Les médias en ligne redoutent la transformation du moteur de recherche Google en IA générative

Plus de 25 ans après sa création par Larry Page et Sergey Brin, le moteur de recherche en quasimonopole fait sa mue pour devenir une IA générative qui aura réponse à tout. Les sites web de presse pourraient être les victimes collatérales en termes d’audience. Le chat-search présentera moins de liens.

(après que des internautes aient signalé des résultats erronés générés par « AI Overviews », Google a annoncé le 30 mai des mesures correctrices, y compris en améliorant ses algorithmes) 

Google est mort, vive Google ! Mais cet enthousiasme ne sera sans doute pas partagé par les sites de médias en ligne qui tirent jusqu’à maintenant une part importante de leurs audiences de la consultation massive du moteur de recherche Google, lorsque ce n’est pas de son agrégateur d’actualités Google News. Depuis que Sundar Pichai, le PDG d’Alphabet, maison mère de Google, a annoncé le 14 mai – lors du Google I/O 2024 – la plus grande transformation du numéro un mondial du search en un moteur d’IA générative, les éditeurs de presse en ligne s’inquiètent pour la fréquentation de leurs sites Internet. L’objet de leurs craintes s’appelle « AI Overviews », la fonctionnalité la plus « intelligente » et disruptive jamais introduite dans Google depuis son lancement il y a un quart de siècle (1). La page de résultats de recherche ne sera plus présentée de la même manière : fini la liste impersonnelle de liens donnant accès à des sites web censés répondre, après avoir cliqué, à vos requêtes courtes et souvent par mots-clés ; place à une réponse détaillée et intelligible développée par l’IA générative elle-même, en fonction de ce que vous lui avez demandé en langage naturel, avec quelques liens seulement triés sur le volet en guise de sources venant étayer la réponse et/ou le raisonnement.

Traque anonyme par des cookies publicitaires : l’Europe harmonise l’information aux internautes

Tandis que les navigateurs web Google, Safari, Firefox ou Edge ont proscrit les cookies publicitaires, les sites web continuent le suivi à la trace des internautes mais de façon anonyme, pour peu que ces derniers y aient consentis. Encore faut-il qu’ils soient bien informés avant de décider.

Pour le commissaire européen Didier Reynders (photo), en charge de la Justice (protection des consommateurs comprise), c’est l’aboutissement de longs mois de réflexion, avec les professionnels concernés, sur la manière de mieux informer les consommateurs avant de choisir s’ils acceptent – ou pas – d’être suivis à la trace lors de leur navigation sur Internet. Même si l’année 2024 annonce la fin généralisée des cookies publicitaires, les internautes ont la possibilité de consentir à livrer des données anonymes les concernant à des fins publicitaires. L’Union européenne (UE) veut harmoniser les conditions d’informations des consommateurs du Net avant de donner ou pas leur accord.

Des principes finalisés en janvier 2024
Continuer à être « tracké » ou pas ? Telle est la question. Avant de donner leur consentement individuel à chaque fois qu’ils se rendent sur un site web ou une application, les internautes européens – au nombre de 404 millions dans l’UE (1) – doivent être mieux informés. C’est l’objectif de la « réflexion sur la façon de mieux habiliter les consommateurs à faire des choix efficaces concernant les modèles de publicité basée sur le suivi » initiée il y a près d’un an par la Commission européenne et intitulée « Cookie Pledge » – en français, « Engagement en matière de cookies »).
Ce sont des principes qui devront être appliqués et respectés dans les Vingt-sept par l’écosystème du Net composé des éditeurs de sites web (ou d’applications mobiles) et des annonceurs publicitaires. Ces engagements complèteront les obligations imposées par la directive « ePrivacy » (2) et le règlement général européen sur la protection des données (RGPD), sous peine de sanctions financières infligées par les « Cnil » européennes (3). Ces principes doivent être « peaufinés » en janvier 2024 en vue de présenter une « version finale » lors du Sommet des consommateurs (European Consumer Summit) prévu à Bruxelles le 28 mars prochain (soit après la Journée mondiale des droits des consommateurs, organisée par l’ONU le 15 mars).
« La prochaine étape pour les parties prenantes, précise-t-on à Bruxelles, est de discuter de ces principes et de réfléchir à la possibilité de les adopter volontairement ». Le Comité européen de la protection des données (CEPD), lui, a déjà été consulté et donné son avis le 19 décembre dernier sur la conformité de ces principes (4). Le projet des « principes d’engagement volontaire des entreprises » vise à « simplifier la gestion par les consommateurs des cookies et des choix publicitaires personnalisés ». Ce document de travail de deux pages – intitulé « Draft Pledging Principles » (5) – pose huit principes que devront adopter les acteurs du Net qui sollicitent le consentement des internautes :
La demande de consentement ne contiendra pas d’informations sur les cookies dits essentiels ni de référence à la collecte de données basée sur un intérêt légitime. Comme les cookies essentiels [strictement nécessaires au fonctionnement du site web ou de l’application, sur l’identification sur celui-ci ou celle-ci, ou sur le panier d’achat du consommateur, ndlr] ne nécessitent pas de consentement, le fait de ne pas afficher d’informations à leur sujet dans le cadre de la demande de consentement réduira les informations que les utilisateurs doivent lire et comprendre. En outre, l’intérêt légitime n’étant pas un motif pour le traitement des données basé sur l’article 5 de la directive « e-Privacy », ils ne devraient donc pas être inclus dans la bannière des cookies. La question du traitement ultérieur des données fondé sur l’intérêt légitime devrait être expliquée dans des couches [ou niveau] supplémentaires.
Lorsque le contenu est financé au moins partiellement par la publicité, il sera expliqué à l’avance lorsque les utilisateurs accèdent au site web ou à l’application pour la première fois. A partir du moment où une entreprise génère des revenus, soit en exposant les consommateurs au suivi publicitaire basé sur la collecte et l’utilisation d’informations sur le comportement en ligne des consommateurs via des trackers, soit en vendant à des partenaires le droit de mettre des trackers sur les appareils des consommateurs via leur site web [ou application], les consommateurs doivent être informés du modèle économique en question au moins en même temps que lorsque le consentement aux cookies est requis. Demander aux consommateurs de lire des bannières complexes de cookies et seulement après qu’ils n’aient pas consenti, les exposant à un ultimatum « payer ou quitter », pourrait être considéré comme une manipulation.

Option « publicité moins intrusive »
Chaque modèle économique sera présenté de façon succincte, claire et facile à choisir. Cela inclura des explications claires sur les conséquences de l’acceptation ou du refus des trackers. La plupart des cookies sont utilisés pour mettre en œuvre un modèle économique et cette concomitance devrait donc être facilement décrite, comprise et mise en œuvre dans un panneau conjoint regroupant les accords en vertu du droit des consommateurs et le consentement en vertu de la loi (e-Privacy/ RGPD). Dans ce panneau, les options du modèle économique (c’est-à-dire « accepter de la publicité basée sur le suivi », « accepter d’autres types de publicité » ou « accepter de payer des frais ») seront présentées avec les conséquences en termes de proposition de trackers, et ce en langage simple et simple.

Lutter contre « la fatigue des cookies »
S’il est proposé de faire un suivi de la publicité ou de payer des frais, les consommateurs auront toujours le choix entre une autre forme de publicité moins intrusive. Compte tenu du nombre extrêmement limité de consommateurs qui acceptent de payer pour du contenu en ligne de différentes sortes, et du fait que les consommateurs peuvent naviguer quotidiennement sur des dizaines de sites web différents, le fait de demander aux consommateurs de payer ne semble pas une solution de rechange crédible au suivi de leur comportement en ligne à des fins publicitaires qui exigeraient légalement d’obtenir leur consentement.
Le consentement aux cookies à des fins publicitaires ne devrait pas être nécessaire pour chaque tracker. Pour ceux qui sont intéressés, dans une deuxième couche [ou niveau], plus d’informations sur les types de cookies utilisés à des fins publicitaires devraient être données, avec une possibilité de faire une sélection plus fine. Lorsque les utilisateurs acceptent de recevoir de la publicité, il convient de leur expliquer en même temps comment cela est effectué et en particulier si des cookies, y compris des cookies tiers pertinents, sont placés sur leur appareil. Il ne devrait pas être nécessaire pour eux de vérifier chaque tracker. En effet, cela peut revenir à vérifier un à deux mille partenaires différents, rendant le choix totalement inefficace soit en donnant une illusion de choix, soit en décourageant les gens de lire plus loin, les conduisant à appuyer sur les boutons « accepter tout » ou « refuser tout ». Ce principe devrait être sans préjudice de règles plus strictes dans d’autres législations sectorielles, telles que la DMA [Digital Markets Act].
Pas de consentement séparé nécessaire pour les cookies utilisés pour gérer le modèle publicitaire sélectionné par le consommateur (par exemple, les cookies pour mesurer la performance d’une annonce spécifique ou pour effectuer de la publicité contextuelle) car les consommateurs ont déjà exprimé leur choix à l’un des modèles économiques. L’une des raisons de la fatigue des cookies est que tous les types de cookies sont très souvent décrits de manière longue et plutôt technique, ce qui rend un choix éclairé complexe et lourd et de facto inefficace. Par ailleurs, dès lors que le modèle économique est précisé et accepté par le consommateur, la nécessité pour les entreprises de mesurer la performance de leurs services publicitaires ou de prévenir la fraude peut être considérée comme inextricablement liée au modèle économique de la publicité, auquel le consommateur a consenti. Les autres cookies qui ne sont pas strictement nécessaires à la fourniture du service publicitaire spécifique devraient encore nécessiter un consentement séparé.
Le consommateur ne doit pas être invité à accepter les cookies dans un délai d’un an à compter de la dernière demande. Le cookie pour enregistrer le refus du consommateur est nécessaire pour respecter son choix. Une raison majeure de la fatigue des cookies, particulièrement ressentie par les personnes les plus intéressées par leur vie privée, est que les choix négatifs ne sont pas enregistrés et doivent être répétés chaque fois qu’ils visitent un site web ou même chaque page d’un site web. L’enregistrement de ce choix est indispensable pour une gestion efficace d’un site web et pour le respect des choix des consommateurs. De plus, afin de réduire la lassitude à l’égard des trackers, un délai raisonnable, par exemple un an, devrait être adopté avant de demander de nouveau le consentement des consommateurs.
Les signaux provenant d’applications offrant aux consommateurs la possibilité d’enregistrer à l’avance leurs préférences en matière de cookies avec au moins les mêmes principes que ceux décrits ci-dessus seront acceptés. Les consommateurs devraient avoir leur mot à dire s’ils décident de refuser systématiquement certains types de modèles publicitaires. Ils devraient être habilités à le faire et la législation sur la protection de la vie privée et des données ne devrait pas être utilisée comme argument contre un tel choix, à condition que le choix automatisé ait été fait consciemment.

GAFAM, TikTok et organisations pro
Pour parvenir à ce projet de principes d’« engagement volontaire » des professionnels de l’écosystème « trackers/publicité ciblée » (6), le commissaire européen Didier Reynders a réuni autour de la table les GAFAM (Google/Alphabet, Apple, Facebook/Meta, Amazon, Microsoft), ainsi que TikTok. Des organisations professionnelles ont aussi travaillé au sein de trois groupes de travail : IAB Europe, European Publishers Council (EPC), Bureau européen des unions de consommateurs (Beuc), Federation of European Data & Marketing (Fedma), European Interactive Digital Advertising Alliance (EEDA), German Brand Association (Markenverband). Ils se sont mis à la place des consommateurs confrontés chaque jour aux différentes bannières et autres bandeaux ou panneaux sollicitant constamment leur consentement. @

Charles de Laubier

La disparition prochaine de Vivendi signe l’échec de la stratégie de synergies d’Arnaud de Puyfontaine

C’est un échec pour Arnaud de Puyfontaine, bras droit de Vincent Bolloré et stratège des synergies au sein de Vivendi. La convergence entre les métiers d’édition, de publicité et de médias n’a pas porté ses fruits, ni au sein du conglomérat ni en Bourse. L’éclatement de ses activités met fin à l’aventure Vivendi.

Avec Vincent Bolloré, ce n’est pas « Veni, vidi, vici » (le « Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu » cher à Jules César), mais plutôt « Veni, vidi, vixi » qui, en paraphrasant Victor Hugo, pourrait devenir « Vivendi est venu, Vivendi a vu, Vivendi a vécu ». Après plus de quinze ans de valorisation boursière décevante, et malgré la scission en septembre 2021 d’Universal Music, qui était soi-disant « l’arbre qui cachait la forêt », le président du directoire de Vivendi (« la forêt »…), Arnaud de Puyfontaine (photo), a échoué à faire un groupe intégré de la maison mère de Canal+/ StudioCanal, d’Editis (deuxième français de l’édition revendu en juin 2023 à Daniel Kretinsky pour pouvoir racheter le numéro un de l’édition Hachette), du groupe de presse Prisma Media et du publicitaire Havas. Dix ans après la prise de contrôle de Vivendi par Vincent Bolloré, ce dernier a décidé de façon radicale d’envisager le démembrement du groupe de l’avenue de Friedland (où est basé historiquement le siège social du conglomérat depuis l’époque de Jean-Marie Messier). Son fils Yannick Bolloré, président du conseil de surveillance de Vivendi, et Arnaud de Puyfontaine lui-même ne sont à l’origine de ce revirement stratégique (1). Passée la surprise générale, les actionnaires en sauront plus sur ce projet de split lors de la présentation des résultats annuels 2023 prévue en mars prochain.

Vivendi ne sera pas le « Disney européen » rêvé par Vincent Bolloré
Pourtant, lors de la finalisation du « rapprochement » entre Vivendi et Lagardère le 21 novembre dernier – il y a à peine 55 jours ! –, le groupe de Vincent Bolloré se « réjoui[ssait] » encore : « Cette opération lui confère une toute nouvelle dimension en confortant ses positions d’acteur majeur de la culture, des médias et du divertissement, et en devenant un leader mondial de l’édition, du travel retail et des expériences ». Ce qui allait dans le sens de la stratégie de convergence des contenus que s’échinait à mettre en œuvre Arnaud de Puyfontaine (« ADP ») depuis 2014 pour tenter de concrétiser le rêve de son principal actionnaire Bolloré de faire du conglomérat multimédia un « Disney européen ». Il y a un peu plus de deux ans, le bras droit de Bolloré faisait sien ce rêve synergique, après un premier échec retentissant de Vivendi en 2016 dans le projet avorté de « Netflix latin » envisagé un temps avec le groupe italien Mediaset, appartenant à Sylvio Berlusconi via sa holding Fininvest et nourrissant des ambitions de SVOD européenne via sa nouvelle entité MediaForEurope (MFE).

Pas de « Netflix latin » non plus, split en vue
Le « contrat de partenariat stratégique » du 8 avril 2016 entre Vivendi et Mediaset va rapidement tourner au fiasco (2). L’affaire se terminera devant les tribunaux de Milan et d’Amsterdam (3). A défaut d’« Euroflix » avec Sylvio Berlusconi, Vincent Bolloré se met en tête de faire de Vivendi le « Disney européen » et en confie la tâche à ADP. « J’aime beaucoup un dessin fait en 1957 par Walt Disney (4), que j’ai dans mon bureau, avec Mickey Mouse au milieu et sa vision qui a donné le succès de la Walt Disney Company. Comparaison n’est pas raison, mais, si l’on regarde les valeurs qui ont permis la construction de ce qui est aujourd’hui Disney, la vision de l’ensemble des équipes de Vivendi est de créer un “Disney européen”… », avait avancé le président du directoire de Vivendi, le 12 octobre 2021, lors du festival Médias-en-Seine. ADP y croyait à cette convergence, prenant à témoin le célèbre petit ours Paddington, dont les droits de propriété intellectuelle ont été acquis par StudioCanal en 2016 : « Il s’agit de créer dans l’ensemble de nos métiers des passerelles pour que nos marques et nos projets travaillent ensemble. Par exemple : Paddington est exposé à la fois à travers Canal+ (Paddington 3 a été lancé en production et série de télévision), Editis (pour des livres) et bientôt chez Prisma (pour la presse) », avait-il démontré comme la voie stratégique à suivre pour devenir ce « Disney européen » (5). Vivendi a même été appuyé en 2017 par un jeune candidat à l’élection présidentiel, un certain Emmanuel Macron, ancien ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique (2014-2016) de François Hollande. Parmi les promesses de celui qui deviendra à 39 ans le 8e président de la Ve République : « Créer les conditions de l’émergence d’un “Netflix européen” exposant le meilleur du cinéma et des séries européennes » (6). En vain. Cette ambition politico-culturelle s’est avérée sans lendemain.
Après avoir cédé en 2014 ses actifs télécoms (SFR, Maroc Telecom et GVT), soit après s’être délesté en 2013 de l’essentiel de ses parts dans Activision Blizzard (jeux vidéo), Vivendi devait devenir – selon son nouveau patron Vincent Bolloré, tout fier d’avoir acquis à l’époque Dailymotion – « un groupe mondial, champion français des médias et des contenus ». Mais l’industriel breton ne réussira pas à dissiper le flou stratégique qui entoure son conglomérat (7). Le cours de Bourse de Vivendi et sa capitalisation boursière n’ont cesser de traduire la perplexité des investisseurs sur l’une des plus anciennes valeurs cotées du CAC 40, en tant que groupe issu historiquement de la Compagnie Générale des Eaux et de Vivendi Universal de l’ère Messier.
D’ailleurs, après près d’un quart de siècle de présence, la sortie le 16 juin 2023 de Vivendi de cet indice des plus emblématiques entreprises françaises cotées et son retour le 18 décembre dernier, soit… six mois après, en disent long sur le « Je t’aime, moi non plus » du conglomérat avec les marchés financiers. Rien qu’entre septembre 2021, date de la scission d’Universal Music (encore détenu à hauteur de 10 % du capital), et aujourd’hui, malgré l’annonce en décembre 2023 du split envisagé, Vivendi a vu sa capitalisation boursière s’écrouler – passant de 38 milliards d’euros à seulement 10 milliards (8). On imagine bien Vincent Bolloré – 12e plus grande fortune de France (9) – exaspéré au point de décider le démantèlement de Vivendi décidément toujours maltraité à ses yeux. Le groupe Bolloré détenait un peu plus de 29 % du capital de Vivendi, alors que des rumeurs faisaient état depuis des mois d’une possible OPA de l’actionnaire de référence breton sur le reste du capital du conglomérat. Si le seuil des 30 % du capital était franchi, l’OPA serait obligatoire, ce que ne souhaite pas Bolloré. Pour éviter cette éventualité, le Breton a même cédé quantité de ses propres actions via sa Compagnie de Cornouaille (du nom de la région de Bretagne d’où il est originaire). A défaut d’OPA, le président désenchanté a surpris tout son monde en annonçant le 13 décembre 2023 « étudier un projet de scission de la société en plusieurs entités, qui seraient chacune cotées en Bourse, structurées notamment autour de : Canal+ […], Havas […], [et] une société d’investissement ».

Acquisitions et participations en vue
« Depuis la distribution cotation d’Universal Music Group en 2021, Vivendi subit une décote de conglomérat très élevée, diminuant significativement sa valorisation et limitant ainsi ses capacités à réaliser des opérations de croissance externe pour ses filiales », a justifié le directoire de Vivendi (présidé par ADP) auprès du conseil de surveillance (présidé par Yannick Bolloré). La « société d’investissement », elle, aura vocation à « déten[ir] des participations financières cotées et non cotées dans les secteurs de la culture, des médias et du divertissement » et « inclurait notamment la participation majoritaire dans le groupe Lagardère, un leader mondial dans l’édition et le travel retail ». A suivre… @

Charles de Laubier

Publicité et live : Netflix devient plus que jamais un concurrent frontal de la télévision traditionnelle

Publicité, live streaming, mesure d’audience : Netflix marche de plus en plus sur les plates-bandes des chaînes de télévision traditionnelles – au point de menacer leur avenir dans leurs pré-carrés nationaux. Et Nielsen commence à comparer la première plateforme mondiale de SVOD avec les TV hertziennes ou câblées. « Nous avons lancé notre partenariat de mesure [d’audience] avec Nielsen aux Etats-Unis ce mois-ci, en octobre. Nous sommes donc très enthousiastes. Nous avons une longue liste d’autres partenaires dans d’autres pays avec lesquels nous devons offrir la même capacité ; alors nous sommes impatients de le faire », a annoncé le 18 octobre Gregory Peters (photo), co-PDG (1) de Netflix, lors d’une conférence téléphonique sur les résultats du troisième trimestre. La première plateforme mondiale de la SVOD est décidée à se mesurer aux chaînes de télévision traditionnelles, au sein même du même agrégat audiovisuel – « The Gauge » – de l’institut américain de mesure d’audience Nielsen. Une révolution dans le « AAL », qui est aux Etats-Unis ce que le « PAF » est à la France (2). Les premiers résultats de « l’engagement » des téléspectateurs aux Etats-Unis portent sur le mois de septembre et montrent que Netflix s’arroge à lui seul chaque jour 7,8 % en moyenne de la part du temps d’écran TV américain. Non seulement, la plateforme de SVOD cocréée il y a plus de 15 ans par Reed Hastings coiffe au poteau les chaînes de télévision traditionnelles, mais elle se place aussi en seconde position – juste derrière YouTube – des grands streamers aux Etats-Unis. Dans le AAL, le streaming vidéo évolue en tête de l’audience audiovisuelle avec un total de 37,5 % de part du temps d’écran TV américain, bien devant la TV par câble (29,8 %) et la TV hertzienne (23 %). Accord pluriannuel entre Nielsen et Netflix C’est la première fois que Netflix voit ses contenus en streaming (séries, films, directs) mesurés par le géant américain de la mesure d’audience Nielsen aux côtés des mesures d’audience des programmes des chaînes linéaires de télévision. Octobre marque donc le mois de la concrétisation chiffrée aux Etats-Unis de l’accord pluriannuel qui avait été annoncé par Nielsen et Netflix en janvier dernier. « The Gauge » a d’abord été déployé au Mexique et en Pologne, les deux autres pays concernés par cet accord sans précédent et où les premiers résultats d’audience « TV & Streaming » ont été divulgués à partir du mois de mai (3). Pour ce faire, Netflix a souscrit aux Etats-Unis aux « données de mesure de la télévision nationale de Nielsen et aux évaluations des plateformes de streaming », et au Mexique et en Pologne aux « données d’audience multiplateformes provenant de panels de streaming sur chaque marché respectif » (4). Bascule de la télé linéaire au streaming Sur le marché américain, « The Gauge » est un exploit publicitaire et technologique puisque Nielsen a dû batailler face à la résistance de certains groupes de télévision traditionnelle. Cela a commencé l’an dernier lorsque Nielsen a signé le 16 août 2022 un accord triannuel avec Amazon pour mesurer sur Prime Video et Twitch l’audience des retransmissions exclusives des fameux Thursday Night Football (TNF), ces matchs très regardés de la ligue de football américaine NFL. Une première pour une plateforme de streaming. NBCUniversal, Paramount ou encore Warner Bros. Discovery avaient vu rouge, au point d’inciter les marques et agences publicitaires à boycotter Nielsen (5). En vain. « Le plus grand changement dans le domaine du divertissement continue d’être le passage de la télévision linéaire au streaming. Et “The Gauge” de Nielsen montre où les téléspectateurs passent leur temps – et comment leurs habitudes de consommation changent », avait déclaré en janvier Pablo Perez De Rosso (photo ci-contre), vice-président de Netflix, en charge de la stratégie, de la planification, de l’analyse et du financement de contenus. Ainsi, la firme de Los Gatos (Californie) peut, grâce à Nielsen, monétiser son audience auprès des annonceurs publicitaires, demandeurs de transparence et de comparabilité des mesures entre télé et vidéo. Depuis le lancement il y a près d’un an (le 3 novembre 2022 aux EtatsUnis) de son abonnement moins cher compensé par de la publicité, Netflix met la pression sur le marché publicitaire de la télévision linéaire, dont le potentiel mondial est d’environ 180 milliards de dollars d’après le World Advertising Research Center (Warc). La plateforme de SVOD au « N » rouge, dont le seul tarif à ne pas avoir été augmenté le 18 octobre est celui de l’offre avec publicités (à partir de 6,99 dollars par mois aux Etats-Unis, à 5,99 euros en France et à 4,99 livres sterling au Royaume-Uni), s’active pour attirer à elle les marques encore « linéarisées » (ou « enchaînées », c’est selon). Le co-PDG Theodore Sarandos, qui n’exclut pas à terme le lancement d’une formule 100 % gratuite entièrement financée par la publicité, fonde de grands espoirs sur son offre AVOD (6) à bas prix. Le potentiel pour Netflix réside dans le 0,5 milliard de foyers ayant la télévision connectée dans le monde. « Notre priorité immédiate est que Netflix devienne un achat essentiel pour les annonceurs. Au troisième trimestre 2023, le nombre d’abonnés avec publicités a augmenté de près de 70 % par rapport au trimestre précédent et représente maintenant environ 30 % de toutes les nouvelles inscriptions dans nos 12 pays publicitaires », s’est félicité Netflix dans sa lettre aux actionnaires datée du 18 octobre (7). Entre l’augmentation des tarifs d’abonnements sans publicité, la persistance de l’inflation et la concurrence accrue entre les désormais nombreuses plateformes de SVOD, Netflix risque un désengagement de ses offres « premium ». L’offre avec publicités – qui s’améliore (meilleure qualité d’image depuis avril et la fonction téléchargement à partir de novembre) – pourrait compenser les désaffections. Mais, pour l’heure, la firme de Los Gatos peut encore se targuer d’avoir augmenté son parc d’abonnés mondial, à 247,1 millions au 30 septembre 2023, en hausse de 10,8 % sur un an. Nielsen va désormais jouer un rôle crucial pour Netflix, y compris dans sa montée en charge dans le live streaming qui va concurrencer là aussi les retransmissions en direct d’événement (sportifs, culturels, …) des chaînes de télévision traditionnelles. Par exemple, sera diffusée le 14 novembre la « Coupe Netflix » (8), un événement sportif en direct d’un tournoi « épique » entre des athlètes de F1 de « Drive to Survive » et des golfeurs de « Full Swing » – deux « drama of sport » (dixit Ted Sarandos), comprenez séries sportives ou docufictions sportifs, qui rencontrent un grand succès sur la plateforme comme encore « Tour de France » (9). « Le direct est un excellent moyen d’étendre les marques de drama of sport que nous avons créées. Nous investissons massivement dans l’augmentation de nos capacités de live », a indiqué Ted Sarandos. Et pourquoi pas aussi acheter des droits sportifs pour les retransmettre en direct : dans le cadre de « Break Point », docusérie dans les coulisses du tennis professionnel (ATP et WTA) diffusé cette année, Netflix a tenté en 2022 de s’emparer des droits de diffusion de l’ATP dans certains pays européens, dont la France, avant de renoncer face à la surenchère des prix. Netflix, bien plus rentable que la TV Selon le Wall Street Journal, la plateforme s’intéresse aussi aux droits dans le cyclisme. Mais à condition que le sport en direct soit rentable : « Netflix n’est pas anti-sports, nous sommes juste pro-profits », a déjà dit Ted Sarandos (10). Le groupe de Reed Hastings – lequel est devenu en janvier 2023 président exécutif après avoir été Co-PDG et ne détenant plus que 2 % du capital – table cette année, et selon les calculs de Edition Multimédi@, sur un bénéfice net de 5,4 milliards de dollars, soit un bond de plus de 20 %, sur un chiffre d’affaires prévisionnel de 33,5 milliards de dollars, en hausse de 6,2 % par rapport à 2022. @

Charles de Laubier

Elon Musk reste déterminé à faire de X (ex-Twitter) une appli tout-en-un en s’inspirant de WeChat

Cela fera un an en octobre que l’homme le plus riche du monde (1) a racheté Twitter 44 milliards de dollars. Et il y a près de quatre mois, il a recruté Linda Yaccarino comme patronne de X pour transformer avec elle l’ex-Twitter en « everything app ». Elon Musk prend modèle sur le chinois WeChat. Souvenez-vous. Elon Musk avait annoncé la couleur en mai dernier avec la nomination de Linda Yaccarino (photo) à la tête de X Corp (ex- Twitter) : « Je suis ravi d’accueillir Linda Yaccarino en tant que nouvelle PDG de Twitter ! @LindaYacc [son ancien compte devenu depuis @lindayaX, ndlr] se concentrera principalement sur les opérations commerciales, et moi sur la conception de produits et les nouvelles technologies. Au plaisir de travailler avec Linda pour transformer cette plateforme en X, l’application universelle » (2). Bientôt sur X : appels vidéo et e-paiement Dans une interview accordée le 10 août dernier à la chaîne américaine CNBC, Linda Yaccarino a rappelé cet objectif assigné par l’hyperactif multimilliardaire : « Elon parle depuis très longtemps de X, l’application de tout [everything app]. J’ai rejoint l’entreprise pour m’associer à Elon afin de transformer Twitter en X, l’application complète ». Cette stratégie de transformation de Twitter en une appli tout-enun baptisée X est en marche depuis l’acquisition du site de microblogging en octobre 2022. « Pensez à ce qui s’est passé depuis l’acquisition, a-t-elle rappelé. Les expériences et l’évolution des vidéos en long format et des articles, s’abonner à ses créateurs préférés, qui gagnent maintenant leur vie sur la plateforme (3) ». Et de lever le voile sur la suite : « Bientôt, vous serez en mesure de faire des appels de chat vidéo sans avoir à donner votre numéro de téléphone à quiconque sur la plateforme ». Autre service en vue : permettre les paiements entre les utilisateurs et les amis et les créateurs. Plus que jamais l’ex- Twitter veut devenir une plateforme « all-in-one ». « Le changement de nom représentait vraiment une libération de Twitter, une libération qui nous a permis d’évoluer audelà d’un état d’esprit et d’une pensée hérités, s’est-elle félicitée. […] Cela va changer notre façon de nous rassembler, de nous divertir, de faire des transactions sur une seule plateforme ». Elon Musk et Linda Yaccarino se sont partagé les rôles au sein de X Corp : conception des produits et nouvelles technologies pour le premier, gestion d’entreprise, partenariats, services juridiques et ventes pour la seconde. L’une des missions de Linda Yaccarino, ancienne directrice de publicité mondiale de NBCUniversal Media (maison mère de CNBC qui l’interviewait), est d’améliorer l’expérience des annonceurs et de faire revenir ceux qui ont quitté Twitter par crainte de voir leurs publicités accolées à des messages de haine ou des contenus illicites. X a ainsi vu chuter de moitié ses recettes publicitaires, d’après les indications d’Elon Musk le 15 juillet : « Nous avons toujours un flux de trésorerie négatif, en raison d’une baisse d’environ 50 % des revenus publicitaires et d’un lourd endettement. Nous devons atteindre un flux de trésorerie positif avant d’avoir le luxe de quoi que ce soit d’autre » (4). De grandes marques telles que Coca-Cola ou Visa sont cependant revenues, mais rétablir la confiance des annonceurs est pour elle un travail de longue haleine. Linda Yaccarino s’engage directement auprès de directeurs marketing et communication pour que leurs messages publicitaires n’apparaissent pas « à côté de contenus potentiellement toxiques ». X Corp, qui ne compte plus que 1.500 employés aujourd’hui contre 8.000 avant l’acquisition, s’était notamment délesté en novembre 2022 de son équipe chargée de l’éthique et de l’intelligence artificielle. Mais le 8 août dernier, le réseau social d’Elon Musk a annoncé qu’il avait signé un partenariat exclusif avec la société de technologie publicitaire numérique Integral Ad Science (ex-AdSafe Media) pour « sécuriser les marques » sur X. L’ad-verification d’IAS est utilisée depuis des années par Twitter et d’autres comme YouTube ou TikTok, mais cette fois il s’agit d’une nouvelle technologie dite de « pré-soumission » (pre-bid) disponible uniquement en version bêta sur X durant ce second semestre (5). En outre, X a commencé à proposer aux marques l’utilisation de « paramètres de sensibilité » pour les aider à diffuser leurs publicités d’une manière qui correspond mieux à leur niveau de tolérance vis-à-vis de contenus controversés ou sensibles, sans parler d’une blocklist possible de « mots-clés dangereux » à exclure si elles le souhaitent. X veut devenir le WeChat planétaire Malgré les déconvenues (6) et le fait que X ait plutôt mauvaise presse (7), Elon Musk n’en démord pas : X deviendra progressivement un « WeChat » planétaire, sur le modèle de la plateforme all-in-one chinoise du gérant Tencent. Messagerie instantanée, média social, paiement mobile, live streaming, jeux vidéo, géolocalisation, etc. : si WeChat alias Weixin le peut, X aussi. Il n’aura échappé à personne qu’Elon Musk s’est rendu fin mai en Chine où X n’est pas accessible mais où WeChat est pour lui l’exemple à suivre. Depuis mai 2022 (8), il en rêve. @

Charles de Laubier