Marina Ferrari, nouvelle secrétaire d’Etat chargée du Numérique : entre souveraineté numérique et Gafam

Secrétaire d’Etat chargée du Numérique depuis le 12 février, Marina Ferrari doit défendre la « souveraineté numérique » que porte son ministre de tutelle Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique. Mais, « en même temps », la France ne peut se passer des Gafam.

(Le 26 février 2024, date de la publication de cet article dans le n°316 de EM@, la licorne française Mistral AI annonçait son « partenariat » avec… Microsoft

Jean-Noël Barrot, qui aura été ministre délégué chargé du Numérique à peine plus d’un an et demi (y compris jusqu’au 20 juillet 2023 en tant que ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications), est depuis le 8 février dernier ministre délégué chargé de l’Europe. Sa successeure Marina Ferrari (photo), secrétaire d’Etat chargée du Numérique depuis le 12 février, a saisi l’occasion – lors de leur passation de pouvoirs – pour notamment insister sur la « souveraineté numérique » : « Ce passage de relai nous permettra d’agir main dans la main, en confiance et de jouer collectif dans l’intérêt de la souveraineté numérique française et européenne. […] J’entends conduire mon action autour de deux piliers : résilience et souveraineté. […] Je m’engagerai pour accompagner la naissance d’une vraie souveraineté numérique européenne en veillant à l’application rigoureuse du DMA et du DSA. », a-t-elle déclaré ce jour-là.

Tapis rouge français pour l’IA américaine
Lors de son discours de prise de fonction à Bercy, celle qui reste aussi députée (Modem) depuis juin 2022 (après avoir été conseillère départementale de la Savoie d’où elle est originaire), a enfoncé le clou sur la « souveraineté numérique » : « Notre pays doit réussir le virage des deeptech et des greentech : c’est tout à la fois une question de souveraineté […]. Je m’impliquerai personnellement pour […] renforcer notre souveraineté et notre indépendance ». Bref, la « souveraine numérique » est plus que jamais le mot d’ordre au ministère de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, dénommé ainsi depuis mai 2022, Bruno Le Maire étant locataire de Bercy depuis mai 2017 (1). Artisant de la « Start-up Nation », le président de la République Emmanuel Macron impulse cette « volonté de construire la souveraineté de la France et de l’Europe dans le domaine numérique », que cela soit lors de ses prises de parole au Continuer la lecture

Huawei fête ses 20 ans en France, où le chinois bénéficie d’une indulgence qu’il n’a pas ailleurs

La filiale française du numéro un mondial des réseaux télécoms, Huawei Technologies France, a été créée le 1er décembre 2003. En deux décennies, le chinois a pris goût à l’Hexagone qui le lui rend bien. L’Etat français lui déroule le tapis rouge, contrairement aux Etats-Unis qui l’ostracisent.

Officiellement directeur général (président) de Huawei Technologies France depuis le 17 novembre dernier, le Chinois Enshuo Liu – alias Léo Liu (photo) – a succédé à son compatriote Weiliang Shi qui occupait ce poste depuis six ans. Le nouveau PDG de la filiale française du numéro un mondial des télécoms a été intronisé à l’occasion de la troisième édition de son plus grand événement européen, Huawei Connect Europe, qui s’est tenu les 15 et 16 novembre à Paris Porte de Versailles. De plus, le dirigeant fraîchement nommé a l’honneur de fêter ce 1er décembre les 20 ans de Huawei France.

A Strasbourg, n’en déplaise à Bruxelles
Cet anniversaire de deux décennies de présence de la firme de Shenzhen dans l’Hexagone a une valeur d’autant symbolique qu’il correspond aussi au coup d’envoi de la construction de la grande usine de production de Huawei dans la région Grand-Est, à Brumath dans le Bas-Rhin, à proximité de Strasbourg. Léo Liu a confirmé, lors de l’annonce de sa nomination le 30 octobre dernier, que ce projet industriel en Alsace ouvrait « un nouveau chapitre passionnant pour Huawei en France » (1).
Déjà le 22 juin, à l’occasion des journées « 360 Grand Est » à Strasbourg, le directeur général adjoint de Huawei France, Minggang Zhang, avait assuré sur place que le géant chinois maintenait son projet d’usine à Brumath (2). Et ce, malgré l’appel du commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, qui avait – sept jours plus tôt de Bruxelles – demandé aux Vingt-sept de « bannir les fournisseurs à haut risque » au regard de la sécurité de la 5G : « Les décisions prises par certains Etats membres de restreindre ou d’exclure complètement Huawei et ZTE de leurs réseaux 5G sont justifiées », avait-il lancé en ciblant nommément les deux chinois (3). Depuis le lancement officiel du projet de l’usine alsacienne en février 2021, Huawei ne s’est pas laissé intimidé par cette défiance à son égard au nom (ou sous prétexte, c’est selon) de « la sécurité collective de l’Union européenne ». La commune de Brumath accueillera bien la première usine hors de Chine de fabrication d’équipements télécoms du groupe Huawei, notamment pour les réseaux 5G. La firme de Shenzhen prévoit d’y produire l’équivalent de 1 milliard d’euros par an d’équipements télécoms à destination des marchés européens, avec la création « à terme » de 500 emplois directs (4). En février dernier, soit deux ans après le lancement du projet et à l’occasion du Mobile World Congress à Barcelone, l’ancien directeur général de Huawei France, Weiliang Shi, formé à Reims et à Shanghai, avait réaffirmé les engagements pris. Il est notamment question d’investir 200 millions d’euros dans cette nouvelle usine. Il avait même ajouté : « La France a pris une décision équilibrée » (5), en faisant référence à la loi française « antiHuawei » du 1er août 2019 prise – au sujet de « l’exploitation des réseaux radioélectriques mobiles » – sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron au nom des « intérêts de la défense et de la sécurité nationale » (6). Les restrictions françaises envers le chinois – soupçonné sans preuves de cyber espionnage au profit de Pékin – sont en effet moins strictes que celles prises par les Etats-Unis sous Trump (7) et maintenues sous Biden (8).
L’anniversaire des 20 ans de Huawei France sera d’autant plus festif que l’industriel chinois a de nouveau obtenu cette année 2023 de nouvelles preuves de bienveillance de la part du gouvernement français : après une rencontre entre Emmanuel Macron et le président chinois Xi Jinping en avril, et le déplacement en juillet à de son ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire (tous deux venus à Pékin), le gouvernement français a assoupli les restrictions à l’encontre de Huawei. N’en déplaise à Thierry Breton. Comment ? En autorisant SFR (Altice) et Bouygues Telecom à garder certaines de leurs antennes mobiles 5G Huawei au-delà de 2028, selon L’Informé (9). Orange et Free, eux, n’en disposent pas. Ces autorisations de pouvoir continuer à les utiliser trois ans de plus, soit jusqu’en 2031, ont été signées (conformément à la loi de 2019) par la Première Ministre, Elisabeth Borne sur proposition de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) qui lui est rattachée.

« La Chine apprécie la décision de la France »
La décision en France est « secret défense » mais cela n’a pas empêché la Chine d’exprimer haut et fort sa satisfaction, par la voix de son vice-Premier ministre en charge des finances, He Lifeng, devant Bruno Le Maire présent à Pékin le 29 juillet 2023 pour le 9eDialogue économique et financier de haut niveau Chine-France : « La Chine apprécie la décision de la France d’étendre la licence 5G de Huawei dans certaines villes françaises. […] Et nous souhaitons que la Chine réfléchisse à de nouveaux investissements industriels majeurs en France » (10). La confiance règne à Paris mais pas à Bruxelles. @

Charles de Laubier

Médias sociaux : l’Unesco tiendra sa première Conférence mondiale des régulateurs en juin 2024

L’agence de l’ONU pour l’éducation, la science et la culture organisera mi-2024 sa toute première Conférence mondiale des régulateurs. Au moment où les plateformes numériques en Europe font la chasse aux « contenus illicites », l’Unesco veut des garde-fous pour la liberté d’expression.

Audrey Azoulay (photo), directrice générale de l’Unesco, l’a annoncé le 6 novembre dernier : l’agence des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture organisera mi-2024 – en juin, selon les informations de Edition Multimédi@ – sa toute première Conférence mondiale des régulateurs, en vue de mettre en œuvre les mesures préconisées pour « mettre fin à ce fléau » qu’est « l’intensification de la désinformation et des discours de haine en ligne » sur les médias sociaux. Ce prochain rendez-vous concernera non seulement les gouvernements et les autorités de régulation, mais aussi la société civile et les plateformes numériques.

Préserver la liberté d’expression
« Il y a une exigence cardinale qui a guidé nos travaux : celle de préserver toujours la liberté d’expression et tous les autres droits humains. Contraindre ou brider la parole serait une terrible solution. Des médias et des outils d’information libres, de qualité et indépendants, constituent la meilleure réponse sur le long terme à la désinformation », a mis en garde Audrey Azoulay.
L’Unesco, qui revendique son rôle « pour la promotion et la protection de la liberté d’expression et de l’accès à l’information », a présenté à Paris – où est basé son siège social – les « Principes pour la gouvernance des plateformes numériques », détaillés dans un document d’une soixantaine de pages (1). Ils sont le fruit d’une consultation multipartite engagée en septembre 2022 et au cours de trois consultations ouvertes qui ont eu lieu respectivement entre décembre 2022 et janvier 2023, entre février et mars 2023 et entre avril et juin 2023, soit au total 1.540 contributions provenant de 134 pays et ayant généré plus de 10.000 commentaires. « Préserver la liberté d’expression et le droit d’accès à l’information, tout en luttant contre la désinformation, les discours de haine et les théories du complot, nécessite une approche multipartite », justifie l’Unesco, qui a aussi tenu compte des conclusions de sa conférence mondiale de février 2023 consacrée à la régulation des plateformes numériques (2). La protection de la liberté d’expression dans le monde est la première préoccupation de l’Unesco, alors que dans les vingt-sept Etats membres de l’Union européenne (UE) les très grandes plateformes en ligne et très grands moteurs de recherche en ligne – au nombre de dix-neuf (3) – doivent se conformer depuis le 25 août au règlement sur les services numériques qui leur impose de lutter contre les « contenus illicites » (fausses informations, discours haineux, messages à caractère terroriste, …). Selon certaines organisations, ce Digital Services Act (DSA) – applicable à toutes les plateformes numériques à partir du 17 février 2024 – présentent une menace pour la liberté d’expression des Européens (4) – notamment en cas de censure abusive, voire d’interprétation contestée de la part du commissaire au Marché intérieur, Thierry Breton (5).
Si l’Unesco ne mentionne pas dans son document les avancées de l’UE dans ce domaine, elle n’en met pas moins en garde les Etats du monde entier contre les atteintes à la liberté d’expression et aux droits humains. « Les Principes [pour la gouvernance des plateformes numériques] commencent par décrire l’environnement propice nécessaire pour sauvegarder la liberté d’expression, l’accès à l’information et d’autres droits humains, tout en garantissant un environnement ouvert, sûr et sécurisé pour les utilisateurs et les non-utilisateurs des plateformes numériques », explique l’Unesco dans son document. Sont ainsi définies les responsabilités des différentes parties prenantes, et ce n’est pas un hasard si celles-ci commencent par « les devoirs des Etats de respecter, protéger et appliquer les droits humains » :
Les Etats doivent respecter et promouvoir les droits humains, y compris le droit à la liberté d’expression et le droit d’accès à l’information. Les restrictions à la liberté d’expression ne sont admissibles que dans les conditions prévues aux articles 19 et 20 du PIDCP [Pacte international relatif aux droits civils et politiques (6), adopté par les Nations Unies en 1966 et entré en vigueur en 1976, ndlr].

Les Etats ne doivent ni censurer…
Les Etats ont des obligations positives de protéger les droits humains contre les ingérences injustifiées des acteurs privés, y compris les plateformes numériques, car ils ont la responsabilité de créer un environnement réglementaire qui facilite le respect des droits humains par les plateformes numériques et de donner des orientations aux plateformes numériques sur leurs responsabilités.
Les Etats sont tenus d’être pleinement transparents et responsables quant aux exigences qu’ils imposent aux plateformes numériques pour assurer la sécurité et la prévisibilité juridiques, qui sont des conditions préalables essentielles à l’Etat de droit. Plus précisément, les Etats doivent notamment : garantir les droits des utilisateurs des plateformes numériques à la liberté d’expression, à l’accès à l’information, à l’égalité et à la non-discrimination, et protéger les droits à la vie privée, à la protection des données, d’association et de participation publique des utilisateurs ; veiller à ce que toute restriction imposée aux plateformes respecte systématiquement le seuil élevé fixé pour les restrictions à la liberté d’expression, sur la base de l’application des Articles 19 et 20 du PIDCP.

…ni couper le réseau Internet
Les Etats doivent s’abstenir, notamment
: d’imposer des mesures qui empêchent ou perturbent l’accès général à la diffusion de l’information, en ligne et hors ligne, y compris les coupures d’Internet ; d’imposer une obligation générale de surveillance ou, pour les plateformes numériques, l’obligation générale de prendre des mesures proactives en relation avec les contenus considérés comme illégaux dans une juridiction spécifique ou avec les contenus qui peuvent être restreints de manière admissible en vertu des normes et de la législation internationales en matière de droits humains.
L’année 2024, au cours de laquelle se tiendra la première Conférence mondiale des régulateurs organisée par l’Unesco, sera d’autant plus décisive pour la régulation des plateformes numérique que 2 milliards de personnes sur la planète seront appelées à voter lors d’une cinquantaine d’élections dans plusieurs pays. Or, selon une étude réalisée l’été dernier par l’institut Ipsos pour l’agence « éducation, science et culture » de l’ONU, 87 % des personnes interrogées (sur un total de 8.000 dans 16 pays où se dérouleront une élection en 2024) craignent que la propagation de fausses informations en ligne ait un impact majeur sur les élections dans leur pays, et autant (87 % également) en appelle à une meilleure régulation des médias sociaux.
Les Facebook, YouTube, TikTok et autres Snapchat sont devenus dans de nombreux pays « la première source d’information des citoyens, en même temps que le principal vecteur de désinformation et de manipulation », relève la directrice générale de l’Unesco. La prochaine année électorale débutera avec les élections parlementaires au Bengladesh en janvier 2024, suivies par l’élection présidentielle au Sénégal en février 2024 et bien d’autres rendez-vous électoraux dans d’autres pays (El Salvador, Indonésie, Inde, Afrique du Sud, République dominicaine, Belgique, Mexique, Croatie, Autriche, Roumanie, Ghana), et se terminera avec l’élection présidentielle en Algérie en décembre 2024, précédée de l’élection présidentielle aux Etats-Unis en novembre 2024. « La régulation des réseaux sociaux constitue d’abord un enjeu démocratique. Bien sûr, la libération de la parole et de la participation démocratique par le numérique a représenté d’immenses progrès à certains égards, a expliqué Audrey Azoulay. Mais ces réseaux sociaux ont aussi accéléré et amplifié, parfois délibérément et à une échelle quasi-industrielle, la diffusion de fausses informations, voire de discours de haine et de théories complotistes – et ceux-ci tendent à se renforcer mutuellement ». Tout en appelant à la « modération » des contenus illicites sur Internet, elle appelle aussi à la « modération » de la régulation pour préserver la liberté d’expression. « Je voudrais souligner une exigence essentielle, qui a servi de boussole pour nous : la préservation de la liberté d’expression et de tous les autres droits de l’homme. Limiter ou restreindre la parole serait une fausse solution – une solution terrible, en fait – pour un problème très réel », a prévenu la directrice générale de l’Unesco, dont le second mandat s’achèvera en novembre 2025.
Les gouvernements et les autorités de régulation auront-ils la main lourde dans la chasse aux fake news ? C’est à craindre, alors que les pouvoirs publics (gouvernements et régulateurs justement) sont considérés – par le plus grand nombre de personnes interrogées dans le monde par Ipsos pour l’Unesco (29 %) – « comme les principaux responsables de l’identification et de la lutte contre la désinformation en ligne ». Et ce, devant les internautes eux-mêmes (23 %), les nouveaux médias (20 %), les médias sociaux (19 %), les organisations internationales (5 %) et les politiciens (4 %). En outre, à l’affirmation selon laquelle « les organisations internationales comme les Nations unies ou l’Unesco ont un rôle majeur à jouer dans la lutte contre la désinformation et les “fake news” », 75 % des sondés disent « Oui » (7).

La recommandation sur l’IA a deux ans
L’Unesco, dont le mandat confié par l’ONU est aussi de défendre et de promouvoir la liberté d’expression, l’indépendance et le pluralisme des médias (régulation globale des médias comme la radio ou la télévision), s’affirme de plus en plus dans la régulation d’Internet et l’éthique des nouvelles technologies. Elle a ainsi émis une recommandation sur l’éthique de l’intelligence artificielle, adoptée en novembre 2021 par les 193 Etats membres, pour fixer un cadre humaniste aux développements de cette innovation qui a depuis explosée avec les IA génératives (8). Tandis que la Convention de l’Unesco de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (9) intègre de plus en plus de directives opérationnelles élargies au numérique. @

Charles de Laubier

La banque centrale américaine, la Fed, met des bâtons dans les cryptos pour préserver le dollar

A peine le géant du e-paiement PayPal avait-il annoncé le 7 août sa cryptomonnaie indexée sur le dollar, baptisée « PayPal USD », que la banque centrale des Etats-Unis – la Federal Reserve (Fed) – publiait le lendemain un avertissement à l’attention du secteur bancaire américain.

Il ne s’agit pas, du point de vue des Etats- Unis, de déstabiliser le sacro-saint dollar américain, qui est devenu depuis la Seconde-Guerre mondiale (1) la plus importante monnaie de réserve internationale, après avoir détrôné la livre sterling britannique. Le dollar est la monnaie la plus utilisée dans le monde. Or dès qu’une monnaie ou une devise – et à plus forte raison une cryptomonnaie – menace la suprématie du billet vert, la Fed (Federal Reserve) voit rouge.

La Fed freine les cryptos et lance FedNow
D’où ses mises en garde aux émetteurs de monnaies numériques, y compris celles adossées au dollar. C’est ainsi que la banque centrale américaine (2) a publié le 8 août – soit le lendemain de l’annonce par PayPal de sa propre cryptomonnaie indexée sur le dollar et baptisée « PayPal USD » – un avertissement aux banques des 50 Etats membres, du moins à celles « qui cherchent à s’engager dans certaines activités impliquant des jetons en dollars ». La Fed, présidée par Jerome Powell (photo), a rappelé que le Federal Reserve Act (3) permet au conseil des gouverneurs de la Fed d’exercer son « pouvoir discrétionnaire » pour « limiter les banques d’Etat membres et leurs filiales à n’exercer, en tant que mandant, que les activités qui sont autorisées pour les banques nationales ».
Pour les transactions avec des jetons en dollars (dollar tokens) rendues possibles – comme pour toutes les cryptomonnaies – par la blockchain, ce que la Fed appelle « la technologie du grand livre distribué [distributed ledger] ou des technologies similaires », elles sont possibles mais à une condition : que la banque ait obtenu l’autorisation après avoir démontré au Bureau du contrôleur de la monnaie (OCC) et aux superviseurs qu’elle a mis en place « des contrôles pour mener l’activité de manière sûre et saine ». Autrement dit, pour peu qu’elles aient le feu vert de la Fed, les banques américaines peuvent « effectuer des activités de paiement à titre principal, notamment en émettant, détenant ou effectuant des transactions de jetons en dollars », ce que l’OCC appelle des « stablecoin » (cryptos adossées à une monnaie plus stable comme le dollar ou l’euro). Même pour tester un dollar token, une autorisation écrite dite de « non-objection prudentielle » est aussi nécessaire. Les Etats-Unis ont en fait tendance à voir l’émergence de ces « stablecoin » comme une menace potentielle pour la stabilité financière du pays voire du monde et un risque d’atteinte à sa souveraineté monétaire. Dans sa « lettre de supervision et de régulation » (4), la Fed oblige les banques à éviter « les risques opérationnels » (gouvernance, surveillance du réseau, …), « les risques de cybersécurité » (smart contracts, codes open source, …), « les risques de liquidité » (rachats importants, sorties rapides de dépôts, …), « les risques financiers illicites » (secret bancaire, identité d’un client, activités suspectes, …), « les risques liés à la conformité des consommateurs » (identification, protection des consommateurs, …). La Fed entend ainsi maintenir la pression sur les banques qui doivent plus que jamais montrer pattes blanches en matière de cryptomonnaies, stablecoins compris. La Réserve fédérale, à la fois juge et partie, n’a-t-elle pas lancé le 20 juillet dernier FedNow (5), un service de e-paiement instantané à bas coût proposé à leurs clients par déjà 35 banques et organismes de crédit ? Certains y voient une volonté de la Fed de rendre obsolètes les cryptomonnaies (6).
Ce n’est pas un hasard si le rappel à la loi fédérale a été émis juste après l’annonce du PayPal USD (PYUSD), la veille. Le géant du e-paiement a lancé le 7 août son stablecoin qui est « entièrement adossé aux dépôts en dollars américains, aux bons du Trésor américain à court terme et aux équivalents de trésorerie similaires, et peut être échangé 1:1 contre des dollars américains ». PayPal estime que « les stablecoins réglementés et entièrement adossés ont le potentiel de transformer les paiements dans les environnements web3 et numériques natifs ». Et le PDG de PayPal, Dan Schulman, d’affirmer : « La transition vers les monnaies numériques nécessite un instrument stable qui est à la fois numérique et facilement connecté à la monnaie fiduciaire comme le dollar américain ».

PayPal vise le monde, Worldcoin aussi
PayPal USD est émis en tant que jeton numérique ERC- 20 sur la blockchain Ethereum par Paxos Trust Company (ex-itBit), une fintech newyorkaise pionnière de la blockchain et du bitcoin. PayPal a obtenu de la part du l’Etat de New York en juin 2022 la licence BitLicense validant la sécurité de ses investissements dans les cryptos. Pendant ce tempslà, le 24 juillet, la version bêta de la cryptomonnaie Worldcoin (WLD), cocréée par le fondateur d’OpenAI/ChatGPT, Sam Altman, a été lancée (7). Face à cette « bitconnisation » de la finance, les banques centrales du monde entier et les régulateurs ne sont pas au bout de leurs peines. @

Charles de Laubier

Après les communs numériques et les télécoms, la CSNP va réfléchir aux « réseaux du XXIe siècle »

La Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP), instance parlementaire en cheville avec Bercy, rendra en septembre, d’une part, des préconisations sur « les communs numériques », et, d’autre part, des conclusions sur « les télécoms ». Prochaines réflexions : « les réseaux du XXIe siècle ».

Lors des 17es Assises du Très haut débit, organisées le 6 juillet à Paris, Mireille Clapot (photo), députée et présidente de la Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP), a fait état des travaux en cours de finalisation : des préconisations « vont être rendues prochainement » sur les communs numériques, dans le cadre d’une étude pilotée par Jeanne Bretécher, personnalité qualifiée auprès de la CSNP ; des conclusions « seront remises en septembre » sur les télécoms par le député Xavier Batut dans le cadre d’un avis de la CSNP. Selon les informations de Edition Multimédi@, les préconisations sur les communs numériques, qui devaient être dévoilées en juillet, ont été décalées à septembre – « le temps de les valider avec toutes les parties prenantes », nous indique Jeanne Bretécher. Et Mireille Clapot envisage déjà la suite : « Lorsque ces travaux seront finis, je suggère que nous réfléchissions à l’étape d’après : les réseaux du XXIe siècle ».

Services d’intérêt économique général
Sur les communs numériques, la CSNP adressera ses recommandations aux pouvoirs publics à la lumière de la toute première conférence qu’elle a organisée le 31 mai sur ce thème mal connu du grand public. Définition : « Les communs numériques sont des outils numériques produits par leurs communautés selon des règles qu’elles se fixent elles-mêmes. Les communs numériques s’appuient sur l’intelligence collective, la transparence, le partage des connaissances, pour se développer en opposition aux stratégies d’enfermement et de captation des données mises en place par les géants de la tech et certains Etats ». Au-delà des communs numériques les plus célèbres tels que Wikipedia, Linux, OpenStreetMap, Github, l’open-source (logiciel libre), les wikis ou encore les General Public License (GPL), les communs numériques se développent grâce à la collaboration internationale. Des initiatives publiques existent aussi comme l’Open Source Software Strategy (Commission européenne), GovStack (Allemagne, Lettonie et l’UIT), Digital Public Goods (Nations Unies), ou Société Numérique (France). « Les communs numériques sont Continuer la lecture