Deux ans après la nomination de Christel Heydemann à la tête du groupe Orange, l’heure est au premier bilan

Il y a un an, Christel Heydemann présentait son plan stratégique à horizon 2025 baptisé « Lead the future », en tant que directrice générale du groupe Orange – poste auquel elle a été nommée il y a deux ans. Malgré une rentabilité en hausse, la participation et l’intéressement pour les plus de 127.000 salariés déçoivent.

Orange reste très rentable, avec un bénéfice net de près de 3 milliards d’euros en 2023 – 2.892 millions d’euros précisément, en croissance de 10,5 % sur un an. Depuis l’annonce le 15 février de ses résultats financiers annuels, « en ligne avec le plan Lead the Future » que sa directrice générale Christel Heydemann (photo) a présenté il y a un an, le cours de l’action en Bourse a quelque peu frémi à la hausse (passant de 10,63 euros la veille à 10,90 euros le 20 février). Mais, depuis, le prix du titre n’a cessé de piquer du nez, à 10,51 euros au 7 mars. Et la capitalisation boursière de ce groupe du CAC40 ne dépasse pas les 30 milliards d’euros (27,9 milliards au 08-03-24), alors qu’elle a connu des jours meilleurs par le passé. Le groupe au carré orange – et aux 127.109 salariés dans le monde (au 31-12- 23), dont 73.000 en France – a vu son chiffre d’affaires progresser de 1,8 % sur un an, à 44,1 milliards d’euros. Christel Heydemann a envoyé à tous les employés d’Orange un e-mail pour les remercier « chaleureusement » de « [leur] professionnalisme et [leur] engagement de tous les instants ». Et ? « Très logiquement, les personnels du groupe en France s’attendent donc à bénéficier d’une participation et d’un intéressement correspondant aux succès annoncés. Il n’en est rien.

Les syndicats d’Orange mécontents
Tout au contraire, la participation et l’intéressement qui seront versés à chaque collaborateur en 2024 accusent une baisse moyenne de 10 %, une première chez Orange », regrette le premier syndicat de l’entreprise, CFE-CGC. Cette baisse de 10 % en moyenne de la participation et de l’intéressement est à rapprocher de l’inflation – donc de la perte du pouvoir d’achat – qui a été d’environ 10 % depuis le début de l’année 2022. « La claque ! », dénonce la Confédération générale des cadres, qui demande au conseil d’administration « la distribution d’un intéressement supplémentaire pour tous les personnels du groupe en France ». Cette déception du côté des personnels et des syndicats est d’autant plus forte qu’elle intervient au moment où le gouvernement – le ministère de l’Economie et des Finances (Bercy) en tête – incite à plus de partage de la valeur dans les entreprises au profit de leurs salariés. « Au conseil d’administration d’Orange, les représentants de Bercy [l’Etat détenant près de 23 % du capital du groupe et près de 29 % des droits de vote (1), ndlr] préfèrent Continuer la lecture

Un an après avoir lancé ChatGPT, aux airs de « Google-killer », OpenAI prépare un « smartphone-killer »

La start-up californienne OpenAI, cofondée par son actuel DG Sam Altman et devenue licorne valorisée presque 100 milliards de dollars, défraie la chronique depuis le lancement de ChatGPT il y a un an. Après avoir déstabilisé Google, elle veut lancer un petit terminal « smartphone-killer » boosté à l’IA.

(Vendredi 17 novembre 2023 au soir, heure de Paris, soit peu après le bouclage du n°310 de Edition Multimédi@ faisant sa Une sur OpenAI et Sam Altman, nous apprenions le limogeage surprise de ce dernier par son conseil d’administration. Vingt-quatre heure après, OpenAI revenait sur sa décision… Après avoir hésité à rejoindre Microsoft prêt à l’embaucher, Sam Altman a finalement trouvé le 22 novembre un accord avec OpenAI – avec le soutien du bailleur de fonds Microsoft – pour finalement y retourner !)

Google et Apple pourraient bien être les prochaines victimes collatérales d’OpenAI. Car la licorne à l’origine de l’IA générative ChatGPT, lancée il y a un an presque jour pour jour, accélère son offensive technologique. D’une part, elle a organisé le 6 novembre sa toute première conférence des développeurs, OpenAI DevDay, où ont notamment été lancés un « GPT-4 Turbo » et des interfaces de programmation (API) pour créer des agents conversationnels personnalisés intégrables dans des applications ou pour développer son propre « ChatGPT » autonome sans codage. En mettant le turbo, OpenAI veut faire une super-IA tout-en-un capable de générer par elle-même aussi bien du texte et des images, mais aussi de l’audio et de la vidéo. Le 9 novembre, un programme open source baptisé « OpenAI Data Partnerships » a même été lancé pour exploiter tous azimuts des données publiques et privées afin de former encore plus largement les IA génératives. Ce qui positionne la future plateforme IA intégrée d’OpenAI comme un potentiel « Google-killer ». D’autre part, son PDG cofondateur Sam Altman (photo) avait confirmé dès fin septembre être en « discussions avancées » avec l’ancien designer de l’iPhone chez Apple, l’Américano-britannique Jony Ive, et le PDG fondateur du conglomérat Softbank, le Japonais Masayoshi Son, autour d’un projet de lancement d’un terminal à intelligence artificielle susceptible de remplacer à terme les smartphones (1).

Un trio de rêve : OpenAI-Softbank-LoveFrom
Parallèlement, mais sans lien a priori avec ce projet d’appareil, Sam Altman a dit le 13 novembre au Financial Time qu’il demandait à Microsoft des fonds supplémentaires, en plus des 10 milliards de dollars déjà accordés sur plusieurs années par ce dernier, afin de rendre l’IA encore plus intelligente – vers le futur ChatGPT-5 et au-delà (2). Il faudra en tout cas attendre de nombreux mois avant que ne voit le jour le terminal IA grand public rêvé par OpenAI, LoveFrom (société de design créée en 2019 par Jony Ive qui a recruté d’anciens collègues d’Apple comme Marc Newson) et Softbank, dont la filiale britannique ARM pourrait produire les puces. Mais les trois entrepreneurs ont sûrement dû suspendre leur brainstorming, le temps de suivre le lancement d’un petit terminal boosté à l’IA conversationnelle et sans écran (à épingler ou à magnétiser sur un vêtement ou un sac), baptisé Ai Pin. Présenté le 9 novembre et en précommande depuis le 16 novembre aux Etats-Unis, sa disponibilité est prévue début 2024 – sans encore de date pour l’Europe. Son concepteur : la start-up californienne Humane, cofondée en 2017 par Continuer la lecture

Cinq ans après avoir renoncé à la Bourse, Deezer devient une licorne, toujours en lien avec Orange, mais pas que

Le pionnier français du streaming musical Deezer – dirigé par Hans-Holger Albrecht, frère de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen – vient de franchir le milliard de dollars de valorisation grâce à l’international. En France, Orange veut renouveler son partenariat exclusif « jusqu’à au moins fin 2021 ».

Selon nos informations, Orange négocie avec Deezer la poursuite « jusqu’à au moins fin 2021 » de leur partenariat noué il y a presque dix ans. Ce fut en effet le 26 août 2010 que l’opérateur télécoms historique France Télécom entra à hauteur de 11 % dans le capital du pionnier français du streaming musical (1), en y apportant à l’époque les actifs de son service de musique en ligne Wormee. Cette alliance stratégique fut assortie d’un accord exclusif de distribution par Orange en France du service payant « Deezer Premium », exclusivité qui a toujours fait grincer des dents certains concurrents français de Deezer comme Qobuz (2) (*) (**). Cet accord devrait être à nouveau prolongé. « Au vu du succès de notre collaboration depuis bientôt dix ans, nous sommes actuellement en discussion pour renouveler notre partenariat en France jusqu’à au moins fin 2021 », a indiqué à Edition Multimédi@ Christian Bombrun, directeur des produits et services chez Orange. Mais le pas de deux d’Orange et de Deezer ne se limite pas à l’Hexagone. Des accords similaires ont aussi été signés pour la Roumanie, le Luxembourg et la Côte d’Ivoire. Ceux-là sont déjà valables jusqu’à fin 2021. « Nous sommes en discussion active pour étendre nos partenariats à de nouveaux pays à l’international », nous précise-t-il. Orange nous indique en outre que sa participation dans Deezer est aujourd’hui « autour de 11 % », alors qu’elle a pu osciller jusqu’à 14,5 %.

16 millions d’utilisateurs actifs le monde depuis 5 ans
Mais Deezer se sent pousser des ailes à l’international et se veut moins dépendant d’Orange. Bien que son siège social soit toujours à Paris, Deezer réalise depuis quatre ans en France moins de 50 % de son chiffre d’affaires – lequel était d’environ 350 millions d’euros en 2018. C’était encore 80 % il y a six ans. L’entreprise est en outre implantée à São Paulo, Berlin, Londres, Miami et Dubaï. Sa plateforme de musiques en ligne – et de plus en plus de podcasts, de radios et de livres audio – revendique aujourd’hui 16 millions d’utilisateurs actifs dans le monde (180 pays), dont environ la moitié d’abonnés payants, pour un catalogue riche de 56 millions de titres. Malgré l’intensification de la concurrence, surtout depuis le lancement d’Apple Music en juin 2015, la plateforme française a su maintenir son audience à ce niveau-là, déjà atteint il y a cinq ans (3).

Deezer devient une licorne grâce au Mexique
Directeur général de Deezer depuis cinq ans, entré en février 2015 dans l’entreprise dont il est aussi membre du conseil d’administration, l’Allemand Hans-Holger Albrecht (photo) n’a pas à rougir de l’expansion du « Spotify » français. Même si, en octobre 2015, il a dû renoncer – en raison de mauvaises conditions de marché et de la perplexité des investisseurs – à introduire Deezer en Bourse (4), le « CEO » de Deezer a finalement réussi à faire de l’entreprise parisienne une licorne – c’est-à-dire une société non cotée mais valorisée au moins 1 milliard de dollars. C’est le 2 juillet dernier que le pionnier français du streaming musical – fondé il y a bientôt treize ans par Daniel Marhely et Jonathan Benassaya – est passé du statut de vieille start-up à celui de jeune licorne, en voyant sa valorisation bondir de 30 % par rapport à la précédente levée de fonds d’il y a deux ans (5), passant ainsi de 980 millions de dollars à 1,4 milliard de dollars. Deezer a passé ce cap symbolique à la faveur d’un accord exclusif pluriannuel signé avec le groupe mexicain diversifié Salinas du multimilliardaire mexicain Ricardo Salinas Pliego, et plus particulièrement avec sa filiale audiovisuelle Televisión Azteca (alias TV Azteca).
Le Mexicain a investi 40 millions de dollars, mais sa participation minoritaire dans le capital de Deezer n’a pas été précisée. Impossible de dire à ce stade si la part d’Orange est diluée. A l’occasion de l’annonce de cet accord le 1er juillet à Mexico (6), Hans-Holger Albrecht s’est félicité : « Le Mexique est l’un des marchés de la musique qui connaît la croissance la plus rapide au monde. Nous sommes ravis de faire participer Grupo Salinas en tant que partenaire stratégique et de l’accueillir en tant que nouvel investisseur dans Deezer. Nous entrevoyons un énorme potentiel de croissance dans des pays comme le Mexique, la Colombie et l’Argentine, et nous investissons dans le marketing et la croissance des abonnés. Notre expérience et notre deuxième place au Brésil nous aideront à devenir le principal challenger de la région ». Dans la foulée de ce deal, Deezer a fait l’acquisition de la start-up israélienne Mugo à l’origine de l’application sociale du même nom. La technologie « Live Share » de Mugo permet à plusieurs auditeurs de se synchroniser entre eux autour d’une même chanson et quelles que soient leurs plateformes de streaming. C’est aussi un réseau social musical (7). « Il y a quatre ans, nous avons sauté dans les eaux troubles de l’industrie de la musique, a déclaré l’Israélien Ori Segal, cofondateur et PDG de Mugo, lors de l’annonce de l’accord franco-mexicain. Notre objectif était de rendre la musique sociale sur mobile. Ce fut un voyage incroyable et passionné. Nous sommes fiers d’être le ciment qui relie nos partenaires stratégiques, TV Azteca et Grupo Salinas, à Deezer, faisant de ce rêve une réalité ». La chaîne nationale mexicaine Azteca Uno utilise son application pour l’émission à succès « Mugo Live », désormais rebaptisée « Deezer Live ». Déjà présente au Brésil, la plateforme française de musique en ligne est bien partie pour conquérir toute l’Amérique du Sud.
En annulant in extremis il y a près de cinq ans l’introduction à la Bourse de Paris prévue, Hans-Holger Albrecht et Guillaume d’Hauteville, président du conseil d’administration de l’entreprise, s’étaient alors tournés vers des investisseurs privés, à commencer par Orange. L’exclusivité « Deezer Premium » permettra à la plateforme de décoller en France, l’ex France Télécom lui apportant la majeure partie de ses abonnés payants. Sans l’opérateur historique, Deezer n’aura pas pu survivre. Les bundles « forfaitmusique » furent sa planche de salut au moment où le service de musique en ligne était essentiellement gratuit, financé par de la publicité.
Puis, progressivement, sous la pression des majors du disque, Deezer – dont Universal Music, Sony Music, Warner Music sont aussi actionnaires minoritaires – fut contraint de basculer progressivement vers l’abonnement payant (8), condition sine qua non pour accéder à leurs catalogues. De plus, à partir de 2013, le téléchargement de musiques (suspecté par les majors d’alimenter le piratage en peerto- peer) va être abandonné au profit du streaming.
En plus d’Orange, Deezer va lever à l’automne 2012 quelque 130 millions de dollars auprès d’Access Industries, la holding du Russo-Américain Leonard Blavatnik qui a acquis Warner Music mi-2011. Le milliardaire né en Ukraine prendra jusqu’à 36,7 % du capital Deezer. Par effets de bord, la participation d’Orange avait été diluée, passant de 14,5 % à 10,6 % du capital. Guillaume d’Hauteville est, depuis lors, vice-président d’Access Industries. La conquête de l’Amérique peut commencer à partir de New York (9).

De l’Ukrainien Blavatnik au Saoudien ben Talal
En août 2018, ce sera au tour du prince saoudien Alwalid ben Talal d’entrer dans la dance, via son fonds Kingdom Holding Company (KHC) qui injectera 230 millions d’euros pour entrer au capital de Deezer. La conquête cette fois du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et de la Turquie peut alors commencer à partir de Dubaï (10). Entre temps, en France, Deezer renforce sa distribution en nouant un accord en mars 2017 avec la Fnac, Fnac-Darty ayant une option d’entrer au capital de la plateforme de streaming au bout de trois ans, en 2020 donc (11). Deezer est devenu un « champion européen » : la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, peut être fière de son frère. @

Charles de Laubier

Aucune enquête coordonnée en Europe n’a été menée sur le scandale « Cambridge Analytica »

Plus de deux ans après l’éclatement de l’affaire « Cambridge Analytica » sur l’exploitation massive et illégale des données personnelles de dizaines de millions d’utilisateurs de Facebook à des fins de ciblages politico-publicitaires, aucune enquête n’a été menée en France par la Cnil. Surprenant.

Aux Etats-Unis, Facebook a écopé l’été dernier d’une amende record de 5 milliards de dollars infligée par la FTC (1) pour n’avoir pas géré ni protégé correctement les données personnelles de ses utilisateurs. En Grande-Bretagne, la « Cnil » britannique – ICO (2) – l’a condamné en octobre 2019 au maximum que lui permettait la loi du pays pour violation sur la protection des données, soit 500.000 livres (plus de 565.000 euros). Ces données ont notamment été exploitées en 2016 pour influencer respectivement l’élection présidentielle américaine et le référendum britannique sur le Brexit.

La Cnil n’a pas jugé bon d’enquêter
Mais bien d’autres pays ont eux-aussi enquêté sur ce siphonnage de données personnelles opéré illégalement par la société londonienne Cambridge Analytica (devenue Emerdata) sur près de 100 millions d’utilisateurs de Facebook : 50 millions aux Etats-Unis, 87 millions si l’on y ajoute d’autres pays dans le monde. Mais connaîtra-t-on jamais l’ampleur de la manipulation à portée planétaire ? En Australie, la « Cnil » australienne – OAIC (3) – a lancé en mars dernier une action judiciaire contre Facebook pour avoir transmis Cambridge Analytica les données personnelles de 311.127 Australiens (4). Au Canada, la « Cnil » canadienne – OPC (5) – a saisi en février la justice contre Facebook accusé là aussi d’avoir transmis des données privées sans autorisation à Cambridge Analytica (6).
En Europe, en dehors de la Grande-Bretagne où Cambridge Analytica avait son siège social, l’Italie – via son gendarme de la concurrence AGCM – a rappelé à l’ordre la firme de Mark Zuckerberg accusée de continuer à collecter de façon non transparente des données personnelles en violation de ses engagements pris en novembre 2018 – assortis à l’époque de deux amendes pour un total de 10 millions d’euros (7). En Espagne, comme par ailleurs au Brésil, Facebook a dû aussi mettre la main au portefeuille à la suite du scandale « Cambridge Analytica ». Et en France ? Quatre jours après ce samedi 17 mars 2018 où l’affaire « Cambridge Analytica » a éclaté au grand jour (8), la Cnil (9) publiait un communiqué disant que « l’ICO, la Cnil du Royaume-Uni, enquêtait sur le sujet » (10). Contacté par Edition Multimédi@ pour savoir auprès de sa présidente Marie-Laure Denis (photo de gauche) si la Cnil avait mené une enquête en France pour y connaître l’impact de ce scandale retentissant, un porte-parole nous a répondu que non : « Tant au regard du nombre de ressortissants français concernés, que des cas d’usage des données en cause (Brexit et élections américaines), la France était peu concernée et la Cnil a ainsi préféré suivre le dossier dans le cadre de la coopération européenne en lien avec l’ICO plutôt que de porter sa propre procédure ». On connaît la suite : la « Cnil » britannique a donc mis à l’amende Facebook. Mais aucun rapport d’enquête n’a été fourni sur la France, où a tout de même eu lieu la campagne présidentielle de 2017 avec son lot de fake news (compte bancaire aux Bahamas d’Emmanuel Macron) et d’ingérences étrangères en ligne (présumées d’origine russes). Cambridge Analytica a-t-elle de Londres tiré les ficelles des réseaux sociaux pour orienter l’électorat français ?
Facebook a-t-il facilité l’exploitation des données de ses utilisateurs, au nombre de plus de 35 millions en France ? Faute d’en savoir plus, Edition Multimédi@ s’est tournée vers la « Cnil » irlandaise – la DPC (11) – puisque Facebook a son siège européen à Dublin, capitale d’Irlande. Mais là aussi, pas d’enquête sur le scandale « Cambridge Analytica », alors que l’on aurait pu penser que le DPC soit le « chef de file » de ses homologues européens – dont la Cnil en France – pour mener des investigations. Graham Doyle, adjoint à la DPC de la commissaire Helen Dixon (photo de droite), a justifié l’absence d’enquête de la « Cnil » irlandaise sur ce scandale : « Nous n’avons pas ouvert d’enquête sur Facebook concernant le problème de Cambridge Analytica, car il s’est produit avant l’introduction du RGPD et du mécanisme du guichet unique. La DPC irlandaise est devenue l’autorité de contrôle chef de file de Facebook avec l’introduction du RGPD le 25 mai 2018. Avant cette date, il n’y avait pas de chef de file européen ».

Pas d’« autorité chef de file » avant mai 2018
Le règlement général sur la protection des données (RGPD) prévoit en effet, dans son article 56, que la « Cnil » du pays européen où est basé le siège du responsable du traitement des données à caractère personnel (ou du sous-traitant) – en l’occurrence Facebook en Irlande – est compétente pour agir en tant qu’« autorité de contrôle chef de file » (12). « C’est l’autorité irlandaise qui est chef de file sur cette affaire », nous a répondu la Cnil. Faute d’enquête coordonnée en Europe sur le scandale « Cambridge Analytica », le numéro un mondial des réseaux sociaux s’en tire à bon compte. @

Charles de Laubier

Le décret de taxe « Google Images » a été rejeté par le Conseil d’Etat puis retiré par le gouvernement

La loi « Création », promulguée il y a plus de deux ans, prévoyait un décret « Google Images » pour taxer les moteurs de recherche sur les photos mises en ligne. Notifié il y a un an à la Commission européenne, il a été retiré par le gouvernement à la suite de l’avis négatif du Conseil d’Etat.

Selon nos informations, le gouvernement a décidé de ne pas publier ce décret « Google Images » à la suite d’un avis négatif que le Conseil d’Etat a émis en février 2017 sans le rendre public. Contactées par Edition Multimédi@, la haute juridiction administrative et la Cada (1) ont refusé de nous communiquer cet avis.
En revanche, le motif du rejet de la taxe « Google Images » nous a été précisé : ce projet de décret n’était conforme « ni aux exigences constitutionnelles garantissant la protection du droit de propriété, ni à celles du droit de l’Union européenne garantissant le droit exclusif de l’auteur d’autoriser la reproduction et la représentation de son oeuvre » (2).

Un décret pourtant prévu par la loi « Création »
Face au risque juridique, le gouvernement l’a discrètement enterré, tout en estimant, nous dit-on, que « les parties prenantes devraient pouvoir souscrire volontairement des engagements en ce sens ». Cela fait un peu plus de deux ans que le ministère de la Culture – via son chef du service des Affaires juridiques et internationales, Alban de Nervaux (photo) – avait notifié à la Commission européenne, le 5 septembre 2016 précisément, le projet de décret « pris pour l’application des articles L. 136-3 et L. 136-4 du code de la propriété intellectuelle » (3). En clair, il s’agissait de mettre en place une taxe collectée auprès des moteurs de recherche – Google, Bing, Qwant, Wikipedia, Duckduckgo, … – par une société de perception et de répartition des droits (SPRD) pour le compte des photographes.
Ce décret d’application devait créer cette taxe « Google Images » prévue par la loi
« Création » datée du 7 juillet 2016 et promulguée le lendemain (5). Son article 30 est en effet consacré aux « services automatisés de référencement d’images » (« œuvres d’art plastiques, graphiques ou photographiques »). Il organise – via une société de type SPRD, seule agréée à signer des conventions limitées à cinq ans avec les
« Google Images » – une gestion collective des droits d’auteur par la perception des rémunérations correspondantes en fonction des oeuvres exploitées en ligne et la répartition des sommes perçues aux auteurs ou à leurs ayants droit. La Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP) et la Société des auteurs des arts visuels et de l’image fixe (SAIF) sont d’ores et déjà candidates pour assurer cette gestion collective. Cette taxe devait être « assise sur les recettes de l’exploitation ou,
à défaut, évaluée forfaitairement ». La loi « Création » donnait – à la SPRD et aux services automatisés de référencement d’images – « six mois suivant la publication du décret en Conseil d’Etat » pour aboutir à un accord. A défaut de quoi, « le barème de
la rémunération et ses modalités de versement [seraient] arrêtés par une commission présidée par un représentant de l’Etat et composée, en nombre égal, d’une part, de représentants des [SPRD] et, d’autre part, des représentants des [Gafa, Google en tête, ndlr] ». Le problème est que ce décret est donc mort-né ! Le Parlement français avait même prévu que cet article 30 devait s’appliquer à compter de la publication du décret en question « et, au plus tard, six mois après la promulgation de la présente loi
[« Création »] ». Il devait en être ainsi au 8 janvier… 2017.
L’abandon de ce décret par la France tombe bien pour le Parlement européen et le projet de directive sur « le droit d’auteur dans le marché unique numérique ». Ce texte
« Copyright » (6) européen – susceptible d’être adopté définitivement d’ici mai 2019 si le trilogue (7) trouve un compromis d’ici là (8) – contient justement un article 13 ter intitulé : « Utilisation de contenus protégés par des services de la société de l’information fournissant des services automatisés de référencement d’images ». Non prévu par le projet initial présenté par la Commission européenne en 2016, il stipule que les Etats membres veillent à ce que les plateformes numériques ou les moteurs
de recherche – reproduisant ou référençant automatiquement « un nombre important d’œuvres visuelles protégées par le droit d’auteur » – concluent des « contrats de licence justes et équilibrés avec les titulaires de droits qui le demandent afin de leur garantir une juste rémunération ».
Et la future directive d’ajouter : « Cette rémunération peut être gérée par l’organisme de gestion collective des titulaires de droits concernés ».

Google-photographes : premier accord
Les photographes, eux, pressent Google et les agrégateurs d’images. « Photographes, ne baissons pas les bras » (9), lançait par exemple dans Libération daté du 6 juillet 2017 Thierry Secretan, président de l’association Photographes, auteurs, journalistes (PAJ). Quant à Google, il a annoncé le 28 septembre un premier accord – avec le CEPIC et l’IPTC – sur une meilleure visibilité des « crédits photos » en accédant aux métadonnées (10). En vue de préparer le terrain à une négociation sur une rémunération des auteurs ? @

Charles de Laubier