La France sera l’un des pays les plus impactés par le règlement européen « Liberté des médias »

Le 21 juin dernier, le Conseil de l’Union européenne a approuvé le mandat lui permettant de négocier avec le Parlement européen le projet de règlement sur « la liberté des médias » (EMFA). Ces discussions devraient aboutir avant les prochaines élections du Parlement européen de juin 2024.

(Tandis qu’en France, le 13 juillet, l’Elysée a annoncé pour septembre des « Etats généraux de l’information » , dont les conclusions seront livrées à l’été 2024)

Le European Media Freedom Act (EMFA), projet de règlement européen sur la liberté des médias, fait couler beaucoup d’encre. Ce futur texte législatif – contraignant pour les Vingt-sept – vise à préserver la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias dans l’Union européenne (UE), ainsi qu’à protéger les journalistes, leurs sources, et les services de médias contre les ingérences politiques dans les rédactions. L’EMFA entend notamment faire la transparence sur la propriété des médias.

Financement des médias et leur indépendance
C’est un sujet sensible, mais déterminant pour la démocratie. L’objectif des instances européennes est que les négociations autour de ce projet de règlement « Liberté des médias » puissent se conclure « avant les prochaines élections au Parlement européen », lesquelles se tiendront les 6 et 9 juin 2024. Maintenant que le mandat de négociation (1) avec le Parlement européen a été approuvé le 21 juin par les représentants permanents des Etats membres, le Conseil de l’UE – présidé depuis le 1er juillet et pour six mois par le président du gouvernement espagnol Pedro Sánchez (photo) – a donné le coup d’envoi de l’examen du texte. Il concerne la presse et la radio qui n’entraient pas dans le champ de la directive européenne de 2010 sur les services de médias audiovisuels (SMA). Or leur importance transfrontalière est croissante grâce à Internet, aux applications mobiles et aux agrégateurs de contenus d’actualités (Google News, MSN, Yahoo News, …), et en plusieurs langues.
Les GAFAM sont des passerelles vers ces médias nationaux, mais aussi des catalyseurs de publicité en ligne. Et – convergence des médias oblige – la presse et la radio en ligne se sont étoffées dans les contenus audiovisuels (vidéo, podcasts, live streaming, …). La désinformation (fake news, manipulations, ingérences, …) est en outre plus facilement propagée par les plateformes numériques et les fournisseurs de contenus. L’article 17 de l’EMFA impose aux très grandes plateformes une « exemption médiatique », à laquelle s’oppose la CCIA représentant les GAFAM (2). Les éditeurs, eux, craignent la censure de leurs contenus par ces géants du Net (3).
C’est dans ce contexte que le Conseil de l’UE et le Parlement européen s’emparent de la proposition de règlement EMFA que la Commission européenne avait présentée le 16 septembre 2022 « établissant un cadre commun pour les services de médias dans le marché intérieur et modifiant la directive [SMA] » (4). Le but est d’harmoniser les règlementations nationales sur la presse et la radio en termes de pluralisme des médias, d’indépendance éditoriale ou encore de financement de ces médias par des acteurs privés (industriels, milliardaires, fonds, …) et par les pouvoirs publics (aides d’Etat (5), médias publics, …). Parmi les « obstacles » au marché unique des médias en Europe, le mandat du 21 juin pointe « le manque de coordination entre les mesures et procédures nationales des Etats membres » et « l’insuffisance des outils de coopération réglementaire entre les autorités réglementaires nationales » (Arcom en France, l’ALM en Allemagne, l’AGCOM en Italie, etc.). Ce à quoi s’ajoutent « des mesures nationales discriminatoires ou protectionnistes », qui peuvent pénaliser les éditeurs désireux d’entrer sur de nouveaux marchés.
Plus largement, l’EMFA veut que soient respectés par les éditeurs : la liberté des médias, le pluralisme des médias, la diversité culturelle, linguistique et religieuse, conformément à la Charte des droits fondamentaux de l’UE (6). La Hongrie, la Pologne et la Slovénie sont souvent cités comme les premiers pays visés par ce futur règlement, mais la France n’est pas en reste malgré sa loi de 1881 sur « la liberté de la presse » (7). Car l’Hexagone a la particularité unique au monde d’avoir des pans entiers de sa presse détenus par des industriels milliardaires : Vincent Bolloré, Martin Bouygues, Arnaud Lagardère, Xavier Niel, Daniel Kretinsky, Bernard Arnault, Patrick Drahi, ou encore Rodolphe Saadé. À la suite de la commission d’enquête du Sénat sur la concentration dans les médias en France (8), une seule proposition de loi sur l’indépendance des médias a été déposée par la députée Paula Forteza en février 2022 mais semble depuis bloquée à la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale (9).

Lobbies des éditeurs contre un « super-Erga »
Au niveau européen, le lobbying des éditeurs de presse – via l’association des quotidiens ENPA et celle des magazines EMMA – est puissant (10). Leur dernière action : une lettre ouverte datée du 27 juin (11) aux législateurs européens s’inquiétant notamment de « l’harmonisation européenne » et de la création d’un Conseil européen des services des médias (EBMS) qui transformera l’actuel Erga (regroupant les « Arcom » nationaux) en « super-Erga » garant de l’indépendance des médias et du respect du futur EMFA. @

Charles de Laubier

L’accord sur le transfert des données personnelles vers les Etats-Unis peut-il aboutir ?

Après l’échec du « Safe Harbor » et celui du « Privacy Shield », un nouvel accord se fait attendre entre l’Union européenne et les Etats-Unis sur le transfert des données à caractère personnel. Si le processus est incontestablement en cours, il suscite des réserves qui compromettent son aboutissement.

Par Emmanuelle Mignon, avocat associé, et Gaël Trouiller, avocat, August Debouzy

(Article paru le 26-06-23 dans EM@ n°302. Le 03-07-23, les Etats-Unis ont déclaré avoir « rempli leurs engagements » pour la protection des données UE-US. Le 10-07-23, la Commission européenne a publié sa décision d’adéquation)

En mars 2022, la Commission européenne avait annoncé qu’un accord politique entre sa présidente Ursula von der Leyen et le président des Etats-Unis Joe Biden avait été trouvé (1) : une première traduction juridique de cet accord, intitulé « Data Privacy Framework » (DPF) est alors née, le 7 octobre 2022, du décret présidentiel américain – Executive Order n°14086 – sur « le renforcement des garanties relatives aux activités de renseignement sur les transmissions des Etats-Unis » (2).

Après l’annulation du « Privacy Shield »
Sur le fondement de cet Executive Order (EO), la Commission européenne a publié, le 13 décembre 2022 (3), un projet de décision d’adéquation du système étasunien de protection des données au droit de l’Union européenne (UE). Celui-ci a fait l’objet d’un avis consultatif du Comité européen de la protection des données (CEPD) du 28 février dernier. Cet avis reconnaît que l’EO apporte de « substantielles améliorations », mais souligne cependant que des écueils subsistent et que des clarifications du régime américain demeurent nécessaires (4). Plus critique, le Parlement européen, dans sa résolution du 11 mai 2023, « conclut que le cadre de protection des données UE–Etats-Unis ne crée [toujours] pas d’équivalence substantielle du niveau de protection [et] invite la Commission à ne pas adopter le constat d’adéquation » (5).
Epicentre du DPF, l’EO n°14086 de Joe Biden a pour objet d’instaurer des garanties juridiques afin de prendre en considération le droit de l’UE, en particulier l’arrêt « Schrems II » de 2020. On se souvient que, par cet arrêt, la Cour de justice de l’UE (CJUE) avait jugé que :
Le « Privacy Shield » instituait des limitations au droit à la protection des données à caractère personnel – protégé par les articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE – méconnaissant les exigences de nécessité et de proportionnalité découlant de l’article 52 de cette même Charte. Etait en particulier visée la collecte « en vrac » de données des citoyens européens opérée par les services de renseignement étasuniens en application : de la section 702 du Foreign Intelligence Surveillance Act (FISA) de 2008, qui autorise les services de renseignement américains à adresser à un fournisseur de services de communications électroniques des directives écrites lui imposant de procurer immédiatement au gouvernement toute information ayant pour objet d’obtenir des renseignements (métadonnées et données de contenu) se rapportant à des personnes étrangères susceptibles de menacer la sécurité des EtatsUnis ; de l’Executive Order n°12333 de 1981, qui permet aux services de renseignement américains d’accéder à des données « en transit » vers les Etats-Unis, notamment aux câbles sous-marins posés sur le plancher de l’Atlantique, ainsi que de recueillir et de conserver ces données.
Le « Privacy Shield » ne fournissait pas de voie de contestation devant un organe offrant aux citoyens européens, dont les données sont transférées vers les EtatsUnis, des garanties substantiellement équivalentes à celles requises par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE consacrant le droit à un recours effectif (6). Pour répondre aux attentes du droit de l’UE, l’EO n°14086 de Biden instaure des principes devant guider les services de renseignement américains lorsqu’ils traitent de données à caractère personnel. A cet égard, les services de renseignement doivent : respecter la vie privée et les libertés civiles indépendamment du lieu de résidence et de la nationalité des personnes dont les données sont collectées (en particulier, cette collecte ne pourra être opérée qu’à condition d’être « nécessaire » et « proportionnée » à la priorité en matière de renseignement alléguée) ; poursuivre des objectifs limitativement définis par l’EO, comme la protection contre le terrorisme ou l’espionnage, et s’écarter, en toute hypothèse, de ceux expressément exclus tels que l’entrave à la liberté d’expression.

L’Executive Order de Biden
L’EO de Biden prévoit, en outre, un mécanisme de recours à double niveau. En premier lieu, les citoyens européens pourront saisir, par l’intermédiaire d’une autorité publique désignée à cet effet, l’officier de protection des libertés publiques – Civil Liberties Protection Officer (CLPO) – d’une plainte. Ce dernier adoptera alors, s’il estime que les garanties conférées par l’EO n’ont pas été respectées, les mesures correctives appropriées comme la suppression des données illicitement récoltées. En second lieu, un appel de la décision du CLPO pourra être interjeté devant la Cour de révision de la protection des données – Data Protection Review Court (DPRC) – spécialement créée par l’EO. Elle sera composée de membres nommés en dehors du gouvernement américain et ayant une certaine expérience juridique en matière de données à caractère personnel et de sécurité nationale. La décision de cette Cour sera rendue en dernière instance et revêtue d’un caractère contraignant.

Des frictions avec le droit de l’UE
Les points persistants de friction avec le droit de l’UE qui sont mis en avant par ceux qui sont hostiles à l’adoption du DPF sont les suivants :
La collecte « en vrac » de données à caractère personnel, bien qu’encadrée par l’EO de Biden, n’est pas entièrement prohibée et ne nécessite pas une autorisation préalable indépendante. Le recours à cette méthode peut poser une sérieuse difficulté de compatibilité avec le droit de l’UE. En effet, la CJUE voit dans la collecte généralisée et non différenciée des données une incompatibilité avec le principe de proportionnalité (7), à tout le moins lorsqu’une telle collecte ne fait l’objet d’aucune surveillance judiciaire et n’est pas précisément et clairement encadrée (8). Or, cet encadrement pourrait, au cas présent, faire défaut dans la mesure où il est très largement extensible par la seule volonté du Président américain qui est habilité par l’EO à modifier, secrètement, la liste des motifs sur le fondement desquels il peut être recouru à cette technique de surveillance (9).
Il n’est pas acquis, faute de définition dans l’EO, que les caractères « nécessaire » et « proportionné » des collectes de données aient la même signification que celle – exigeante – prévalant en droit européen.
L’indépendance des organes de recours peut être mise en doute, bien que le système instauré par l’EO comprenne des garanties supérieures à celles antérieurement attachées au médiateur – l’Ombudsperson – du Privacy Shield. En particulier, le CLPO et la DPRC sont organiquement rattachés au pouvoir exécutif américain, n’appartiennent pas organiquement au pouvoir judiciaire et pourraient alors ne pas pouvoir être qualifiés de tribunal au sens de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE. L’EO institue toutefois des garanties fonctionnelles d’indépendance à ces deux instances. Ainsi, le directeur du renseignement national ne pourra pas intervenir dans l’examen d’une plainte déposée auprès du CLPO et il lui est interdit de révoquer ce dernier pour toute mesure prise en application de l’EO. Quant à la DPRC, ses membres – qualifiés de juges – ne pourront pas recevoir d’instructions du pouvoir exécutif, ni être limogés à raison des décisions qu’ils prendront. A cet égard, on peut s’interroger mutatis mutandis sur la portée de certaines des garanties apportées par le droit des Etats membres en matière de contrôle des activités de surveillance. L’équilibre n’est pas simple à trouver, mais, s’agissant de la France, le caractère secret de la procédure de contrôle devant le Conseil d’Etat suscite à tout le moins des interrogations.
Enfin, d’autres règlementations américaines comme le Cloud Act – régissant la communication de données dans le cadre d’enquêtes judiciaires – n’entrent pas dans le champ de l’EO. Leur application, qui n’est donc pas tempérée par les garanties instituées par ce dernier, pourrait se révéler incompatible avec le niveau de protection des données à caractère personnel en droit de l’UE. Il y a lieu toutefois de souligner que les dispositions du Cloud Act s’inscrivent dans le cadre de l’activité judiciaire des autorités américaines (poursuites et répression des infractions pénales et administratives), qui doit être clairement distinguée des activités de renseignement. Le Cloud Act offre en pratique des garanties qui n’ont rien à envier à celles du droit de l’UE et du droit des Etats membres (10).Ces points de vigilance, non-exhaustifs, devront être scrutés avec attention tout au long de l’examen du processus d’adoption de la décision d’adéquation. Après le CEPD et le Parlement européen, c’est au tour du comité composé des représentants des Etats membres de l’UE d’émettre prochainement un avis sur le projet de la Commission européenne. A supposer qu’il y soit favorable à la majorité qualifiée de ses membres, la décision d’adéquation pourra alors être adoptée. Si la Commission européenne s’est initialement affichée plutôt confiante sur l’avènement du DPF (11), celui-ci pourrait évidemment se retrouver grippé par une contestation de la décision d’adéquation devant le juge européen qui a déjà été annoncée par ses adversaires. En cas de succès de ce recours, l’avenir serait alors bien incertain dans la mesure où les Etats-Unis semblent être arrivés au bout de ce qu’ils sont prêts à concéder pour parvenir à un accord transatlantique sur le transfert des données qui ne se fera pas au prix d’un affaiblissement de la conception qu’ils se font de leur sécurité nationale.

Vers une 3e annulation par la CJUE ?
Il est peu de dire qu’une éventuelle annulation par la CJUE de la future troisième décision d’adéquation après celles relatives aux « Safe Harbor » (décision « Schrems I » de 2015) et au « Privacy Shield » (décision « Schrems II » de 2020), cristalliserait, de part et d’autre de l’Atlantique, des positions politiques et juridiques certainement irréconciliables. Surtout, cela prolongerait la situation d’incertitude juridique dans laquelle sont plongés les acteurs économiques qui peuvent se voir infliger de lourdes sanctions en cas de transferts transatlantiques irréguliers de données, à l’image de la société Meta condamnée, le 12 mai 2023, à une amende record de 1,2 milliard d’euros par le régulateur irlandais. @

Nicolas Guérin, stratège discret mais très influent au sein de la filière télécoms et au coeur de l’Etat

Probablement l’homme le plus influent des télécoms en France. Nicolas Guérin fête ses 25 ans chez Orange, dont il est secrétaire général depuis 5 ans. Il conseille depuis 2020 le gouvernement en tant que président du Comité stratégique de filière « Infrastructures numériques ».

En plus de sa fonction stratégique de secrétaire général d’Orange depuis mars 2018, et à ce titre l’un des treize membres du comité exécutif (le « comex »), Nicolas Guérin (photo) est depuis l’automne 2020 président du Comité stratégique de filière « Infrastructures numériques » (CSF-IN). Il s’agit de l’une des dix-neuf filières représentées au sein du Conseil national de l’industrie (CNI), lequel est présidé par la Première ministre, Elisabeth Borne. Nicolas Guérin est en outre très impliqué au sein de la Fédération nationale des télécoms (FFTélécoms), qu’il présidera à nouveau le 3 juillet prochain. Nicolas Guérin (55 ans le 19 août prochain) est la personnalité la plus influente des télécoms en France, dont il a vécu la libéralisation depuis le début, il y a… un quart de siècle. C’est le 5 janvier 1998, après un passage chez TDR, opérateur de la radiomessagerie Tam Tam et filiale de SFR (où il avait fait un premier stage), qu’il entre chez France Télécom, soit au cinquième jour de l’ouverture du marché français des télécoms à la concurrence et au moment où l’ancien monopole public des télécoms devient une société anonyme. Il y rentre en tant que juriste chargé justement de la concurrence et de la réglementation.

Il a vu passer quatre présidents d’Orange
L’Etat, unique actionnaire à l’époque avant de se retrouver minoritaire, détient encore aujourd’hui 22,95 % du capital et 29,25 % des droits de vote (1). Nicolas Guérin s’est ensuite rendu indispensable pour la stratégie et le lobbying d’Orange – la dénomination sociale depuis dix ans (2). Il verra défiler à la présidence du groupe Michel Bon, Thierry Breton, Didier Lombard et Stéphane Richard, avant de se retrouver il y a plus d’un an aux côtés du duo formé par Christel Heydemann (directrice générale) et Jacques Aschenbroich (président). Après avoir été promu il y a vingt ans directeur juridique « concurrence et réglementation » d’Orange, dont il devient le directeur juridique et « secrétaire du conseil d’administration », Nicolas Guérin est secrétaire général du groupe Orange depuis plus de cinq ans. Le rapport d’activité 2022 publié le 30 mars le mentionne toujours bien ainsi dans le « comité exécutif à compter du 3 avril 2023 », lequel a évolué « pour accompagner les évolutions liées au nouveau plan stratégique [« Lead the future« ]» présenté le 16 février par Christel Heydemann. Mais Continuer la lecture

Après avoir échoué à remplacer M6, et à racheter Editis et La Provence, Xavier Niel se concentre sur Iliad en Europe

En mars, Xavier Niel voit Vivendi choisir Daniel Kretinsky pour lui vendre Editis. En février, il prend acte du rejet de son projet de chaîne Six. En octobre, La Provence lui échappe au profit de Rodolphe Saadé. Et dans les télécoms, où il poursuit des ambitions européennes, le fondateur de Free se fâche avec l’Arcep.

Xavier Niel, le milliardaire magnat des télécoms et des médias, est tendu ces derniers temps. Cela se voit dans ses coups de gueule sur le marché français des télécoms. Pourtant, à 55 ans, tout semble lui sourire : sa fortune avait dépassé pour la première fois, en 2022, la barre des 10 milliards d’euros (1) ; sa vie privée se passe aux côtés de Delphine Arnault, fille de la plus grand fortune mondiale Bernard Arnault (2), PDG de LVMH (propriétaire du groupe Le Parisien-Les Echos) ; il a eu les honneurs de la République en étant fait le 31 décembre dernier chevalier de la Légion d’honneur par décret d’Emmanuel Macron (3) qu’il fréquente et apprécie depuis 2010 – l’Elysée préfèrerait même Iliad/Free à Orange (pourtant détenu à 22,9 % par l’Etat) pour ses ambitions européennes.
Or, depuis quelques mois, les déconvenues et les échecs se succèdent pour le « trublion » des télécoms et tycoon des médias français. Mise à part la chute de sa fortune de 43 % au 5 avril (4) par rapport à 2022, dernière contrariété en date : la décision de l’Arcep d’augmenter le tarif du dégroupage de la boucle locale d’Orange, autrement dit le prix de location mensuelle payé par Free, Bouygues Telecom ou SFR pour emprunter le réseau de cuivre historique hérité de France Télécom pour les accès ADSL et le triple play Internet-TV-téléphone. « C’est une formidable rente de situation pour Orange », a-t-il dénoncé le 22 mars dernier devant les sénateurs de la commission des affaires économiques qui l’auditionnaient.

Le « trublion » contrarié par l’Arcep et l’Arcom
Mais avant de ruer dans les brancards des télécoms en attaquant les décisions tarifaires du gendarme des télécoms – présidé par l’ex-députée et ex-France Télécom/Orange Laure de La Raudière dont il avait considéré la nomination à tête de l’Arcep il y a plus de deux ans comme « aberrant pour la concurrence » (5) –, Xavier Niel avait enchaîné les déconvenues dans les médias et l’édition.
Le rejet par l’Arcom de son projet de chaîne de télévision « Six ». C’est le 22 février 2023 que l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) recale son dossier de candidature pour son projet de chaînes « Six » dont l’ambition était de remplacer M6 sur le canal 6 de la TNT (télévision nationale diffusée par voie hertzienne terrestre en clair et en haute définition). Sans grand suspense, ce sont les autres « projets » qui sont « sélectionnés » par le régulateur de l’audiovisuel, à savoir TF1 (Télévision Française 1) et M6 (Métropole Télévision) dont les autorisations de continuer à émettre sur la TNT seront délivrées avant le 5 mai prochain.

TV, édition, presse : des mises en échec
Eliminé, Xavier Niel a noyé sa déception dans un même ironique posté sur Twitter le jour du verdict : « Comment te récupérer putain !? JAMAIS je pourrai la récupérer » (6). Un mois après, devant les sénateurs lors de son audition, le fondateur de Free et président du conseil d’administration de la maison mère Iliad, dont il est l’actionnaire principal, a regretté l’absence d’explication donnée par l’Arcom : « On ne nous a pas communiqué les raisons pour lesquelles nous n’avons pas été retenus. On l’a dit publiquement : on avait l’impression d’une procédure perdue d’avance. (…) Je ne sais si nous reviendrons sur ces sujets. Nous pensons que l’on ne peut exister dans le monde de la télévision que si on a un des six premiers canaux » (7).
Son exclusion de la course au rachat d’Editis à Vivendi. Le 14 mars, Vivendi – maison mère du deuxième groupe d’édition en France – a annoncé son entrée en négociation exclusives avec International Media Invest (IMI), filiale de Czech Media Invest (CMI) du milliardaire tchèque Daniel Kretinsky. Objectif de Vivendi appartenant à Vincent Bolloré : céder au Tchèque 100 % du capital d’Editis – chiffre d’affaires 2022 en baisse de 8,1 % à 789 millions d’euros avec sa cinquantaine de maisons d’édition, dont La Découverte, Plon, Perrin, Robert Laffont, Presses de la Cité, Le Cherche Midi, Bordas, Le Robert, … – , afin d’obtenir d’ici juin prochain le feu vert de la Commission européenne pour s’emparer de la totalité du groupe Lagardère, maison mère du premier éditeur français Hachette. Xavier Niel, copropriétaire depuis novembre 2010, du groupe Le Monde (Le Monde, Télérama, L’Obs, …) au côté du même Daniel Kretinsky, lui aussi coactionnaire de la holding Le Monde Libre (8), se serait bien vu en plus à la tête du deuxième éditeur français. Mais le Tchèque, lui aussi magnat des médias via sa holding CMI (Marianne, Elle, Télé 7 jours, Femme actuelle, Franc-Tireur, …, sans oublier 5 % détenu dans TF1 et un prêt consenti à Libération), lui a coupé l’herbe sous le pied.
La candidature de Xavier Niel au rachat d’Editis avait été révélée le 25 novembre 2022 par La Lettre A, en lice face à deux autres prétendants : Reworld Media (9) et Mondadori. Editis est valorisé entre 500 et 675 millions d’euros, d’après le cabinet Sacafi Alpha. Avec un fonds d’investissement, qui pourrait être le new-yorkais KKR (Kohlberg Kravis Roberts) dont il est un administrateur depuis mars 2018, Xavier Niel aurait proposé un prix d’achat jugé insuffisant par Vivendi. • Son échec dans sa tentative de s’emparer du groupe La Provence. Le 30 septembre 2022, c’est le groupe maritime CMA CGM du nouveau milliardaire Rodolphe Saadé qui est confirmé pour reprendre les 89 % du groupe La Provence, comprenant aussi Corse-Matin. Xavier Niel, détenant les 11 % restant via sa holding personnelle NJJ, était pourtant considéré comme le « repreneur naturel » – y compris par feu son propriétaire Bernard Tapie (10) – du groupe La Provence, premier éditeur de presse de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA). Le patron de Free détient 11 % du capital depuis que le belge Nethys lui a vendu en 2019 sa participation (11). C’est aussi grâce à Nethys que Xavier Niel a pu faire tomber dans son escarcelle fin mars 2020 le groupe Nice-Matin (GNM), éditeur des quotidiens Nice-Matin, VarMatin et Monaco-Matin dans les Alpes-Maritimes et le Var (PACA toujours). Et ce, au détriment du favori – l’homme d’affaires Iskandar Safa (propriétaire de Valeurs Actuelles via Privinvest Médias) – qui a jeté l’éponge. Après Lagardère (1998-2007), Hersant (2007-2014) et une reprise par les salariés via une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) grâce à un crowdfunding sur Ulule et le soutien de Bernard Tapie, GNM est propriété de Xavier Niel depuis trois ans. Le milliardaire-investisseur est aussi propriétaire de France-Antilles depuis mars 2020, et de Paris-Turf depuis juillet 2020.
Cependant, en août 2020, il échoue avec Bernard Tapie à jeter son dévolu sur le quotidien historique La Marseillaise qui est alors repris par Maritima Médias. Mais c’est surtout l’échec de la tentative de Xavier Niel à prendre le contrôle du groupe La Provence, incluant Corse-Matin que GNM – dont il devenu propriétaire – avait acquis en 2014, qui sera cuisant. Dès le 24 février 2022, son offre de 20 millions d’euros est rejetée par les liquidateurs au profit de celle à 81 millions de Rodolphe Saadé (12). S’en suivra le 3 mars des échanges houleux entre Xavier Niel venu au journal marseillais et des salariés hostiles à sa visite. « Vous m’avez mis dehors », lancera-t-il au PDG du groupe La Provence, Jean-Christophe Serfati. Le tribunal de Bobigny, où est instruite l’affaire, confirmera CMA CGM sept mois après. Entre temps, il a investi dans L’Informé.

Réussir ses télécoms en Europe
Au-delà de ses démêlés en France avec l’Arcep, il reste encore au « trublion » des télécoms à faire d’Iliad un champion européen. La maison mère de Free est présente en Italie depuis 2018 et en Pologne depuis 2020. Après avoir échoué l’an dernier à s’emparer de la filiale italienne de Vodafone, le groupe de Xavier Niel s’est positionné pour tenter d’acquérir des actifs de TIM (Telecom Italia). En outre, depuis 2014, il contrôle personnellement via NJJ l’opérateur suisse Salt et détient une participation de l’opérateur irlandais Eir aux côtés de son groupe Iliad. En février, via sa holding Atlas Investissement (13), Xavier Niel a porté sa participation au capital de l’opérateur luxembourgeois Millicom à 19,6 %. Cette même holding est entrée en septembre 2022 à 2,5 % dans Vodafone. Déjà confronté à Orange en France, Iliad veut rivaliser avec Orange en Europe. @

La blockchain se voit comme le futur proche du Web

En fait. Du 22 au 24 mars a eu lieu la 4e Paris Blockchain Week (PBW) au Carrousel du Louvre à Paris et au Westin Paris Vendôme, organisé par la société Chain Of Events, présidée par Michael Amar. Cet événement est devenu le rendez-vous international de l’industrie de la blockchain. Du Web2 au Web3.

En clair. C’est comme si se déroulait un passage de relais entre le Web2 et le Web3. Google, Amazon, Meta, Microsoft ou encore Orange venus de l’« ancien monde » y ont côtoyé Ripple, The Sandbox, Binance, Coinbase, Solana, Ledger, Sorare ou encore Circle issus, eux, du « nouveau monde ». La 4e Paris Blockchain Week (avec ses Blockchain Summit, Web3XP, Talent Fair et Investors Day) a mobilisé plus de 400 intervenants, dont le ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications, Jean-Noël Barrot, et attiré plus de 10.000 participants.
Alors que les IA génératives (ChatGPT/Dall-E 2 d’Open AI, Bard de Google, Stability AI de Stable Diffusion, …) défraient la chronique depuis décembre dernier, balayant au passage la hype des métavers (1), le Web3, la blockchain et ses crypto-actifs (lire aussi p. 8 et 9) tentent de reprendre le dessus. Et de redonner confiance avec une régulation en construction. Ce qui est loin d’être évident pour ce nouvel écosystème en formation qui a été confronté au second semestre 2022 à un « hiver crypto » (2), anxiogène et décrédibilisant. Certes, depuis le début de l’année, la cryptosphère est à nouveau en croissance. Après avoir atteint le 22 novembre 2022 son point le plus bas durant le dernier cryptokrach, à 15.782 dollars l’unité, le bitcoin mène la danse d’une remontada et a atteint le 22 mars dernier 28.184 dollars – soit une hausse plus de 70 % depuis le 1er janvier où le bitcoin était à 16.547 dollars (3). Selon CoinMarketCap, la capitalisation boursière mondiale du marché des crypto-actifs – incluant cryptomonnaies, « stablecoin » (cryptos dites stables car indexées sur une devise comme le dollar ou l’euro soumise à une autorité monétaire) ou encore NFT (tokens ou jetons non fongibles) – s’élève au 22 mars à 1.18 trillion de dollars (1.180 milliards de dollars). Cela fait une remondata de 48 % depuis le 1er janvier où la capitalisation était de 794 milliards de dollars (4).
Mais la volatilité de ces actifs numériques est telle que la moindre faillite financière – comme celle de la banque américaine Silvergate, réputée « crypto-addicte » – tire à la baisse les crypto-actifs. La banqueroute en novembre 2022 de FTX, l’une des principales crypto-bourses, suivie par celle de BlockFi, puis de Genesis en janvier 2023 ont été des coups de semonce, sans parler de l’effondrement en mars 2023 de la Silicon Valley Bank (SVB). @