L’intelligence artificielle préoccupe de plus en plus les Etats du monde entier, alors que Trump a lancé Stargate et la Chine DeepSeek. Après le 55e Forum mondial de l’économie en janvier à Davos, où il a été question d’IA, le 3e Sommet de l’IA – organisé par l’Elysée les 10 et 11 février à Paris – cherche la réplique.
N’appelez pas cette troisième édition « AI Safety Summit » (Sommet sur la sécurité de l’IA) comme ce fut le cas pour la première édition qui s’était tenue au Royaume-Uni en 2023 (1), ni même « AI Paris Summit » sur le modèle de la seconde édition qui avait eu lieu en Corée du Sud en 2024, à Séoul, sous le nom de « AI Seoul Summit » (2).
La France organise cette année ce troisième rendez-vous international sous un nom encore différent : cette fois, il s’agit du « Sommet pour l’action sur l’IA », les 10 et 11 février 2025 au Grand Palais à Paris (3). « Ce nom a été choisi car nous voyons l’IA comme une technologie, avec des opportunités et des risques – l’action c’est pour agir pour les opportunités et contre les risques, et engager des actions concrètes sur ces sujets », indique à Edition Multimédi@ la présidence de la République, Emmanuel Macron (photo) étant à l’initiative de cet événement. La nouvelle appellation est aussi moins anxiogène que celle retenue en 2023 par son ancien homologue britannique Rishi Sunak, à qui revient la paternité de ce sommet international dédié à l’intelligence artificielle lorsqu’il était Premier ministre de Sa Majesté. Si pour les deux premières éditions, la Grande-Bretagne a été respectivement organisatrice et coorganisatrice, cette troisième édition est pilotée par l’Elysée, avec l’Inde qui copréside.
Davos, Stargate, DeepSeek : l’IA dans tous ses « Etats »
Mais ce Sommet pour l’action sur l’IA a été devancé par trois événements de portée internationale touchant à l’intelligence artificielle : le premier en Suisse avec le Forum de Davos, le second aux Etats-Unis avec le projet Stargate et le troisième avec l’offensive de l’IA générative chinoise DeepSeek. Le traditionnel Forum économique mondial ou World Economic Forum (WEF) – qui se tient depuis 54 ans dans la station de ski huppée de Davos en Suisse – lui a donné une place de choix lors de sa 55e édition qui s’est déroulée du 20 au 24 janvier dernier sous le thème cette année « Collaboration pour l’ère de l’intelligence ». (suite)
Autant dire que le cru 2025 du « Davos » était placé sous le signe de l’IA, comme l’ont démontré les nombreuses sessions, débats et rapports traitant de cet enjeu mondial on ne peut plus hype. « Grâce aux progrès rapides de l’IA, de l’informatique quantique et de la blockchain, l’ère intelligente transforme tout, partout, en même temps. Parallèlement à l’évolution rapide de l’IA, le monde est témoin des progrès en biotechnologie, en informatique de pointe, en robotique et au-delà. L’interdépendance de ces technologies présente d’immenses opportunités et des défis complexes. », a souligné le Forum économique mondial.
« Etats-Unis, capitale mondiale de l’IA » (Trump)
Les usines deviennent intelligentes ; les chaînes d’approvisionnement deviennent intelligentes ; le transport et la logistique deviennent intelligents ; le secteur de la santé devient intelligent. La mondialisation de l’économie voit également le commerce international s’approprier l’IA, comme le développe le rapport intitulé « TradeTech » (4) publié par le Forum de Davos. Aucun domaine n’échappe à la déferlante IA, pas même les Etats et les gouvernements qui deviennent eux aussi intelligent. « D’ici 2034, la GovTech – la technologie gouvernementale – devrait libérer 9.800 milliards de dollars en valeur publique à l’échelle mondiale, transformant ainsi la façon dont les gouvernements fonctionnent et se connectent aux gens », rapporte Kelly Ommundsen (photo ci-contre), cheffe de l’inclusion numérique et membre du comité exécutif du World Economic Forum, en faisant référence au rapport publié lui aussi par le Forum de Davos et réalisé en collaboration avec le Centre mondial de technologie gouvernementale à Berlin et Capgemini (5).
Matt Garman, directeur général d’Amazon Web Services (AWS) était parmi les 3.000 dirigeants venus de plus de 130 pays, dont 300 gouvernementaux (60 chefs d’Etat compris), présents dans cette petite station de ski huppée helvétique : « La technologie évolue à un rythme incroyable, s’est-il étonné. Je ne sais pas si nous l’avons vue progresser aussi rapidement qu’elle l’a fait. Et je pense que l’un des défis de cela est qu’il est difficile pour tout le monde de suivre ». Le Forum de Davos a montré que de nombreuses organisations ont expérimenté l’IA à travers des projets pilotes et de preuves de concept (6). Mais la mise à l’échelle de ces efforts pour obtenir un impact durable et transformateur demeure un défi important. Les dépenses mondiales liées à l’IA dans les industries devraient atteindre environ 630 milliards de dollars d’ici 2028, dont 200 milliards de dollars pour les IA génératives (GenAI), à raison d’une croissance annuelle de 29 %, tandis que le chiffre d’affaires réalisé grâce à l’IA sera proche de 1.000 milliards de dollars cette année-là. C’est ce qui ressort du rapport « L’IA en action : au-delà de l’expérimentation pour transformer l’industrie » (7), réalisé en collaboration avec Accenture pour le WEF et l’AI Governance Alliance, organisation à but non lucratif basée à Genève. Selon une enquête de ce rapport, 65% des entreprises et administrations déclarent aujourd’hui utiliser une « GenAI » dans au moins une fonction. Mais c’est surtout l’avènement des intelligences artificielles générales (AGI), ayant la polyvalence de raisonner, d’apprendre et d’innover dans n’importe quelle tâche, qui a soulevé de sérieuses interrogations à Davos : « L’AGI sera-t-elle une force pour le progrès ou une menace pour le tissu même de l’humanité ? » (8).
Lors de son intervention en visioconférence le 23 janvier au Forum économique mondial, à peine trois jours après son investiture en tant que 47e président américain, Donald Trump a déclaré au monde entier qu’il comptait faire des Etats-Unis « la capitale mondiale de l’intelligence artificielle », en précisant à son auditoire hypnotisé : « Il y a deux jours [le 21 janvier, ndlr], Oracle, SoftBank et OpenAI ont annoncé un investissement de 500 milliards de dollars dans l’infrastructure de l’IA » (9). Le nouveau locataire de la Maison-Blanche faisait ainsi référence à son projet Stargate, comprenez « porte des étoiles ». Bien que Donald Trump n’ait pas mentionné Nvidia, le géant américain des puces pour l’IA, celui-ci fait bien partie de ce plan d’investissement en infrastructures et centres de calcul sur le sol américain « pour porter la prochaine génération d’IA ». « Dans le cadre de Stargate, Oracle, Nvidia et OpenAI collaboreront étroitement […]. Cette initiative s’appuie également sur le partenariat OpenAI existant avec Microsoft », est-il indiqué (10). Les Emirats arabes unis, via leur fonds d’investissement MGX, sont aussi appelés à prêter main forte à Stargate. Coupant l’herbe sous le pied d’Emmanuel Macron avant son Sommet de l’IA, le projet Stargate lancé par l’administration « Trump II » (11) veut contrer la Chine, dont la V3 de l’IA générative low cost DeepSeek (12) est venue bousculer la coûteuse suprématie étatsunienne et son icône Nvidia qui a lourdement trébuché en Bourse.
Washington compte aussi garder une longueur d’avance sur Bruxelles. L’Europe n’a plus qu’à adopter un plan d’industrialisation de puces IA si elle ne veut pas être disqualifiée. Avec son Sommet de l’IA, la France espère être à la hauteur des enjeux avec ses « 750 start-up dans l’IA » (13), dont sa licorne Mistral AI destinée à être « un des géants européens de l’IA ».
A Paris, une fondation de l’IA à 2,5 Mds €
Anne Bouverot, envoyée spéciale du président de la République pour l’IA, a indiqué – dans La Tribune Dimanche du 26 janvier – que sera créée « une fondation consacrée à l’IA », possiblement basée à Paris et financée à hauteur de « 2,5 milliards d’euros sur cinq ans, dont 500 millions dès cette année ». Ce sommet diplomatique impulsé par Emmanuel Macron procèdera aussi à la signature par les pays participants d’« une déclaration commune sur la nécessité d’une gouvernance mondiale » de l’IA. @
Charles de Laubier