Le Syndicat national de l’édition (SNE) n’arrive pas à venir à bout du site pirate Z-Library

Z-Library reste encore accessible malgré deux jugements obtenus en France par le Syndicat national de l’édition, le 12 septembre 2024 et le 25 août 2022, pour tenter de bloquer les noms de domaine et sites miroirs de cette « bibliothèque mondiale » accusée de piratage de livres numériques.

« Le tribunal ordonne aux sociétés Bouygues Telecom, Free, SFR, SFR Fibre et Orange de mettre en œuvre et/ou faire mettre en œuvre, toutes mesures propres à empêcher l’accès au site Z-Library, à partir du territoire français, […] par tout moyen efficace, et notamment par le blocage des noms de domaine et sous-domaines associés […], au plus tard dans un délai de 15 jours suivant la signification du présent jugement et pendant une durée de 18 mois à compter de la mise en œuvre des mesures ordonnées », a décidé le tribunal judiciaire de Paris, précisé ce jour-là par Anne-Claire Le Bras (photo).

Blocage d’ici le 30 septembre 2024
Selon ce second jugement rendu le 12 septembre 2024 dans le cadre d’une procédure accélérée, les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) – du moins les quatre principaux en France – ont ainsi l’obligation de faire barrage au site Z-Library en bloquant pas tout moyens en ligne près de 100 nouveaux noms de domaine donnant encore accès à ce que le Syndicat national de l’édition (SNE) désigne comme l’« une des plus vastes bibliothèques numériques clandestines (ou « shadow library »), accessible depuis la France, et ce, par le biais d’une multitude de noms de domaine régulièrement renouvelés ».
Le premier jugement, datant du 25 août 2022, le même tribunal judicaire de Paris avait déjà ordonné aux mêmes FAI le blocage de plus de 200 noms de domaine. Dans les deux cas, le SNE avait fait établir un nouveau procès-verbal par un agent assermenté de l’Association pour la protection des programmes (APP), qui, basée à Paris et présidée par Philippe Thomas, se présente comme un « tiers de confiance » en matière de protection numérique et propose à ses clients dont le SNE – membres d’APP ou non – de faire appel à ses agents assermentés pour une demande de constat sur Internet. « Le constat en ligne automatique est un outil reconnu par les tribunaux pour détecter et documenter les contrefaçons sur les sites Internet. Il offre une preuve numérique incontestable de la présence de contrefaçons, permettant aux requérants de prendre les mesures nécessaires pour faire valoir leurs droits », assure l’APP (1). Cela suppose qu’il y ait préalablement un mandat écrit du titulaire de droits ou de son mandataire (avocat, conseil en propriété intellectuelle, etc.). Pour faire ses constats en ligne et dresser son procès-verbal, l’agent assermenté de l’APP télécharge un échantillon de livres contenant des œuvres littéraires éditées par des éditeurs membres du SNE tels que Albin Michel, Hachette Livre (dont les éditions Albert René), Dalloz, Gallimard, Dunod, etc. Ainsi, pour la dernière décision, le procès-verbal de l’APP pour le SNE « constat[e] que la plateforme Z-Library continuait son activité contrefaisante, et ce par l’intermédiaire de 98 nouveaux noms de domaine », parmi lesquels go-tozlibrary.se, singlelogin.se, booksc.eu, cn1lib.is ou encore zlibrary-africa.se – pour ne citer qu’eux d’une longue liste à la Prévert établie dans la décision elle-même (2).

Le règlement européen « Internet ouvert » a presque dix ans : la neutralité du Net est en danger

Entre les IA génératives qui rêvent de remplacer les moteurs de recherche et les opérateurs télécoms qui militent pour une taxe sur les Gafam utilisant leurs réseaux, la neutralité d’Internet est plus que jamais menacée. Les régulateurs résisteront-ils à la pression des « telcos » et des « big tech » ? La neutralité d’Internet est prise en étaux entre l’intelligence artificielle et les opérateurs télécoms. Il y a dix ans, la notion de « neutralité de l’Internet » était adoptée pour la première fois en séance plénière, lors d’un vote en première lecture de la proposition de règlement établissant des mesures sur le marché unique européen des communications électroniques. Deux amendements retenus introduisaient la définition de « neutralité de l’Internet [comme étant] le principe selon lequel l’ensemble du trafic Internet est traité de façon égale, sans discrimination, limitation ni interférence, indépendamment de l’expéditeur, du destinataire, du type, du contenu, de l’appareil, du service ou de l’application » (1). A l’Internet ouvert, un « Internet fermé » Après des années de tabou puis de débats voire de polémiques sur le sujet (2), le principe de la neutralité d’Internet était enfin sur le point d’être gravée dans le marbre de la législation européenne. Mais finalement, alors même que le lobby des opérateurs télécoms était vent debout contre cette obligation de « neutralité du Net » et défendant becs et ongles leur droit à pratiquer la « gestion de trafic » et à proposer des « services gérés » (3), cette proposition de règlement n’avait pu être votée avant les élections européennes de mai 2014. C’était il y a dix ans. Là où la Commission européenne de Jean-Claude Juncker s’apprêtait à consacrer la neutralité de l’Internet, ce fut celle de Ursula von der Leyen (photo) – chrétienne-démocrate conservatrice, plutôt hostile à Internet (4) – qui proposera un règlement. Mais celui-ci ne parlera pas explicitement de « neutralité » d’Internet mais d’un Internet « ouvert ». Ce règlement « Internet ouvert » (ou Open Internet), daté du 25 novembre 2015, sera promulgué au Journal Officier de l’Union européenne le 26 novembre suivant (5) et est censé être appliqué depuis 2016 par les Etats membres. Le mot « neutralité » n’apparaît qu’une fois, et encore est-ce pour évoquer dans un considérant de deux lignes la « neutralité technologique », mais en aucun cas la neutralité des réseaux. Or la « garantie d’accès à un Internet ouvert » n’est qu’un succédané du principe de neutralité d’Internet. Certes, l’article 3 du règlement de 2015 garanti cet accès à un « Internet ouvert » : « Les utilisateurs finals ont le droit d’accéder aux informations et aux contenus et de les diffuser, d’utiliser et de fournir des applications et des services et d’utiliser les équipements terminaux de leur choix, quel que soit le lieu où se trouve l’utilisateur final ou le fournisseur, et quels que soient le lieu, l’origine ou la destination de l’information, du contenu, de l’application ou du service, par l’intermédiaire de leur service d’accès à l’Internet ». Mais ce même article permet aux opérateurs télécoms et fournisseurs d’accès à Internet (FAI) de « mettre en œuvre des mesures raisonnables de gestion du trafic ». Le lobby des « telcos » a obtenu gain de cause : la neutralité du Net n’apparaît pas du tout dans le règlement et ils peuvent « gérer le trafic » de leurs réseaux comme ils l’entendent, pour peu que cela soit perçu comme « raisonnable ». Raisonnable ? « Pour être réputées raisonnables, les mesures sont transparentes, non discriminatoires et proportionnées, et elles ne sont pas fondées sur des considérations commerciales, mais sur des différences objectives entre les exigences techniques en matière de qualité de service de certaines catégories spécifiques de trafic » (6). Les FAI doivent « s’abstiennent de bloquer, de ralentir, de modifier, de restreindre, de perturber, de dégrader ou de traiter de manière discriminatoire des contenus, des applications ou des services spécifiques ou des catégories spécifiques de contenus, d’applications ou de services, sauf si nécessaire et seulement le temps nécessaire ». Mais en même temps, ces mêmes acteurs du Net « sont libres de proposer des services […] qui sont optimisés pour des contenus, des applications ou des services spécifiques […] correspondant à un niveau de qualité spécifique ». La notion d’Internet ouvert a en réalité réservé une voie à un Internet fermé. Ces services optimisés ne doivent cependant pas empêcher d’accéder à tous les services de l’Internet, ni les remplacer, ni dégrader la qualité générale des services d’accès à l’Internet pour les internautes (7). Droits fondamentaux et Net Neutrality Si le règlement européen de 2015 a troqué « la neutralité d’Internet » par la notion plus vague de « l’Internet ouvert », il n’en a pas été de même pour l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques (Orece, ou Berec en anglais). En publiant le 30 août 2016 ses lignes directrices pour la mise en œuvre du règlement « Internet ouvert », il parle bien de « Net Neutrality » (8). La « Déclaration européenne sur les droits et principes numériques pour la décennie numérique », publiée le 23 janvier 2023 à l’initiative de l’Union européenne (9), consacre clairement, elle aussi, « la neutralité technologique et de l’Internet » (technological and Net Neutrality). Trois mois après, la Commission européenne publie son rapport sur « la mise en œuvre des dispositions du règlement [de 2015 concernant] l’accès à un Internet ouvert » (10), où il est clairement écrit noir sur blanc que « [le règlement] consacre le principe de la neutralité de l’Internet : le trafic Internet devrait être traité sans discrimination, blocage, limitation ou priorité ». Arcep et CSNP veillent à la « neutralité » Des pays ont réhabilité l’expression de « neutralité d’Internet » que le règlement de 2015 a passé sous silence, comme l’a fait la France en transposant le règlement « Internet ouvert » dans la loi « République numérique » du 7 octobre 2016, où elle associe explicitement le principe de neutralité d’Internet à celui d’Internet ouvert, depuis lors inscrit dans le code des postes et des communications électroniques : « La neutralité de l’Internet […] consiste à garantir l’accès à l’Internet ouvert régi par le règlement [de 2015] », précise son article 40 qui charge aussi l’Arcep d’« assurer le respect de la neutralité de l’Internet ». Quant à la Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP), instance bicamérale et transpartisane en interaction avec Bercy, « elle étudie les questions relatives à la neutralité de l’Internet » (11). Or, selon les constatations de Edition Multimédi@, la CSNP n’a pas publié d’étude ni d’avis sur la neutralité du Net depuis près de huit ans que la loi lui a confié le soin d’étudier cette question. Contactée, sa secrétaire générale Valérie Montané nous a cependant indiqué que « le sujet de la neutralité d’Internet a été abordé en auditions mais sans donner lieu à un avis ». L’Arcep, elle, a réexprimé haut et fort le 4 juillet dernier son attachement à la neutralité du Net, à l’occasion de la publication de son rapport annuel sur « l’état de l’Internet en France » (12). Dans cette édition 2024, sa présidente de Laure de La Raudière (photo ci-dessus) a consacré son édito à ce sujet en l’intitulant « L’ouverture de l’Internet : le combat continue ». Il y est question explicitement de la « neutralité du Net » qu’il faut « continuer à défendre » pour avoir « la garantie que tous les contenus p[uissent] circuler librement sur les réseaux des opérateurs télécoms, sans discrimination ». Et d’ajouter : « Il n’y a pas de contenus “VIP” et tant mieux ! ». Alors que « certains acteurs imaginent pouvoir la supprimer là où elle existe, pendant que d’autres cherchent à l’imposer, comme le montre la récente décision [Safeguarding and Securing the Open Internet, ndlr] de la Federal Communications Commission aux Etats-Unis (13) ». Présidente de l’Arcep depuis fin janvier 2021, Laure de La Raudière – alors députée – avait remis en avril 2011 un rapport réalisé avec sa consoeur Corinne Erhel sur « la neutralité d’Internet et des réseaux » (14), à l’issue de la mission d’information de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale. Ce rapport fera date dans la mesure où il veut éviter de sacrifier la neutralité de l’Internet sur l’autel de l’intérêt économique des opérateurs télécoms, en donnant une portée juridique à ce principe. Même La Quadrature du Net applaudit les propositions des deux députées qui ont « fait le choix pertinent de décorréler » la question de la neutralité du Net de celle des investissements des opérateurs télécoms (15). Treize après ce rapport jugé « courageux », Laure de La Raudière continue de faire de la neutralité du Net son cheval de bataille. Dans une tribune publiée le 2 juillet dans Le Monde, soit deux jours avant la publication du rapport sur « l’état de l’Internet en France », la présidente de l’Arcep a mis en garde contre cette fois « les IA génératives [qui] menacent notre liberté de choix dans l’accès aux contenus en ligne » (16). Comment ? « En contrôlant directement l’accès au savoir et son partage au cœur du modèle d’Internet, les IA génératives menacent donc notre liberté de choix dans l’accès aux contenus en ligne ainsi que notre liberté d’expression. Il s’agit d’une remise en cause fondamentale du principe d’ouverture d’Internet », alerte-t-elle, comme l’Arcep l’a fait en mars dans sa réponse (17) à la consultation publique de la Commission européenne sur la concurrence sur le marché des IA génératives. On remarquera au passage que sa tribune dans Le Monde emploie l’expression « Internet ouvert » mais, cette fois, pas du tout « neutralité d’Internet », peut-être pour ne pas fâcher les opérateurs télécoms arc-boutés contre ce principe de neutralité du Net… Autre danger : taxe « Gafam » sur les réseaux Un autre péril menace la neutralité de l’Internet. Il se situe dans le futur règlement européen sur les réseaux numériques – le Digital Networks Act (DNA) – qui pourrait être une des priorités de la prochaine Commission européenne qui s’installera en novembre 2024 avec Ursula von der Leyen reconduite à sa tête. Porté jusquelà par le commissaire au marché intérieur, Thierry Breton, ce DNA envisage – à la demande du lobby grands opérateurs télécoms historiques, l’Etno – une « contribution équitable » (network fees ou fair share) que seraient obligés de verser les Gafam aux « telcos » pour emprunter leurs réseaux (18). Cet « Internet à péage » (19) pourrait être le premier clou dans le cercueil de la neutralité du Net. @

Charles de Laubier

Le Média, une nouvelle chaîne autorisée par l’Arcom

En fait. Le 20 octobre, soit un peu plus de trois mois après avoir eu le feu de l’Arcom via une convention signée le 12 juillet 2023, la chaîne de télévision Le Média TV peut être diffusée sur les « box » des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) en France. Mais pour l’instant, seul Free l’accueil sur le canal 350.

En clair. Le Média veut défier les grandes chaînes d’information en continu que sont BFMTV (détenue par le groupe Altice de Patrick Drahi), LCI (du groupe TF1 de Martin Bouygues), de CNews (du groupe Vivendi de Vincent Bolloré) et de Franceinfo (du groupe France Télévisons/Radio France de l’Etat). Le président de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), Roch-Olivier Maistre, a signé le 12 juillet 2023 une convention de douze pages (1) autorisant la société éditrice Le Média à « diffuser ou distribuer » sa chaîne Le Média TV (son nom officiel) « par les réseaux n’utilisant pas des fréquences assignées par l’Arcom ».
Autrement dit, cette nouvelle venue dans le PAF (2) – au nom du pluralisme (3) – peut-être disponible sur les réseaux IPTV (« box ») et le câble (comme l’ex-Numericable d’Altice/SFR), mais pas sur les fréquences hertziennes de la TNT. Conventionnée par l’Arcom, la chaîne Le Média devait être lancée le 20 octobre sur les « box » des opérateurs télécoms Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free. Or seul ce dernier a bien voulu l’accepter sur sa Freebox où elle est accessible sur le canal 350.

La Quadrature du Net n’a pas réussi à « faire tomber » l’ex-Hadopi devant le juge européen

L’association de défense des libertés fondamentales La Quadrature du Net n’a pas convaincu l’avocat général de la Cour de Justice européenne (CJUE) que l’Hadopi – devenue, avec le CSA en 2022, l’Arcom – agissait illégalement dans le traitement des données personnelles pour la riposte graduée.

Comme la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) suit souvent – à près de 80% selon les statistiques – les conclusions de son avocat général, il y a fort à parier que cela sera le cas dans l’affaire « La Quadrature du Net versus Hadopi ». En l’occurrence, le 28 septembre 2023, l’avocat général de la CJUE – le Polonais Maciej Szpunar (photo) – conclut que la conservation et l’accès à des données d’identité civile, couplées à l’adresse IP utilisée, devraient être permis lorsque ces données constituent le seul moyen d’investigation permettant l’identification d’auteurs d’infractions exclusivement constituées sur Internet.

15 ans de combat contre la loi Hadopi
La Quadrature du Net (LQDN) est donc en passe de perdre un combat qu’elle a engagé il y a quinze ans – contre la loi Hadopi et contre l’autorité administrative indépendante éponyme pratiquant la « réponse graduée » à l’encontre de pirates présumés sur Internet de musiques et de films ou d’autres contenus protégés par le droit d’auteur.
L’association française défenseuse des libertés fondamentales à l’ère du numérique était repartie à la charge contre l’Hadopi. Et ce, en saisissant en 2019 le Conseil d’Etat – avec FDN (1), FFDN (2) et Franciliens.net – pour demander l’abrogation d’un décret d’application de la loi « Hadopi » signé par le Premier ministre (François Fillon à l’époque), le ministre de la Culture (Frédéric Mitterrand) et la ministre de l’Economie (Christine Lagarde). Ce décret « Traitement automatisé de données à caractère personnel » (3) du 5 mars 2010 permet à l’ex-Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) – devenue l’Arcom (4) en janvier 2022 par fusion avec le CSA – de gérer un fichier « riposte graduée » constitué de données obtenues auprès des ayants-droits (les adresses IP) et des fournisseurs d’accès à Internet (l’identité civile).

Pérennité et qualité des réseaux très haut débit en fibre optique : le texte de loi attend son heure

Le projet de loi « Chaize », visant à « assurer la qualité et la pérennité des raccordements aux réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique », est depuis début mai entre les mains de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale. Point d’étape. Par Marta Lahuerta Escolano, avocate of counsel, Jones Day Le 2 mai 2023, le Sénat a approuvé à l’unanimité, avec des modifications, lors de sa première lecture, la proposition de loi « Assurer la qualité et la pérennité des raccordements aux réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique », déposée par le sénateur Patrick Chaize le 19 juillet 2022. Cette proposition de loi attend d’être examinée à l’Assemblée nationale (1) où elle est entre les mains de la commission des affaires économiques. La fibre optique est devenue l’infrastructure privilégiée pour répondre à la demande croissante de connectivité à haut débit. Nombreux problèmes de raccordement Grâce à sa capacité à transmettre des données à des vitesses plus élevées et à gérer un trafic plus important que les technologies traditionnelles, la fibre optique offre des avantages significatifs. En 2022, le déploiement des réseaux FTTH (Fiber-To-The-Home) en France a progressé à un rythme soutenu, avec 4,8 millions de nouveaux locaux raccordés à la fibre (2). Le Plan France Très haut débit (3) a joué un rôle essentiel dans cette accélération, en favorisant le déploiement de la fibre optique sur l’ensemble du territoire. L’objectif de ce plan est de garantir à chaque citoyen un bon débit pour tous (> 8 Mbits/s) d’ici 2020, le très haut débit (> 30 Mbits/s) d’ici 2022, et d’atteindre une généralisation de la fibre optique jusqu’à l’abonné (FTTH) d’ici 2025 (4). La réalisation de ces objectifs nécessite une collaboration et une mobilisation collective de tous les acteurs de l’industrie de la fibre optique, comprenant les donneurs d’ordres, les opérateurs d’infrastructure, les opérateurs commerciaux, les bureaux d’études et de contrôle, les installateurs (monteurs câbleurs, tireurs de fibre, raccordeurs, etc.), ainsi que les organismes de formation. Cependant, malgré les efforts déployés pour raccorder des millions de nouveaux locaux à la fibre, des défis subsistent. Certains secteurs géographiques demeurent insuffisamment couverts et la qualité des réseaux existants peut varier considérablement (5). L’Observatoire annuel de la satisfaction client, réalisé fin 2022 et publié par l’Autorité de régulation des commu-nications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) le 18 avril 2023, met en évidence que – parmi les principales raisons d’insatisfaction des clients – la qualité de service, notamment sur les réseaux fixes, arrive en tête. Elle est suivie des problèmes liés aux contrats et à la facturation, puis des difficultés rencontrées lors de la souscription et du raccordement (6). En France, le mode de raccordement dit « Stoc », pour « sous-traitance aux opérateurs commerciaux », a été mis en place pour accélérer le déploiement de la fibre optique. Il consiste en la sous-traitance par l’opérateur d’infrastructure au profit de l’opérateur commercial, du déploiement des derniers mètres de son réseau jusqu’à l’abonné (7). Cependant, rapporte le Sénat : depuis 2018 et en raison de l’accélération du déploiement de la fibre optique, des retours du terrain ont signalé de nombreux problèmes liés aux raccordements des utilisateurs finaux à la fibre optique. Ces problèmes incluent des débranchements injustifiés, des câbles emmêlés, et d’autres dysfonctionnements. L’exposé des motifs de la proposition de loi attribue ces problèmes à la pratique de la sous-traitance en cascade pour le rac-cordement final. Face à cette problématique, la filière télécoms a pris des mesures pour améliorer la qualité des raccordements. En 2020, une feuille de route a été adoptée, ce qui a conduit à l’élaboration d’un nouveau modèle de contrat de soustraitance appelé « contrat Stoc V2 ». De plus, les opérateurs se sont engagés à renforcer la qualité des interventions et à améliorer les contrôles, avec la mise en place du « contrat Stoc V3 » (8). Néanmoins, malgré ces efforts, le Sénat estime que les initiatives volontaires entreprises par les opérateurs n’ont pas permis d’atteindre les objectifs fixés. C’est dans ce contexte que la proposition de loi a été introduite, visant à garantir la qualité et la durabilité des réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique en France. Les objectifs de la proposition de loi L’exposé des motifs de la proposition de loi établit clairement le ton et les fondements de la démarche législative : « La France est en pointe en Europe pour les déploiements, et les abonnés plébiscitent cette technologie en s’abonnant de façon massive. Mais cette réussite de transforme progressivement en échec essentiellement du fait du mode de raccordement des abonnés. Les derniers mètres, qui sont les premiers mètres vus de l’abonné, ruinent l’image du Plan France Très haut débit et sapent la résilience de ce réseau essentiel » (9). Etablir un cadre à la mise en oeuvre du raccordement final et clarifier la répartition des responsabilités, renforcer les contrôles sur la qualité du raccordement à la fibre optique et protéger les abonnés, sont les trois principaux objectifs de cette proposition de loi qui comporte cinq articles. Les mesures législatives envisagées Répartition des responsabilités L’article 1er de la proposition de loi stipule que toute personne établissant ou ayant établi dans un immeuble bâti ou exploitant une ligne de communications électroniques à très haut débit en fibre optique permettant de desservir un utilisateur final – en l’occurrence l’opérateur d’infrastructure – est responsable à l’égard de l’utilisateur final de la bonne réalisation du raccordement à un réseau de communications électroniques à très haut débit. Cette responsabilité s’applique indépendamment des modalités spécifiques de réalisation du raccordement. Effectivement, l’article 1er de la proposition de loi souligne la responsabilité de l’opérateur d’infrastructure dans le choix du mode de réalisation des raccordements à la fibre optique sur son réseau. Il insiste également sur le rôle essentiel de l’opérateur d’infrastructure en tant que garant de la qualité des travaux réalisés. Conformément à l’article 3 de la proposition de loi, cette fois, l’opérateur d’infrastructure accorde la priorité à l’opérateur commercial pour réaliser le raccordement permettant de desservir l’utilisateur final. Cependant, cette délégation est soumise au strict respect des règles de l’art par l’opérateur commercial. En revanche, l’opérateur d’infrastructure continue d’effectuer : les raccordements longs ou complexes (qui seront définis par décret) dans les zones fibrées et les communes dans lesquelles le décommissionnement du réseau cuivre est engagé ; les raccordements effectués en cas de changement de fournisseur d’accès Internet par un abonné (article 3). En sa qualité de responsable de la bonne réalisation du raccordement final, l’opérateur d’infrastructure est tenu de mettre en place un guichet unique permettant aux utilisateurs finaux de signaler les problèmes de raccordement. L’opérateur d’infrastructure dispose d’un délai maximum de dix jours à partir de la réception de la notification via le guichet unique pour résoudre les difficultés signalées (article 1er). Qualité des raccordements Le raccordement devra se conformer à des exigences de qualité minimales qui seront déterminées par un décret, après consultation de l’Arcep. Les contrats et cahier des charges liant les opérateurs d’infrastructure, opérateurs commerciaux et sous-traitants devront les respecter et l’Arcep pourra imposer des sanctions en cas de manquement à ces exigences (article 4). Afin d’assurer le respect des exigences de qualité, les contrats de sous-traitance devront se conformer à un modèle de contrat établi par l’opérateur d’infrastructure. Ce modèle de contrat devra être soumis à l’Arcep et sera opposable aux usagers. En outre, tout intervenant chargé de réaliser un raccordement devra obtenir une labellisation conformément à un référentiel national. De plus, il devra remettre à l’utilisateur final un certificat de conformité, attestant que les travaux réalisés respectent le cahier des charges qui lui est imposé. Cela garantit que les travaux sont effectués selon les normes requises et fournit à l’utilisateur final une preuve tangible de la conformité des travaux réalisés (article 1er). En cas de défaut de qualité du raccordement, l’abonné aura le droit de demander réparation de son préjudice. Utilisation des deniers publics Dans les réseaux d’initiative publique (RIP) dans lesquels les collectivités territoriales déploient les réseaux via des contrats passés dans le cadre de la commande publique, la remise du certificat de conformité mentionné précédemment est une condition préalable au paiement de l’opérateur qui a réalisé le raccordement (article 2). Dans les RIP, sur demande de l’acheteur ou de l’autorité concédante, le cocontractant devra lui transmettre le calendrier hebdomadaire de réalisation des raccordements d’abonnés finaux dans un délai qui ne peut excéder quarante-huit heures. Droit des consommateurs L’article 5 de la proposition de loi renforce les droits des consommateurs en cas d’interruption prolongée du service d’accès à Internet, en établissant des pénalités à l’encontre du fournisseur d’accès à Internet (FAI). Selon cet article, en cas d’interruption du service d’accès à Internet pendant plus de vingt jours consécutifs, le consommateur aura le droit de résilier son contrat de service d’accès à Internet sans frais, à moins que le fournisseur ne démontre que l’interruption est directement imputable au consommateur. En cas d’interruption du service d’accès à Internet pendant plus de cinq jours consécutifs, le fournisseur est tenu de suspendre automatiquement toute demande de paiement adressée au consommateur. Cette suspension perdurera jusqu’à ce que le service d’accès à Internet soit rétabli de manière continue pendant au moins sept jours ou jusqu’à ce que le consom-mateur décide de résilier le service (article 5). A l’Assemblée nationale d’examiner le texte La proposition de loi doit maintenant être examinée par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, où elle a été transmise depuis début mai dernier. Les divers acteurs impliqués devront évaluer les modalités de mise en oeuvre des mesures prévues dans la proposition de loi et travailler en collaboration pour atteindre les objectifs fixés dans le Plan France Très haut débit. @