur dispose d’un bouton « tout refuser » présent au même niveau et sur le même format, afin de ne pas altérer la liberté de son choix. La pratique encore commune des éditeurs de sites web ou d’applications mobiles d’opposer un bouton « tout accepter » à un bouton « paramétrer » ou « personnaliser » (ou équivalent), n’est donc pas licite et constitue un « dark pattern », comme l’indique la Cnil dans ses décisions à l’encontre des sociétés Facebook et Google.
A propos de ces « dark pattern », la délégation de la Cnil – qui a effectué un contrôle en ligne sur le site web « facebook.com » – mentionne d’ailleurs une étude universitaire de 2020 intitulée « Les “dark patterns” au temps du RGPD : récupération des fenêtres de consentement et démonstration de leur influence » (13). Les chercheurs – provenant notamment des universités de Cambridge et du MIT – ont démontré que 93,1 % du panel des internautes confrontés à des bandeaux cookies s’arrêtent au premier niveau et que seule une faible minorité d’entre eux vont au second niveau pour personnaliser ou refuser. Cette étude démontrait également que le fait de reléguer le bouton du refus au second niveau augmentait en moyenne de 23,1 points de pourcentage le taux de consentement aux cookies. Enfin, pour que le consentement de l’internaute soit libre, l’éditeur du site ou de l’application doit également veiller à ce que l’information relative à ses cookies et transmise à l’internaute – avant le recueil de son éventuel consentement – soit complète, visible et mise en évidence. Cette information doit en particulier porter sur les finalités poursuivies par les opérations de dépôt et de lecture des cookies, et sur les moyens dont l’utilisateur dispose pour s’y opposer. Une description générale et approximative des finalités de l’ensemble cookies non fonctionnels déposés, par l’utilisation de termes généraux tels que « améliorer votre expérience sur nos sites web » et « à des fins d’analyse et de marketing », est imprécise et constitue un manquement à la loi « Informatique et Libertés » (14), comme le mentionne la Cnil dans sa décision à l’encontre de TikTok.
Il résulte ainsi de ces six décisions, rendues par la Cnil sur les seuls mois de décembre 2021 et 2022, des rappels de règles bien établies ou en phase de l’être depuis l’entrée en vigueur du RGPD (15) – à savoir depuis le 25 mai 2018. Si ces règles sont claires, leur application n’est toutefois pas toujours l’objectif des éditeurs de sites et d’applications qui font preuve d’inventivité pour limiter la chute du taux de consentement de leur utilisateurs ou abonnés (16) à l’utilisation de cookies non fonctionnels, comme le démontre le Comité européen de la protection des données (CEPD) dans son rapport « Cookie Banner » publié le 18 janvier 2023 (17). Ces éditeurs considèrent en effet que leur intérêt à utiliser des cookies non fonctionnels, en particulier à des fins de publicités ciblées ou analytiques, prévaut sur le respect du consentement de leurs utilisateurs ou abonnés, et par extension acceptent le risque de sanctions administratives et d’actions judiciaires qui en résulte.

Sanctions plus rapides et solutions alternatives
Les modifications de la loi « Informatique et Libertés » et de son décret d’application, intervenues le 24 janvier puis le 8 avril 2022, ont pour ambition de permettre une plus grande souplesse dans le recours aux mises en demeure ou aux sanctions. Si la réforme des procédures correctrices de la Cnil (18) – permettant à celle-ci de prononcer des sanctions plus rapidement – ne sera probablement pas suffisante pour convaincre toutes les entreprises et organisations de changer leurs pratiques, le développement de solutions alternatives aux cookies non exemptés de consentement pourrait l’être. @

* Vanessa Bouchara, avocate et spécialiste en droit
de la propriété intellectuelle, a fondé
le cabinet Bouchara Avocats (www.cabinetbouchara.com).