Le rapport Draghi accable l’Europe sur son digital

En fait. Le 9 septembre, la Commission européenne a publié le rapport de Mario Draghi sur « l’avenir de la compétitivité globale de l’UE » que lui avait demandé il y a un an Ursula von der Leyen. L’ancien président de la Banque centrale européenne est très sévère sur la stratégie numérique des Vingt-sept.

En clair. « L’Europe a largement manqué la révolution numérique menée par Internet et les gains de productivité qu’elle a apportés : en fait, l’écart de productivité entre l’UE et les Etats-Unis s’explique en grande partie par le secteur des technologies », affirme d’emblée Mario Draghi dans l’avant-propos de son rapport (1) remis le 9 septembre à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen (« UVDL »), reconduite dans ses fonctions pour 2024-2029. « Nous sommes également très dépendants des importations de technologie numérique. Pour la production de puces, 75 à 90 % de la capacité mondiale de fabrication de plaquettes se trouve en Asie », ajoute l’ancien président de la Banque centrale européenne (BCE), poussé par certains pour être le prochain président du Conseil européen (2).
Autre constat accablant pour le marché unique numérique : « Nous prétendons favoriser l’innovation, mais nous continuons à alourdir les charges réglementaires des entreprises européennes, qui sont particulièrement coûteuses pour les PME et inutiles pour celles du secteur numérique ». Le diagnostic de Mario Draghi n’est pas nouveau. Le premier rapport sur « l’état d’avancement de la décennie numérique », publié par la Commission européenne le 27 septembre 2023, faisait déjà un constat sévère : « lacunes », « retard », « insuffisance », « écart d’investissement », … (3).

Les deepfakes audio inquiètent l’industrie musicale

En fait. Le 10 septembre, la Fédération internationale de l’industrie phonographique (IFPI) a publié son premier rapport sur « la musique dans l’UE ». Au-delà des inquiétudes sur la croissance musicale dans les Vingt-sept, une nouvelle pratique préoccupe : les deepfakes audio. Les détecteurs s’organisent.

En clair. « L’industrie musicale est préoccupée par la capacité des systèmes d’IA de générer du contenu “deepfake” qui s’approprie sans autorisation la voix, l’image et la ressemblance distinctives des artistes », alerte la Fédération internationale de l’industrie phonographique (IFPI), dans son rapport sur la musique dans l’Union européenne (UE) publié le 10 septembre. « Cela peut induire les fans en erreur, porter gravement atteinte à la réputation d’un artiste et fausser la concurrence en permettant aux clones générés de concurrencer de manière déloyale les artistes dont la musique et l’image ont été utilisées pour former le modèle d’IA » redoute-t-elle.
Six jours avant, de l’autre côté de l’Atlantique, un dénommé Michael Smith a été arrêté par le FBI et présenté devant juge de Caroline du Nord pour avoir créé des centaines de milliers de chansons avec une intelligence artificielle et utilisé des programmes automatisés (bots) pour diffuser des milliards de fois ces chansons générées par l’IA sur les plateformes de streaming (Amazon Music, Apple Music, Spotify et YouTube Music). Ce stratagème de fake streams (1) a permis à l’accusé de générer frauduleusement plus de 10 millions de dollars de royalties (2). De l’IA générative musicale au deepfake audio, il n’y a qu’un pas : les deux pratiques utilisent des masses de données audio pour générer du contenu fictif mais audible et vraisemblable.

En prenant X en grippe, Thierry Breton crée un malaise au sein de la Commission européenne

Dix mois après sa première lettre du 10 octobre 2023 à Elon Musk pour lui rappeler les obligations de X (ex-Twitter) au regard du Digital Services Act (DSA), Thierry Breton lui a envoyé une seconde lettre le 12 août 2024. A force d’insister, le commissaire européen créé un malaise à Bruxelles.

Thierry Breton (photo) outrepasse-t-il ses fonctions de commissaire européen en charge du Marché intérieur ? C’est à se demander, tant le Français – que le président de la République française Emmanuel Macron souhaite voir reconduit dans ses fonctions pour le prochain mandat de la Commission européenne – se distingue en prenant parfois des initiatives sans se concerter avec ses collègues à Bruxelles. Il en va ainsi avec le second courrier en dix mois adressé le 12 août 2024 à Elon Musk pour rappeler à ce dernier les obligations du réseau social X (ex- Twitter) en Europe.

Thierry Breton désavoué face à Elon Musk
« Le timing et la formulation de la lettre n’ont été ni coordonnés ni convenus avec la présidente [Ursula von der Leyen] ou le collège [des commissaires européens] », a déclaré Arianna Podestà, porte-parole en cheffe-adjointe de la Commission européenne, selon sa déclaration faite au journal Le Monde. Et d’assurer : « La lettre [de Thierry Breton] ne voulait en aucun cas interférer avec les élections américaines. L’UE n’interfère pas dans des élections » (1). Pourtant, le courrier à Elon Musk daté du 12 août et signé par le commissaire européen au Marché intérieur fait explicitement référence à « la diffusion prévue sur votre plateforme X [en s’adressant à Elon Musk, ndlr] d’une conversation en direct entre un candidat à la présidence américaine et vous-même, qui sera également accessible aux utilisateurs de l’UE ».
Et Thierry Breton d’enfoncer le clou en mettant en garde le propriétaire de la plateforme X : « Nous surveillons les risques potentiels dans l’UE associés à la diffusion de contenu pouvant inciter à la violence, à la haine et au racisme en lien avec un événement politique – ou sociétal – majeur à travers le monde, y compris des débats et des interviews dans le contexte d’élections [en l’occurrence ici des élections américaines, ndlr] ». Dans cette lettre que la présidente de la Commission européenne ne cautionne pas, il est fait ainsi clairement référence à l’interview, prévu le lendemain, que Elon Musk fera lui-même de Donald Trump, candidat Républicain à l’élection présidentielle. L’« interférence » du commissaire européen Thierry Breton aurait pu être considérée comme de l’ingérence de la Commission européenne dans les affaires intérieures des Etats-Unis s’il n’y avait pas eu la mise au point de la porte-parole en cheffe-adjointe de l’exécutif européen. Désavoué par les services de la présidente Ursula von der Leyen, laquelle a été réélue le 18 juillet dernier par les eurodéputés pour un nouveau mandat, Thierry Breton a aussi reçu une réplique cinglante de la part du propriétaire de X.

Entraînement de modèles d’IA grâce aux données collectées par web scraping : les règles à suivre

Les plaintes à l’encontre de fournisseurs de systèmes d’IA se multiplient, que ce soit pour violation des droits de propriété intellectuelle ou pour manquements en matière de données à caractère personnel, notamment en lien avec leurs pratiques de collecte de données en ligne (web scraping).

Par Sandra Tubert et Laura Ziegler avocates associées, Algo Avocats

Afin de développer un système d’intelligence artificielle (IA) performant, il est nécessaire d’entraîner en amont les modèles qui le composent au moyen de vastes ensemble de données. Constituer ces ensembles de données d’entraînement représente donc un enjeu majeur pour les fournisseurs de systèmes d’IA. Plusieurs alternatives s’offrent à eux : utiliser les bases de données dont ils disposent en interne ; obtenir des licences auprès de titulaires de droits de propriété intellectuelle sur des contenus pertinents ; ou recourir au web scraping pour récupérer des données accessibles en ligne sur différents sites Internet.

Exception de Text and Data Mining
Cette troisième option, le web scraping (« moissonnage des données »), a connu un essor important ces dernières années. Pour autant, bon nombre d’acteurs récupèrent des données en ligne pour entraîner leurs modèles sans appréhender tous les enjeux et problématiques qui y sont attachés. Alors que plusieurs plaintes ou enquêtes d’autorités visent des fournisseurs de modèles d’IA à usage général pour des allégations de violation des droits de propriété intellectuelle ou de manquements au règlement général sur la protection des données (RGPD), l’entrée en vigueur prochaine du règlement européen sur l’intelligence artificielle – l’AI Act dont le texte final (1) a été signé le 13 juin 2024 – pourrait mettre en évidence les problématiques entourant les sources de données utilisées pour entraîner les modèles.

L’encrage à l’extrême droite du Parlementeuropéen hypothèque la réforme des télécoms

Les dernières élections européennes, donnant la part belle aux nationalistes, rendent incertaine la prochaine déréglementation des télécoms dans les Vingt-sept, alors que la Commission européenne doit réviser le code européen des communications électroniques d’ici décembre 2025.

Au plus tard le 21 décembre 2025, et tous les cinq ans par la suite, la Commission européenne est tenue de réexamine le fonctionnement de la directive de 2018 établissant le code des communications électroniques européen (CCEE). De même, d’ici cette même échéance, et tous les cinq ans là aussi, elle doit aussi réexaminer la portée du service universel, en vue de proposer la modification ou la redéfinition du champ d’application.

Déréglementer le marché des télécoms ?
A cela s’ajoute le projet de règlement télécoms, le Digital Networks Act (DNA) que pousse l’actuel commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton (photo), pour la prochaine mandature. Autant dire que la prochaine Commission européenne, qui prendra ses fonctions fin 2024 en tenant compte de l’extrême-droitisation du Parlement européen depuis juin, pourrait faire de la réforme des télécoms l’un de ses priorités. Rappelons que le code des communications électroniques européen, adopté en 2018 (1), a modifié et regroupé quatre directives préexistantes adoptées en 2002 et modifiées en 2009, à savoir les directives « cadre », « autorisation », « accès » et « service universel ». Cette directive du code des télécoms est censée avoir été transposée par chacun des Vingt-sept au plus tard le 21 décembre 2020.
Or, selon les constatations de Edition Multimédi@, il y a encore à mi-2024 des trous dans la « raquette » européenne des télécoms : l’Italie, le Luxembourg, la Grèce et la Bulgarie sont les quatre Etats membres qui n’ont quasiment pas transposé la directive du code des communications électroniques européen, avec respectivement seulement deux, deux, deux et une mesure(s) prise(s) en compte au niveau national (2). En plus de ces mauvais élèves européens, force est aussi de constater que bon nombre d’autres Etats membres n’ont que partiellement transposé la directive du code des télécoms. Dès le 4 février 2021, la Commission européenne avait engagé une procédure d’infraction contre 24 Etats membres, dont la France pour défaut de transposition du code des communications électroniques (3), suivie le 23 septembre 2021 d’un avis motivé adressé à 18 d’entre eux (4). Puis, le 6 avril 2022, la Commission européenne a saisi la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) d’un recours contre dix Etats membres pour défaut de transposition complète dans le droit national du code des communications électroniques (5).