La CSNP demande à l’Etat de lancer une étude d’impact sur les communs numériques

La Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP) a publié le 8 novembre un avis sur les communs numériques. Bien qu’ouverts et gratuits, plusieurs « freins » à leur développement sont identifiés. Les Etats jouent parfois contre eux, en finançant des produits ou services similaires.

Parmi les onze recommandations que fait la Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP) – instance bicamérale et transpartisane en interaction avec Bercy – dans son avis rendu le 8novembre et intitulé «Commun numériques : vers un modèle souverain et durable », la n°5 suggère à l’Etat français de « lancer une étude d’impact économique et sociétale comparée pour les communs numériques d’intérêt général ». Et ce, « afin d’évaluer, notamment d’un point de vue comparatif, les coûts générés et évités par les communs numériques d’intérêt général ».

Clarifier les aides d’Etat dans les communs
La CSNP, dont la mission sur les communs numériques a été pilotée par Jeanne Bretécher (photo), mentionne juste en guise d’exemple où une étude comparée pourrait être pertinente : « NumAlim versus Open Food Facts ». Mais sans expliquer pourquoi. Ces deux initiatives poursuivent le même objectif : fournir des informations sur les produits alimentaires. Mais les deux sont d’origine différente, comme l’analyse Edition Multimédi@. Open Food Facts est un projet collaboratif lancé par des citoyens bénévoles pour créer une base de données libre et ouverte sur les produits alimentaires, utilisé par NutriScore, Yuka, Foodvisor et ScanUp ou encore Centipède. Alors que NumAlim est en revanche un projet initié par l’Ania (1), le lobby de l’industrie alimentaire, et opéré par la société Agdatahub (détenue par la holding API-Agro), pour créer une plateforme de données ouvertes mais aussi payantes sur les produits alimentaires. Mais au-delà du fait qu’Open Food Facts à but non lucratif est un vrai commun numérique gratuit et que NumAlim est une plateforme commerciale avec sa place de marché « BtoB » HubAlim, leurs financements diffèrent : Open Food Facts dépend principalement des contributions de bénévoles et de dons, tandis que NumAlim bénéficie du financement de la Banque des Territoires, filiale d’investissement de la Caisse des Dépôts (CDC), bras armé financier de l’Etat français.
Cet exemple illustre le deux poids-deux mesures dans la façon dont l’Etat français appréhende les « communs numériques ». La France apparaît plus encline à financer des start-up – au nom de la French Tech ou de la Start-up Nation – qu’à subventionner des projets de communs numériques d’intérêt général. Or pour ces derniers, relève la CSNP, « les modèles de financement des “start-ups”, avec prise de participation, ne sont pas adaptés ». Une telle dichotomie dans l’accès au financement opère implicitement une discrimination entre start-up et communs numériques, alors que la réglementation européenne des aides d’Etat considère les communs numériques d’intérêt général comme une activité économique classique, au même titre que des start-up. Ces communs numériques pourraient même entrer dans la catégorie des Services économiques d’intérêt général (SIEG) dont les aides publiques peuvent être plus élevées. L’étude d’impact économique et sociétale comparée que la CSNP appelle de ses vœux permettrait d’y voir plus clair sur la stratégie d’investissement de l’Etat français dans les communs numériques – que cela soit par la CDC via ses filiales Banque des Territoires et Bpifrance (2), ou par ses différents programmes d’investissement. « Cette étude pourrait être portée par la Cour des comptes, l’Inspection générale des finances [interministérielle, ndlr], France Stratégie [service du Premier ministre, ndlr] ou le Conseil général de l’économie [CGE à Bercy, ndlr] », propose la CSNP qui va même plus loin. « D’une manière générale, la CSNP souhaite que des études d’impact soient conduites sur les investissements publics dans des domaines numériques (French Tech, NumAlim, Qwant…) ». La plan gouvernemental French Tech aura dix ans fin 2023, dont la mission est installée depuis 2017 chez l’incubateur Station F fondé par le milliardaire fondateur de Free, Xavier Niel. Quel impact a la French Tech et ses 22.767 start-up (3) soutenus par l’Etat sur les communs numériques ?
Le moteur de recherche d’origine franco-allemand Qwant, cofinancé par la CDC et le groupe Axel Springer, est-il – depuis son lancement avec Emmanuel Macron à l’Elysée il y a plus de dix ans (4) – un commun numérique ou un « Google à la française » à but lucratif ? Une étude d’impact serait donc la bienvenue. D’autant que les communs numériques – ou digital commonsen anglais – sont de plus en plus répandus et utiles.

« Wiki », « Open data » ou encore « Freeware »
Ce sont par exemple : les logiciels libres comme OpenOffice ou Linux ; les plateformes comme Wikipedia ou OpenStreetMap ; les bases de données ouvertes comme Open Food Facts ou Open Library ; les « fédivers » comme les médias sociaux interopérables Mastodon ou PeerTube (5) ; les initiatives publiques comme les Géo-communs de l’IGN (6), la messagerie instantanée Tchap de la DINum (7), la formation à distance avec BigBlueButton de l’Education nationale, l’accès au droit comme Open Law de la Dila (8) et d’Etalab, ou encore le logiciel libre socio-fiscal OpenFisca de France Stratégie (9) et d’Etalab (10). @

Charles de Laubier

Eclairage sur NewsGuard, la start-up qui éloigne les publicitaires des « mauvais » sites d’actualités

NewsGuard a repéré une cinquantaine de sites web d’actualités générées par des intelligences artificielles (newsbots). Mais qui est au juste cette start-up newyorkaise traquant depuis 5 ans la mésinformation en ligne, notamment pour le compte de Publicis qui en est coactionnaire ?

Il y a cinq ans, en mars 2018, la start-up newyorkaise NewsGuard Technologies lançait la première version de son extension pour navigateurs web qui avertit les utilisateurs lorsque des contenus faisant état de fausses informations (fake news) ou relevant de conflits d’intérêt (lobbying) sont détectés sur les sites web visités. L’équipe d’analystes et de journalistes de NewsGuard évaluent la fiabilité générale et la crédibilité des sites en ligne, avec un système de notation sur 100 et de classement. A partir de 75/100, un site d’actualité devient généralement crédible.

Le français Publicis, actionnaire et client
La société NewsGuard a été cofondée en août 2017 par les deux directeurs généraux actuels et « co-directeurs de la rédaction », Gordon Crovitz (photo de gauche) et Steven Brill (photo de droite), deux vétérans de la presse américaine, notamment respectivement ancien éditeur du Wall Street Journal (Dow Jones) pour le premier et fondateur du magazine The American Lawyer et de Court TV pour le second. Parmi ses nombreux coactionnaires, il y a un géant mondial de la publicité, le français Publicis – « moins de 10 % du capital » –, nous dit Gordon Crovits – aux côtés de Knight Foundation, Cox Investment Holdings ou encore Fitz Gate Ventures (1). La relation avec Publicis est non seulement actionnariale mais aussi partenariale. Cela fait deux ans que NewsGuard et Publicis ont annoncé leur alliance pour « stimuler la publicité sur les sites d’actualité fiables ».
Le groupe publicitaire fondé il y a presqu’un siècle par Marcel Bleustein-Blanchet (dont la fille Elisabeth Badinter est toujours la principale actionnaire) identifie ainsi depuis pour ses clients annonceurs et professionnels du marketing « des plateformes publicitaires plus responsables et dignes de confiance, et des opportunités de combattre l’infodémie dans les médias ». Et surtout « pour éviter que leurs publicités financent involontairement des milliers de sites de mésinformation et d’infox » (2). L’enjeu est de taille puisque la publicité programmatique a tendance à financer aussi bien des sites de mésinformation que des sites d’actualités fiables. Dans son dernier document d’enregistrement universel pour l’année 2022, publié le 26 avril dernier, le groupe Publicis parle de « partenariat exclusif » avec NewsGuard qui « donne à tous [s]es clients accès à l’outil “Publicité responsable dans les médias” (3) permettant l’inclusion ou l’exclusion de sites, afin d’éviter que leurs publicités financent involontairement des sites d’infox ou de mésinformation/désinformation » (4). Au-delà de sa solution de «Ratings» sur la transparence des sites web d’information, NewsGuard Technologies propose aussi aux annonceurs, agences et autres sociétés de l’adtech une solution baptisée BrandGuard pour éviter que leurs publicités en ligne ne se retrouvent sur des sites web jugés non fiables ou sources de mésinformation. Ainsi, les analystes et conseillers éditoriaux de la start-up américaine – il y a même des « rédacteurs en chef » – évalue « des milliers de sites d’actualité et d’information couvrant 95 % de l’engagement en ligne dans chaque marché, pour certifier les sites d’actualité fiables, et alerter sur les domaines peu fiables qui diffusent de fausses informations dangereuses, des théories du complot, ou se font passer pour des sources d’actualité légitimes ». Ainsi, ce sont plusieurs milliers de sites web d’actualités qui sont passés au crible aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, au Canada, en Allemagne, en Italie et en France. NewsGuard Technologies se préoccupe aussi de débusquer une autre catégorie de sites d’actualités sujets à caution : les newsbots, dont les contenus sont en majorité ou totalement écrits par des intelligences artificielles (IA) et qui s’avèrent être « de qualité médiocre ».
NewsGuard en a identifié une cinquantaine et l’a fait savoir le 1er mai dernier. Ces robots d’actualités ou « fermes à contenus », ou newsbots, ont pour nom : Famadillo, GetIntoKnowledge, Biz Breaking News, News Live 79, Daily Business Post, Market News Reports, BestBudgetUSA, HarmonyHustle, HistoryFact, CountyLocalNews, TNewsNetwork, CelebritiesDeaths, WaveFunction, ScoopEarth ou encore FilthyLucre (5). Contactés par Edition Multimédi@, les deux auteurs de l’étude – McKenzie Sadeghi et Lorenzo Arvanitis – indiquent qu’ils ont aussi en France identifié Actubisontine et Commentouvrir, sites web francophones boostés à l’IA.

Détecter les textes générés par l’IA
« Malheureusement, les sites ne fournissent pas beaucoup d’informations sur leur origine et sont souvent anonymes », nous précise McKenzie Sadeghi. Tandis que Lorenzo Arvaniti nous indique que « la saisie d’articles dans l’outil de classification de texte AI (6) vous donne une idée d’un modèle selon lequel une quantité substantielle de contenu sur le site semble générée par IA ». NewsGuard a aussi soumis les articles de son étude à GPTZero (7), un autre classificateur de texte d’IA. @

Charles de Laubier

Nafstars veut devenir le « Sorare » de la musique

En fait. Le 17 juin, a été lancée la plateforme Nafstars, permettant de gagner des cartes ou des jetons en jouant selon le principe du « play-to-earn ». A l’instar de la plateforme Sorare dédiée aux fans de foot et de ses joueurs, Nafstars propose aux fans de musiciens de « gérer leur propre label avec de véritables artistes sous forme de NFT ».

En clair. Malgré l’effondrement du marché mondial des NFT ces derniers mois (1), les industries culturelles restent attirées par l’écosystème de ces jetons non-fongibles gérés et authentifiés par la blockchain. La musique n’y échappe pas. Après Audius, Bolero Music, Limewire, Pianity ou encore Tamago qui sont les pionniers de la « NFTéisation » de l’industrie musicale (2), voici un nouvel entrant : Nafstars, société niçoise cofondée par Romain Delnaud, ancien directeur de label chez Universal Music où il fut auparavant directeur des opérations internationales, Cyril Braun, producteur d’artistes à succès (Aldam Production), et Jean-David Pautet qui préside l’entreprise dont il est l’un des coactionnaires.
Ce dernier est par ailleurs coactionnaire de Sorare, plateforme française lancée en 2019 et cofinancée par Softbank pour collectionner des cartes et des jetons NFT autour de footballeurs préférés des fans. Nafstars s’en inspire pour se développer dans le domaine de la musique avec ses tokens « $Nstars » et ses cartes NFT. Attendue depuis le début de l’année, la plateforme basée sur la blockchain Polygon a été lancée officiellement le 17 juin lors d’une rencontre organisée sur la croisette à Cannes, une semaine après le Midem – Marché international du disque et de l’édition musicale – qui s’y tenait. Il s’agit d’un jeu dit « play-to-earn » (P2E), catégorie qui monte en puissance dans le Dixième art (3), « qui permet aux joueurs de gérer leur propre label avec de véritables artistes sous la forme de NFT ». Le joueur peut notamment collectionner des cartes NFT sous licence exclusive afin de constituer son propre label. Plusieurs artistes ont signé avec Nafstars (d’Eva Queen à Jacky Brown en passant par Bolemvn, Blaya et Calema), qui compte parmi ses partenaires NRJ (groupe de Jean-Paul Baudecroux), Fun Radio (groupe M6), Trace (Modern Times Group) et Universal Music (spin-off de Vivendi).
La première des majors mondiales « du disque » permet la vente de cartes physiques avec code lors des tournées des artistes. La start-up Nafstars a obtenu le soutien de la banque d’investissement publique Bpifrance, notamment pour « le paiement des minimums garantis demandés par certains ayants droits internationaux », et a annoncé en avril dernier avoir levé 1,7 million de dollars. L’ambition de la plateforme est de s’imposer dans le secteur du divertissement. @

Les promesses numériques, culturelles et audiovisuelles s’accumulent pour le 2e et dernier quinquennat de Macron

Le 8e président de la Ve République entame son deuxième et dernier mandat de cinq ans avec à nouveau des promesses, notamment numériques, culturelles et audiovisuelles. L’ancien ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique (2014-2016) poursuit sa « Start-up Nation », mais reste toujours flou sur l’audiovisuel public.

14 mai 2017-7 mai 2022. Deux investitures. Un même président de la République. Mais des promesses qui n’ont presque rien à voir avec celles d’il y a cinq ans. Même si la confrontation entre Emmanuel Macron (photo) et la candidate d’extrême droite a donné un air de déjà vu – avec une élection présidentielle remportée par le premier grâce au front républicain –, la donne a changé et les défis sont autrement plus sérieux et graves (guerre, nationalisme, pandémie, inégalités, fracture territoriale, réchauffement climatique, …). Au-delà de son discours d’investiture du 7mai 2022 rappelant l’esprit des Lumières, de la République française et de l’Europe, le toujours jeune locataire de l’Elysée (44 ans) sait qu’il doit passer rapidement aux actes. C’est dans ce contexte nouveau que le toujours 8e président de la Ve République, réélu le 24 avril, a déclaré lors de son investiture qu’il aller notamment « agir pour faire de notre pays une puissance agricole, industrielle, scientifique et créative plus forte en simplifiant nos règles et en investissant pour cette France de 2030 » ou, par exemple, « agir pour bâtir une société du plein emploi et d’un juste partage de la valeur ajoutée car la France a besoin de continuer de produire et d’innover davantage » (1). Mais il faut se référer au programme du candidat à sa réélection, présenté le 17 mars dernier, pour entrer dans le dur de ses promesses présidentielles.

Un ministère du Numérique digne de ce nom ?
Encore faut-il qu’un nouveau gouvernement soit nommé, alors que l’actuel est resté en place au moins jusqu’au vendredi 13 mai à minuit, dernier jour officiel du premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Le Premier ministre Jean Castex devrait démissionner dimanche 15 mai après avoir vu… le Pape. Dans cette phase de transition et à cinq semaines des élections législatives à l’issue incertaine pour la majorité actuelle, nul ne sait qui sera le prochain Premier ministre ou – même si deux femmes (2) ont déjà décliné l’offre du président de la République – la prochaine Première ministre : Audrey Azoulay ? Sur la composition de son gouvernement, les spéculations vont bon train. Par exemple, la future locataire de Matignon aura-t-elle un ministère du Numérique digne de ce nom ? Pour le chef de l’Etat qui fut ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique (2014-2016) et qui s’est fait le président champion de la « Start-up Nation », cette éventualité est en réflexion. Durant les deux années de restrictions sanitaires, dont trois périodes de confinement, le distanciel (télétravail, école en ligne, téléconsultations, …) a jeté une lumière crue sur la fracture numérique et le taux d’illectronisme qui sévissent en France (3). Le prochain gouvernement ne devrait plus se contenter d’un secrétaire d’Etat au Numérique.

Cédric O va quitter la politique
Cédric O, qui assume cette fonction (4) depuis mars 2019 après avoir succédé à Mounir Mahjoubi, a déjà prévenu dès l’an dernier Emmanuel Macron qu’il quittera la vie politique à l’issue du premier quinquennat où il fut aussi le porte-voix de la « French Tech » (5). Parmi la dizaine de noms qui circulent à sa succession ou pour devenir le ministre à part entière du Numérique, il y en a deux qui tiennent la corde : Eric Bothorel (55 ans), député (LREM devenu Renaissance) de la 5e circonscription des Côtes d’Armor et ancien socialiste, informaticien, coprésident du groupe d’étude de l’économie de la donnée, de la connaissance et de l’intelligence artificielle à l’Assemblée nationale ; Philippe Englebert (31 ans comme il nous l’a confirmé, et non 37 ans comme des médias l’ont écrit par erreur), actuel conseiller technique « entreprises, services financiers, attractivité et export » aux cabinets respectifs d’Emmanuel Macron et de Jean Castex, après avoir été conseiller « entreprises et technologies » de Cédric O. Autant Eric Bothorel a déjà roulé sa bosse et est élu, autant Philippe Englebert – auteur du Que sais-je ? « Les start-up en France » (PUF, 2021) – manque encore d’envergure pour briguer un ministère du Numérique de plein exercice. En revanche, ce jeune conseiller technique a le profil pour être l’un des secrétaires d’Etat rattachés à ministre du Numérique. Et pourquoi pas le secrétaire d’Etat à la Fracture numérique qu’Arthur Pinault, fondateur de SOStech, appelle de ses voeux dans une tribune parue dans Marianne le 6 mai dernier pour venir en aide aux 13 millions de Français qui en pâtissent (6). Le candidat Macron de 2017 avait promis du très haut débit sur l’ensemble du territoire national d’ici fin 2022, en attendant « la fibre pour tous » pour 2025 – repoussant de trois ans l’objectif fixé par son prédécesseur François Hollande. Non seulement il reste encore du chemin à faire en termes de taux de pénétration du très haut débit (7), mais aussi les branchements à la fibre optique se passent très mal à de nombreux endroits (8). Et selon les calculs de Edition Multimédi@, au 31 décembre 2021, le taux de pénétration du FTTH (9) en France n’était que de 48,7% d’abonnements (14,4 millions) sur le total des 29,7 millions de locaux (ou foyers) éligibles à la fibre optique de bout en bout jusqu’à l’abonné. Le président-candidat de 2022 a promis à nouveau d’« achever la couverture numérique du territoire par la fibre d’ici 2025 » (10).
D’autres engagements sont aussi avancés : « Généraliser l’enseignement du code informatique et des usages numériques à partir de la 5e », « Transformer l’Etat par le numérique » (l’appli TousAntiCovid étant citée en exemple de simplification), « 20.000 accompagnateurs pour aider les Français qui en ont besoin dans la maîtrise des outils numériques et leurs démarches quotidiennes », « Développement de la téléconsultation », « Un investissement massif dans l’innovation : robotique, numérique […]». Quant au carnet de santé numérique, il sera « accessible à tous en 2022 ».
Côté culture, Emmanuel Macron a notamment prévu pour son dernier quinquennat « un investissement pour construire des métavers européens et proposer des expériences en réalité virtuelle, autour de nos musées, de notre patrimoine et de nouvelles créations, en protégeant les droits d’auteur et droits voisins ». Autre promesse : « Une extension du Pass Culture pour accéder plus jeune à la culture ». Cette appli culturelle est créditée de 300 euros offerts pour les 18 ans, et même à partir de 15 ans depuis le 10 janvier dernier (300 euros renouvelés pendant quatre ans).
Concernant cette fois l’audiovisuel, l’acteur principal de « Macron à l’Elysée, saison 2 » est beaucoup moinsdisant que dans la « saison 1 ». La grande réforme du premier quinquennat – celle de l’audiovisuel – visait à rapprocher les sociétés audiovisuelles publiques et à simplifier la réglementation audiovisuelle sur fond de basculement numérique.

« Audiovisuel, saison 2 », par Macron
Or cette promesse d’il y a cinq ans a été sacrifiée sur l’autel du covid et remplacée par quelques mesures, dont la création de l’Arcom (issue de la fusion entre le CSA et l’Hadopi), la lutte contre piratage étendue au streaming, ou encore la contribution des grandes plateformes de SVOD au financement de films et séries françaises. Pour la « saison 2 », Emmanuel Macron promet de « supprimer la “redevance télé” et garantir l’indépendance de l’audiovisuel public ». Les producteurs sont très inquiets de cette décision (11), tandis que les industries culturelles en attendaient bien plus du président réélu (12). @

Charles de Laubier

Comment le japonais Softbank va accélérer sa conquête de l’Europe pour se refaire une santé

L’Union européenne est le nouvel eldorado du géant nippon Softbank, surtout depuis que le Français Michel Combes a été propulsé fin janvier à la tête de SoftBank Group International. Mais il en faudra plus pour désendetter le conglomérat actionnaire de Yahoo, d’Alibaba ou de T-Mobile.

« Grâce à des investissements dans des entreprises comme Yahoo! Inc., Yahoo Japan, Alibaba, Softbank Mobile, Sprint et Supercell, nous avons atteint un taux de rendement interne de 43 % sur les vingt-sept années, de 1994 à 2021 », s’était félicité l’an dernier le multimilliardaire Masayoshi Son (photo), fondateur et PDG du géant japonais Softbank. « En ce qui concerne les deux fonds Vision (1), les résultats ont été inférieurs aux attentes jusqu’au premier semestre de 2020, avait-il cependant admis. Les critiques ont laissé entendre que ma perspicacité n’était pas aussi bonne qu’avant ou que j’étais devenu trop gourmand. Toutefois, nous pouvons être fiers, depuis, de la reprise en forme de V des fonds Vision ».

(Sur)endettement et rentabilité volatile
accélérer sa conquête de l’Europe pour se refaire une santéMais Softbank est un colosse aux pieds d’argile. L’endettement est le point noir du conglomérat sans frontières. En mars 2020, au début de la pandémie de coronavirus, Masayoshi Son avait lancé en urgence un plan de sauvetage du groupe avec l’objectif de vendre pour plus de 40 milliards d’actifs afin, à la fois, de financer le rachat d’une bonne partie de ses propres actions, et de réduire sérieusement son endettement qui culminait à l’époque à près de 70 milliards de dollars. Les résultats annuels 2019/2020 (2) avaient sonné comme un coup de semonce : perte nette record dépassant les 8,3 milliards de dollars. Les effets négatifs du début de la pandémie sur les actifs du fonds d’investissement Vision et les contreperformances de la société américaine spécialisée dans les bureaux partagés WeWork (3) l’ont plombé. Les résultats annuels de l’exercice suivant, ceux de 2020/2021, ont montré que l’endettement avait finalement été réduit de plus de moitié, à 32 milliards de dollars, grâce à un bénéfice nette record de 65 milliards de dollars. Qu’en sera-t-il de l’exercice 2021/2022 en cours qui s’achèvera fin mars ? A mi-parcours de celui-ci, soit au 30 septembre dernier, Softbank était retombé dans le rouge avec une perte nette de 3 milliards de dollars sur le premier semestre. Le 8 février dernier, le troisième trimestre affiche un modeste bénéfice net de 251 millions de dollars.
Reste que depuis deux ans, Softbank a pris le taureau par les cornes pour procéder à des cessions afin de se renflouer. En avril 2020, le conglomérat a cédé le contrôle de sa filiale télécoms américaine Sprint (détenue depuis 2013) à T-Mobile US (filiale de l’allemand Deutsche Telekom) pour ne détenir que 24,7 % du nouvel ensemble ainsi fusionné (avec la possibilité d’acquérir d’autres actions sous certaines conditions). Dans la foulée, il décide de céder le fabricant britannique de semi-conducteurs ARM acquis en 2016. Un accord est trouvé en septembre 2020 avec l’américain de puces et cartes graphiques Nvidia pour lui vendre ARM 40 milliards de dollars tout en prévoyant de conserver 10% du capital – mais l’opération record dans les semiconducteurs pose des problèmes antitrust, poussant Nvidia et ARM à jeter l’éponge officiellement le 8 février dernier (4). Softbank mettra en Bourse cette filiale. Autre cession : fin 2020, le fabricant américain de robotique Boston Dynamics, acquis par Softbank en 2017 auprès d’Alphabet (la maison mère de Google), a été cédé au chaebol sud-coréen et géant de l’automobile Hyundai (le japonais y reste actionnaire à hauteur de 20 %).
C’est désormais du côté de l’Europe que se tourne Softbank pour se sortir d’affaire. En dehors du Japon, son bras armé dans la tech s’appelle SoftBank Group International (SGBI). Considéré comme le premier fonds mondial d’investissement dans le numérique, il inclut le fonds d’Amérique Latine (SoftBank Latin America Funds) et le fonds destiné à soutenir les start-up créées par des Noirs, des Latinoaméricains ou des Amérindiens (SB Opportunity Fund). C’est justement le Bolivien-Américain Marcelo Claure qui détenait les rênes de SGBI depuis mai 2018, tout en étant directeur des opérations (COO) du groupe Softbank. Mais celui-ci a démissionné en janvier de tous ses mandats en raison d’un désaccord sur ses prétentions quant à ses émoluments.

SGBI, tête de pont pour l’Europe
Son départ fut une opportunité pour le Français Michel Combes qui a été nommé à sa place à la tête de SGBI, mais sans pour autant être désigné COO du groupe Softbank. L’ancien PDG d’Altice-SFR, d’Alcatel-Lucent, de Vodafone Europe et jusqu’en avril 2020 DG de Sprint, supervisera « le portefeuille d’exploitation et d’investissement de SBGI ». L’Europe et la French Tech sont en ligne de mire. Après ContentSquare, Sorare, Vestiaire Collective ou encore Jellysmack, le nippon va avancer ses pions. Mais il faudra sans doute du temps à Michel Combes (bientôt 60 ans) pour que Masayoshi Son (64 ans) lui « serv[e] de mentor et d’ami pendant [son] mandat », pour reprendre les mots de Marcelo Claure (5) envers le PDG fondateur de la firme tokyoïte où celui-ci est resté neuf ans. @

Charles de Laubier