Aux premières loges de la communication de crise dans le scandale de la firme de Patrick Drahi : Arthur Dreyfuss

Promu PDG d’Altice France il y a un an, tout en étant PDG d’Altice Media depuis juillet 2021, Arthur Dreyfuss – entré il y a neuf ans chez SFR (racheté par Altice en 2014) comme chargé des relations presse – assure la communication de crise du groupe de Patrick Drahi secoué par un vaste scandale de corruption.

En septembre, Arthur Dreyfuss (photo) fête ses neuf ans chez SFR, le deuxième opérateur télécoms en France, où il est entré comme chargé des relations avec les médias. Depuis, celui qui est devenu l’un des hommes de confiance du milliardaire franco-israélien Patrick Drahi – en tant que PDG d’Altice France et PDG d’Altice Media – n’a jamais lâché sa casquette de communicant. Dans l’affaire de corruption, de blanchiment d’argent et de fraude fiscale qui secoue depuis cet été le groupe Altice, Arthur Dreyfuss est plus que jamais sur le front de la communication. Car parallèlement à ses fonctions de PDG en France, il est resté directeur de la communication – « Head of Communications » – non seulement d’Altice France basé à Paris mais aussi d’Altice International basé au Luxembourg. Altice France est la maison mère de SFR, d’Altice Media (BFM, RMC, Next Media Solutions, …) et de XpFibre (opérateur d’infrastructure détenu à 50,01 %).

Altice International et Altice France dans la tourmente, Altice USA aussi
Tandis qu’Altice International est la maison mère d’Altice Portugal (au coeur de la fraude qui éclabousse tout le groupe), de Hot Telecom en Israël, d’Altice Dominicana (en République Dominicaine), de Teads (adtech franco-luxembourgeoise rachetée en 2017). Altice International détient aussi Fastfiber au Portugal (50 % du capital de l’ex-Altice Portugal FTTH aux côtés du fonds Morgan Stanley) et IBC Israël Broadband en Israël (à 23 %). Patrick Drahi s’est à nouveau exprimé en septembre devant des investisseurs à Londres et à New York, respectivement les 6 et 7, et en présence de dirigeants de différents pays. Arthur Dreyfuss, qui fête aussi ses 38 ans le 9 septembre, se retrouve aux premières loges du groupe Altice pour assurer une communication de crise sans précédent. Coup sur coup, le « dircom » d’Altice International et d’Altice France a publié deux communiqués à la suite de perquisitions et d’arrestations menées les 13 et 14 juillet dernier par les autorités portugaises au sein d’Altice Portugal à Lisbonne et ses filiales dans le cadre d’une enquête judiciaire pour corruption et fraude fiscale. Le Département central d’enquête et d’action pénale (DCIAP) a saisi Continuer la lecture

La vente d’Orange Studio et des chaînes OCS à Canal+ est l’épilogue d’une stratégie « contenus » sacrifiée

En cédant son bouquet de télévision OCS et sa société de production Orange Studio à Canal+ (groupe Vivendi), l’ex-France Télécom donne le clap de fin à ses ambitions hésitantes dans les contenus. Mais c’est surtout la vente d’Orange Studio (ex-Studio 37) et de son catalogue qui laisse un goût amer.

Orange Studio, c’est Frédérique Dumas (photo) qui en parle le mieux. Dans son livre « Ce que l’on ne veut pas que je vous dise », paru il y a un an chez Massot Editions, celle qui fut à partir de 2007 directrice générale de Studio 37, puis d’Orange Studio lors du changement de nom il y a dix ans, raconte par le menu la stratégie chaotique de cette société de production audiovisuelle et cinématographique de l’opérateur télécoms historique français. Productrice de cinéma et femme politique, Frédérique Dumas est aussi en novembre 2005 conseillère régionale d’Île-de-France lorsque France Télécom l’appelle (1) pour qu’elle conseille l’opérateur historique décidé à se lancer dans les contenus. « Je propose donc alors à Orange tout simplement la création d’un outil de coproduction à l’image de StudioCanal (…) sans déclencher de guerre [avec Canal+] », relate-t-elle. Et de « travailler avec tout le monde, y compris avec sa propre concurrence ». En mars 2007, soit un an après avoir remis sa « note stratégique » avec business plan à la division des contenus d’Orange et après avoir convaincu Didier Lombard (successeur en 2005 de Thierry Breton à la présidence de France Télécom), la filiale de coproduction Studio 37 est créée et nommée ainsi parce que ses bureaux étaient alors 37 rue du Cherche-Midi à Paris.

De Didier Lombard à Stéphane Richard
Le PDG de Pathé, Jérôme Seydoux, sera le premier à coproduire avec Studio 37. « Les Beaux Gosses » de Riad Sattouf sera un succès. UGC, TF1 International (droits audiovisuels) et d’autres suivront, à l’exception de Nicolas Seydoux, président de Gaumont, et de sa fille Sidonie Dumas. « Il faut le dire. S’il y a des films comme “The Artist” [de Michel Hazanavicius, ndlr], c’est grâce à Didier Lombard. S’il y a des films dits “politiques” comme ‘’Welcome’’ de Philippe Lioret, “L’Ordre et la Morale” de Mathieu Kassovitz, c’est grâce à Didier Lombard. Il était fier de Studio 37 et il venait à toutes les avantpremières », assure Frédérique Dumas. Didier Lombard lui a garanti une vraie indépendance – « Chez Orange, ils n’y connaissent rien », lui a-t-il même dit – même si le patron de l’époque lui reprochera de « provoquer une guerre avec Canal+ » après qu’elle ait accordé une longue interview publiée le 22 mai 2008 dans Le Monde sous le titre « Canal+ essaie de dissuader les producteurs de venir nous voir ». Ses propos avaient donné des sueurs froides au Continuer la lecture

Liza Bellulo (FFTélécoms) veut faire payer les GAFA

En fait. Le 12 décembre, la Fédération française des télécoms (FFTélécoms) a publié son étude annuelle réalisée par le cabinet Arthur D. Little pour faire passer le même message : les opérateurs, lourdement fiscalisés, investissent des milliards dans leurs réseaux que les GAFA utilisent sans payer.

En clair. Pour Liza Bellulo, secrétaire générale de Bouygues Telecom depuis janvier 2021 et présidente de la Fédération française des télécoms (FFTélécoms) depuis mai 2022, les rapports entre les opérateurs de réseau et les GAFA se placent sous le chiffre « 30 » : « Nous, les opérateurs télécoms au niveau européen, nous avons une capitalisation boursière totale 30 fois inférieure à celle des GAFA, lesquels paient 30 fois moins d’impôts et ils font croître nos réseaux de 30% chaque année avec des coûts qui sont induits : il faut mettre plus d’antennes, plus de liens de collecte et plus de liens de transport », a-t-elle expliqué le 13 décembre sur BFM Business. Cette énarque de 45 ans (depuis le 16 décembre) – qui fut notamment cheffe du service juridique du Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) auprès du Premier ministre, après avoir été à l’Autorité de la concurrence – veut que les GAFA mettent la main au portefeuille lorsqu’ils empreintent les réseaux des opérateurs télécoms. « Comment responsabiliser les GAFA (…) qui dimensionnent nos réseaux avec cette occupation de la bande passante à 80 %, alors qu’ils sont une poignée d’acteurs ? Il faut un signal tarifaire comme il y en a un pour l’usage de l’eau, peut-être un péage pour que l’utilisation de notre bande passante soit optimisée ». En tant que présidente de la FFTélécoms, Liza Bellulo compte beaucoup sur la prochaine consultation publique que la Commission européenne va lancer d’ici la fin du premier trimestre 2023, et pour une durée de cinq ou six mois, sur le thème plus vaste de « la régulation des réseaux » à l’ère du streaming et des métavers. Les « telcos » espèrent que, après avoir échoué à imposer un péage au GAFA dans le Digital Markets Act (DMA) adopté au niveau européen (1), cette fois-ci ce sera la bonne. « Nous espérons que l’année prochaine, à l’issue de la consultation publique, nous ayons véritablement une initiative législative. Nous avons le soutien d’une cinquantaine de députés européens et de plusieurs Etats membres, et notamment du gouvernement français », a-t-elle assurée.
Le lobby des grands opérateurs télécoms, l’Etno dont sont membres Orange et Altice (que l’on retrouve aussi dans la FFTélécoms), est à l’oeuvre et a l’oreille du commissaire Thierry Breton (2). La 12e étude réalisée par le cabinet Arthur D. Little arrive à point nommé (3). @

Conservation et accès aux données de connexion : le grand écart entre sécurité et libertés !

C’est un sujet à rebondissements multiples ! Entre textes et jurisprudence sur la conservation des données de connexion, opérateurs télécoms, hébergeurs et fournisseurs en ligne sont ballotés. Mais il y a une constante : pas de conservation généralisée et indifférenciée, et l’accès y est limité.

Par Christiane Féral-Schuhl*, avocate associée, cabinet Féral

Rappelons tout d’abord que les données de connexion désignent les informations techniques qui sont automatiquement engendrées par les communications effectuées via Internet ou par téléphonie. Il s’agit en quelque sorte des informations qui « enveloppent » un message, par exemple le nom et l’adresse IP d’un internaute, l’heure et la durée d’un appel téléphonique… Ce sont elles qui vont permettre de géolocaliser une conversation, ou de déterminer que telle personne échangeait à telle heure avec telle autre, ou encore qu’elle lui a transmis un message de tel volume.

Pas de conservation généralisée
On imagine donc assez aisément l’intérêt que peuvent avoir la collecte et l’utilisation de telles données et les atteintes que cela peut porter au droit fondamental à la confidentialité des communications. C’est précisément pour préserver le droit au respect de la vie privée que la conservation des données de connexion est interdite par principe. Les opérateurs télécoms, les fournisseurs d’accès à Internet ou encore les hébergeurs doivent donc effacer ou rendre anonymes les données relatives aux communications électroniques. Et ce, conformément à l’article 34-1 du code des postes et des communications électroniques (CPCE). Mais il existe des exceptions, envisagées immédiatement par le même texte, notamment pour prévenir les menaces contre la sécurité publique et la sauvegarde de la sécurité nationale, ainsi que pour lutter contre la criminalité et la délinquance grave. Aussi, les opérateurs de communications électroniques doivent ils conserver un certain temps – pour des raisons tenant à la défense d’intérêts publics ou privés – les données de connexion.
Ces obligations pèsent ainsi sur les fournisseurs d’accès – au cloud notamment – et d’hébergement mais aussi sur les entreprises qui fournissent un accès Wifi au public à partir d’une connexion Internet, en ce qu’elles sont assimilées à un intermédiaire technique. C’est ce que précise le même article 34-1 du CPCE : « Les personnes qui, au titre d’une activité professionnelle principale ou accessoire, offrent au public une connexion permettant une communication en ligne par l’intermédiaire d’un accès au réseau, y compris à titre gratuit, sont soumises au respect des dispositions [sur la conservation des données de connexion, ndlr] ». Ces acteurs se trouvent donc au cœur d’un arsenal sécuritaire avec des obligations qui n’en finissent pas de fluctuer au gré des réponses apportées par le législateur et/ou par le juge, tant au niveau national qu’européen.
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) rappelle, de manière constante (1) que la conservation généralisée et indifférenciée, à titre préventif, des données de connexion par les opérateurs est interdite. Cependant, elle admet qu’une restriction au droit à la vie privée est possible lorsqu’elle est justifiée par une nécessité urgente, pour une durée déterminée, et lorsqu’elle constitue une mesure nécessaire, appropriée et proportionnée au sein d’une société démocratique. Autrement dit, la haute juridiction européenne autorise l’obligation de conservation « ciblée » des données, obligation qui peut être renouvelable en cas de persistance de la menace.
C’est également la position adoptée par la CJUE qui s’est exprimée sur le sujet à deux reprises en 2022 : en avril d’abord, concernant la localisation d’appel téléphonique obtenue sur le fondement d’une loi irlandaise (2); en septembre 2022 ensuite, cette fois pour des poursuites pénales de délits d’initiés engagées sur le fondement du décret français de lutte contre les infractions d’abus de marché (3). Dans les deux cas, la haute juridiction européenne confirme que les législations nationales des Etats membres ne peuvent aboutir à la conservation généralisée et indifférenciée des données de trafic. A défaut, elle les juge contraire au droit de l’Union européenne.

En France, 3 décrets : délais de 1 à 5 ans
En France, la mise en œuvre de ce dispositif a donné lieu à l’entrée en vigueur de différentes obligations, répondant à un certain nombre de cas limitativement énumérés et pour une durée qui varie d’un an à cinq ans selon les informations concernées. Ces obligations sont prévues par trois décrets pris en application de l’article L.34-1 du CPCE, encore lui. Leur périmètre est en constante évolution, à la recherche d’un équilibre entre objectifs sécuritaires et protection de la vie privée :
Le décret n°2021-1361 relatif aux catégories de données conservées par les opérateurs de communications électroniques.
Le décret n°2021-1362 relatif à la conservation des données permettant d’identifier toute personne ayant contribué à la création d’un contenu mis en ligne (4).
Le décret n°2022-1327 portant injonction, au regard de la menace grave et actuelle contre la sécurité? nationale, de conservation pour une dure?e d’un an de certaines catégories de données de connexion (5).

Cour de cassation : les arrêts de l’été 2022
Quant à nos juridictions nationales, elles se sont penchées plus spécifiquement sur la question des personnes habilitées à avoir accès à ces données. Le législateur français a prévu que seules l’autorité judiciaire et certaines administrations – par exemple, les services de renseignement – peuvent exiger la communication des données de connexion. Le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) à l’initiative d’associations de défense des droits et libertés sur Internet (6), a considéré que les agents des douanes étaient exclus de ce périmètre. Ils ne peuvent donc pas exiger la communication de ces données (7).
La Cour de cassation a, quant à elle, apporté quelques précisions complémentaires dans plusieurs arrêts rendus au cours de l’été 2022, en juillet (8). Elle considère que l’accès aux données de connexion doit se faire sous le contrôle effectif d’une juridiction. En conséquence, le juge d’instruction – qu’elle a qualifié de juridiction indépendante et non de partie – ou une autorité administrative indépendante peuvent ordonner et contrôler les procédures d’accès aux données de connexion. En revanche, le procureur de la République, parce qu’il est une autorité de poursuite et non une juridiction, ne dispose pas de cette possibilité. En conséquence, l’accès aux données de connexion, lorsqu’il est ordonné par un procureur, serait irrégulier. De quoi remettre en cause la régularité de beaucoup de procédures pénales !
La haute juridiction française, dans ces mêmes arrêts du mois de juillet, a rappelé que la personne mise en examen, victime d’un accès irrégulier, a la possibilité de contester la pertinence des preuves tirées de ses données. De quoi permettre au juge pénal d’annuler les actes ayant permis d’accéder aux données !
La Conférence nationale des procureurs de la République (CNPR) y voit un « obstacle majeur à l’identification des délinquants et criminels », et a dénoncé les « conséquences [de ces décisions] sur la capacité des magistrats du ministère public et des enquêteurs à exercer leurs missions de manifestation de la vérité et de protection des victimes ». En dépit de cette levée de boucliers, la chambre criminelle de la Cour de cassation a entériné fin octobre 2022 (9) son analyse. Elle confirme que le juge d’instruction, qui est une juridiction, doit contrôler le respect par les enquêteurs des modalités d’accès aux données de trafic et de localisation qu’il a autorisées. Or, dans l’affaire en question, le magistrat instructeur n’avait pas autorisé en des termes spécifiques de sa commission rogatoire les réquisitions litigieuses, et ce notamment parce qu’il n’avait pas précisé la durée et le périmètre de cette commission rogatoire. La Cour de cassation a donc jugé que des réquisitions adressées aux opérateurs télécoms par les enquêteurs devaient être annulées sous réserve qu’un grief soit établi par le requérant.
La haute juridiction a précisé, dans ce même arrêt, que la preuve de ce grief suppose la démonstration de trois éléments : l’accès a porté sur des données irrégulièrement conservées ; la finalité ayant motivé l’accès aux données doit être moins grave que celle ayant justifié leur conservation (hors hypothèse de la conservation rapide) ; l’accès a dépassé les limites de ce qui était strictement nécessaire.
Le sujet a pris une dimension politique, en écho aux magistrats du Parquet. Deux sénateurs (LR) ont considéré que ces décisions « [les] privent ainsi que les forces de police judiciaire d’un outil précieux dans l’identification des auteurs de crimes ou d’infractions graves ». Yves Bouloux (10) et Serge Babary (11) ont chacun saisi le gouvernement d’une question écrite (12) afin que ce dernier prenne en urgence les mesures nécessaires afin de permettre aux procureurs de la République d’exercer leurs missions. Serge Babary a même appelé à envisager une réforme institutionnelle afin de conférer aux magistrats du Parquet les garanties d’indépendance exigées par le droit de l’Union européenne.

Les défenseurs de la vie privée veillent
Mais la question est loin de faire consensus avec ceux qui dénoncent avec force les « velléités sécuritaires du gouvernement ». En première ligne de ces défenseurs de la vie privée, il y a notamment l’association La Quadrature du Net, qui salue comme autant de bonnes nouvelles les décisions qui diminuent l’obligation de conservation des données de connexion. Ce fut le cas notamment en février 2022 à la suite de la décision du Conseil constitutionnel qui avait censuré une partie de l’obligation de conservation généralisée et indifférenciée des données de connexion. (13) Si la lutte contre la criminalité légitime l’ingérence de l’Etat, reste donc toujours et encore à positionner le curseur à bon niveau pour ne pas porter atteinte à la vie privée et aux libertés individuelles. @

* Christiane Féral-Schuhl, ancienne présidente
du Conseil national des barreaux (CNB)
après avoir été bâtonnier du Barreau de Paris, est l’auteure
de « Cyberdroit » (Dalloz 2019-2020) et co-auteure
de « Cybersécurité, mode d’emploi » (PUF 2022).

Des opérateurs télécoms alternatifs défendent la neutralité de l’Internet, le Berec à Bruxelles aussi

L’Association des opérateurs télécoms alternatifs (Aota) est montée au créneau le 17 novembre pour défendre la neutralité de l’Internet qu’elle estime menacée par le projet d’un « Internet à péage ». Le Groupement européen des régulateurs des télécoms (Berec) étaye sa position.

Ce sont une quarantaine d’opérateurs télécoms dits alternatifs et présents au niveau local et régional, tels que Eurafibre, Add-on Multimédia, Adenis, Dauphin Telecom, Netalis, Lumos, Blue Infra, ou encore Ineonet pour ne citer qu’eux parmi une quarantaine de membres regroupés au sein de l’Association des opérateurs télécoms alternatifs (Aota), qui ont défendu la neutralité du Net. Son président, Bruno Veluet (photo de gauche), lui-même fondateur de Netwo (une plateforme permettant de créer et de gérer un opérateur télécoms), est monté au créneau – dans une tribune dans Le Monde (1) – pour « dénonce[r] cette volonté de mettre des barrières à l’entrée, pour accéder au réseau ».

Non au « péage numérique européen »
Les opérateurs de réseaux, la plupart historiques, veulent en effet faire payer aux plateformes numériques – dont les GAFAM/N (2) – un droit de passage sur leurs infrastructures télécoms. Orange, Deutsche Telekom, Telefonica, Telecom Italia/Tim ou encore British Telecom/BT font depuis plusieurs mois du lobbying intense à Bruxelles, notamment auprès du commissaire européen Thierry Breton tout acquis à leur cause (3), pour que soit mis en place « un péage numérique européen » (dixit l’Aota) qui revient à « taxer les grands fournisseurs de contenus pour la transmission de leurs données sur les réseaux de télécommunication ».
Les grands opérateurs favorables à une telle mesure de « compensation directe » ou fair share, tous membres de l’association de lobbying Etno (4) basée à Bruxelles, ont l’oreille de Thierry Breton, lequel fut dans une ancienne vie président de France Télécom devenu Orange (octobre 2002-février 2005). Des eurodéputés (5) ont même pris fait et cause pour les opérateurs de réseaux. Le commissaire européen en charge du Marché intérieur prévoyait même de faire une proposition législative dans ce sens d’ici la fin 2022. Mais la Commission européenne a changé son fusil d’épaule et a prévu de lancer une consultation publique d’ici la fin du premier trimestre 2023 et pour une durée de cinq ou six mois, sur le thème plus vaste de « la régulation des réseaux » à l’ère des métavers et du streaming. Si une telle taxe venait à voir le jour, ce serait, prévient Bruno Veluet, « un coup porté à la libre concurrence, car les nouveaux entrants seront freinés, voire bloqués, alors que dans le numérique, c’est de là que vient l’innovation et l’animation concurrentielle du marché ». Ce serait aussi et surtout un coup portée à la neutralité de l’Internet, qui est le principe de non-discrimination dans l’accès au réseau et le transport des données. Ce qu’avait tant bien que mal préservé jusqu’à maintenant le règlement européen « Open Internet » du 25 novembre 2015. « Si cette législation est mise en place, elle provoquerait un Internet “à plusieurs vitesses”, menaçant la neutralité du Net, et donc potentiellement les libertés publiques, et déstabiliserait l’ensemble des équilibres économiques du secteur. (…) Il ne peut pas y avoir un Internet pour ceux qui paient (qui fonctionne bien) et un Internet de seconde zone, qui fonctionne comme il peut, pour les autres », s’inquiète le président de l’Aota. Les opérateurs alternatifs auraient, selon elle, les inconvénients du dispositif sans les avantages, « car ils ne sont pas en capacité économique de négocier l’accès à leurs réseaux face aux fournisseurs de contenus, et se verront imposer une quasi-gratuité ». Pour appuyer ses craintes, l’Aota fait référence à l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques (Berec) – dont fait partie l’Arcep en France – qui a émis des réserves sur « cette hypothèses sous-jacentes concernant la nécessité de réglementer la rémunération des grands fournisseurs de contenu et d’applications [GAFA] pour les services Internet fournisseurs de services Internet [FAI] ». Le Berec ne voit « ni fondement économique ni bénéfices tangibles à cette proposition et considère même que cette taxe pourrait entraîner un déséquilibre du marché ».

Les quinze considérations du Berec
En effet, dans sa note d’une quinzaine de pages datée du 7 octobre 2022, le Groupement européen des régulateurs des télécoms – placé sous la houlette de la Commission européenne et présidé cette année par la Néerlandaise Annemarie Sipkes (photo de droite) – conclut qu’il « n’a pas de preuve que ce mécanisme [de “compensation directe” susceptible d’être payée par les plateformes aux opérateurs, ndlr] est justifié ». Et que « la proposition des membres de l’Etno pourrait présenter divers risques pour l’écosystème Internet » (6).
Pour étayer sa démonstration, le Berec avant une quinzaine de motifs :
Internet a prouvé sa capacité à s’adapter aux conditions changeantes, notamment : l’augmentation du volume de trafic et l’évolution de la demande.
Toute mesure intervenant sur le marché doit être dûment justifiée.
Le modèle selon lequel « le diffuseur paie le réseau » – ou en anglais Sending party network pays (SPNP) – permettrait aux FAI d’exploiter le monopole de terminaison et il est concevable qu’un tel changement pourrait nuire considérablement à l’écosystème Internet.
Par conséquent, le SPNP exigerait une surveillance réglementaire et pourrait exiger une intervention.

L’Etno et le mythe du free-riding
Le trafic est demandé et donc « causé » par les clients des FAI.
Les grande plateformes et fournisseurs de contenus [GAFA, ndlr] sont également en mesure d’optimiser l’efficacité des données du contenu et des applications qu’ils fournissent.
Les coûts des réseaux d’accès fixe sont très peu sensibles au trafic, tandis que les réseaux mobiles le sont.
Les désaccords sur l’interconnexion IP concernent généralement l’accroissement de la capacité de la liaison d’interconnexion IP.
Le coût des mises à niveau du réseau qui sont nécessaires pour gérer un volume de trafic IP accru est très faible par rapport aux coûts totaux du réseau.
Les GAFA et les FAI dépendent les uns des autres.
La demande de contenu de la part des clients des FAI stimule la demande d’accès haut débit.
La disponibilité de l’accès haut débit stimule la demande de contenu.
Il n’y a aucune preuve de free-riding [à savoir que les infrastructures réseaux seraient considérées comme gratuites par les GAFA, ndlr].
Les coûts de la connectivité Internet sont généralement couverts et payés par les clients des FAI.
Une analyse plus large pourrait être effectuée sur d’autres approches liées à débat. Le Berec s’attaque notamment au mythe du freeriding, selon lequel les GAFAM/N utiliseraient les infrastructures télécoms sans compensation – totale ou partielle – pour les FAI et, par conséquent, que les coûts encourus par ces derniers ne seraient pas couverts. « Ces allégations ne sont pas nouvelles », rappelle le Berec dans ses conclusions préliminaires. Il y a dix ans déjà, en 2012 lors du Congrès mondial des technologies de l’information (WCIT 2012) organisé par l’Union internationale des télécommunications (UIT), l’Etno avait déjà plaidé pour « un mécanisme de tarification d’interconnexion particulier » déjà appelé à l’époque SPNP (Sending party network pays) et d’y faire référence dans le règlement sur les télécommunications internationales (ITR) de l’UIT. L’Etno a expliqué que son amendement n’avait d’autres buts que de s’assurer que les accords commerciaux existants de type paid peering (interconnexion IP payante) ne soient jamais interdits par des lois dans les Etats membres de l’UIT, organe des Nations Unies.
Dans sa réponse datée du 14 novembre 2012 (il y a dix ans maintenant), le Berec en a conclu : « Les deux faces du marché – les [GAFA] d’une part et les utilisateurs de ces applications d’autre part – contribuent déjà au paiement de la connectivité Internet. Rien ne prouve que les coûts de réseau des opérateurs ne sont pas déjà entièrement couverts et payés dans la chaîne de valeur Internet (des [GAFA] d’un côté, aux utilisateurs finaux de l’autre) » (7). Dans ses conclusions préliminaires du 7 octobre 2022, cette fois, le Berec est on ne peut plus clair : « Cela demeure vrai en 2022 comme en 2012 », surtout que, rappelle le groupement des « Arcep » européennes, il n’y a pas de place pour le free-riding dans les conditions actuelles de la concurrence sur le marché de l’interconnexion où les différends sont en général résolus par les acteurs eux-mêmes. Une étude de l’institut allemand Wik, publiée en février 2022, démontre d’ailleurs que les marchés du transit et du peering constituent « un écosystème d’interconnexion IP [qui] est en grande partie concurrentiel », avec des acteurs aussi variés que les opérateurs de réseaux, les FAI, les réseaux de distribution de contenu (CDN) ou encore les réseaux publics d’Internet (8).

Peering et bill & keep : tous se tiennent
A cela s’ajoute le fait que le principe historique du bill & keep permet aux opérateurs télécoms de ne pas se facturer entre eux. Bref, tout le monde se tient. L’investissement des FAI dans l’infrastructure réseau contribue à l’écosystème Internet et l’investissement des GAFA dans le contenu lui-même – et dans les plateformes numérique où ces contenus sont mis à disposition et/ou partagés – contribuent à cet écosystème global. Faire payer un droit de passage sur Internet, à la manière des octrois du Moyen-Age, présente donc un risque pour l’Internet et sa neutralité. @

Charles de Laubier