Le marché de la SVOD (sans pub) semble saturé ; des plateformes s’ouvrent à l’AVOD (avec pub)

The Walt Disney Company l’a confirmé le 4 mars : sa plateforme Disney+, jusqu’à maintenant par abonnement (SVOD), offrira aussi à partir de fin 2022 un accès peu cher financé par la publicité (AVOD). La pression des annonceurs est tellement forte que même Netflix pourrait céder à son tour.

« L’élargissement de l’accès à Disney+ pour un public plus large et à un prix plus bas est avantageux pour tout le monde – les consommateurs, les annonceurs et nos conteurs », a justifié Kareem Daniel (photo), président de Disney Media and Entertainment Distribution (DMED), lors de la confirmation faite le 4 mars du lancement d’ici fin 2022 aux Etats-Unis et courant 2023 pour le reste du monde – d’une offre moins chère de Disney+ financée par de la publicité. Et Rita Ferro, présidente en charge de la publicité chez DMED d’ajouter : « Depuis son lancement, les annonceurs réclament à cor et à cri la possibilité de faire partie de Disney+ » (1).

Disney cède à la pression des annonceurs
La pression des annonceurs en quête d’espaces sur les services de streaming vidéo, encore très dominés dans les foyers par les plateformes par abonnement et sans publicités (SVOD), est telle que The Walt Disney Company a dû céder aux sirènes des marques. Pourtant, en juin 2021, devant des investisseurs réunis par le Credit Suisse, le PDG du groupe, Bob Chapek, avait écarté l’idée d’une offre financée par la publicité (AVOD) : « Nous n’avons pas de tels plans maintenant. Nous sommes satisfaits des modèles que nous avons en ce moment », avait-t-il assuré (2).
Neuf mois après, c’est le contraire. C’est surtout le moyen d’espérer engranger plus rapidement des abonnés, certes low cost, afin de parvenir à son objectif d’atteindre lors de son exercice 2024 (clos fin septembre) de 230 à 260 millions d’abonnés au total à Disney+, soit cinq ans après son lancement aux Etats-Unis. Pour le mythique conglomérat du divertissement et major d’Hollywood, qui fêtera son centenaire en octobre 2023, ce serait la consécration de son déploiement mondial réussi dans le streaming – sous la houlette de Bob Chapek, successeur de Bob Iger depuis plus de deux ans maintenant (3). La date de lancement et le prix allégé par rapport aux 7.99 dollars par mois actuels (ou 8,99 euros) seront connus dans le courant de l’année. Conséquence de l’ouverture dès cette année de Disney+ à l’AVOD, outre le fait que Disney+ Hotstar (4) fasse déjà de la publicité en Inde et en Asie du Sud-Est, ce marché mondial de l’« Advertising Supported Video on Demand » devrait largement dépasser les 66 milliards de dollars en 2026, selon Digital TV Research : « Je pense que les nouvelles prévisions seront supérieures, mais nous les publierons en mai prochain », indique Simon Murray, son analyste principal, à Edition Multimédi@. Autrement dit, dans quatre ans, les revenus en termes d’abonnements de l’AVOD devraient pouvoir plus que doubler par rapport aux 3,7 milliards de chiffre d’affaires réalisés en 2021 dans les 138 pays observés. Les Etats-Unis demeureront sans surprise à la tête de ce marché, suivis par la Chine, le Japon, le Royaume-Uni ou encore l’Inde (voir tableau page suivante).
Digital TV Research pourrait devoir revoir encore à la hausse ses prévisions si Netflix se décidait à son tour à franchir la clôture pour aller voir du côté de l’AVOD si l’herbe y est vraiment plus verte… Ce que le numéro un mondial de la SVOD au logo rouge n’exclut pas. C’est du moins ce qu’a laissé entendre son directeur financier, Spencer Neumann, à la conférence « Technology, Media & Telecom » de Morgan Stanley le 8 mars dernier : « Ne jamais dire jamais, a-t-il répondu à ce sujet. Ce n’est pas quelque chose dans notre plan en ce moment. [Mais] ce n’est pas comme si nous avions la religion d’être contre la publicité. (…) Il est difficile pour nous d’ignorer que les autres le font, mais pour l’instant cela n’a pas de sens pour nous » (5). Cette réponse de Normand ressemble à celle que faisait Bob Chapek, le patron de Disney, il y a neuf mois…
Le PDG de Netflix, Reed Hastings, pourrait ne pas laisser son rival Disney+ prendre trop d’avance sur ce terrain publicitaire, d’autant que le rythme des nouveaux abonnés ad-free (sans pub) au « N » rouge a ralenti au cours des derniers trimestres, entraînant l’action de la firme de Los Gatos (Californie) dans une chute de plus de 40 % depuis le début de l’année.

Netflix et Amazon Prime Video ralentis
Un accès à Netflix moins coûteux que l’abonnements actuels – de 9,99 dollars à 19,99 dollars par mois, ou de 8,99 euros à 17,99 euros – permettrait peut-être d’inverser la tendance baissière. Plus globalement, en l’état des offres ad-free et des forces en présence, les prévisions montrent que Netflix devrait être dépassé par Disney+ en 2028, d’après Digital TV Research. La montée en puissance des plateformes HBO Max, conjuguée à la plateforme Discovery+ une fois que Warner Bros. Discovery sera opérationnel cette année (6), et Paramount+ (Paramount Global, ex- ViacomCBS), devrait néanmoins pressuriser le parc d’abonnés des deux leaders.
Si l’on rajoute Peacock lancé il y a près de deux ans par NBCUniversal, filiale de Comcast, la question de l’encombrement du marché de la SVOD – proche de la saturation – reste posée dans un marché toujours en croissance. A cette prolifération de l’offre de plus en plus chère, s’ajoute le casse-tête des mots de passe (7), avec le risque de pousser certains à préférer le piratage au légal.

L’AVOD, menace sur les chaînes TV
Selon Digital TV Research, les abonnements mondiaux à la SVOD augmenteront de 550 millions entre 2021 et 2027 pour atteindre 1,75 milliard. La Chine et les Etats- Unis représenteront ensemble près de la moitié (48 %) de ce total mondial dans cinq ans. « Certains ont affirmé récemment que le marché américain de la SVOD était au point de saturation. Même si nous nous attendons à une certaine décélération pour les acteurs plus établis [Netflix et Amazon Prime Video, ndlr], il reste encore beaucoup à faire pour les plateformes plus jeunes comme Disney+, Paramount+ et HBO Max », a nuancé Simon Murray le 17 février dernier. La vidéo à la demande financée par la publicité n’est pas nouvelle. YouTube et Dailymotion sont les plateformes pionnières dans ce domaine. La plate-forme Hulu, lancée la même année que celle de la mise en ligne de Netflix (en mars 2 0 0 7 ) e t d é tenue aujourd’hui majoritairement par Disney (depuis avril 2019) aux côtés de Comcast, s’est développée d’abord avec de la publicité. Des formules d’abonnements ont ensuite été proposées, comme Hulu + Live TV. Peacock joue sur les deux tableaux : de la publicité sur les options « Free » et « Premium », et ad-free avec « Premium Plus ». Quant aux service HBO Max, jusqu’alors faisant partie de WarnerMedia (groupe AT&T), il ne voulait pas entendre parler de publicités. Du moins jusqu’à l’an dernier, se décidant à rajouter une option ad-supported. Et une fois que HBO Max et Discovery+ auront fusionnés, SVOD et AVOD pourraient cohabiter. Selon un rapport de Tubi (le service de streaming gratuit de Fox), entre 20 % et 46 % des foyers américains – selon le nombre d’abonnements SVOD par foyers (de un à cinq ou plus) – regardent aussi des services d’AVOD (8).

140 millions d’Américains ciblés
Aux Etats-Unis, le cabinet d’études et d’informations eMarketer a montré le 10 mars dernier (9) que les plateformes vidéo avec publicités attirent plus de 140 millions d’Américains en 2022, soit 41,6 % de la population étatsunienne. Ses prévisions tablent sur 171,5 millions d’Américains en AVOD d’ici 2026, soit près de la moitié de la population (49,5 %). Sur fond de bataille entre les ad-free et les adsupported, ce sont les chaînes de télévision le plus souvent nationales – payantes et gratuites – qui pourraient être les victimes collatérales de l’avancée de ces acteurs OTT (Over-the-Top) globaux. @

Charles de Laubier

Amazon s’apprête à lancer en France « Prime Video » et « Video Direct » à l’assaut de Netflix et YouTube

Dernière ligne droite avant le lancement – probablement cet été en France et
dans d’autres pays – d’Amazon Prime Video, le service de SVOD du géant du
e-commerce. Objectif : détrôner Netflix. Quand à la plateforme de partage Amazon Video Direct, également attendue en 2016, elle vise YouTube.

Amazon Prime Video, le service de SVOD du géant du e-commerce, ne cesse de s’enrichir de séries et de films français. Ses deux dernières acquisitions ont été faites auprès de StudioCanal, la filiale de production et de distribution de films
du groupe Canal+. Il s’agit du thriller « Le Bureau des Légendes » (« The Bureau ») et de la comédie dramatique « Baron noir »,
deux séries actuellement diffusées en France par Canal+ qui
les a financées. Ce n’est pas la première fois que StudioCanal
et Amazon s’associent.

En France cet été, comme en Autralie ?
En novembre 2014, ils avait déjà prolongé un « accord pluriannuel » pour l’exploitation de films au Royaume-Uni et en Allemagne sur à l’époque « Amazon Instant Video », lequel service obtenait les droits exclusifs en première fenêtre de télévision payante
sur tous les films de StudioCanal dans ces deux pays (« Non Stop », « Paddington », « Hunger Games », …).
En décembre dernier, Amazon avait aussi signé un accord de distribution sur plusieurs années avec cette fois EuropaCorp, le studio de cinéma de Luc Besson. La film d’action « Le Transporteur-Héritage » (« The Transporter Refueled ») sera le premier titre disponible sur Amazon Prime Video, suivi du thriller « Shut In » et de la comédie « Nine Lives ». D’autres films d’EuropaCorp seront aussi disponible à terme sur la plateforme SVOD d’Amazon : « Blockbusters », « Taken » ou encore « Lucy ».
Amazon cofinance en outre « The Collection », une coproduction avec France Télévisions et BBC Worldwide, dont le tournage en France et au Pays de Galles – notamment par le studio indépendant français Fédération Entertainment – devait s’achever fin mai sur le thème de Paris dans l’après-Seconde Guerre mondiale. Cette série (8 x 52 mn) sera diffusée en France sur France 3 et sans doute pas la suite sur Amazon Prime Video.
La firme de Jeff Bezos (photo) accélère ainsi l’enrichissement de son catalogue de films et séries en multipliant les accords de diffusion en France, où la plateforme Amazon Prime Video devrait être lancée. Netflix a pris de l’avance sur l’Hexagone, depuis son lancement en septembre 2014, et compterait environ 1million d’abonnés. Pour l’heure, Amazon Prime Video n’est disponible qu’aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Autriche et au Japon.

En France, où le service Prime s’appelle « Premium », le catalogue vidéo de séries
et de films n’est pas encore accessible. Mais le lancement d’Amazon Prime Video en Australie, prévu a priori en août prochain (1), pourrait donner le coup d’envoi d’une nouvelle expansion internationale – dont ferait partie la France (2).
Amazon a préparé le terrain lors du 69e Festival international du film de Cannes (lire encadré page suivante), où quatre productions dont le géant du e-commerce a les droits de distribution faisaient partie de la sélection officielle : « Café Society » de Woody Allen (qui s’est engagé auprès d’Amazon de créer sa première série télé sur Amazon Prime Video (3)), « The Neon Demon » de Nicolas Winding Refn, « The Handmaiden » de Park Chan-wook, « Paterson » de Jim Jarmusch.
Amazon va jusqu’à faire des pieds de nez à la chronologie des médias, même aux Etats-Unis, où le film « Chi-raq » de Spike Lee – premier film produit par Amazon Studios – a été diffusé lors de sa sortie fin 2015 simultanément dans quelques salles
et en streaming sur Amazon Prime Video – ce qui a fait frémir certains inconditionnels des fenêtres de diffusion. En France, lors de la présentation de la sélection officielle du Festival de Cannes, le délégué général du festival Thierry Frémaux – interrogé par un journaliste américain du Hollywood Reporter à propos d’Amazon au regard de la chronologie des médias – avait tenu à préciser que les films présentés à Cannes et distribués par Amazon sortiraient d’abord dans les salles de cinémas avant d’être proposés en streaming sur Internet… Amazon ne veut en tout cas pas laisser seul Netflix perturber la chronologie des médias (4).

Des exclusivités « Not on Netflix »
Quoi qu’il en soit, la firme de Jeff Bezos tente de se positionner comme une alternative à Netflix, quitte à mettre en avant les films et séries estampillés « Prime Member Exclusives: Not on Netflix » et ses propres productions telles que « Transparent »,
« Mozart in the Jungle », « Man in the High Castle » ou encore le futur long-métrage
« Untitled Woody Allen Project » (5). Certaines de ses productions originales ont été primées aux Golden Globes et plébiscitées par le public. A signaler qu’Amazon finance par ailleurs la comédie « Jean-Claude Van Johnson », où l’acteur belge Jean-Claude Van Damme aura le premier rôle. Amazon produit aussi des série télé telles que
« Alpha » ou « Beta », et a lancé en avril sa première série documentaire en partenariat avec le magazine The New Yorker. Les premiers épisodes de « The New Yorker Presents » (une demi-heure chaque) ont été montrés au MipDoc, en avril dernier à Cannes (6).

16 films par an, candidats aux Oscars
Jeff Bezos veut clairement décrocher un Oscar après avoir obtenu en 2015 cinq Emmys avec « Transparent ». Dans un entretien au quotidien allemand Die Welt en décembre dernier, il a indiqué que son groupe avant l’ambition de produire 16 films
par an.
Malgré cette montée en puissance dans la production audiovisuelle et cinématographique, Amazon Prime Video a du mal à se faire une place, coincé entre YouTube et Netflix. Aux Etats-Unis, selon un sondage de Morgan Stanley portant sur la satisfaction des consommateurs vis à vis des services de SVOD, Amazon ne recueille que 5 % d’avis positifs pendant que Netflix et HBO s’arrogent respectivement 29 % et 18 % d’opinions favorables. Et selon une étude de Parks Associates cette fois, Netflix pèse 52 % des abonnements des offres vidéo en OTT (Over-The-Top) avec 52 % des abonnements, quand Amazon représente seulement un peu plus de 20 % des abonnés.
La vidéo est plus que jamais au cœur de l’écosystème Prime d’Amazon. Faisant figure de bouquet de services en ligne, où sont proposés des livraisons gratuites de produits achetés sur les sites web du géant du e-commerce (dont la livraison dans l’heure Prime Now), ainsi que de plus en plus de contenus numériques tels que la vidéo, de la musique ou encore des livres numériques, Prime est largement développé aux Etats-Unis, avec quelque 50 millions d’abonnés (7), mais monte en puissance en Europe. Pour faciliter le recrutement de nouveaux abonnés, Prime est non seulement payable
à l’année (99 dollars ou, en Europe, 49 euros) mais aussi désormais par mois sans engagement et résiliable à tout moment. Objectif : attirer des utilisateurs périodiques ou tentés par Amazon mais hésitant à franchir le pas, tandis que ceux décidés à s’abonner pour un an auront un tarif annuel 25 % moins élevé que le paiement mensuel sur douze mois.
Cela ne l’empêche pas de proposer depuis avril dernier une offre d’Amazon Prime Vidéo distincte de son écosystème composite Prime, afin de séduire ceux qui seraient tenter d’aller s’abonner chez Netflix ou tout simplement de les inciter à essayer son service de SVOD en version HD voire ultra-HD pour seulement 8,99 dollars par mois sans engagement et en consommation illimitée. L’objectif de ce service de séries et de films en streaming, lancé il y a cinq ans, est clairement de marcher sur les plates-bandes de Netflix, dont l’abonnement commence à 7,99 par mois mais haute définition. Amazon propose aussi à ses utilisateurs de tablette Kindle Fire HD ou d’application Amazon de regarder des contenus en mode hors ligne, afin de se différencier de Netflix qui ne propose pas cette facilité d’usage. Reste à ce que le lecteur Prime Video soit bien supporté par les appareils de diffusion vidéo tels que l’Apple TV ou le Chromecast de Google, comme avec ses propres produits (Fire TV et Fire TV Stick). Or, ce n’était pas le cas. Du coup, depuis l’automne dernier, Jeff Bezos refuse de les vendre sur les sites marchands d’Amazon… @

Charles de Laubier

ZOOM

Amazon Video Direct, bientôt en France, à la conquête de YouTube
C’est en France, le 15 mai dernier sur la Croisette que le géant du e-commerce a annoncé le lancement prochain sur l’Hexagone de la plateforme d’hébergement et de monétisation vidéo Amazon Video Direct (8). Déjà disponible depuis le mois dernier
aux Etats-Unis, en Allemagne, en Autriche, au Royaume-Uni et au Japon, Amazon Video Direct se veut un concurrent de YouTube (Google) et de Dailymotion (Vivendi).

Présent au Festival de Cannes, le directeur d’Amazon Studios, Jason Ropell, a expliqué que cette nouvelle plateforme selfservice était particulièrement destinée aux créateurs de vidéo souhaitant partager et monétiser leurs œuvres – par la publicité ou en mode payant à la demande. Selon l’accord de licence, il sera versé aux détenteurs des vidéos 50 % des revenus tirés de la location ou de la vente du titre, ou 55 % des recettes publicitaires générées dans la partie gratuite du site web. Il est en outre proposé d’inclure les vidéo produites dans le service Amazon Prime Video. Les créateurs pourront alors percevoir 0,15 dollar par heure de visionnage de leurs films aux Etats-Unis, ainsi que 0,06 dollar dans les autres pays. Amazon a fixé un plafond annuel à 500.000 heures par titre, limitant le versement à 75.000 dollars maximum par an et par vidéo mise en ligne. Un bonus de 1 million de dollars est par ailleurs mis en jeu chaque mois à destination des cent premiers titres à succès d’Amazon Video Direct au niveau mondial. Le premier versement sera effectué sur la base des performances enregistrées entre le 1er et le 30 juin.
Au moment du lancement d’« AVD » dans cinq premiers pays, il y a plus d’un mois maintenant, Amazon revendiquait plus d’une quinzaine de partenaires médias ou cinéma – parmi lesquels : Condé Nast Entertainment, The Guardian, Mashable,
Samuel Goldwyn Films, Mattel, Xive TV. @

Après Allbrary et Qobuz, Xandrie veut s’enrichir d’autres sites en ligne dans la culture et le divertissement

Déjà opérateur de la bibliothèque digitale Allbrary et nouveau propriétaire de la plateforme de musique en ligne Qobuz, la société Xandrie prévoit d’autres acquisitions « de sites d’information ou de ventes de contenus » pour devenir « le spécialiste international de la culture et du divertissement digital ».

Par Charles de Laubier

Denis Thébaud« Xandrie souhaite adjoindre à son offre d’autres sites dans le domaine de la culture et du divertissement, que ce soit des sites d’information ou de ventes de contenus. Nous prévoyons de nouvelles acquisitions en 2016 et 2017 ; nous avons plusieurs cibles. Notre scope est large, pour autant qu’il serve la stratégie Xandrie de devenir le spécialiste international de la culture et du divertissement », indique Denis Thébaud (photo), PDG de Xandrie, dans un entretien à Edition Multimédi@.
Fondateur de cette société créée en 2012, dont il détient environ 80 % du capital (1), il est aussi PDG du groupe Innelec Multimédia (coté en Bourse) qu’il a créé il y a 32 ans pour la distribution physique de produits tels que jeux vidéo, DVD, logiciels, CD audio, consoles ou encore objets connectés (2). Denis Thébaud a aussi créé il y a 20 ans la société Focus Home Entertainment (aussi cotée en Bourse), le troisième éditeur français de jeux vidéo (3) dont il est actionnaire à plus de 50 %.

« 15 millions d’euros dans Qobuz d’ici 2020 »
En faisant l’acquisition fin décembre de Qobuz, la plateforme de musique en ligne de haute qualité sonore, Xandrie rajoute une corde à son arc – et prévoit d’autres acquisitions. « Notre premier projet est Allbrary qui, comme Qobuz, se veut être une verticale de Xandrie. Qobuz sera donc préservé au sein de notre groupe, avec son identité propre et ses équipes dédiées. Au-delà de la somme de reprise qui est raisonnable, nous allons consentir sur les cinq prochaines années des investissements pour développer cette pépite musicale qui a beaucoup d’avenir : 10 millions d’euros
en marketing et 5 millions en développement technique », nous précise-t-il (4).
Ainsi, d’ici à 2020, la société de Denis Thébaud injectera plus – soit un total de 15 millions d’euros – que les 13 millions d’euros levés par Qobuz auprès des fonds de capital-risque Innovacom et Sigma Gestion depuis sa création par Yves Riesel usqu’ici son PDG (5), et Alexandre Leforestier. Cette reprise de Qobuz par Xandrie fait suite à une décision du Tribunal de commerce de Paris qui, le 29 décembre dernier, a prononcé la reprise des actifs de la plateforme musicale par Xandrie, à l’exception
du passif.

Qobuz : la pépite française donne de la voix
Qobuz avait été placé en redressement judiciaire le 9 novembre, après une période
de plus d’un an d’observation durant laquelle aucun repreneur ne s’était manifesté, après que les actionnaires de la plateforme musicale aient refusé de renflouer la société. Le report de l’entrée en Bourse de Deezer, décidé en octobre, a sans doute rendu sceptiques les investisseurs sur le modèle économique des services d’écoute
en ligne. Denis Thébaud nous a confié qu’il a regardé le dossier durant ces douze derniers mois, sans prendre de contact avant le mois d’octobre, tandis qu’une autre société (Son Vidéo Distribution) présentait une offre de reprise concurrente. « Notre offre était la mieux disante, elle garantissait la reprise de quasiment tous les salariés. C’est un challenge important que nous nous sommes fixés et nous voulons attendre l’équilibre en quatre ans », ajoute Denis Thébaud.
Une quarantaine de personnes travaillent aujourd’hui pour Qobuz, dont les locaux sont basés à Paris dans le 19e arrondissement. Le chiffre d’affaires de la plateforme musicale pour l’année en cours devrait dépasser les 10 millions d’euros, contre 7,5 millions en 2015 (au lieu de 12,5 millions espérés initialement…) et 6,4 millions en 2014. Les derniers chiffres connus sur Qobuz faisaient état d’environ 21.500 abonnés et de plus de 100.000 utilisateurs actifs par mois. « La clientèle que nous visons en Europe, d’abord, apprécie la musique haute qualité car elle a de l’oreille et dispose souvent d’équipements Hifi très performants. C’est une clientèle qui apprécie le streaming, qualité CD [16-Bit/44,1 Khz, ndlr], mais télécharge aussi beaucoup pour posséder sa musique et l’utiliser à sa guise. Notre abonnement “Sublime” à 219,99 euros par an,
qui est “notre offre la plus chère”, est plébiscitée par ces amateurs car elle offre le streaming qualité CD, et aussi des prix préférentiels sur le téléchargement en qualité Hi-Res 24 Bits », explique le PDG de Xandrie. En mai dernier, Qobuz a revendiqué être le premier service de musique en ligne européen à être certifié « Hi-Res Audio », label de haute qualité sonore – Hi-Resolution Audio (HRA) – décerné par la prestigieuse Japan Audio Society, association nippone des fabricants de matériel audio. Au printemps dernier, Qobuz avait d’ailleurs protesté contre l’utilisation trompeuse par le service de musique Deezer du terme « Haute-Résolution » pour qualifier la qualité de son service « Elite ». La plateforme française a en outre noué des partenariats avec des fabricants de matériels Hifi et hightech tels que Sony, LG, HTC, Samsung, Sonos, Devialet, Linn, Lumin, Bluesound ou encore Google (Chromecast). « Au-delà de la musique, nos amateurs apprécient la qualité de la documentation, les livrets, la présentation des artistes et tous les partis pris du site pour faire découvrir en permanence des perles musicales, classique, jazz, rock, etc. », ajoute Denis Thébaud. Qobuz et ses 30 millions de titres musicaux, assortis de métadonnées enrichies, vont migrer sur le cloud d’Amazon (AWS), tandis que l’été prochain sera lancée une offre familiale (Qobuz Family) et une solution « voiture connectée » avec CarPlay d’Apple
et Android Auto de Google.
Au sein de Xandrie, Qobuz et Allbrary seront deux marques complémentaires. Au-delà des synergies possibles entre les deux, il y aura une « mutualisation des moyens et des équipes » dans les fonctions supports : administration, finance, juridique, relations avec les ayants droits, systèmes d’information, … Les deux verticales vont continuer à se développer en Europe (pays anglophones et germanophones) et à l’international (6). Qobuz est déjà ouvert dans neuf pays (7). Quant à la marque « Allbrary The Digital Library », elle a été déposée sur les Etats-Unis, le Canada, la Chine, le Japon, l’Inde
et l’Algérie. Allbrary, que Edition Multimédi@ avait révélé fin 2012 dans le cadre d’une interview exclusive avec Denis Thébaud (8), se veut la première bibliothèque digitale réunissant – dans sa version bêta – six univers différents : ebooks, films et séries, jeux vidéos, logiciels, création digitale et partitions musicales. Viendront ensuite la presse et la musique. Et c’est en toute discrétion qu’Allbrary a ouvert un service de vidéo à la demande (VOD), en version bêta là aussi (allbrary.fr/vod), destiné au marché français et permettant dans un premier temps de louer et de visionner des films et séries. Les vidéos sont en effet proposées en streaming et sous forme de location en ligne (sur
48 heures), le téléchargement définitif étant prévu dès cette année, en attendant l’abonnement SVOD. Selon nos informations, Xandrie a choisi l’agrégateur VOD Factory, lequel édite déjà les services vidéo de SFR, de Tevolution ou encore de
la Fnac.

Allbrary sortira de sa bêta mi-2016
La bibliothèque digitale sera accessible sur tous les écrans. « Allbrary est disponible sur Windows, Android et sera disponible sur iOS en mai prochain. Dans un mois environ [en février], nous aurons une nouvelle version bêta plus évoluée, et c’est vers mi-2016 que nous commencerons réellement notre développement commercial », nous a-t-il confié. Allbrary, qui dépasse les 80.000 références d’œuvres culturelles est accessible soit par le site web Allbrary.fr, soit par des applications pour smartphones et tablettes, et bientôt directement sur des terminaux et des téléviseurs connectés. @

Charles de Laubier

Ubisoft et Gameloft : à quoi joue vraiment Vivendi

En fait. Le 14 octobre, Vivendi annonce qu’il entre au capital de d’Ubisoft et
de Gameloft, participations portées le 20 octobre à respectivement 10,39 % et 10,20 %. Les frères Guillemot, fondateurs des deux sociétés françaises de jeux vidéo (Yves et Michel étant leur PDG), cherche à contrer l’OPA hostile.

En clair. C’est Guillemot contre Bolloré. C’est cinq contre un : les cinq frère Guillemot – Yves, Claude, Michel, Gérard et Christian (lesquels détiennent 9% du capital et 16 % des droits de vote de la société cotée) – contre le milliardaire Vincent Bolloré, président du conseil de surveillance du Vivendi, lequel s’est emparé à la hussarde, et coup sur coup en moins d’une semaine, d’un peu plus de 10 % dans le capital de chacune de leur société de jeux vidéo. Ubisoft Entertainment est le numéro trois mondial des jeux vidéo (« Assassin’s Creed », « Les Lapins Crétins », «Watch Dogs », …), valorisé près de 3 milliards d’euros. Le groupe familial, qui fêtera ses 30 ans l’an prochain, fut fondé par Yves Guillemot, son actuel PDG.

Gameloft a été fondé il y a plus de 15 ans, par Michel Guillemot, son actuel PDG.
« Nous allons étudier toutes les options possibles, y compris auprès de nouveaux partenaires. Cela pourrait par exemple être des acteurs qui créent des plates-formes et qui ont besoin de contenus », a indiqué le 28 octobre Yves Guillemot, dans Les Echos, en dénonçant l’« agression » dont faisait l’objet son groupe. Pour lui, Vincent Bolloré se comporte « comme un activiste ». Il estime en outre que « Vivendi a un conflit d’intérêt avec Ubisoft car il détient 6 % du capital d’un concurrent Activision Blizzard ». Avant que Vincent Bolloré n’en prenne les rênes, Vivendi avait vendu en 2013 la majeur partie de ses parts dans Activision Blizzard – numéro un mondial des jeux vidéo, devant Electronic Arts et Ubisoft – pour un total cumulé de plus de 10 milliards de dollars (1). Vivendi ne détient plus que 6 % d’Activision.

Mais pourquoi avoir fermé la porte du jeu vidéo en vendant Activision, dont les franchises et licences sont mondialement connues telles que « Call of Duty »,
« Skylanders », «World of Warcraft » ou encore « Diablo » (2), si c’est pour revenir deux ans après sur ce marché par la fenêtre ?

A l’époque, Vivendi affichait encore 13,4 milliards d’euros de dette. Ce qui l’aurait poussé à sacrifier Activision – pourtant rentable (la plus rentable alors des activités médias) – sur l’autel du désendettement (3)… Cette fois, avec Ubisoft- Gameloft, le conglomérat français recentré sur les contenus (Canal+, Universal Music, Dailymotion, D8/D17, iTélé, …) veut-il faire un coup financier ou construire un vrai projet industriel ? Faites vos jeux… @

 

Comment Webedia (Fimalac) entend venir en aider à l’industrie culturelle française

Webedia prévoit de doubler son chiffre d’affaires à 100 millions d’euros en 2015. Pour Véronique Morali, sa présidente, la filiale digitale de Fimalac – holding de son compagnon Marc Ladreit de Lacharrière – veut être le porte-drapeau numérique de l’industrie culturelle française dans le monde. Les acquisitions vont se poursuivre.

(Depuis la publication de cet article, Le Monde révèle le 1er avril que Fimalac « semble aujourd’hui le candidat le plus probable »  pour les 49 % de Dailymotion, Emmanuel Macron, ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique, préférant des partenaires européens)

Véronique Morali« Notre vision est que nous pouvons être facilitateur de la transformation digitale des filières dans le divertissement et l’industrie culturelle. Et le cinéma est un bon exemple. Nous avons trouvé qu’il était judicieux de devenir partenaire du CNC (1) quand
il a lancé (en janvier dernier) son offre de mise en avant des films français [http://vod.cnc.fr, ndlr], en apportant notre savoir-faire digital dans le cadre de la recomposition de place qu’il est en train de mener », a déclaré Véronique Morali (photo), présidente du directoire de Webedia et présidente de Fimalac Développement, devant l’Association des journalistes médias (AJM), le 9 mars dernier (2).
Le site web Allociné – que Webedia a acquis en juillet 2013 – propose aux internautes de voir les films en les louant ou les achetant sur des plateformes tierces de vidéo à la demande (VOD) vers lesquelles ils sont orientés. A terme, les télécharger directement pourrait être proposé.

Cinéma, jeux vidéo, mode/beauté, cuisine/gastronomie et tourisme
Webedia veut qu’Allociné soit plus qu’un simple site web de référence du cinéma. « Plutôt que d’organiser en tant que CNC le référencement des offres légales, nous lui avons dit de profiter (en se mettant en dessous) de ce que l’on fait depuis vingt ans chez Allociné pour les fiches-films. Tous les mois sur Allociné, il y a environ 250 millions de fiches-films qui sont consultées par mois, et sur lesquelles les offres de VOD dites vertueuses sont référencées », a expliqué Cédric Siré, PDG de Webedia, présent aux côtés de Véronique Morali.
En revanche, Webedia ne compte pas aller sur le terrain de la VOD : « Car entrer sur ce marché, cela demande un premier investissement de 30 et 40 millions d’euros à mettre sur la table pour se payer aujourd’hui un catalogue (de films) à distribuer. Ce n’est pas notre modèle. Nous préférons le modèle média », a justifié le fondateur de Webedia.
Le cinéma fait partie des cinq thématiques verticales – avec les jeux vidéo, la mode/beauté, la cuisine/gastronomie, et le tourisme – sur lesquelles le groupe Fimalac a décidé d’investir en Europe et à l’international (3). « Avec nos verticales, nous voulons être partenaire de la recomposition digitale de filières pour le divertissement. L’industrie culturelle est beaucoup travaillée par le groupe Fimalac, avec tout un pôle entertainment [production de spectacles et exploitation de salles (4), ndlr]», a indiqué Véronique Morali. Et Cédric Siré de poursuivre : « Nous avons choisi ces cinq thématiques où l’on est capable de devenir des numéros un mondiaux et où nous estimons que la France a une légitimité, voire une forme d’exception ». Sur chacune
de ces cinq domaines culturels, Webedia s’appuie sur un triple modèle économique :
la publicité (e-pub programmatique, vidéo, opérations spéciales, …), les services (aider notamment les marques à devenir elles-mêmes des médias), et le e-commerce (comme la billetterie). Cédric Siré a aussi dit que les cinq verticales n’avaient pas vocation à aller jusqu’à faire de la presse papier (« Nous ne savons pas faire »).

En revanche, après avoir investi 240 millions d’euros depuis l’acquisition de Webedia (Pure People, Allociné/Côté Ciné, Jeuxvidéo.com/Millenium, 750g, …), Fimalac va
plus que jamais continuer à faire des acquisitions dans chacun de ces cinq secteurs culturels du divertissement. « Nous avons un actionnaire en quête de pépites et de développement, dans le cadre d’un capitalisme familial bien compris (donc très rigoureux dans la gestion et la rentabilité). On ne peut pas dire que l’on ait des limites. On ne peut pas acheter Google, c’est clair ! », a lancé Véronique Morali. Et pourquoi pas Dailymotion ? « Ce n’est pas à vendre, d’abord. C’est une belle affaire mais ce n’est pas à vendre pour Orange », a-t-elle répondu (5). « Au niveau mondial, on est déjà le deuxième groupe français digital derrière Dailymotion », s’est en tout cas félicité Véronique Morali. S’il n’y pas de limite, une acquisition à 1 milliard d’euros ? « Je ne sais pas, franchement… Si vous avez de bonnes idées, vous me les passez. Ce que
je peux vous dire, c’est qu’on étudiera cette offre ! Nous n’avons pas de limites, si ce n’est la limite de la liquidité de Fimalac. Et encore, Marc de Lacharrière dirait que l’on des capacités d’emprunts qui sont intactes puisque l’on a zéro dette », a-t-elle poursuit.

Fimalac, consolidateur culturel
Dans un univers du divertissement très fragmenté, Fimalac affirme ainsi son ambition d’être un acteur numérique de l’industrie culturelle française et un consolidateur sur le mode build-up (6) (dixit Véronique Morali). Le groupe du milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière en a les moyens, notamment depuis la cession en décembre de 30 % de l’agence de notation Fitch, dont il détient encore 20 %. Ce qui lui a rapporté l’équivalent de plus de 1,5 milliards d’euros. @

Charles de Laubier