Quatre ans après l’accord de l’Elysée, Nicolas Sarkozy s’impatiente sur le filtrage et le streaming

Depuis l’accord dit « de l’Elysée » du 23 novembre 2007, les FAI n’ont toujours
pas expérimenté le filtrage. Tandis que Nicolas Sarkozy menace le streaming
d’une « Hadopi 3 », le cinéma (APC, FNDF) et la vidéo (SEVN) demandent au
juge de bloquer quatre sites de streaming, comme l’a déjà fait Google.

« Il faut aller plus loin parce qu’il y a les sites de streaming (…).
Sur les sites de streaming, l’idéologie du partage, excusez-moi,
c’est l’idéologie de l’argent : je vole d’un côté et je vends de l’autre. Qu’on ne me demande pas de soutenir ça ; personne ne peut soutenir ça. (…) On m’a présenté comme fanatique d’Hadopi. L’Hadopi… Mais Hadopi c’est un moyen, c’est pas une fin. (…)
Et certains d’entre vous se sont inquiétés lorsque j’ai dit que j’étais prêt à Hadopi 3. Pourquoi, parce que, j’ai bien conscience que la technologie évolue. Ce qui compte dans notre esprit – à Frédéric [Mitterrand] comme à moi –, c’est de protéger les droits d’auteur : si la technologie nous permet une nouvelle évolution,
eh bien on adaptera la législation. Pourquoi en rester là ? A partir du moment où l’on respecte cette question du droit de propriété [intellectuelle] ». Ainsi s’est exprimé le 18 novembre le chef de l’Etat lors du Forum d’Avignon, lequel accueillait également – à sa demande – un sommet élargi (G8/G20) de la culture. Ainsi, quatre ans après l’« accord pour le développement et la protection des oeuvres et programmes culturels sur les nouveaux réseaux » – accord dit « de l’Elysée » ou « Olivennes », signé par les opérateurs télécoms, les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) et les ayants droits de
la musique, du cinéma et de l’audiovisuel –, Nicolas Sarkozy s’est dit prêt à une loi
« Hadopi 3 » pour combattre le streaming illégal.

Orange, Free, SFR, Bouygues Télécom, Numéricable, …
Autrement dit, l’Etat français est prêt à filtrer le streaming. Car, contrairement aux réseaux peer-to-peer d’échange de fichiers téléchargés, le streaming – permettant de visionner un flux audio et/ou vidéo sans téléchargement préalable – nécessite une autre technique que celle mise en oeuvre par la société TMG dans le cadre de la « réponse graduée » de l’Hadopi. Cette fois, le filtrage du Net est nécessaire. Depuis quatre ans, l’accord de l’Elysée le prévoit. Il a bien abouti en 2009 à la promulgation des deux lois Hadopi (1) qui se focalisent sur le peer-to-peer, avec identification des œuvres et des adresses IP des internautes pris en flagrant délit de piratage en ligne. En revanche, cet accord n’a pas du tout été respecté par les FAI et les ayants droits quant à
l’« expérimentation des technologies de filtrage des réseaux disponibles », qui devait être menée avant fin 2009, en vue de bloquer les sites proposant des œuvres piratées.

Livre vert sur le filtrage avant fin décembre
« A ce jour, nous n’avons entamé aucune discussion, ni aucun travaux sur les techniques de filtrage sur Internet au sein de la fédération, sur le streaming illégal comme sur les autres formes d’accès aux contenus illégaux. Je n’ai pas connaissance que certains membres expérimentent ces dispositifs s de filtrage » (2), indique Yves Le Mouël, directeur général de la Fédération française des télécoms (FFT), à Edition Multimédi@. Or, France Télécom (Orange), Iliad (Free qui n’est pas toujours membre de la FFT), SFR (Neuf Cegetel à l’époque) ou encore Numéricâble s’y étaient engagés dans l’accord « Olivennes ».
Même son de cloche du côté de l’Hadopi, à qui le code de la propriété intellectuelle (3) confie le soin d’évaluer les expérimentations conduites dans le domaine des technologies de reconnaissance des contenus et de filtrage. « Nous ne sommes pas
au courant d’éventuelles expérimentations de filtrage. Et s’il devait y en avoir, nous devrions être obligatoirement tenus informés. En tout cas, ce n’est pas à l’Hadopi de les mener », nous répond un porte-parole de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet. Tout juste a-t-elle prévu, toujours selon nos informations, de publier d’ici fin décembre 2011 « une première version stable du livre vert sur le filtrage d’Internet et le blocage des accès », ouvrage qui est actuellement rédigé par le « Lab Réseaux et techniques » et qui sera réactualisé par la suite. Lors d’une réponse la députée Laure de La Raudière le 12 octobre dernier, le gouvernement a affirmé qu’« à ce jour, aucune expérimentation, qu’elle porte sur les technologies de type Deep Packet Inspection (DPI) ou sur toute autre technologie de reconnaissance des contenus et de filtrage, n’a été portée à la connaissance de l’Hadopi ou du ministre de la Culture et de la Communication. Lorsque de telles expérimentations seront menées, la Haute autorité a fait savoir qu’elle devra en être informée au plus tôt pour pouvoir mener à bien sa mission d’évaluation ». Pourtant, Nicolas Sarkozy y tient toujours et s’impatiente. Sa déclaration en faveur d’une loi pour le streaming le montre. Elle est dans le prolongement de ses vœux au monde la culture le 7 janvier 2010 :
« Mieux on pourra “dépolluer“ automatiquement les réseaux et les serveurs de toutes les sources de piratage, moins il sera nécessaire de recourir à des mesures pesant sur les internautes. Il faut donc expérimenter sans délai les dispositifs
de filtrage », avait-il lancé (4). Nicolas Sarkozy rêverait – comme beaucoup d’industries culturelles – de généraliser des radars sur le Net pour flasher les pirates en ligne, comme il a été l’artisan – comme ministre de l’Intérieur, puis chef de l’Etat – de la multiplication des radars routiers et des amendes automatiques associées, qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Dès 2004 et le rapport Kahn-Brugidou, les majors du disque via le Snep ont recommandé au gouvernement de placer sur différents points du réseau des réseaux ?
y compris chez les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) ? « plusieurs milliers » de radars – fixes pour les uns, mobiles pour les autres – dans le cadre d’« actions de prévention ou juridiques » (5).
En répondant aux questions lors du Forum d’Avignon, Nicolas Sarkozy a encore insisté : « On est prêt à faire une Hadopi 3, voire une Hadopi 4 », tout en se redisant hostile à l’idée de licence globale. Le 27 avril dernier, lors de son discours d’intronisation du Conseil national du numérique (CNN) à l’Elysée, il lance : « On me dit “est-ce que vous êtes prêts à un Hadopi 3 ?“ Bien sûr que j’y suis prêt. (…) Je prends d’ailleurs ma part de l’erreur [Hadopi 1 et 3] ». Et d’ajouter dans sa lancée : « Je suis même prêt à un Hadopi 4 qui serait la fin d’Hadopi parce qu’on aurait trouvé (…) un système [garantissant] la juste rétribution [des ayants droit] ». Lors d’un déjeuner à l’Elysée – décidément – avec des acteurs de l’Internet le 16 décembre 2010, il a déjà été question d’une « Hadopi 3 ». Deux lois françaises, respectivement de lutte contre les sites illégaux de jeux d’argent en ligne et de sécurité intérieure contre notamment les sites pédopornographiques, permettent déjà le filtrage et le blocage de sites web sur décision du juge. Alors pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? C’est par exemple le raisonnement de la Haute cour de Justice en Grande-Bretagne qui, le 26 octobre,
a ordonné à l’opérateur télécoms BT de bloquer l’accès au site web Newzbin en recourant à une technologie DPI (6). Reste à savoir si Nicolas Sarkozy sera en mesure de mener à bien, au-delà de mai 2012, sont projet « Hadopi 3 ».

Quand Nicolas répond aux attentes de Nicolas
En tout cas Nicolas Seydoux – président du Forum d’Avignon, président de Gaumont et président de l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuel (Alpa), laquelle a identifié quatre sites de streaming pirates qu’elle souhaite voir bloqués comme l’a fait Google avec notamment Allostreaming – est sur la même longueur d’onde que le chef de l’Etat. « Les textes de loi autorisent d’envisager des systèmes de filtrage. Ce sera à la Hadopi de les mettre en place (…) », a-t-il dit à Edition Multimédi@ (EM@45, p. 1 à 3) dans une interview exclusive avant le Forum d’Avignon. @

Charles de Laubier