SVOD : pourquoi Free et Molotov sont contre Salto

En fait. Depuis le 3 juin, Salto – la future plateforme de SVOD commune à France Télévisions, TF1 et M6 – a commencé à faire ses premiers pas en version bêta fermée. Prévu initialement au printemps, son lancement a été reporté à l’automne. Retour sur deux farouches opposants au projet : Free et Molotov.

En clair. Ce n’est finalement pas un double salto qu’a exécuté le service de SVOD cofondé par le groupe public France Télévisions et les deux majors privées du PAF, TF1 et M6, mais un saut de puce. Après deux reports successifs, au lieu d’un lancement prévu initialement au premier trimestre puis à la date du 3 juin finalement abandonnée, Salto ne sera pas disponible avant septembre – sinon à l’automne. C’est la pandémie de coronavirus qui a eu raison du calendrier de mise en ligne (1). Mais Salto aurait-il été prêt en temps normal ? Rien n’est moins sûr. Rivaliser avec Netflix et Amazon, voire avec Disney+ ou Apple TV+, ne s’improvise pas.
En outre, Thomas Follin, DG de Salto, a indiqué le 1er juin à l’AFP que les 15.000 heures de programmes promis pour le lancement commercial initial n’avaient pas été atteints. Mais il assure que cette profondeur de catalogue (2) sera au rendez-vous à l’automne, avec « à terme » 20.000 heures – sans parler des chaînes qui seront proposées en flux direct. Avec un abonnement entre 5 et 10 euros, cette plateforme payante – propulsée notamment par le groupe public déjà financé par la redevance annuelle – ne manquera pas de soulever des questions au regard des 138 euros (en 2020) que paient déjà les Français (3). Le service sera accessible sur Internet (OTT), mais aussi via des « box » si les négociations avec Orange et Bouygues Telecom aboutissent. Et avec Free et SFR ?
Selon La lettre A du 26 février dernier, Free a déposé un recours auprès du Conseil d’Etat contre l’autorisation accordée le 12 août 2019 à Salto par l’Autorité de la concurrence (ADLC), laquelle a confirmé ce recours (4). L’opérateur télécoms de Xavier Niel (Iliad) craint une concurrence déloyale de Salto visà- vis des « box » dans la diffusion de chaînes – en direct ou en replay –, ainsi que la constitution d’un « cartel vis-à-vis des distributeurs » (dixit un courrier de Free à l’ADLC en juillet 2019 révélé par Electron Libre). Concernant SFR, cette fois, l’opérateur télécoms de Patrick Drahi (Altice) a pactisé en octobre 2019 avec Molotov (à défaut de pouvoir l’acheter) pour distribuer durant trois ans cette plateforme de télé en ligne fondée par Pierre Lescure et Jean-David Blanc. Pas question pour SFR de distribuer Salto, d’autant que l’ADLC a rejeté le 30 avril la saisine de Molotov contre Salto pour dénoncer les « liens structurels entre les groupes M6, TF1 et FTV ». @

La bataille vidéo du court et du long s’intensifie

En fait. Le 22 avril, Netflix a annoncé deux fois plus de nouveaux abonnés que prévu au premier trimestre, grâce au confinement, pour en totaliser 182,9 millions dans le monde. De son côté, Quibi – plateforme de vidéos courtes lancée le 6 avril – a été téléchargée 1,7 million de fois lors de sa première semaine.

En clair. La bataille entre longs-métrages pour écran de télévision principalement et vidéos courtes plus adaptées aux smartphones est engagée. Concurrencé par Amazon Prime Video, Disney+, Apple TV+ et très progressivement par Peacock (NBCUniversal/Comcast), puis bientôt par HBO Max (WarnerMedia/AT&T) qui sera lancé le 27 mai prochain, Netflix doit aussi faire face à un nouveau challenger : Quibi. Cette nouvelle plateforme vidéo, créée en août 2018 par Jeffrey Katzenberg – ex-président de Walt Disney Studios (1984-1994) avant de cofonder DreamWorks Animation – a l’ambition d’être le « Netflix » du court-métrage vidéo de qualité hollywoodienne. Elle-même devenant rivale non seulement des plateformes vidéo pour smartphones telles que les françaises Brut et Loopsider (lancée respectivement en 2016 et en 2018) et chinoise TikTok, mais aussi des américaines YouTube (Google), Instagram (Facebook) ou encore Snapchat (Snap), Quibi entend se différencier avec des productions originales. Mais que l’on ne s’y méprenne pas : si chaque épisode que cette nouvelle plateforme OTT Video par abonnement (1) ne dépasse pas les 10 minutes, il n’en constitue pas moins mis, bout-à-bout, de vrais séries ou courts-métrages – lorsque ce ne sont pas in fine de longs-métrages. « Nous payons jusqu’à 100.000 dollars la minute pour nos longs-métrages », a confié Meg Whitman (2), la directrice générale de Quibi, dans un entretien à l’AFP, au siège social de l’entreprise à Los Angeles (propriété de la holding WCI One, domiciliée à Beverly Hills).
Séries, comédies, documentaires, sports, actualités, … Il y en a pour tous les goûts, surtout pour la « Génération smartphone ». Les 10 minutes maxi sont surnommées « Quick bites » – des « bouchées » (d’où le nom « Quibi ») – mais promettent de « Big stories », d’après le slogan de l’application mobile disponible seulement sur Google Play et App Store. « Environ 1,7 million de téléchargements ont été enregistrés sur la première semaine suivant son lancement aux Etats-Unis et au Canada le 6 avril dernier », s’est félicitée Meg Whitman le 13 avril sur la chaîne américaine CNBC (3). Les formats courts font des émules chez les créateurs et producteurs, comme l’a montré la 10e édition du Nikon Film Festival avec la remise de ses dix Prix (4) à des films courts de 2 minutes 20 chacun. @

La neutralité de l’Internet se retrouve prise en étau entre le coronavirus et le gouvernement

C’est la double peine pour les Français : non seulement ils doivent s’en tenir à un confinement de plus en plus stricte chez eux, mais en plus le gouvernement, les opérateurs télécoms et – priées d’obtempérer – les acteurs du Net réduisent la bande passante de leurs plateformes de divertissement.

L’exception culturelle française a encore frappée ! Disney+, la plateforme de SVOD de la Walt Disney Company, a bien été lancée le 24 mars dernier dans sept pays supplémentaires, tous en Europe : Royaume- Uni, Irlande, Allemagne, Espagne, Italie, Autriche et Suisse. La France devait en être, mais le gouvernement français – faisant sienne une suggestion que lui a faite Stéphane Richard, le PDG d’Orange – a exigé de Disney qu’il reporte de quinze jours, au 7 avril, le lancement sur l’Hexagone de son nouveau service. C’est le seul pays européen à avoir imposé ce décalage.

L’excès de pouvoir de la France envers Disney
« La France est le seul pays à reporter son lancement au 7 avril Les autres pays ont maintenu leur lancement le 24 mars », a confirmé à Edition Multimédi@ Nathalie Dray, directrice de la communication au sein de la filiale française de la Walt Disney Company. Nous avons voulu savoir pourquoi La France était le seul pays des huit prévus à avoir obtenu de Kevin Mayer, président de l’activité direct-toconsumer & international du groupe Disney, l’annulation du lancement de Disney+ prévu comme dans les sept autres pays européens le 24 mars. Mais aucune réponse ne nous a été apportée, ni de Paris ni de Los Angeles. « Encore un peu de patience pour nos fans français, notre service de streaming Disney+ arrive bientôt… mais à la demande du gouvernement français, nous avons convenu de reporter le lancement jusqu’au mardi 7 avril 2020 », a déclaré Kevin Mayer le samedi 21 mars en fin de journée (1).
Pour Edition Multimédi@, cette décision surprise tombait mal puisque nous avions consacré notre précédente Une à la stratégie de la major d’Hollywood en prévision du lancement de Disney+ le 24 mars (2). Le lendemain, le dimanche 22 mars, le gouvernement français – par les voix du secrétaire d’Etat au Numérique, Cédric O, et du ministre de la Culture, Franck Riester – a tenu à « salue[r] les mesures prises par les grands fournisseurs de contenus sur Internet pour préserver le bon fonctionnement des réseaux de télécommunication », et en particulier Disney pour avoir « décidé » le report en France du lancement de Disney+. Mais le communiqué du gouvernement (3) a omis de préciser que ce décalage de 15 jours avait été obtenu à sa demande express… Comment expliquer que la France soit le seul des huit pays concernés par le lancement de Disney+ le 24 mars qui ait exigé un tel report ? Est-ce le PDG d’Orange – dont l’Etat est actionnaire à 23 % –, qui a eu l’oreille du ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire (photo de droite), et l’a convaincu d’intervenir directement auprès de la direction de Disney ? Les propos de Stéphane Richard dans Le Figaro, dans une interview publiée – à point nommé – sur le site web de ce quotidien le vendredi 20 mars, soit la veille de l’annonce du report par Disney, ont préparé les esprits à l’annulation de la date du 24 mars pour le lancement de Disney+ en France : « Le mode de distribution de Disney n’est pas contrôlé par les opérateurs [télécoms]. Le lancement de Disney va être en OTT, sans aucun contrôle de notre part. J’en ai parlé aux autorités, j’ai saisi Bercy et l’Autorité des télécoms (Arcep). Peut-être qu’un report de quelques semaines du lancement de Disney + serait opportun » (4). Le gouvernement français a donc accédé à la demande du président de l’opérateurs télécoms historique. La major américaine n’a eu d’autre choix que de s’exécuter – sauf à créer un incident diplomatique avec l’Etat français ! C’est sans précédent. La raison invoquée par le patron d’Orange – sur le fait que Disney+ est un service dit Over-the-Top (OTT) passant par définition via Internet sans dépendre d’un opérateur de réseau particulier – est surtout une manière opportune de rappeler la question sensible des rapports entre les opérateurs télécoms et les acteurs du Net. Selon les « telcos », ces dernières empruntent des réseaux haut débit voire très haut débit sans contribuer suffisamment à leurs yeux aux investissements. Alors que de l’aveu même de Stéphane Richard le 20 mars sur RTL, « les réseaux peuvent tenir ». L’Arcep, sollicitée elle aussi par le patron d’Orange, n’a trouvé rien à redire à cette « régulation gouvernementale », notamment lorsque son président Sébastien Soriano accorde une interview au site web de France Inter le 21 mars (5).

Les telcos tentés de « brider » les OTT
SFR, dont le secrétaire général Arthur Dreyfuss (6) est en outre l’actuel président de la FFTélécoms, est sur la même longueur d’onde qu’Orange. « Les opérateurs télécoms ont demandé à Bercy de discuter avec Disney+ pour différer ce lancement », a expliqué Grégory Rabuel, le directeur général de SFR, dans une interview parue dans Les Echos le 22 mars (7). A la question « Du coup, seriez-vous prêt à brider le débit de Disney+ pour éviter la panne ? ». Sa réponse est on peut plus claire : « Si nous devions prendre des mesures en ce sens, nous ne nous les interdirions évidemment pas, et ce, dans le respect des règles en vigueur. SFR discute chaque jour avec Bercy et l’Arcep de cette hypothèse ». Le report de Disney+, même de seulement quinze jours, illustre le rapport de force qu’exercent les « telcos » vis-à-vis des OTT, GAFA et autres sites web considérés comme « dévoreurs » de bande passante.

Bercy a l’oreille de Thierry Breton
Stéphane Richard aurait voulu rappeler que les opérateurs de réseaux (fixes et mobiles) sont les maîtres des horloges qu’il ne s’y serait pas pris autrement. Une manière de dire implicitement aux acteurs du Net : « Si vous continuez à consommer beaucoup de bande passante sur mon réseau, il va falloir que vous contribuiez au financement de mon infrastructure qui me coûte de plus en plus cher à l’heure du passage au très haut débit ». C’est en substance dans ce sens que les opérateurs historiques européens plaident leur cause auprès de la Commission européenne, via leur instance de lobbying Etno (8) basée à Bruxelles, et où l’on retrouve parmi ses membres : Orange (représenté par Aurélie Doutriaux, ex-Arcep), Deutsche Telekom, TIM (Telecom Italia) ou encore Telefonica. Les opérateurs télécoms ont ainsi l’oreille de Thierry Breton (photo de gauche), le nouveau commissaire européen au Marché intérieur et… ancien président de France Télécom (devenu Orange par la suite) d’octobre 2002 à février 2005.
D’ailleurs, comme indiqué dans son communiqué du 22 mars (9), Bercy a agi « en lien avec l’Arcep » et « en coordination étroite avec (…) Thierry Breton », sans pour autant mentionner Orange. Dès le mercredi 18 mars, celui qui fut aussi ministre français de l’Economie, des Finances et de l’Industrie de février 2005 à mai 2007 a lancé un appel : « Plateformes de streaming, opérateurs de télécommunications et utilisateurs, nous avons tous la responsabilité commune de prendre des mesures pour assurer le bon fonctionnement d’Internet pendant la lutte contre la propagation du virus », en demandant aux plateformes vidéo de réduire la définition afin d’éviter les engorgements sur les réseaux. Sur son compte Twitter, il a indiqué avoir eu une « conversation importante avec @ReedHastings, PDG de @Netflix » pour prendre des mesures dans ce sens. « Pour sécuriser l’accès à Internet pour tous, passons à la définition standard lorsque la HD n’est pas nécessaire », a-t-il ajouté dans un post (10). Le numéro un mondial des plateformes SVOD (168 millions d’abonnés) s’est aussitôt exécuté. Le lendemain de cet échange téléphonique, soit le 19 mars, Netflix a annoncé une réduction de 25 % de son débit en Europe pour répondre aux exigences de Bruxelles. Le 20 mars cette fois, ce fut au tour de Google et sa filiale vidéo YouTube de « basculer temporairement tout le trafic dans l’UE en définition standard par défaut, suite à un entretien entre le PDG de Google, Sundar Pichai, la PDG de YouTube, Susan Wojcicki, et le commissaire européen Thierry Breton ». De son côté, Amazon leur a emboîté le pas en annonçant le même jour qu’il travaillait avec les autorités locales et les opérateurs d’Internet pour aider à atténuer toute congestion du réseau causée par Prime Video, « y compris en Europe où nous avons déjà commencé à réduire les débits du streaming tout en maintenant une expérience de qualité pour nos clients ». Le jour suivant, le 21 mars, ce fut au tour de la Walt Disney Company d’annoncer – en plus du report de quinze jours obtenu par Bercy et Orange pour le lancement de Disney+ – des mesures pour soulager la bande passante : « Soucieux d’agir de façon responsable depuis toujours, Disney répond à la demande du commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, de soutenir l’effort collectif pour le bon fonctionnement des infrastructures haut débit. En prévision d’une forte demande pour Disney+, nous mettons en place de manière proactive des mesures pour réduire l’utilisation globale de la bande passante d’au moins 25 % dans les pays [les sept pays européens au calendrier inchangé… contrairement à la France, ndlr] lançant Disney+ le 24 mars », a annoncé Kevin Mayer pour la major d’Hollywood, dans la même déclaration où il annonce le report au 7 avril de Disney+ en France.
La France, pays de « l’exception culturelle » où le cinéma français voit avec inquiétude les plateformes de SVOD américaines déferler sur l’Hexagone sans encore contribuer au financement de films et séries français et européens, aura ainsi prétexter que les réseaux sont « fragiles » pour imposer des mesures de restrictions aux OTT.

Paradoxe à l’ère de la fibre et du Gigabit
Franck Riester, ministre de la Culture, et Cédric O, secrétaire d’Etat au Numérique se sont en tout cas félicités de ce bridage du divertissement en plein confinement : «A la suite de ces contacts, plusieurs acteurs, et notamment Netflix, YouTube (Google) et Amazon (Prime Video) se sont engagés à mettre en place de manière proactive des mesures techniques pour réduire l’utilisation globale de la bande passante d’au moins 25 % pendant une période de 30 jours, sans bien sûr remettre en cause l’accès de leurs utilisateurs à l’ensemble des programmes et contenus proposés », ont-ils déclaré ensemble. La neutralité de l’Internet, elle, a vraiment été l’oubliée de cette « gestion de trafic » qui doit cesser au plus vite (11). A l’heure du très haut débit offert par la fibre optique vantée à longueur d’année et des milliards d’euros consacrés par les opérateurs télécoms aux infrastructures du « Gigabit », cela fait désordre… @

Charles de Laubier

La neutralité du Net, victime collatérale du virus

En fait. Le 19 mars, le secrétaire d’Etat au Numérique, Cédric O, a appelé les plateformes vidéo, de streaming et de jeux en ligne à « limiter la consommation de leurs services », et les internautes à « privilégier les téléchargements anticipés des vidéos (…) pendant les heures creuses (notamment après 23h) », tout en évitant la 4K.

En clair. La Fédération française des télécoms (FFTélécoms) le dit sur tous les tons depuis des jours, tout juste relayée le 19 mars par le gouvernement en concertation avec l’Arcep (1) : les abonnés des opérateurs mobiles et des fournisseurs d’accès à Internet doivent faire preuve de « discipline sociale collective », de « responsabilité numérique » et de « civisme dans [leurs] usages numériques » (dixit Arthur Dreyfuss, son actuel président (2), à Reuters, à l’AFP et sur Europe 1). La FFTélécoms s’exprime au nom d’Orange, de Bouygues Telecom, de SFR et de quelques MVNO (3), mais pas de Free qui n’en est pas membre. « Depuis le domicile, il faut se connecter à Internet et passer ses appels en Wifi (4). Ceci soulage les réseaux mobiles en basculant le trafic sur le réseau fixe, déjà dimensionné pour absorber des pics de consommation en fin de journée en temps normal. Ensuite, privilégier les usages liés au télétravail et à l’enseignement à distance en journée, et réserver les vidéos en streaming pour le soir », a recommandé Michel Combot, son directeur, dans une interview à UFC-Que Choisir le 17 mars. Ancien de l’Arcep puis du CSA, il prévient même que les opérateurs télécoms « [peuvent] aussi décider que la 4K, cette ultra haute définition extrêmement gourmande en bande passante, n’est pas indispensable. La HD suffit amplement pour regarder des films et des séries… ». La FFTélécoms rappelle en outre ce que les utilisateurs constatent déjà tous les jours : «les réseaux mobiles ont une capacité moins grande que les réseaux fixes » (5). Au nom, cette fois, d’une certaine « discipline numérique de la part des opérateurs télécoms », ces derniers ont, le 16 mars au soir,
« ajusté » l’allocation de la bande passant au niveau des interconnexions entre leurs réseaux. Il s’agit d’absorber la hausse du volume des appels vocaux due à l’explosion du télétravail, mais aussi de brider le trafic vidéo des GAFAN (YouTube, Netflix ou Facebook en tête), afin de « prioriser le télétravail ». Est-ce contraire au principe de neutralité de l’Internet ?
Cette « gestion de trafic » est tolérée, viennent de rappeler la Commission européenne et le Berec (6), par le règlement européen « Open Internet » du 25 novembre 2015. Mais seulement pour « prévenir une congestion imminente du réseau et atténuer les effets d’une congestion exceptionnelle ou temporaire du réseau, pour autant que les catégories équivalentes de trafic fassent l’objet d’un traitement égal ». @

L’e-sportmondial a franchi 1 milliard de dollars de revenus, tandis que la première teamentre en Bourse

La société danoise Astralis est cotée au Nasdaq de Copenhague depuis le 9 décembre. C’est la toute première équipe (team) de e-sport au monde à entrer en Bourse. Historique. Cela illustre plus que jamais le dynamisme de ce marché du sport électronique, qui pèse plus de 1 milliard de dollars.

Selon le cabinet d’études néerlandais Newzoo, le marché mondial du e-sport va franchit pour la première fois en 2019 la barre du milliard de dollars de chiffre d’affaires, pour s’établir à près de 1,1 milliard. Et selon ses prévisions, la croissance à deux chiffres devrait se poursuivre au rythme de 20 % par an pour atteindre près de 1,9 milliard de dollars en 2022. « La forte croissance du marché crée une pléthore d’opportunités que le groupe Astralis est bien placé pour exploiter grâce à son approche hautement professionnalisée de l’e-sport », se félicite l’entreprise danoise Astralis.

Un écosystème prometteur mais risqué
L’origine d’Astralis Group, coté depuis le 9 décembre à la Bourse de Copenhague et actuellement valorisé près de 500 millions de couronnes danoises (1), remonte à près de quatre ans, lorsque Nikolaj Nyholm (photo), l’actuel directeur général, et Jakob Lund Kristensen, ont cofondé la société Rfrsh dans le e-sport. Astralis a pris sa forme actuelle en août dernier et est propriétaire de trois équipes (team) à travers différents titres de e-sport : Astralis (« Counter- Strike »), Origen (« League of Legends ») et, récemment lancé, Future FC (« Fifa »). « Les deux premières équipes sont connues pour leur performance compétitive record et la seconde pour ses membres de haut rang », précise le groupe, qui joue cependant la prudence comme il se doit vis-à-vis des investisseurs et boursicoteurs : « Il n’est pas garanti que le marché des sports électroniques va croître comme prévu. Son avenir, et donc aussi le nôtre, dépend des décisions et des initiatives prises par d’autres acteurs dans les écosystèmes de l’e-sport ».
Le groupe Astralis est en effet dépendant des éditeurs de jeux vidéo au niveau des ligues (leagues) et des tournois (battle), ainsi que des médias dans la diffusion des compétitions (en live ou en VOD) et la monétisation des téléspectateurs (fans en tête). Les revenus du sport électronique proviennent des investissements des marques (droits de diffusion des médias, publicité, sponsoring), des royalties sur l’édition des jeux de e-sport (dont des achats in-game), produits dérivés et des billetteries. « Astralis est la seule équipe au monde à s’être maintenue n°1 sur un total de 86 semaines consécutives (2). Astralis a remporté le tournoi “The Majors”, plus de fois que toute autre équipe dans l’histoire », fait tout de même valoir le groupe danois. Les marques déjà bien établies, Astralis et Origen, s’appuient sur les réseaux sociaux pour assurer une audience élevée durant les matchs. Plus de 300.000 abonnés sur Instagram et 240.000 followers sur Twitter suivent Astralis, dont l’équipe « Counter-Strike » a été la plus regardée en 2018 d’après Esports Charts : 40 millions d’heures regardées sur des plateformes vidéo en ligne comme Twitch (Amazon) et YouTube (Google). Quant à la marque Origen, qui a démarré en 2019, elle a déjà réuni une base de fans conséquente sur Twitter (740.000followers) et sur Instagram (70.000 abonnés). « L’engagement des fans des équipes du groupe Astralis dans les médias sociaux – mesuré par le nombre de mentions “J’aime” ou de partages sur les médias sociaux – est très fort par rapport aux autres équipes sportives traditionnelles. L’engagement des fans peut servir d’indicateur de l’influence de la marque : Astralis atteint environ 5 % d’engagement et Origen environ 2 %, comparativement à 0,8 % pour Manchester United et à 0,9 % pour les Knicks de New York », indique le groupe danois en s’appuyant sur des relevés d’Instagram.
Les partenariats commerciaux – comme avec Audi, Jack & Jones, Turtle Beach, Omen par HP ou encore Unibet – représentent la plus grande partie des revenus de l’entreprise (70 % en 2020), qui affiche un chiffre d’affaires 2018 de près de 5 millions d’euros pour une perte nette de 1 million d’euros (3). Viennent ensuite les affiliations aux ligues et aux tournois e-sport, avec en général un minimum garanti à chaque événement (20 % des revenus en 2020), Origen ayant par exemple une exclusivité avec l’éditeur de jeux vidéo Riot Games (« League of Legends »). Il y a aussi les produits dérivés (merchandising) dont des vêtements fabriqués par Jack & Jones (2 % des revenus en 2020). Le groupe Astralis veut continuer à se développer au Danemark, mais aussi en Espagne et en Amérique du Nord.

Le marché français bientôt en ligne de mire ?
En revanche, le groupe danois ne mentionne pas la France dans son prospectus boursier (4) pour son expansion internationale. Pourtant, l’e-sport y est dynamique. La Team Vitality française (créée en 2013), qui illustre l’intérêt des investisseurs pour les clubs de l’Hexagone, a levé 20 millions d’euros auprès du milliardaire indien Tej Kohli en novembre 2018, puis 14 millions d’euros auprès de Rewired.GG (fonds « e-sport » lancé par ce dernier) en novembre dernier. @

Charles de Laubier