Droits d’auteur : musiciens et artistes peuvent s’affranchir des sociétés de gestion collective

Les Sacem, Sabam, Gema et autres SACD – sociétés de gestion collective des droits d’auteur et/ou des droits voisins des créateurs – ne sont plus des passages obligés pour les artistes en Europe à l’ère du streaming. Des « entités de gestion indépendantes » comme Bridger peuvent les concurrencer.

La directive européenne du 26 février 2014 concernant la gestion collective du droit d’auteur et des droits voisins dans la musique – censée être transposée par les Vingt-sept depuis six ans (1) – a ouvert ce marché européen toujours dominé par la Sacem (France), la Gema (Allemagne), la Sabam (Belgique), la Sgae (Espagne) ou encore la Siae (Italie). Elle a créé un statut d’« entité de gestion indépendante », ou IME (2) en anglais, dont l’activité principale est de gérer le droit d’auteur ou les droits voisins du droit d’auteur pour le compte de titulaires.

IME : Soundreef, MPLC, Bridger, …
Ces entités à but lucratif sont « indépendantes » dans le sens où elles ne sont détenues ni contrôlées par des titulaires de droits, contrairement aux sociétés de gestions collective. Mais qu’elles soient « indépendantes » ou « collectives », ces organisations sont toutes – conformément à la directive européenne de 2014 – soumises à des obligations en matière de gestion et de transparence, notamment sur les aspects financiers de l’exploitation des droits. Plusieurs sociétés ont obtenu ce sésame IME en Europe pour « disrupter » ce marché du copyright management telles que Soundreef en Italie, Motion Picture Licensing Company (MPLC) en Grande-Bretagne ou encore Bridger en France.
Cette dernière est une filiale du groupe belge Audiovalley fondé en 2003 par Alexandre Saboundjian (photo de gauche). Une autre de ses filiales, Jamendo (3), avait aussi obtenu en février ce statut d’IME au Luxembourg (4). « Ces deux filiales ont le statut IME aujourd’hui, mais seule la société Bridger est appelée à le porter à l’avenir », indique à Edition Multimédi@ Jocelyn Seilles (photo de droite), fondateur et directeur général de Bridger. Cette nouvelle IME a été lancée officiellement le 13 avril dernier. « Ouverte aux auteurs-compositeurs du monde entier, Bridger collecte et répartit les droits d’auteur générés par le streaming des œuvres musicales. Elle s’adresse aux auteurs-compositeurs indépendants qui ne sont pas affiliés à une société de gestion collective, ainsi qu’aux auteurs-compositeurs qui souhaitent bénéficier d’un service 100 % digital en complément de leur affiliation à une société de gestion collective », explique la nouvelle société Bridger. Edition Multimédi@ a voulu savoir si des compositeurs, des artistes interprètes, des scénaristes ou des réalisateurs – soit des auteurs dans la musique, dans l’audiovisuel et/ou dans le cinéma – pouvaient s’affranchir des sociétés de gestion collective comme la Sacem (5) ou la SACD (6), ou d’autres en Europe et parfois en situation de « monopole légal » localement, pour ne s’en remettre qu’à des IME. La réponse est oui, mais : «Un musicien peut tout à fait quitter la Sacem et n’être qu’avec Bridger pour la collecte de ses droits d’auteur. Toutefois en faisant cela, il se priverait de ses droits radio et télé que Bridger ne collecte pas encore. C’est pourquoi, il est peut-être plus intéressant pour un auteur-compositeur de rejoindre Bridger uniquement sur la partie digitale. Cela dépend de chaque projet musical. Si un artiste génère 100 % de ses droits sur les plateformes de streaming, alors il vaut mieux pour lui qu’il rejoigne Bridger », nous a expliqué un porte-parole de la filiale d’Audiovalley. Bridger collecte les droits issus du digital (streaming mais aussi téléchargement) et nous indique qu’elle prévoit d’intégrer une partie de ceux de l’audiovisuel : « Dans le futur, nous collecterons les droits des auteurs et compositeurs des musiques utilisées/synchronisées dans des productions audiovisuelles (de tous types) au titre de leur mise à disposition publique par les plateformes digitales, mais nous ne revendiquerons pas les droits d’auteur des réalisateurs, scénaristes, etc. de ces mêmes productions ». Pour les droits liés à la radio et à la télévision, il est prévu de conclure des accords de réciprocité et de représentation avec les sociétés de gestion collective. Mais cela se fera en fonction des besoins exprimés par les membres de Bridger qui sont plutôt orientés streaming.
Les nouveaux entrants IME sur ce marché mondial très lucratif de la collecte et de la gestion des droits d’auteur et droits voisins s’appuient sur les métadonnées (metadata) qui permettent d’identifier en ligne chaque morceau de musique et qui composent le registre des oeuvres musicales (7).

Streaming : 600 M€ mal et pas reversés
La blockchain et les NFT vont accélérer dans musique la redistribution des cartes et des rémunérations (8). Ces technologies du Web3 mettent un terme à la fameuse « boîte noire » constituée par les royalties que les plateformes de streaming (Spotify, Deezer, Qobuz, …) n’ont pas pu reverser à leurs auteurs faute d’avoir été identifiés : selon, l’association britannique de musiciens indépendants Ivors Academy (9), au moins 600 millions d’euros de redevances « ne sont pas attribuées ou mal attribuées ». @

Charles de Laubier

Musique en ligne : 1 milliard de dollars de royalties impayées, premières restitutions en avril

Spotify, Apple Music, Amazon Music, Google/YouTube ou encore le français Deezer détiennent environ 1 milliard de royalties qu’elles n’ont encore pas versées aux auteurs de musiques « non-identifiées » ou d’origines étrangères inconnues. Ces sommes commencent enfin à être débloquées en avril.

(Depuis la publication de cet article dans le n°254 de Edition Multimédi@, le premier versement mensuel a porté sur 40 millions de dollars. Prochain paiement : mi-mai)

Les ayants droits cherchent à monétiser les UGC, ces contenus créatifs générés par les internautes

Les « User-Generated Content » (UGC) sont en plein boom, que cela soit dans la création musicale, la production audiovisuelle ou les jeux vidéo et l’e-sport. En Europe, la directive « Copyright » consacre ces contenus générés par les internautes. Les détenteurs des droits d’auteur lorgnent ce potentiel.

« Personne ne peut nier que le contenu généré par les utilisateurs (UGC) a eu un impact sociétal énorme. Nous nous connectons, communiquons et réseautons avec d’autres utilisateurs d’UGC. Cela a créé une communauté de créateurs florissante comprenant des musiciens, des producteurs de contenu, des joueurs, des influenceurs et plus encore », s’enthousiasme Vance Ikezoye (photo), le PDG fondateur d’Audible Magic, spécialiste de la reconnaissance de contenus, dans son introduction du rapport intitulé « La montée en puissance de l’UGC », réalisé par Midia Research et publié en octobre.

Plateformes musicales et Sacem : accord clean claim

En fait. Depuis le 1er janvier 2020, est entré en vigueur un accord de bonne pratique appelé « clean claim » et signé entre trois plateformes musicales – Spotify, YouTube/Google, Apple Music – et les sociétés européennes de gestion collective des droits d’auteur telles que la Sacem. Fini la rétroactivité des droits.

En clair. Désormais, depuis le 1er janvier 2020, il n’est plus possible pour les musiciens et auteurs interprètes de toucher leurs droits d’auteur de manière rétroactive pour les diffusions de leurs musiques en ligne. C’est le résultat d’un accord signé l’an dernier entre la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) et ses homologues européennes (l’anglaise PRS, l’allemande GEMA, l’italienne SIAE, l’espagnole SGAE, …), d’une part, et les trois principales plateformes de streaming musical que sont Spotify, YouTube/Google, Apple Music, d’autre part. « Ce nouvel accord de bonne pratique est appelé “clean claim”. Son principe est clair : si l’œuvre n’a pas été déposée à la Sacem dans l’année de sa première diffusion, nous ne pourrons plus la revendiquer auprès des plateformes comme Spotify, jusqu’au dépôt formel. Nous ne pourrons donc pas facturer au titre de ses exploitations en ligne, sur la période préalable au dépôt », a prévenu Julien Dumon, directeur des droits phonographiques et numériques à la Sacem, dans le magazine des sociétaires de la Sacem (au nombre de 169.400 à ce jour) diffusé cet hiver. Auparavant, la Sacem pouvait revendiquer les œuvres qu’elle supposait signées de ses membres en attendant que les membres déposent vraiment l’œuvre (1). Désormais, cela ne lui est plus possible, afin d’éviter les « conflits de revendication » éventuels avec d’autres sociétés de gestion collective européennes. Par exemple, si la PRS en Grande-Bretagne revendique une œuvre et la Sacem fait de même, cette situation provoque le blocage du paiement des royalties par la plateforme musicale. « Aujourd’hui, nous devons prouver que cette œuvre est bien déjà déposée. Certes, un délai de rattrapage est quand même prévu, mais il est court. Au plus tard, l’œuvre doit être déposée dans les douze mois suivant sa première exploitation », indique Julien Dumon.
La Sacem indique en outre qu’« 1 million de vues sur YouTube génèrent environ 350 euros en moyenne, quand 1 million d’écoutes sur Spotify apportent environ 1.100 euros de droits d’auteur » (2). Et de comparer : une musique en ligne recevra 0,001 euro par stream (Spotify Premium) ; chaque titre d’un album de douze titres vendu sur CD percevra en moyenne 0,06 euro. C’est déjà mieux qu’une chanson écoutée sur NRJ qui rapporterait seulement 0,000004 euro par auditeur ! @

Avec Internet et le streaming, des musiciens sont tentés de se passer des maisons de disques

Le self-releasing musical émerge. Les plateformes d’auto-distribution – TuneCore de Believe Digital et SpinnUp d’Universal Music, mais aussi CD Baby, EMU Bands, Record Union ou encore Awal – séduisent de plus en plus d’artistes tentés de s’affranchir des producteurs de musique.

« Vous n’avez pas besoin d’un label pour partager votre musique dans le monde entier. Avec TuneCore, mettez facilement en ligne votre musique sur iTunes, Deezer, Spotify et plus de 150 autres plateformes digitales. Vous conservez 100 % de vos droits et 100 % de vos royalties ». Telle est l’accroche de la société newyorkaise qui a créé en 2005 une plateforme numérique de distribution mondiale de musiques. C’est la promesse, pour les artistes qui le souhaitent, de s’affranchir des maisons de disques – lesquelles risquent ainsi d’être « ubérisées » comme les maisons d’édition avec l’auto-édition (1).