Le commerce en ligne entre dans une phase frénétique, du Black Friday (29 novembre) au Cyber Monday (2 décembre) : 100 milliards de dollars pourraient être dépensés durant cette cyberfoire mondiale. La France n’échappera pas à ces soldes monstres sur Internet aiguillonnées par l’IA.
Il y a un an, le Black Friday – vendredi marquant le premier jour de soldes monstres sur Internet pour une période allant jusqu’au lundi suivant, le Cyber Monday – avait totalisé au niveau mondial 70,9 milliards de dollars de dépenses en ligne, dont 16,4 milliards de dollars aux Etats-Unis où est né ce plus grand rendez-vous commercial du e-commerce, débutant le lendemain du Thanksgiving (1) – à l’origine, fête de la moisson célébrée outre-Atlantique depuis 1621. Ce record devrait être battu encore cette année 2024 – du vendredi 29 novembre au lundi 2 décembre – pour s’approcher des 100 milliards de dollars de chiffre d’affaires sur ces quatre jours.
L’IA s’invite et propulse le e-commerce
Salesforce, qui, en tant qu’éditeur de logiciels de gestion de la relation client, a chiffré l’ampleur du phénomène à partir des transactions d’environ 1,5 milliard de consommateurs dans le monde (2), avait indiqué l’an dernier que les ventes à distance avaient été effectuées pour 80 % d’entre elles à partir des smartphones. Le Black Friday et le Cyber Monday sont considérés depuis des années comme le coup d’envoi des ventes de fin d’année, avec Noël comme jour-phare (solstice d’hiver), qui génèreront la plus grande part du chiffre d’affaires annuel pour les commerçants. Surtout que cette année l’inflation mondiale a encore baissé (passée de 9 % en 2022 à 4 % en 2023 et estimée à 3,1 % en 2024) et que les consommateurs ont vu leur pouvoir d’achat légèrement s’améliorer. (suite)
Autre moteur de croissance pour le e-commerce mondial : l’intelligence artificielle (IA). « L’IA générative pourrait encore changer la donne, 97 % des dirigeants de l’e-commerce considérant l’IA générative comme l’innovation la plus prometteuse de ces prochaines décennies, et 71 % des entreprises visant à la mettre en œuvre d’ici deux ans », souligne le cabinet de conseils KPMG dans une étude réalisée en France pour la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (Fevad) et publiée en septembre. L’IA générative a commencé à transformer l’e-commerce, tant en termes d’expérience client que de performance des back-offices (voir le tableau). « L’IA générative intervient à chaque étape du parcours client, de la découverte à la fidélisation, en offrant des solutions innovantes pour répondre aux besoins croissants des consommateurs. Pour se transformer en profondeur, il est essentiel de la considérer en miroir aussi bien pour ses bénéfices au service de l’expérience client que pour son efficacité dans la gestion de l’e-commerçant », explique l’étude KPMG-Fevad. Concrètement, la vente en ligne fait de plus en plus appel aux chatbots conversationnels basés sur l’IA générative. Celle-ci analyse aussi bien les conversations associées aux pages des e-commerçants pour identifier les tendances et les sentiments des clients, que les préférences, les historiques de visites et d’achats, ainsi que les recherches effectuées par chaque client pour lui apporter des conseils personnalisés plus pertinents. En back-office, l’IA générative a en outre un impact : « De nombreux géants de l’e-commerce tels qu’Amazon, Rakuten, Alibaba ou Walmart ont intégré des outils d’IA générative, voire développé leurs propres modèles de langage pour renforcer leur compétitivité dans la gestion des stocks, la prévision de la demande et l’optimisation des parcours de livraison » (3). L’IA arrive à point nommé pour les périodes à haute intensité commerciale telles que le Black Friday, le Cyber Monday et les fêtes de fin d’année. Le géant mondial du e-commerce Amazon, fondé il y a 30 ans par Jeff Bezos (photo de gauche), a en plus lancé il y a près de dix ans son propre « Black Friday » sous le nom de « Prime Day » (4). Il booste ses ventes avec l’IA, grâce à son outil Bedrock qui, disponible depuis 2023, crée des modèles de prédiction de la demande et d’optimisation des stocks en temps réel. Objectif : réduire les coûts de stockage, éviter les erreurs humaines et empêcher les ruptures de stock. « Bedrock est un service entièrement géré qui fournit un large choix de modèles de fondation (FM) très performants mis au point par de grandes entreprises d’IA comme AI21 Labs, Anthropic, Cohere, Meta, Mistral AI, Stability AI et Amazon via une seule API », explique Amazon (5). Et le 19 septembre dernier, la firme de Seattle a lancé Amelia, un nouvel assistant expert basé sur l’IA de Bedrock et destiné aux e-commerçants pour améliorer leurs ventes, promotions et publicités (6).
Nouveaux assistants d’achat intelligents
De leur côté, Rakuten (firme japonaise basée à Tokyo) et Walmart ont conclu des partenariats pour leur IA générative avec respectivement OpenAI et Microsoft Azure. Quant au chinois Alibaba, il a développé son propre grand modèle de langage (LLM, Large Language Model) pour son IA générative Tongyi Qianwen aliasQwen (7). Côté clients, Amazon a lancé en février dernier la version bêta de Rufus (8), un assistant d’achat alimenté par l’IA d’Amazon, puis l’a rendu accessible à tous les clients américains en juillet, juste avant le Prime Day. « Aux Etats-Unis, les utilisateurs ont déjà posé des dizaines de millions de questions à Rufus », indique fin octobre Amazon. « Rufus répond aux questions des clients sur leurs besoins en matière de shopping, les produits disponibles et les comparaisons. Il propose des recommandations pertinentes et facilite la découverte de nouveaux produits, enrichissant ainsi l’expérience d’achat des clients sur Amazon », explique encore Amazon.
France, 2ème du e-commerce en Europe
Le consommateur pose à Rufus des questions et obtient des informations utiles pour orienter ses achats, en fonction de ce qu’il recherche, d’une activité, d’un événement, d’un objectif ou d’autres besoins spécifiques. Ce chatbot commercial fournit aussi des questions complémentaires sur lesquelles les clients peuvent cliquer pour approfondir leur recherche. Il compare également rapidement les caractéristiques de différentes catégories de produits. Et depuis le 24 octobre, une version bêta en français de Rufus est disponible en France. « Rufus est disponible pour certains clients lors de la prochaine mise à jour de l’application Amazon Shopping. Les utilisateurs de la version bêta peuvent accéder à Rufus en cliquant sur l’icône située dans le coin inférieur droit de l’application mobile d’Amazon. Une boîte de dialogue Rufus s’ouvre sur leur écran », précise la filiale française d’Amazon (9).
La France est le deuxième plus grand marché du ecommerce d’Europe avec 159,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2023, d’après la Fevad (10), devancée par le Royaume-Uni (480 milliards d’euros) mais suivie par l’Allemagne (93,6 milliards d’euros). Selon les confédérations Ecommerce Europe et EuroCommerce, basées à Bruxelles et où l’on retrouve parmi leurs membres respectivement la Fevad et la FCD (11), le chiffre d’affaires total du e-commerce européen a connu en 2023 une croissance de 3 % (un point de mieux qu’en 2022), passant de 864 milliards d’euros à 887 milliards d’euros. Le commerce électronique dans les Vingt-sept présente des disparités régionales importantes et les e-commerçants basés dans l’Union européenne (UE) sont confrontés à une « concurrence féroce » (dixitles deux organisations professionnelles) de la part d’acteurs non européens, notamment asiatiques. « L’Europe de l’Ouest, traditionnellement le plus grand marché européen du commerce électronique B2C (12), a connu une légère baisse de 1 %, clôturant 2023 à 596 milliards d’euros. En revanche, l’Europe du Sud et l’Europe de l’Est ont affiché des taux de croissance forts, respectivement de 14 % et 15 %, avec des chiffres d’affaires atteignant 166 milliards d’euros et 17 milliards d’euros. L’Europe centrale a fait preuve de résilience avec une hausse de 8 % pour un total de 79 milliards d’euros, tandis que l’Europe du Nord a connu une baisse de 5 %, se terminant à 56 milliards d’euros », indique leur rapport commun « European E-commerce Report 2024 » publié le 10 octobre dernier (13). L’année 2024 s’annonce bien meilleure, avec une prévision de croissance revigorée de 8 %, « reflétant un rebond de la confiance des consommateurs et des dépenses en Europe ».
Ce qui amènera le marché européen du e-commerce à tutoyer les 1.000 milliards d’euros (à environ 957 milliards). Alors qu’en 2023 les Etats-Unis avec leurs 1.118 milliards d’euros et surtout la Chine et ses 1.652 milliards d’euros sont déjà au-delà de ce seuil symbolique. L’UE reste confrontée à une pléthore de nouveaux textes réglementaires européens transposés récemment : le RGPD sur la protection des données personnelles, le DSA sur les services numériques, la directive CCD sur les crédits aux consommateurs ou encore l’AI Act sur l’intelligence artificielle.
De plus en plus d’obligations européennes
« Les entreprises [du e-commerce] ont du mal à interpréter et appliquer les principes de la loi sur l’intelligence artificielle de l’UE pour concevoir de manière proactive de nouvelles expériences d’achat pérennes, y compris les retours et le service après-vente », relèvent Ecommerce Europe et EuroCommerce dans leur communiqué commun (14). Et Marc Lolivier (photo de droite p. 6), délégué général de la Fevad de préciser : « De plus, le règlement général sur la sécurité des produits [RSGP, ndlr], qui entrera en vigueur à la fin de l’année [le 13 décembre 2024], impose de nouvelles obligations aux commerçants et aux marchés du commerce électronique ». @
Charles de Laubier