Les banques centrales en Europe veulent continuer à « battre monnaie », euro numérique compris

L’euro numérique pourrait être lancé avant la fin de la décennie en cours, une fois voté au Parlement européen. Depuis le 1er novembre, l’Eurosystème (BCE et banques centrales de la zone euro) est entré pour deux ans dans la phase de préparation de cette future forme numérique de la monnaie unique.

L’Eurosystème, qui regroupe la Banque centrale européenne (BCE) et les banques centrales nationales des vingt Etats membres ayant adopté l’euro, a ouvert une phase préparatoire de l’euro numérique le 1er novembre 2023 et pour une durée initiale de deux ans. « Les caractéristiques envisagées pour cet euro numérique le rendront comparable à un “billet numérique”, utilisable partout en zone euro, gratuit pour les particuliers », a assuré Denis Beau (photo de droite), premier sous-gouverneur de la Banque de France, le 16 novembre à la Maison de la Chimie à Paris.

Deux règlements « Digital € » discutés
Intervenant en ouverture des 6es Assises des Technologies financières, organisées par l’agence Aromates, il a aussi précisé que « l’euro numérique offrira, via son mécanisme hors ligne, une confidentialité comparable à celle des espèces, avec une résilience élevée, et il sera distribué via les banques et les autres prestataires de services de paiement ». L’avantveille, le 14 novembre, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, lançait : « Je fais le pari qu’un euro numérique verra le jour dans cette décennie » (1). Sous la houlette de la BCE, l’euro numérique sera émis par les banques centrales de l’Eurosystème – autorité monétaire de la zone euro – qui entendent bien continuer à « battre monnaie » (historiquement pièces et billets) à l’ère de la dématérialisation. Ce digital euro s’inscrit dans la catégorie des monnaies numériques de banque centrale – MNBC ou, d’après leur sigle en anglais, CBDC (2) – créées dans différents pays. Les Etats ne veulent pas perdre la main ni déstabiliser leur système monétaire face à la déferlante des cryptomonnaies et de la finance décentralisée (DeFi). La Chine a déjà lancé son e-yuan (3), tandis que les Etats-Unis tentent de sauvegarder l’hégémonie du dollar (4).
Cette phase préparatoire, qui intervient au bout de deux ans d’études et du premier bilan de l’Eurosystème publié le 18 octobre (5), ne signifie pas que la décision d’émettre un euro numérique a été prise. Celle-ci ne sera arrêtée par les gouverneurs des banques centrales et l’Eurogroupe – lequel réunit les vingt ministres de l’Economie et des Finances des Etats membres de la zone euro – que lorsque le processus législatif de l’Union européenne aura abouti sur un texte voté, « au terme d’un débat démocratique qui a été ouvert par la présentation [le 28 juin 2023, ndlr] d’un projet de règlement par la Commission européenne », a ajouté Denis Beau. Selon les informations de Edition Multimédi@, les dernières discussions en date au sein du Conseil de l’Union européenne et de ses instances préparatoires ont eu lieu le 8 novembre dernier (6). La BCE y a présenté – dans un document de travail de 58 pages daté du 31 octobre (7) et signé par sa présidente Christine Lagarde (photo de gauche) – son point de vue et ses amendements. Deux règlements sont proposés par l’exécutif européen : le premier « établissant l’euro numérique » (8) et le deuxième pour « la fourniture de services en euros numériques par les prestataires de services de paiement constitués dans des Etats membres dont la monnaie n’est pas l’euro » (9). Car l’euro numérique pourra aussi être utilisé en dehors des vingt-sept pays de la zone euro, pour peu que les particuliers, les entreprises et les entités publiques amenés à payer avec ce « billet numérique » soient établis dans la zone euro (et à condition que le destinataire des fonds situé en dehors de la zone euro possède un compte en euros numériques ou qu’il utilise des paiements multidevises). Cela serait utile aux touristes qui visitent un pays n’appartenant pas à la zone euro, par exemple.
Quant aux pays situés en dehors de la zone euro ou hors de l’UE, ils auront accès à l’euro numérique « sous réserve d’un accord préalablement conclu entre l’UE et ce pays tiers et/ou d’arrangements conclus entre la BCE et les banques centrales nationales [de ces] pays tiers » (10). A l’instar de l’euro en monnaie sonnante et trébuchante (pièces) ou en billet (papier) émis par les banques centrales dites de confiance (d’où la désignation de « monnaie fiduciaire »), la future forme numérique de la monnaie unique aura elle aussi « cours légal » (11).

L’euro numérique, pas « Big Brother »
Quoi qu’il en soit, a tenu à rassurer Denis Beau lors de ces Assises des Technologies financières, « l’euro numérique ne remplacera pas les espèces ; il n’est pas un projet dangereux ni liberticide ; ce n’est pas un projet de surveillance de masse ni un “Big Brother” européen ; la banque centrale ne va pas tracer les données de paiement des particuliers ». Le paiement hors ligne pourra se faire – « pour les paiements en-deçà d’un certain seuil » – en toute confidentialité. Et contrairement aux cryptomonnaies des « blockchain », « l’euro numérique ne sera jamais une monnaie “programmable” et sera donc convertible au taux de 1 pour 1 avec les autres formes de monnaies en circulation ». @

Charles de Laubier

Carte d’identité numérique européenne : c’est parti

En fait. Le 16 mars, le Parlement européen a adopté la décision de la commission parlementaire d’engager des « négociations » (trilogues) sur l’identité numérique européenne qui consistera à créer un portefeuille électron

En clair. Le coup d’envoi des « négociations interinstitutionnelles » en vue d’instaurer une identité numérique européenne – désignée parfois par « eID » – pour chacun des citoyens des Vingt-sept a été donné par le Parlement européen réuni en séance plénière le 16 mars. Il s’agit pour cette phase de « trilogues » – dont la première réunion tripartite (1) s’est tenue le 21 mars – de trouver un accord politique sur un cadre réglementaire entourant un système de portefeuilles électroniques à puce. Ces e-wallets nationaux seront émis par chaque Etat membre mais interopérables à travers l’Union européenne (UE). Les Européens pourront ainsi avoir dans leur smartphone – a priori dès 2024 – toute leurs données personnelles, de l’état civil (nom, prénom, date de naissance, nationalité, …) au certificat de naissance en passant par son dossier de santé ou encore le permis de conduire. Ils se serviront de leur carte d’identité numérique pour : s’identifier en ligne ou hors ligne (prouver l’identité d’une personne sur Internet sans mot de passe), conserver et échanger des informations fournies par des administrations publiques ou des acteurs privés dignes de confiance, ou encore utiliser ces informations afin d’attester de leur droit de résider, de travailler ou d’étudier dans un Etat membre (authentification transfrontière). Les e-portefeuilles faciliteront par exemple aussi la demande d’un prêt auprès de banques (2). Pour l’UE, il s’agit d’un enjeu de souveraineté visà-vis des GAFAM qui, en tant que très grandes plateformes et conformément au règlement européen DSA (3), devront faire en sorte de reconnaître ces e-wallets européens. Ce sera particulièrement le cas pour Google, Amazon, Facebook ou encore Apple, dont les systèmes d’identification seront ainsi concurrencés. Rien n’empêcherait alors d’obliger les réseaux sociaux de vérifier l’âge des adolescents (de 13 ans) sur présentation de l’e-wallet européen.
Proposé en juin 2021 par la Commission européenne pour compléter le règlement dit « eIDAS » de 2014 sur « l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur » (4), ce nouveau cadre « eID » a déjà été adopté par le Conseil des ministres de l’UE en décembre dernier. Les négociations porteront notamment sur le niveau de sécurité qui sera plus élevé que, par exemple, système national France Connect (5). @

Entre taxation et splinternet, le Web est en péril

En fait. Le 21 octobre, l’Ofcom, régulateur britannique des télécoms et de l’audiovisuel consulte jusqu’au 13 janvier 2023 en vue de définir dans un an de « nouvelles lignes directrices sur la neutralité du Net ». L’Europe, elle, songe à taxer les GAFAN. Par ailleurs, le « splinternet » menace aussi le Web ouvert.

En clair. Deux tendances menacent l’Internet ouvert, ce « réseau des réseaux » sur lequel fonctionne le Web depuis trente ans : d’un côté, la remise en cause du principe de neutralité du Net qui garantit la non-discrimination des contenus accessibles par les internautes ; de l’autre, le phénomène de la « splinternet » qui tend à accentuer la fragmentation de l’Internet sous les coups de butoirs de certains Etats à la souveraineté numérique exacerbée.
Sur le terrain de la neutralité de l’Internet, la dernière menace en date est venue de la Grande-Bretagne où son régulateur des télécoms et de l’audiovisuel – l’Ofcom – prévoit de publier d’ici un an de nouvelles directives sur la « Net Neutrality ». Il l’a fait savoir le 21 octobre en lançant jusqu’au 13 janvier 2023 une consultation publique sur ce sujet sensible. « Depuis que les règles actuelles ont été mises en place en 2016, il y a eu (…) une forte demande de capacité, l’émergence de plusieurs grands fournisseurs de contenu comme Netflix et Amazon Prime, et l’évolution de la technologie, dont la 5G », a expliqué Selina Chadha, directrice de la concurrence et des consommateurs à l’Ofcom, pour justifier cette révision à venir (1). De son côté, la Commission européenne s’apprête à lancer d’ici la fin du premier trimestre 2023 une vaste consultation publique sur notamment la question de savoir si elle doit accéder à la demande des opérateurs télécoms de taxer les GAFAN utilisant leur bande passante (2).
Sous le marteau, il y a aussi l’enclume : l’Internet est en outre menacé par ce que l’on appelle le « splinternet » (contraction de splintering et de Internet), néologisme qui désigne sa balkanisation, autrement dit sa fragmentation entre différentes parties du monde (Chine, Russie, Inde, Iran, Afghanistan, …). Le phénomène ne date pas d’hier mais il s’accélère. Le splinternet, qui va à l’opposé de l’internetting à l’origine du « réseau des réseaux », préoccupe plus l’Union européenne que les Etats-Unis.
Le Parlement européenne s’est penché sur ce risque « systémique » à travers un rapport que son service de recherche EPRS a commandité et publié le 11 juillet dernier. Dans ce document de 80 pages (3), la Commission européenne est appelée à « lutter contre la fragmentation d’Internet » par ses propositions législatives. En creux, l’abandon de la neutralité du Net serait un pas de plus vers le splinternet. @

Généraliser « à la va-vite » le Pass Culture ne passe pas vraiment en temps de restrictions culturelles

La généralisation du Pass Culture décidée pour 2021 par le gouvernement ne passe toujours pas pour certains. Le Sénat s’était dit « étonné » de tant de précipitation sans « évaluation préalable d’ampleur ». La musique en streaming en profite le plus et les disquaires physiques vont l’intégrer.

Sur le Pass Culture, la musique est plébiscitée par ses utilisateurs et se retrouve au premier rang des pratiques culturelles. C’est un outil de relance très utile. Il y a le spectacle vivant, le streaming, et l’idée serait d’intégrer les disquaires, notamment les indépendants, qui représentent l’achat physique, soit 40 % du marché de la musique enregistré [36,8 % précisément en 2019, soit 230 millions d’euros, bien moins en 2020, ndlr]. C’est beaucoup d’argent », a relevé le président du Centre national de la musique (CNM), Jean-Philippe Thiellay, lors de son audition au Sénat le 3 février dernier.

Généralisation à 300 euros au lieu de 500
Le Sénat justement est très regardant sur le déploiement du Pass Culture, pour lequel il a créé dès 2018 un « groupe de travail » transpartisan, composé d’un sénateur de chaque groupe politique et présidé par Jean-Raymond Hugonet (photo). Il reporte à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication de la chambre haute. Dans sa configuration actuelle qui va évoluer cette année, ce Pass Culture permet à des jeunes de 18 ans de bénéficier d’une application sur laquelle chacun d’eux disposent de 500 euros pendant deux ans, afin de découvrir et de réserver parmi les offres culturelles de proximité et offres numériques proposées (livres, concerts, théâtres, musées, cours de musique, abonnements numériques, etc.). Pour l’instant, quatorze départements (1) sont éligibles au Pass Culture. « Les personnes de 18 ans n’ayant pas la nationalité française mais vivant dans l’un des départements de l’expérimentation depuis un an sont éligibles au Pass Culture », précise la société Pass Culture. Le 19 janvier dernier, ce groupe de travail avait fait part de son étonnement à la suite de l’annonce sept jours plus tôt de la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, de la décision de généraliser le Pass Culture. Elle l’avait confirmé le 12 janvier dernier devant les députés qui l’auditionnaient au sein de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, sans donner de date précise de la sortie de l’expérimentation. « L’année 2021 devrait permettre la généralisation du Pass Culture sur l’ensemble du territoire, avec un montant réajusté au regard des comportements constatés dans le cadre de l’expérimentation. La date de cette généralisation doit encore être définie au regard de la situation sanitaire et de la réouverture des établissements et des lieux de culture. Cette généralisation sera accompagnée d’un dispositif complémentaire pour les moins de 18 ans dans le cadre scolaire, afin de les préparer à cette démarche d’autonomisation », avait annoncé la ministre de la rue de Valois (2). Cette généralisation sera accompagnée d’une vaste campagne de publicité.
Pour les sénateurs, c’est incompréhensible non seulement parce qu’il n’a été réalisé « aucune évaluation d’ampleur de ce dispositif », mais aussi en raison de « la fermeture au public de la plupart des établissements culturels ». Surtout que généraliser le Pass Culture à ce stade, c’est pour les sénateurs mettre la charrue avant les bœufs… Le groupe de travail très critique rappelle au passage que la première génération de bêta-testeurs – car le Pass Culture est encore dans une phase d’expérimentation – n’arriveront à la fin de leur période de test qu’en juin prochain. Et c’est auprès d’eux qu’une étude d’évaluation devra être conduite pour savoir de quoi il retourne. Les sénateurs demandent d’ailleurs « que ces résultats soient rendus publics et donnent lieu à un débat devant le Parlement ».
Pour tenter d’expliquer la précipitation du gouvernement à décider la généralisation de ce Pass Culture dès cette année, le groupe de travail avance une piste plutôt politicienne : « Cette annonce apparaît avant tout motivée par la volonté de concrétiser, avant l’élection présidentielle de 2022, la promesse faite par Emmanuel Macron en mars 2017 alors qu’il était candidat à la présidence de la République. Elle s’inscrit dans la droite ligne du vote d’un budget de 59 millions d’euros en faveur de cet instrument dans le cadre de la loi de finances pour 2021, contre l’avis du Sénat ».

1,5 % du budget de la culture en 2021
Le budget du Pass Culture cette année est donc en hause de 7,6 % par rapport aux 40 millions d’euros de l’an dernier, lequel était déjà en augmentation de 2 % par rapport aux 24 millions d’euros de 2019. Ces enveloppes budgétaires et le train de vie de la société Pass Culture avaient d’ailleurs été épinglés, notamment début novembre 2019 par le site d’investigation Mediapart (3) qui avait dénoncé les rémunérations élevées non seulement de son président Damien Cuier (revue à la baisse depuis), mais aussi les émoluments du conseiller Eric Garandeau soupçonné de conflit d’intérêts (renonçant alors à présider la société).
Le Pass Culture reste cependant une goutte d’eau dans le budget 2021 de la culture (lequel est un record de 3,8 milliards d’euros, hors audiovisuel et sans compter les 880 millions d’euros issus cette année du plan de relance et dans une moindre mesure des investissements d’avenir (4)). Il ne représente en effet que 1,5 % de ce budget culturel, ce qui reste tout de même non négligeable en période de crise sanitaire et d’effondrement économique des activités culturelles.

Les disquaires entrent dans la danse
Rappelons que la mission de service public « Pass Culture » (pass.culture.fr) s’est réorganisée en juillet 2019 autour d’une société par actions simplifiées (SAS), dont les actionnaires sont le ministère de la Culture et la Caisse des dépôts et consignations (CDC) par le biais de son activité Banque des Territoires. Cette SAS, qui compte aujourd’hui une soixantaine de collaborateurs (5), assure la gestion et le développement du dispositif Pass Culture dans toute la France.
Le dispositif va donc s’ouvrir aux disquaires ayant pignon sur rue, notamment aux indépendants qui sont au nombre d’environ 300 en France selon leur syndicat Gredin (6). D’autant que le Pass Culture a vocation à « encourager la rencontre entre les acteurs culturels et les utilisateurs ». Il n’est donc pas possible de se faire livrer des biens matériels. De plus, les achats de biens numériques (VOD, ebook, jeux vidéo, …) sont plafonnés à 200 euros, tout comme les achats de biens physiques (livre, CD, …) d’ailleurs.
Les « lieux » culturels semblent au rendez-vous de l’expérimentation malgré la crise sanitaire : 28.256 recensés au 18 février. Les jeunes bénéficiaires aussi : ils étaient à cette date 141.061 majeurs de 18 ans à en profiter, contre 117.260 trois mois plus tôt, sur un total potentiel de 150.000 potentiellement concernés dans les quatorze départements expérimentaux. Sans attendre de bilan ni d’étude d’impact sur les expérimentations, Roselyne Bachelot avait surprise tout son monde en indiquant – lors de la présentation du budget 2021 de la culture 28 septembre dernier – le montant de 500 euros alloué à chacun des jeunes heureux élus était « sans doute excessif » dans la mesure où il est, d’après elle, « sous-consommé ». Mais n’est-ce pas à mettre sur le compte des fermetures d’établissements culturels qui ont commencé à être imposées il y a un an, en mars 2020 ? Les restrictions, couvre-feux et confinements ont entraîné une fermeture administrative des cinémas, des théâtres, des libraires, des disquaires ou encore des endroits du spectacle vivant. Alors qu’en juin dernier encore, l’association Tous pour la musique (TPLM) – réunissant les professions de la musique (7) – soumettait aux pouvoir publics une dizaine de propositions face au covid-19 dont celle-ci : « Réorienter le Pass Culture vers les arts vivants et les productions locales ». Les détenteurs du fameux sésame se sont retrouvés le bec dans l’eau face aux portes closes et annulations en tout genre.
Pour le groupe de travail « Pass Culture » du Sénat, qui se plaint d’ailleurs de n’avoir que des informations « au compte-gouttes » du dispositif, débloquer 1,5 % du budget de la culture cette année sans réellement connaître les résultats d’une telle expérimentation n’est pas justifiable à ce stade. « Nous avons nous-mêmes suivi l’expérimentation dans les territoires de test et constaté que les résultats y sont inégaux », a prévenu le sénateur Jean-Raymond Hugonet dans La Gazette des communes, le 21 janvier. Et de s’insurger : « Alors que le monde de la culture est aux arrêts de rigueur, on voit ici une oasis aux visées électorales arrosée abondamment de 59 millions d’euros. C’est insupportable. On demande au gouvernement de la décence ! Ce dispositif, c’est de la communication » (8).
Le président du groupe de travail sénatorial estime en outre que l’exécutif ferait donc mieux de mettre l’accent sur l’éducation artistique et culturelle (EAC), plutôt que de « se focaliser sur des projets pseudo-modernes ». En ces temps de restrictions sanitaires et de couvre-feux, et encore plus en période de confinement, le Pass Culture gagnerait cependant à privilégier la dématérialisation culturelle. Le gouvernement n’encourage-t-il pas le télétravail ? Alors pourquoi pas la « téléculture ».

Les plateformes numériques donnent le change
Si les GAFAN, excepté Audible d’Amazon (podcasts et audiobooks), restent écartés du dispositif franco-français, de nombreuses plateformes numériques sont néanmoins au rendez-vous : Deezer, Ubisoft, Majelan (podcasts), OCS (chaîne payante d’Orange), Blacknut (jeux vidéo), Youboox (ebooks et e-presse), Iznéo (e-BD), Sybel (séries audio), Madelen (SVOD de l’Ina), UniversCiné (films), FilmoTV (films), LaCinetek (films), Le Vidéo Club (films), Shadowz (films), Spicee (documentaires) ou encore QueerScreen (LGBTQ+). Il y en a pour tous les goûts. @

Charles de Laubier

Hadopi : vers un pouvoir de transaction pénale ?

En fait. Le 13 juin, l’Hadopi a présenté son rapport 2018 – à l’heure des dix ans
de la loi éponyme qui l’a instituée. Son président, Denis Rapone, a livré quelques pistes en vue du projet de loi sur l’audiovisuel promis « d’ici fin octobre » par le Premier ministre pour être devant le Parlement en janvier 2020.

En clair. Elu le 1er mars 2018 et officialisé président de l’Hadopi le 16 juin de la même année, après en avoir été président par intérim (1), Denis Rapone se livrait pour la première fois à l’exercice de présentation du bilan annuel de cette autorité publique. Après avoir tourné la page d’« une institution isolée, marginalisée, affaiblie par des années d’opprobre et d’ostracisme, voire de velléités de la part de certains gouvernants du passé de la faire disparaître (2), ce qu’ils n’ont jamais eu le courage politique de faire », le président de l’Hadopi veut maintenant aller de l’avant.
Il en appelle à « une régulation moderne ». Car, si le piratage sur les réseaux peer-
to-peer a diminué de moitié depuis, de nouvelles pratiques de piratage se sont développées – que cela soit en streaming (dont le live streaming de chaînes payantes, appelé « IPTV illicite ») ou en téléchargement direct (direct download). Or sur ces nouveaux usages en ligne, la loi de 2009 n’a pas donné de compétences à l’Hadopi
(3). Pour s’adapter, Denis Rapone plaide donc pour « des outils de régulation souples » et une « régulation [qui] doit ainsi s’adresser à la fois aux consommateurs, aux intermédiaires, aux plateformes et aux services illicites ». Il souhaite « inventer un nouveau modèle de coopération entre l’[Hadopi] et le juge », et pour « toujours [se] poser la question de savoir où se trouve le juste équilibre entre la défense des libertés individuelles et la protection du droit fondamental de propriété ».
Quant à la réponse graduée, elle doit être « pleinement » dissuasive. Pour y parvenir, Denis Rapone fait sienne l’analyse juridique – commandité à deux membres du Conseil d’Etat par son prédécesseur Christian Phéline en août 2017 – sur des pistes d’évolution de la réponse graduée (4) (*) (**) : « L’évolution de la procédure vers l’attribution à l’Hadopi d’un pouvoir de transaction pénale [pouvoir de police judiciaire permettant de proposer à l’auteur des faits une transaction consistant dans le versement d’une amende transactionnelle dont le montant ne peut excéder 3.000 euros, ndlr (5)] serait de nature à mieux garantir son caractère dissuasif à l’égard des titulaires d’accès à Internet qui ne prennent aucune mesure pour faire cesser les atteintes au droit, tout en continuant à nouer, à travers la phase pédagogique de la procédure, un dialogue approfondi avec les internautes de bonne foi ». @