La structuration juridique et fiscale des DAO, ces organisations autonomes décentralisées du Web3

Pas de DAO sans smart contracts, pas de contrats intelligents sans blockchain, pas de chaînes de blocs sans Web3 (décentralisé). Mais, outre la qualification d’« établissement stable », gare à l’optimisation fiscale des DAO en créant une société et une association, afin d’éviter la double peine.

Par Axel Sabban, avocat associé, Chérine Hosny, avocate collaboratrice, Arnaud Touati, avocat associé, Law for Code*

La Decentralized Autonomous Organization (DAO), ou organisations autonomes décentralisées, repose sur les principes de décentralisation et d’automatisation, rendus viables par Satoshi Nakamoto, le créateur pseudonyme du protocole Bitcoin et de sa monnaie éponyme (1). Ce nouveau type d’organisation est possible grâce à l’agrégat novateur de technologies ayant permis l’émergence de la cryptomonnaie bitcoin et, notamment, les smart contracts (2).

Smart contracts, contrats intelligents ?
Non, plutôt des lignes de code informatique permettant d’assurer, si certaines conditions prédéterminées sont remplies, l’exécution automatique d’instructions sur une blockchain, ou chaîne de blocs : validation de décisions de gouvernance, création de nouveaux actifs, transferts de tokens, … Les possibilités sont aussi impressionnantes que la créativité de ce secteur le permet. L’intérêt de ces programmes réside dans la possibilité – sans recourir aux formalités des actes exécutoires ou à l’intervention des autorités – d’assurer l’effectivité des paiements, cautions, votes, confidentialités ou, plus généralement, minimiser les risques de non-exécution des contrats, qu’ils soient volontaires ou involontaires. Les DAO, dont le fonctionnement est largement automatisé, mais nécessitant malgré tout une intervention humaine décentralisée, du moins théoriquement, sont des organisations transfrontalières. Elles ont été imaginées au départ comme étant des organisations décentralisées à but non lucratif (3).
Une DAO est une entité décentralisée gérée par des membres qui détiennent des jetons de gouvernance émis par son protocole, le smart contract. Les membres ne sont pas des personnes, mais des adresses de portefeuille, enregistrées dans la blockchain. Une adresse peut être détenue par une ou plusieurs personnes, et une seule personne peut détenir plusieurs adresses. L’identité des personnes détenteurs des adresses est pseudonymisée (4). Le jeton peut être un actif fongible ou non fongible selon le choix des fondateurs. Bien qu’il soit principalement conçu pour voter sur les propositions de la gouvernance, ce token est librement cessible, sauf précision contraire dans le smart contract, et possède une valeur monétaire. Même avec une décentralisation technologique, il est possible qu’un petit groupe de membres exerce un contrôle sur le projet, dès lors qu’ils détiennent un nombre suffisant de jetons pour décider de facto l’issue des votes (5).
En outre, l’automatisation de certaines DAO n’est pas absolue, une intervention humaine reste souvent indispensable. Bien que les DAO présentent de nombreux avantages, elles ne sont pas sans risques, dont notamment la possibilité de caractériser une « société créée de fait » entre ses membres les plus impliqués. Pour éviter ce risque, certains projets créent une entité juridique, en général à l’étranger, pour bénéficier d’une législation plus avantageuse. Cependant, cette option n’est pas sans risque, car elle peut conduire à la caractérisation, dans certains cas, d’un « établissement stable en France ». Une société créée de fait est une société qui ne remplit pas les conditions de forme requises par les textes légaux, mais qui résulte du comportement des personnes qui collaborent sur le projet en se comportant entre elle et vis-à-vis des tiers comme de véritables associés. Selon la loi française, une « société créée de fait » peut être caractérisée lorsque les trois éléments suivants sont réunis dans les faits : la participation de deux ou plusieurs personnes aux apports (fonds ou travail) ; leur participation à la direction du projet ; et leur intention de partager le résultat. De par son mode de fonctionnement, il est possible d’assimiler une DAO à une société de fait créée en France.

Qualification « société créée de fait »
Lorsqu’elle est retenue, la qualification d’une société créée de fait pourrait entraîner des conséquences particulièrement contraignantes. Sur le plan fiscal, les bénéfices de l’exploitation sont imposables au nom de chaque « associé » pour la part correspondant à ses droits (6). Ces bénéfices sont imposables au titre de l’année de leur réalisation par la DAO, même en cas d’absence de distribution effective aux membres. Sur le plan juridique, les membres « associés » seront tenus comme solidairement responsables des actes de la DAO. Cependant, cette assimilation ne doit pas être systématiquement appliquée à toutes les DAO, notamment lorsque les membres ne cherchent pas à partager ensemble le résultat de l’exploitation du protocole. Pour le moment, il n’existe pas de forme d’entité légale transnationale permettant de reconnaître les DAO comme organisations internationales (7). Les membres de DAO peuvent ainsi être tentés d’immatriculer une entité, également appelée « legal wrapper » (« enveloppe juridique »), dans une juridiction offrant une législation plus avantageuse. Certaines législations ont créé de nouveaux types d’entités juridiques nationales destinées à permettre l’immatriculation directe des DAO au sein de leur juridiction, comme le Vermont (8), le Wyoming (9) et Malte (10).

Caractérisation d’un « établissement stable »
D’autres pays ne disposant pas de réglementation spécifique pour les DAO bénéficient toutefois de systèmes fiscaux ou réglementaires avantageux. La Suisse, les Îles Caïmans, les Îles Marshall et Singapour proposent ainsi des options attrayantes pour l’« incorporation » d’un legal wrapper d’une DAO. Toutefois, le choix de lieu d’immatriculation n’est pas complètement laissé à la discrétion des membres. Si la direction de l’entité ou une partie significative de l’équipe opère sur le territoire français, les bénéfices réalisés restent sujets à l’impôt français dès lors que l’une des conditions de caractérisation d’un « établissement stable en France » est remplie : l’activité est exploitée en France ; les opérations sont réalisées en France par l’intermédiaire de représentants n’ayant pas de personnalité professionnelle indépendante ; ou encore les opérations effectuées en France y forment un cycle commercial complet. Il en résulte que la simple création d’une société dans une juridiction à l’étranger et le fait d’y loger quelques membres ou moyens d’exploitation ne suffisent pas pour échapper à la législation française, peu importe que la société soit en parfaite conformité avec la législation du pays de l’immatriculation. La qualification d’un « établissement stable en France » emportera l’imposition des profits rattachés à l’établissement stable à l’impôt sur les sociétés (IS) français, ainsi que l’application d’une retenue à la source sur les revenus considérés comme distribués à la société étrangère (11).
Afin de bénéficier de l’exonération des impôts commerciaux, certains optent pour la création de deux structures en France : une entité à but non lucratif (association de loi 1901) et une société commerciale. Ce modèle n’est pas sans risque, surtout lorsque l’association est utilisée comme véhicule d’optimisation fiscale pour loger les actifs de la DAO tout en finançant, indirectement, la société commerciale par le biais de la facturation des prestations techniques. En vue de bénéficier du caractère non lucratif et être exonérée des impôts commerciaux, l’association doit impérativement respecter certaines conditions : son but ne doit pas consister en la répartition de bénéfices entre ses membres ; sa gestion doit être désintéressée (les dirigeants ne doivent pas bénéficier directement ou indirectement du résultat de l’exploitation) ; la rémunération des dirigeants ne doit pas dépasser certains seuils (12) ; l’association ne doit pas entretenir des relations privilégiées avec des sociétés commerciales, et ne doit pas concurrencer le secteur lucratif. Si le développement du protocole de la DAO par l’association vise à permettre aux fondateurs de s’enrichir directement via la facturation des prestations techniques réalisées par des sociétés commerciales qu’ils détiennent, ou indirectement grâce à l’appréciation en valeur du token distribué par la DAO (13) cela peut caractériser l’exercice d’une activité lucrative, remettant ainsi en cause l’exonération des impôts. Cela conduira à une double peine : le résultat de l’association sera imposé, mais les membres ne pourront pas en partager les fruits. Quelle approche pour la structuration des DAO ? La structuration de la DAO doit avant tout prendre en considération l’objectif recherché par les fondateurs. Lorsque l’intervention humaine est importante, le risque de caractérisation d’une société créée de fait est élevé. Les membres doivent donc privilégier la création d’une entité juridique, pour protéger leur responsabilité tout en optimisant l’imposition des revenus générés. Si, en revanche, le projet est complètement décentralisé et automatisé, comme pour le protocole Bitcoin, l’immatriculation d’une entité juridique peut ne pas être nécessaire. Malgré la tentation de recourir au « forum shopping » afin d’échapper à la législation française, les membres doivent prendre garde, surtout si la direction ou l’exploitation est effectivement réalisée en France. Dans un tel cas, l’administration fiscale est en mesure de caractériser l’existence d’un « établissement stable en France », et de tirer toutes les conséquences sur le plan fiscal et juridique. Cependant, il est possible de créer plusieurs entités, avec une société en France et une ou plusieurs sociétés à l’étranger, si l’exploitation est organisée d’une manière qui le permette.

Optimisation fiscale : éviter la double peine
Les membres doivent choisir une structure juridique adaptée à l’activité. Il est déconseillé de chercher une optimisation fiscale en créant une entité à but non lucratif s’ils envisagent d’exploiter une activité pour partager, directement ou indirectement, les bénéfices ou comme un fonds d’investissement. Dans un tel cas, c’est la double peine : la qualification d’une activité lucrative conduisant à l’imposition des bénéfices, et l’impossibilité de partager ces bénéfices entre les membres. En l’état, nous pensons que la combinaisons société commerciale et association doit être utilisée avec une extrême parcimonie et que d’autres modèles plus sécurisants pourraient rapidement émerger. @

* Law for Code est un groupement d’intérêt économique (GIE)
regroupant les cabinets d’avocats Hashtag Avocats et Revo
Avocats ainsi que le cabinet d’expertise comptable Earn.

PDG d’Universal Music, Lucian Grainge veut plus d’abonnés au streaming et mieux payer les artistes

Première major mondiale « du disque », Universal Music a comme PDG depuis 12 ans « Sir » Lucian Grainge. L’homme le plus puissant de l’industrie musicale étudie avec Tidal et Deezer les moyens d’avoir plus d’abonnés au streaming, de monétiser les fans et de mieux rémunérer les artistes.

Le « Commandeur de l’ordre de l’Empire britannique » – depuis que Lucian Grainge (photo) a été décoré ainsi en 2010 par la reine Elisabeth II (1) – veut changer l’écosystème du streaming musical afin d’accroître le nombre d’abonnements, mieux monétiser les fans, et trouver le moyen de mieux rémunérer les artistes. Et ce, à l’heure où la filière musicale s’interroge sur la méthode de rémunération des ayants droit – rester au market centric ou passer au user centric – et tente de lutter contre la fraude aux clics – ces fake streams (2). Et sur fond de « NFTéisation » de la musique dans le Web3 (3).

Accords similaires avec Tidal et Deezer
PDG depuis mars 2011 d’Universal Music, plus que centenaire maison de disques et première major mondiale de la musique enregistrée, le Britannique Lucian Grainge (63 ans depuis le 29 février et vivant à Los Angeles) a passé des accords avec les plateformes de streaming musical Tidal (d’origine norvégienne) et Deezer (française) pour repenser le modèle économique de la musique en ligne. Le premier partenariat a été noué le 31 janvier dernier avec Tidal, l’ex-plateforme musicale du rappeur Jay-Z, afin d’« explorer un nouveau modèle économique novateur pour la diffusion de musique en streaming, qui pourrait mieux récompenser la valeur créée par les artistes et refléter plus fidèlement l’engagement des abonnés avec ces artistes et musiques qu’ils aiment » (4).
Un deuxième accord similaire vient d’être annoncé, le 15 mars, avec cette fois Deezer, là aussi pour « étudier de nouveaux modèles économiques potentiels pour la diffusion de musique en streaming qui reconnaissent plus pleinement la valeur créée par les artistes ». A travers ces deux partenariats, l’objectif d’Universal Music est double : augmenter le nombre d’abonnés auprès des plateformes de streaming musical, tout en prévoyant une meilleure rémunération des artistes. « Grâce à une analyse approfondie des données [deep data], le partenariat (avec Deezer) examinera les avantages et évaluera la viabilité de différents modèles économiques visant à stimuler la croissance des abonnés, établir des liens plus solides avec les fans de musique sur la plateforme, et créer des occasions commerciales qui profitent aux artistes et à l’ensemble de la communauté musicale », a expliqué le 15 mars (5) la major des Beatles, d’Abba, de Taylor Swift, d’Ariana Grande, de Lady Gaga, de Kanye West ou encore de Drake. C’est dans le même esprit que l’accord avec Tidal est conclu en début d’année : « Tidal et UMG [Universal Music Group, ndlr] étudieront comment, en exploitant l’engagement des fans, les services et plateformes de musique numérique peuvent générer une plus grande valeur commerciale pour chaque type d’artiste. La recherche s’étendra à la façon dont différents modèles économiques pourraient accélérer la croissance des abonnés, renforcer la rétention [autrement fidéliser les abonnés, ndlr] et mieux monétiser les fans [fandom] au profit des artistes et de la communauté musicale en général », a détaillé le 31 janvier le groupe basé à Hilversum aux Pays-Bas, à 37 kms d’Amsterdam où il est coté en Bourse depuis sa scission (spin-off) d’avec Vivendi en septembre 2021.
Qu’il est loin le temps où Universal Music traînait – en vain (6) – Deezer devant la justice à l’été 2011 pour diffusion gratuite de la musique. A l’époque, Universal Music faisait partie de Vivendi, la maison mère de SFR, grand rival d’Orange, l’ex-France Télécom ayant de son côté pactisé dès 2010 avec… Deezer, dont il a pris 11 % du capital et en assura la distribution exclusive (7). C’était de bonne guerre. Après ce procès les deux parties ont aussitôt trouvé un accord pour favoriser les abonnements au détriment de l’écoute gratuite – depuis limitée. Aujourd’hui, aux côtés des 20 % du chinois Tencent, Vivendi ne détient plus que 10 % du capital d’Universal Music (8), lequel pousse toujours – avec Sony Music et Warner Music – les plateformes de streaming à pratiquer l’abonnement payant – allant jusqu’à entrer au capital de Spotify pour avoir un droit de regard (9). Dans sa bataille contre la gratuité musicale, même légale, les trois majors de la musique sont parvenues à leurs fins.

Les trois majors ont imposé l’abonnement
Le streaming audio par abonnement est désormais la première source de revenu de l’industrie musicale, soit en 2022 près de la moitié (48,3 %) des 26,2 milliards de dollars des revenus de la musique enregistrée dans le monde, selon l’IFPI (10). Et en France selon le Snep (11), ce streaming audio par abonnement a pesé 46,2 % l’an dernier. Universal Music, qui publiera son rapport annuel le 30 mars et tiendra son assemblée générale annuelle le 11 mai, a réalisé 10,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2022, dont 5,3 milliards avec la musique enregistrée. Plus des deux tiers (73,3 %) de cette dernière somme proviennent des abonnements du streaming musique, soit une hausse de 18,4 % sur un an. @

Charles de Laubier

La blockchain se voit comme le futur proche du Web

En fait. Du 22 au 24 mars a eu lieu la 4e Paris Blockchain Week (PBW) au Carrousel du Louvre à Paris et au Westin Paris Vendôme, organisé par la société Chain Of Events, présidée par Michael Amar. Cet événement est devenu le rendez-vous international de l’industrie de la blockchain. Du Web2 au Web3.

En clair. C’est comme si se déroulait un passage de relais entre le Web2 et le Web3. Google, Amazon, Meta, Microsoft ou encore Orange venus de l’« ancien monde » y ont côtoyé Ripple, The Sandbox, Binance, Coinbase, Solana, Ledger, Sorare ou encore Circle issus, eux, du « nouveau monde ». La 4e Paris Blockchain Week (avec ses Blockchain Summit, Web3XP, Talent Fair et Investors Day) a mobilisé plus de 400 intervenants, dont le ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications, Jean-Noël Barrot, et attiré plus de 10.000 participants.
Alors que les IA génératives (ChatGPT/Dall-E 2 d’Open AI, Bard de Google, Stability AI de Stable Diffusion, …) défraient la chronique depuis décembre dernier, balayant au passage la hype des métavers (1), le Web3, la blockchain et ses crypto-actifs (lire aussi p. 8 et 9) tentent de reprendre le dessus. Et de redonner confiance avec une régulation en construction. Ce qui est loin d’être évident pour ce nouvel écosystème en formation qui a été confronté au second semestre 2022 à un « hiver crypto » (2), anxiogène et décrédibilisant. Certes, depuis le début de l’année, la cryptosphère est à nouveau en croissance. Après avoir atteint le 22 novembre 2022 son point le plus bas durant le dernier cryptokrach, à 15.782 dollars l’unité, le bitcoin mène la danse d’une remontada et a atteint le 22 mars dernier 28.184 dollars – soit une hausse plus de 70 % depuis le 1er janvier où le bitcoin était à 16.547 dollars (3). Selon CoinMarketCap, la capitalisation boursière mondiale du marché des crypto-actifs – incluant cryptomonnaies, « stablecoin » (cryptos dites stables car indexées sur une devise comme le dollar ou l’euro soumise à une autorité monétaire) ou encore NFT (tokens ou jetons non fongibles) – s’élève au 22 mars à 1.18 trillion de dollars (1.180 milliards de dollars). Cela fait une remondata de 48 % depuis le 1er janvier où la capitalisation était de 794 milliards de dollars (4).
Mais la volatilité de ces actifs numériques est telle que la moindre faillite financière – comme celle de la banque américaine Silvergate, réputée « crypto-addicte » – tire à la baisse les crypto-actifs. La banqueroute en novembre 2022 de FTX, l’une des principales crypto-bourses, suivie par celle de BlockFi, puis de Genesis en janvier 2023 ont été des coups de semonce, sans parler de l’effondrement en mars 2023 de la Silicon Valley Bank (SVB). @

Partouche fête ses 50 ans de « casinotier » en se diversifiant dans les NFT, le Web3 et la blockchain

Le groupe familial Partouche – connu en France pour ses casinos – fête cette année son demi-siècle d’existence, depuis que le patriarche Isidore Partouche l’a fondé en mai 1973. Ce jubilé marque aussi son entrée dans de nouvelles dimensions technologiques : actifs numériques et réalité virtuelle.

« Cinquante années se sont écoulées depuis la reprise du Casino de Saint-Amand-lesEaux en 1973 [dans le nord de la France, ndlr]. Cinquante années de travail acharné mais aussi de beaucoup de joie et de satisfaction. Et cinquante ans, c’est encore très jeune, il nous reste beaucoup à accomplir ! », écrit le fondateur du groupe Partouche, Isidore Partouche, bientôt 92 ans, dans son dernier rapport annuel publié le 17 février. Il est né le 21 avril 1931 en Algérie, d’où il est rapatrié en 1962. Il y fut radioélectricien.

Innovation dans le « divertissement 3.0 »
Ainsi est né le groupe Partouche qui a réalité au cours de son exercice 2021/2022 (clos le 30 octobre) un chiffre d’affaires de 388,8 millions d’euros, dont 90,4 % pour son activité de « casinotier » (exploitation de jeux, restauration et spectacles), 6,4 % dans l’hôtellerie et les 32,1 % restants dans thermes, l’immobilier et les jeux sur Internet. Ce chiffre d’affaires (1) sur un an a fait un bond de 52 % en raison notamment de la sortie de crise covid-19 (marquée par la fermeture des casinos), ce qui a permis au groupe Partouche de redevenir rentable (37,1 millions d’euros de bénéfice net). Cotée à la Bourse de Paris depuis 1995 et valorisée plus de 208 millions d’euros (au 10 mars), l’entreprise toujours familiale possède une quarantaine de casinos physiques, la plupart en France, mais aussi en Belgique, en Suisse et en Tunisie.
Après avoir frôlé le dépôt de bilan il y a dix ans – procédure de sauvegarde ouverte en septembre 2013 puis refermée un an après –, l’entreprise s’en est sortie. Mais le casinotier a été rattrapé par la pandémie de mars 2020 à mars 2022, durant laquelle il a été contraint de fermer deux fois ses établissements. Depuis, l’activité de Partouche a fortement repris. Sa dépendance aux casinos physiques, qu’il doit rénover à grand renfort d’investissements, l’incite de plus en plus à se diversifier – dans le numérique notamment. Dernière innovation en date : le déploiement ce mois-ci du « Joker Club », la première collection NFT de Partouche. Il s’agit de 8.888 jokers sous forme de jetons non-fongibles (2), qui offrent des avantages exclusifs dans les établissements Partouche. La nouvelle filiale Partouche Verse, créée en mars 2022 et dédiée au Web3 et aux actifs numériques, s’appuie sur la blockchain Ethereum. « Partouche Multiverse est le nom commercial de la société Partouche Verse, précise à Edition Multimédi@ Maurice Schulmann, délégué général du groupe. Après la soirée de lancement le 10 mars au casino de Forges-les-Eaux [en Normandie], des préventes exclusives dans une vingtaine de casinos auront lieu du 11 au 19 mars. Et à partir du 20 mars, ce sera l’ouverture du “mint” (3) d’abord pour nos membres les plus actifs puis à partir du 23 mars sur jokerclub.io » (4). Chacun des 8.888 NFT représente une image unique, le « jokers » pouvant être revendu par son propriétaire-joueur (le « holder »). En 2022, Partouche Verse a acquis des NFT pour un total d’un demi-million d’euros. « Le groupe qui fête ses 50 ans a toujours eu comme verticale forte l’innovation. Saisir les opportunités technologiques de la blockchain était donc une évidence, tant elles offrent un terrain de jeu inédit pour vivre le divertissement et se connecter avec de nouveaux publics », est-il expliqué dans le dernier rapport annuel. Le casinotier veut « bâtir un écosystème de divertissement 3.0 de premier plan ».
C’est Patrick Partouche (photo), fils unique du fondateur et lui aussi né en Algérie, qui oriente le groupe Partouche – dont il est président du conseil de surveillance (son père étant vice-président) – vers les nouvelles technologies. Il est en outre président du directoire de Financière Partouche (5), la holding familiale qui détient encore 66,8 % du capital du groupe. La filiale Partouche Interactive que préside aussi Patrick Partouche, dédiée au développement de jeux sur de nouvelles plateformes telles que la télévision, la téléphonie mobile et Internet, a été créée en avril 2006. Elle obtiendra une licence du gouvernement de Gibraltar pour l’exploitation de jeux en ligne. En 2010, elle obtient une licence pour le poker en ligne lors de l’ouverture en France du marché des jeux d’argent et de hasard en ligne – lequel est néanmoins limité au poker et aux paris sportifs sur Internet (6).

France : casinos en ligne toujours interdits
Mais Partouche cessera sur l’Hexagone son activité de poker en ligne en 2013. « La légalisation des jeux en ligne en 2010 n’a pas eu d’impact majeur sur le marché des casinos physiques. (…) En France, les jeux de casinos sont interdits en ligne, à l’exception du poker », souligne le groupe Partouche. Le casinotier s’est aussi lancé dans la réalité virtuelle en 2015 avec des jeux en VR. « L’activité de Partouche Lab (7) est désormais intégrée à sa maison mère Partouche Technologies », nous indique Maurice Schulmann. Faites vos jeux ! @

Charles de Laubier

The Sandbox, pionnier français du Web3, reprend son souffle et étoffe son écosystème

Après le crypto-krach de 2022 (l’ « hiver crypto »), qui fut une descente aux enfers pour les écosystèmes du Web3, les acteurs reprennent des couleurs comme le monde virtuel décentralisé The Sandbox, cofondé par deux Français. Son écosystème compte plus de 730 partenaires.

The Sandbox n’a pas attendu le métavers pour rencontrer le succès avec sa plateforme décentralisée, qui permet aux joueurs et aux créateurs de créer des mondes 3D immersifs, leurs avatars, des jeux en ligne, des NFT (1) et tout actif numérique original, de les stocker, les échanger et les monétiser en toute sécurité. Cet écosystème propose aussi sa propre cryptomonnaie : « Sand », construite sur la blockchain Ethereum. Aujourd’hui, cette plateforme de mondes virtuels décentralisés du Web3 dépasse les 730 partenaires qui contribuent à son écosystème créatif – soit un doublement en un an. Et ce, malgré le crypto-krach de l’an dernier et le faux départ des métavers.rme de mondes virtuels décentralisés du Web3 dépasse les 730 partenaires qui contribuent à son écosystème créatif – soit un doublement en un an. Et ce, malgré le crypto-krach de l’an dernier et le faux départ des métavers.

La culture Web3 attire les marques
Ce monde virtuel The Sandbox est né à partir d’un jeu mobile en 2D du même nom, de type « bac à sable » (comme Minecraft), créé il y a plus de dix ans par deux Français cofondateurs de la société Pixowl, basée à San Francisco : Arthur Madrid (photo) et Sébastien Borget. Avant qu’il ne devienne un métavers, The Sandbox fut développé en tant que jeu mobile et téléchargé plus de 40 millions de fois dans le monde, jusqu’à ce qu’il soit racheté par la société hongkongaise Animoca Brands en août 2018. Elle en fit une plateforme de monde virtuel en 3D, en gardant le nom et les deux cofondateurs, aujourd’hui respectivement directeur général (CEO) et directeur opérationnel (COO) de The Sandbox. Preuve que les mondes immersifs suscitent toujours un grand intérêt après le « bear market » de l’an dernier : Arthur Madrid et Sébastien Borget sont intervenus le 18 janvier dans le cadre du Forum économique mondial de Davos pour parler de The Sandbox au « Web3 Day@Davos » (2), une cession organisée par le groupe hongkongais AMTD et L’Officiel sur les thèmes de la création de valeur des actifs numériques et de la réinvention de la propriété intellectuelle par le Web3.
Y intervenaient aussi Yat Siu, le cofondateur et président d’Animoca Brands – maison mère de The Sandbox depuis 2018 – ou encore le Français Pascal Gauthier, PDG de The Ledger, lequel propose de sécuriser hors ligne les actifs numériques sur un portefeuille matériel crypté de la taille d’une clé USB et à l’abris des cybermenaces (3). Au sein de l’écosystème The Sandbox, l’on compte plus de 400 marques et ayants droits, plus de 300 agences et studios de création et de marketing, plus de 100 studios indépendants de développement de jeux, plus de 20 partenaires dans la formation, et plus de 10 plateformes technologiques (4). «De Ubisoft ou Atari à Warner Music ou SnoopDog, en passant par Adidas ou Tony Hawk, ou encore à Gucci ou Balenciaga, les marques adoptent les codes du Web3, à savoir une approche communautaire avec une communication bidirectionnelle plus authentique et directe, encourageant la cocréation d’actifs et d’expériences, par exemple avec des Game Jams [hackathon avec pour thème principal les jeux vidéo, ndlr] », a expliqué le 10 janvier Mathieu Cervety, directeur des partenariats de The Sandbox.
Les marques peuvent acquérir des terrains virtuels (des « land »), créer leurs magasins, vendre des produits, et interagir avec les avatars, clients potentiels. Il y a un an, Carrefour achetait pour 300.000 euros de parcelle de terrain virtuel dans ce monde en 3D. Le PDG du groupe d’hypermarchés, Alexandre Bompard, s’en était même félicité (5). Le groupe Casino l’avait devancé. La banque britannique HSBC (fondée à Hong Kong) s’est elle aussi offert des terrains virtuels, comme l’a confirmé en mars 2022 The Sandbox. Pour l’établissement financier, il s’agit d’« interagir et se connecter avec les amateurs de sports, d’e-sports et de jeux » (6). Autre exemple : l’assureur Axa s’est lui-aussi « sandboxisé » en février 2022. Pour aider marques et entreprises à s’installer dans The Sandbox, plus de 300 agences et studios dans plus de 20 pays les aident à adopter une stratégie Web3, à créer des actifs digitaux et marketing. C’est le cas de l’agence créative Wunderman Thompson du géant de la publicité WPP. Coinhouse va aussi aider des marques à y aller. The Sandbox a revendiqué un chiffre d’affaires de 180 millions de dollars en 2021 issus des ventes de « land » ou de NFT, ainsi que des reventes où il ne perçoit plus la totalité mais 5 % des transactions. Si son écosystème a doublé en 2022, les revenus ont dû suivre.

Un « hub » agences-studios en 2023
Les plus de 100 studios indépendants de développement de jeux vidéo peuvent candidater au « Game Maker Fund » doté de 300 millions de « Sand » pour financer leurs projets. Ils ont aussi à leur disposition les logiciels de création Voxedit et Game Maker – dont la V0.8 va améliorer les créations ludiques, sociales et immersives. En 2023, The Sandbox a aussi annoncé (7) un hub de « ressources partenaires » pour aider à informer les agences et les studios, et à les mettre en relation. @

Charles de Laubier