DMA, DSA et futur DNA : la Commission européenne instaure un climat de défiance envers les Gafam

Le 7 mars 2024, le Digital Markets Act (DMA) est devenu obligatoire pour six gatekeepers. Le 25 mars, la Commission européenne a ouvert des enquêtes pour « non-conformité » contre Alphabet (Google), Apple, Meta et Amazon. La CCIA, lobby des Gafam, dénonce cette précipitation.

« Le lancement des premières enquêtes préliminaires en vertu du règlement européen sur les marchés numériques (DMA), quelques jours seulement après la date limite de conformité, met un frein à l’idée que les entreprises et la Commission européenne travaillent ensemble pour mettre en œuvre le DMA avec succès », a regretté Daniel Friedlaender (photo), vice-président et responsable de la CCIA Europe, le bureau à Bruxelles de l’association américaine de l’industrie de l’informatique et des communications. La Computer & Communications Industry Association (CCIA), basée à Washington, représente notamment les Gafam.

Politique coercitive plutôt que coopérative
Dix-huit jours seulement après l’entrée en vigueur dans les Vingt-sept du Digital Markets Act (1), la Commission européenne a dégainé le 25 mars des « enquêtes pour non-conformité » à l’encontre de trois des six contrôleurs d’accès soumis à des obligations renforcées : Google (Alphabet), Apple et Meta. « Ces enquêtes portent sur les règles d’Alphabet relatives à l’orientation dans Google Play et à ses pratiques d’auto-favoritisme dans Google Search, les règles d’Apple relatives à l’orientation dans l’App Store et à l’écran de sélection pour Safari, ainsi que sur le modèle “Pay or Consent” de Meta », a-t-elle précisé (2).
Parallèlement, sont lancées des investigations sur : d’une part Amazon – faisant partie lui-aussi des six gatekeepers – soupçonné de privilégier ses propres produits de marque sur Amazon Store ; d’autre part Apple encore et sa nouvelle structure tarifaire et autres modalités et conditions applicables aux boutiques d’applications alternatives, y compris la distribution d’applications à partir du Web. Pour le lobby américain des Gafam, cette précipitation coercitive de Bruxelles est inquiétante : « Le calendrier de ces annonces, alors que les ateliers de conformité DMA sont toujours en cours, donne l’impression que la Commission européenne pourrait passer outre. Mises à part les issues possibles, cette décision risque de confirmer les craintes de l’industrie que le processus de conformité DMA finisse par être politisé ». Au lieu de poursuivre la coopération et de prendre le temps d’évaluer les solutions de conformité de chaque entreprise et les changements de grande envergure apportés à leurs services, la CCIA Europe estime que ces enquêtes pour non-conformité lancée aussitôt « pourraient miner le processus », et cela « envoie un signal inquiétant que l’UE pourrait se précipiter dans des enquêtes sans savoir ce qu’elle enquête ». D’autant que les récents ateliers de travail organisés au sein de la Commission européenne ont mis en évidence de nombreux domaines d’incertitude liés à la mise en œuvre du DMA. Par exemple, « de nombreux risques et possibilités sont encore à l’étude, de sorte que le lancement d’enquêtes semble prématuré ». Et Daniel Friedlaender de fustiger : « Au lieu de recourir à des mesures punitives, nous espérons que ces enquêtes seront une autre occasion pour les entreprises qui s’engagent à se conformer au DMA d’avoir un dialogue ouvert avec la Commission européenne, en travaillant ensemble pour atteindre des marchés numériques équitables et concurrentiels. C’est le genre d’environnement collaboratif que le DMA devrait favoriser ».
ByteDance (TikTok) et Microsoft sont les deux autres contrôleurs d’accès, sur les six désignés le 6 septembre 2023 par la Commission européenne (3). TikTok est lui aussi dans le collimateur de Bruxelles, non pas dans le cadre du DMA mais au titre du DSA (Digital Services Act), pour lequel ont été désignés cette fois 22 « très grandes plateformes » (dont TikTok) : une « procédure formelle » a été annoncée à son encontre le 19 février dernier (4). Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur, est réputé être particulièrement remonté contre les Gafam, à commencer par X (ex-Twitter) qui a été le premier à faire l’objet de l’ouverture, le 18 décembre 2023, d’une « enquête formelle » car soupçonné d’avoir enfreint le DSA (5).

En attendant le Digital Networks Act (DNA)
La CCIA Europe est par ailleurs vent debout contre le projet de Digital Networks Act (DNA) porté par Thierry Breton qui veut taxer les Gafam au profit des opérateurs télécoms dont ils utilisent les réseaux (6). Ce projet de « mécanisme de paiement obligatoire » (network fees) est contesté par au moins huit organisations représentatives en Europe des acteurs de l’Internet – dont la CCIA Europe, l’Asic en France ou encore Dot Europe – qui ont cosigné le 20 octobre 2023 une déclaration commune (7) pour s’y opposer. Les géants du Net se retrouvent pris en étaux entre le DMA/DSA et le futur DNA – Thierry Breton ayant dit à Paris le 1er mars (8), devant l’Association des journalistes économiques et financiers (Ajef), vouloir que ce dernier « soit incontournable pour le prochain mandat [de la Commission européenne] ». @

Charles de Laubier

Quel rapport entre le e-commerçant Zalando et trois sites pornos ? Le Digital Services Act !

Les plateformes de e-commerce Zalando et pornographiques Pornhub et Stripchat – mais pas XVideos – ont en commun de contester devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) leur inscription dans la liste des « très grandes plateformes en ligne » dans les Vingt-sept régies par le DSA.

Le e-commerçant allemand Zalando avait été désigné le 25 avril 2023 par la Commision européenne – dans le cadre du Digital Services Act (DSA) – comme « très grande plateformes » ou VLOP (1) dans le jargon bruxellois, aux côtés de Alibaba/AliExpress, Amazon Store, Apple/AppStore, Booking, Facebook, Google Play, Google Maps, Google Shopping, Instagram, LinkedIn, Pinterest, Snapchat, TikTok, Twitter, Wikipedia et YouTube, ainsi que des « très grands moteurs de recherche en ligne » ou VLOSE (2), Bing et Google Search (3). A ce « Big 19 » sont venus s’ajouter le 28 décembre 2023 trois autres VLOP, les plateformes pornographiques Pornhub, Stripchat et XVideos (4).

La Commission européenne devant la CJUE
Chacune de ces vingt-deux plateformes très fréquentées présentent autant de « risque systémique » qu’elles ont l’obligation de gérer pour l’éviter sous peine d’amendes. Mais depuis juin 2023, Zalando demande à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) l’annulation de la décision de la Commission européenne, celle du 25 avril 2023 listant les dix-neuf géants du Net qui présentent chacun un « risque systémique » et qui sont soumis de ce fait à des obligations renforcées. Et, selon les informations de Edition Multimédi@, la société Aylo Freesites éditrice du site pornographique Pornhub et basée à Chypre – elle-même rachetée il y a un an par le fonds d’investissement québécois Ethical Capital Partners (ECP) –, vient de déposer, le 1er mars 2024, son recours devant la CJUE. Également basée à Chypre, la société Technius – éditrice du site pornographique Stripchat – avait fait de même le 29 février 2024.
Toujours selon nos informations, la société tchèque WGCZ Holding – cofondée par le Français Stéphane Pacaud et éditrice du site pornographique XVideos – ne déposera pas, elle, de recours devant la CJUE. Car le 29 février 2024, le site XVideos a déclaré en ligne avoir environ « 84 millions d’utilisateurs par mois dans l’Union européenne [dont 40 % de visiteurs en sessions incognito, ndlr], soit au-dessus du quota des 45 millions » (5). Depuis l’entrée en vigueur le DSA (6) le 25 août 2023, sont désignés par la Commission européenne comme « très grande plateforme en ligne » ou « très grand moteur de recherche en ligne », les géants du Net qui totalisent au moins 45 millions d’utilisateurs par mois dans l’Union européenne (UE). Ce seuil est équivalent à 10 % de la population totale des Vingt-sept (7). La société Zalando, basée à Berlin en Allemagne et coprésidée par ses cofondateurs Robert Gentz et David Schneider (photos), a été la première « très grande plateforme en ligne » à contester sa désignation comme VLOP. Le 27 juin 2023 (8), le e-commerçant a donc saisi la CJUE pour demander l’annulation de la décision de la Commission européenne. Dans la requête que Edition Multimédi@ a consultée, la société Zalando estime d’abord que « le [DSA] ne lui est pas applicable, ne serait-ce que parce que son service n’est pas un service intermédiaire et, de ce fait, ni un service d’hébergement ni une plateforme en ligne au sens de ce règlement ». Donc, « la condition de la fourniture de contenus tiers n’est pas remplie » puisque « [Zalando] fournit ses propres contenus par l’intermédiaire de la vente de ses articles ».
Et quand bien même « une partie du service devait être qualifiée de “plateforme en ligne’’, cette partie n’atteindrait pas le seuil de 45 millions de destinataires actifs par mois », assure-t-elle, en pointant « des critères erronés » de la Commission européenne. De plus, la société berlinoise considère que « les règles relatives au calcul du seuil sont trop imprécises et enfreignent le principe de précision consacré par le droit de l’[UE] ». Et Zalando d’enfoncer le clou : le calcul du DSA « ne suffit pas, en raison de sa nature juridique et de son libellé lacunaire ». Aussi, « l’imprécision de la méthode de calcul […] viole le principe d’égalité de traitement en prévoyant un seuil global pour l’ensemble des plateformes en ligne, indépendamment des critères fondés sur le risque des services concernés ».

Zalando estime ne pas être « hébergeur »
Autre grief avancé par Zalando pour demander l’annulation de la décision de la Commission européenne à son égard : « L’application du [DSA] constitue une ingérence disproportionnée dans les droits et libertés fondamentaux […] et viole ainsi le principe de proportionnalité », tandis que « la [Commission européenne] n’expose pas, dans sa décision, la raison pour laquelle le service de [Zalando] relève de la notion de “service d’hébergement” […], alors que c’est une condition essentielle pour l’application de […] de ce règlement » (9). Reste à savoir ce que dira dans un premier temps l’avocat général de la CJUE. @

Charles de Laubier

Quand l’Europe va-t-elle obliger les réseaux sociaux à l’interopérabilité et à l’ouverture ?

Le Conseil national du numérique (CNNum), dont les membres sont nommés par le Premier ministre, s’est rendu fin février à la DG Cnect de la Commission européenne pour l’appeler à faire évoluer la régulation afin d’ouvrir les réseaux sociaux à la concurrence et à l’interopérabilité. Et après ?

Le secrétaire général du Conseil national du numérique (CNNum), Jean Cattan (photo), accompagné de Marie Bernhard, rapporteure au sein de ce même CNNum, s’est rendu le 27 février à la Commission européenne pour exposer une certaine « vision ouverte » pour « nous permettre de reprendre la main sur la construction de nos architectures sociales et les fonctionnalités essentielles des réseaux sociaux ». Objectif : « sortir de la mainmise des Big Tech sur notre attention». Cela passe par l’«interconnexion ouverte », un « réseau ouvert ». Il s’agit de « renverser l’ordre établi par les Big Tech sur nos infrastructures sociales » (1).

Chaque réseau social, un monopole en soi
Contacté par Edition Multimédi@ après son entrevue à la DG Cnect (2) à Bruxelles, Jean Cattan nous explique que « l’ouverture [des réseaux sociaux] dépend aujourd’hui des conditions technico-économiques que nous pourrons imposer dans le cadre d’une régulation qui reste à construire ». Pour que des applications et des fonctionnalités alternatives – à celles proposées par le réseau social – puissent être proposées par des tiers (nouveaux entrants et concurrents), il faudrait, selon lui, « penser encore plus loin que l’interopérabilité pour envisager les réseaux sociaux non plus comme des plateformes mais comme des protocoles ». Ce serait un remède au fait que ces marchés sont aujourd’hui « sous monopole de chaque réseau social ». Mais passer de la plateformisation à la protocolisation des réseaux sociaux suppose non seulement une interopérabilité mais aussi une ouverture des Facebook/Instagram (Meta), Twitter et autres TikTok.
Or, force est de constater que l’Union européenne s’est arrêtée au milieu du gué en matière d’interopérabilité des plateformes numériques, ainsi que sur les questions de portabilité des données entre elles. Le Digital Services Act (DSA) – le règlement européen sur les services numériques (3) – ne se préoccupe pas de l’ouverture du marché. Et le Digital Markets Act (DMA) – le règlement européen sur les marchés numériques (4) – est une occasion manquée dans l’ouverture des plateformes numériques devenues des « contrôleurs d’accès » en situation de monopoles. Concernant les obligations d’interopérabilité, le DMA fait le service minimum : son article 7 s’en tient uniquement aux « obligations incombant aux contrôleurs d’accès concernant l’interopérabilité des services de communications interpersonnelles », à savoir l’interopérabilité des messageries instantanées comme WhatsApp (Meta), Instagram (Meta), Messenger (Meta) ou Snapchat (Snap). Les gatekeepers que sont les réseaux sociaux et les plateformes de partages gardent donc la main monopolistique sur leur propre écosystème fermé (applications, fonctionnalités, modération, recommandation, hébergement, …). Réviser les règlements s’imposerait. La prochaine Commission européenne (issue des élections européennes à venir) devra réexaminer le DMA d’ici le 3 mai 2026 et le DSA d’ici le 17 novembre 2027. « La Commission européenne ne pense pas plus loin que les dispositions existantes à ce jour et sait qu’elle devra se pencher sur l’extension de l’article 7 [du DMA, ndlr] au-delà des messageries pour penser l’interopérabilité des réseaux sociaux. Néanmoins, elle n’a absolument pas pensé les possibilités du réseau social au-delà de sa forme centralisée entre les mains d’une plateforme », relève le secrétaire général du CNNum. Et pour le DSA, l’article 35 (risques systémiques, modération, recommandation, algorithmes, …) pourrait être étendu à d’autres remèdes.
Et Jean Cattan de regretter : « La Commission européenne n’a pas encore compris pour les réseaux sociaux ce qu’elle a pourtant compris dans les années 2000 pour les réseaux télécoms : l’innovation dépend de l’ouverture et l’ouverture se construit par la régulation ». En effet, pourquoi l’Union européenne ne procèderait-t-elle pas au « dégroupage » des réseaux sociaux et des grandes plateformes numériques, comme elle l’a fait il y a un quart de siècle pour les boucles locales des réseaux des opérateurs télécoms historiques ? L’idée de « dégrouper » les Big Tech avait été avancée en 2019 par un ancien président de l’Arcep, Sébastien Soriano (5). C’est ce que défend aujourd’hui Maria Luisa Stasi, directrice Droit et Politique des marchés numériques de l’ONG Article 19 qui défend la liberté d’expression.

La nouvelle super-régulation d’Internet se met en place en Europe, avec l’Arcom en soutien pour la France

Le Digital Services Act (DSA) entre entièrement en application le 17 février 2024 dans les Vingt-sept. L’Arcom devient pour la France le « Coordinateur pour les services numériques » (DSC) et l’un des vingt-sept membres du « Comité européen des services numériques » (EBDS) présidé par la Commission européenne.

Il n’y aura pas de super-régulateur européen d’Internet, mais c’est tout comme. Avec le règlement sur les services numériques, le DSA (Digital Services Act), qui entre pleinement en application le 17 février (1), l’Union européenne (UE) devient la première région du monde à mettre en place une vaste « régulation systémique » de l’Internet. Elle va s’articuler autour du Comité européen des services numériques (EBDS), présidé par la Commission européenne et assisté – pour chacun des vingt-sept Etats membres – d’un Coordinateur pour les services numériques (DSC).
Pour la France, c’est l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) qui est désignée DSC par la loi « Sécuriser et réguler l’espace numérique » (SREN) dont le vote définitif est attendu en mars (2). « Pour moi, europhile, je crois qu’on a la chance d’être sur un continent pionnier dans la régulation des grands acteurs du numérique. On peut espérer que ce règlement aura un effet de jurisprudence : ce que les plateformes feront sur le continent européen pour se conformer aux obligations du DSA, elles pourront le faire dans d’autres pays », a déclaré le 1er février Roch-Olivier Maistre (photo), président de l’Arcom. « Je suis heureux d’être sur un continent qui tente quelque chose, sans être ni le modèle chinois ni le modèle américain. C’est une tierce-voix qui est conforme à la protection de la liberté et du public », a-t-il ajouté devant l’Association des journalistes médias (AJM), dont il était l’invité.

Un Comité européen et 27 Coordinateurs nationaux
Pour assurer cette nouvelle « super-régulation » du Net dans les Vingt-sept, la Commission européenne et les régulateurs nationaux vont travailler main dans la main. Le Comité européen des services numériques (EBDS (3)), créé à cet effet, est chapeauté par la Commission européenne elle-même et composé de « hauts fonctionnaires » représentant, chacun, le Coordinateur national pour les services numériques (DSC (4)) d’un Etat membre – à savoir l’Arcom pour la France, en liaison avec la Cnil et l’Autorité de la concurrence. « Pour les très grandes plateformes, qui comptent chacune au moins 45 millions d’utilisateurs par mois en moyenne dans l’UE et pour lesquelles le DSA est entré en vigueur le 25 août 2023, c’est la Commission européenne qui jouera un rôle central. Comme elle l’a fait en ouvrant, le 18 décembre 2023, une enquête formelle à l’encontre de X (ex-Twitter) soupçonné d’avoir enfreint le DSA », a expliqué Roch-Olivier Maistre, dont le mandat à la tête de l’Arcom se termine fin janvier 2025.

Les géants d’Internet risquent gros
La Commission européenne – par les voix de Margrethe Vestager (photo ci-contre) et de Thierry Breton – reproche à X, le réseau social racheté en octobre 2022 par Elon Musk et totalisant 112 millions d’utilisateurs actifs par mois dans l’UE, de contrevenir au DSA (5). X risque une amende pouvant atteindre 6 % de son chiffre d’affaires mondial annuel. La Commission européenne régule ces très grandes plateformes, en liaison avec les autorités nationales désignées « Coordinator » (DSC). « Il y aura donc un dialogue qui s’instaure avec la Commission européenne, le processus se mettant déjà en œuvre », a précisé le président de l’Arcom, DSC pour la France. L’an dernier, la Commission européenne a identifié 22 très grandes plateformes, dont 19 premières (6) le 25 avril 2023 (Alibaba/AliExpress, Amazon Store, Apple/AppStore, Booking, Facebook, Google Play, Google Maps, Google Shopping, Instagram, LinkedIn, Pinterest, Snapchat, TikTok, Twitter, Wikipedia, YouTube, Zalando, Bing et Google Search) et 3 autres (7) le 28 décembre 2023 : les plateformes pornographiques Pornhub, Stripchat et XVideos. « Mais contrairement à l’audiovisuel, a précisé Roch-Olivier Maistre (« ROM »), on ne pourra pas saisir ni la Commission européenne ni l’Arcom pour un contenu (comme un tweet) qui nous heurte ou qui nous choque. Car il s’agit là d’une régulation systémique : ce qui est jugé porte sur la plateforme afin de savoir si elle est en défaut global par ses systèmes de modération, au regard des obligations de lutte contre les contenus illicites ».
Quant aux autres plateformes – exceptées, est-il précisé dans le DSA, les « microentreprises » et les « petites entreprises » –, l’entrée en vigueur de ce règlement va intervenir le 17 février 2024 et relèvera de la compétence du régulateur du pays d’implantation de l’acteur du Net : l’Arcom lorsqu’il est en France. « Nous rendrons publique une liste de ces acteurs “plus petits” du numérique », a indiqué son président. Tout en insistant sur le fait que « le sujet central de la mise en œuvre du DSA aujourd’hui, chacun le sait bien, c’est X (ex-Twitter), TikTok et Meta (Facebook) ; cela ne veut pas dire qu’il n’y en a pas d’autres, le texte étant suffisamment large et concernant aussi les places de marché ». Ce sont donc sur vingt très grandes plateformes, dites VLOP (8), et sur deux très grands moteurs de recherche en ligne, Google (Alphabet) et Bing (Microsoft) dits VLOSE (9), que se concentre la nouvelle super-régulation européenne. « Le DSA impose à ces grands acteurs de l’Internet une obligation de lutter contre les contenus illicites et de déployer les ressources nécessaires pour y parvenir : outils d’intelligence artificielle, outils de modération humaine », a expliqué « ROM ». Et de poursuivre : « Le DSA leur impose aussi : de faire une évaluation annuelle des risques auxquels la plateforme expose ses utilisateurs, de faire un audit annuel extérieur de cette évaluation, de permettre aux chercheurs d’avoir accès aux données de ces plateformes pour mener leurs travaux académiques, d’associer la société civile par les “signaleurs de confiance” dont les signalements doivent être traiter rapidement, de façon prioritaire ». Pour lutter contre les « contenus illicites » sur Internet et les « risques systémiques » des plateformes, des « signaleurs de confiance » – Trusted Flaggers – vont ainsi être dans les Vingt-sept désignés par chaque DSC. Une fois que l’Arcom sera habilité par la loi SREN à le faire en tant que « Coordinateur », « ROM » a par exemple indiqué qu’il y avait « de fortes chances » pour que l’Arcom désigne l’association e-Enfance comme un signaleur de confiance. Une fois désignés, ces signaleurs de confiance communiqueront à l’Arcom leurs signalements de « contenus problématiques » qu’ils auront effectués auprès des différentes plateformes. « En cas de manquements, nous pourrions alors considérer qu’il y a “dysfonctionnement systémique” de la plateforme en question et éventuellement la sanctionner », prévient le président de l’Arcom. Pour les contenus de pédo-criminalité ou de terrorisme, « l’Arcom supervise Pharos [plateforme du ministère de l’Intérieur, ndlr], qui nous transmet toutes les semaines les sites qu’ils bloquent – 150.000 en 2023 – et nous nous assurons que tous les blocages opérés par Pharos sont pertinents au regard notamment des libertés publiques ».
Au-delà du DSA, dont le pendant « antitrust » est le Digital Markets Act (DMA) qui entrera en vigueur le 6 mars prochain (10), et au-delà de la directive européenne de 2010 sur les services de médias audiovisuels (SMA), l’Arcom verra encore ses pouvoirs s’étendre avec l’EMFA (11). Ce règlement européen sur « la liberté des médias » a été approuvé le 19 janvier dernier (12) et doit être formellement adopté d’ici le mois d’avril.

Comité européen pour les services de médias
L’EMFA vise à protéger les fournisseurs de services de médias contre les ingérences politiques. Il protègera aussi les journalistes et leurs sources, tout en garantissant le droit d’accès des citoyens à des informations libres et pluralistes (13). Pour ce faire, le réseau des régulateurs européens – l’Erga (14), dont fait partie l’Arcom – est transformé en « Comité européen pour les services de médias » (EBMS (15)). Sur le front des fake news, l’Arcom est déjà dotée de pouvoirs depuis la loi française de 2018 « contre la manipulation de l’information » (16). Elle publiera fin février une délibération à ce sujet. Avec les élections des eurodéputés en juin sur fond de guerre entre la Russie et l’Ukraine, l’Arcom – associée à Viginum (rattaché au Premier ministre) – pourrait ordonner le blocage de chaînes étrangères ou de sites web. @

Charles de Laubier

Fermé et accusé de monopole, Apple consolide son walled garden aux commissions abusives

Apple a délogé Samsung en 2023 de la première place mondiale des fabricants de smartphones. De quoi conforter la marque à la pomme dans son modèle économique verrouillé et contesté. En plus des taxes de 30 % (ou 15 %), une nouvelle à 27 % (ou 12 %) va se retrouver devant la justice. Aux Etats-Unis, bientôt en Europe ?

« La dernière fois qu’une entreprise qui n’était pas Samsung s’est retrouvée au sommet du marché mondial des smartphones, c’était en 2010 [avec Nokia en tête à l’époque, ndlr]. Et pour 2023, il y a maintenant Apple », a indiqué le cabinet d’études international IDC le 15 janvier dernier. « Le succès et la résilience continus d’Apple sont en grande partie imputables à la tendance croissante des smartphones haut de gamme, qui représentent maintenant plus de 20 % du marché mondial, alimentée par des offres de remplacement agressives et des plans de financement sans intérêts d’emprunt », souligne Nabila Popal, directrice de recherche chez IDC.

N°1 mondial pour la toute première fois
Ainsi, le « malheur » de Samsung fait le « bonheur » d’Apple qui a crû sur un marché mondial des smartphones pourtant en déclin de – 3,2 % en 2023 par rapport à l’année précédente. Il s’agit même, constate IDC (1), du volume annuel le plus bas en une décennie, avec 1,17 milliard d’unités vendues l’an dernier. « Apple est le seul acteur dans le “Top 3” à afficher une croissance positive chaque année, […] malgré les défis réglementaires croissants et la concurrence renouvelée de Huawei en Chine, son plus grand marché », ajoute Nabila Popal. Cela dit, pas sûr que la firme de Cupertino (Californie) – pour la toute première fois numéro un mondial des smartphones depuis le lancement de l’iPhone en 2007 – se maintienne longtemps en haut du podium mondial, en raison de l’offensive du fabricant sud-coréen avec la commercialisation, à partir du 31 janvier, de ses nouveaux Galaxy S24 boostés à l’IA (S24, S24 + et S24 Ultra) annoncés des Etats-Unis le 17 janvier dernier (2).
Le monde iOS fermé et verrouillé d’Apple – que Edition Multimédi@ avait surnommé en 2010 l’«”iPrison” dorée » (3) – devra aussi composer avec l’ex-numéro deux mondial des smartphones, le chinois Huawei (4), lequel regagne du terrain malgré son ostracisation par l’administration américaine. Sans oublier l’avancée de quatre autres chinois : Xiaomi (3e position en 2023), Oppo (4e), Transsion (5e) et OnePlus (en embuscade), ainsi que l’espagnol Vivo, ou encore l’américain Google avec ses Pixel (5) – en plus d’être à l’origine d’Android, le rival d’iOS. Pour cette année 2024, le marché mondial des smartphones devrait repartir à la hausse : + 3,5 %, selon les prévisions d’IDC. Apple est dépendant de ses iPhone qui pèsent encore pour 52,3 % de son chiffre d’affaires annuel, soit – sur le dernier exercice clos le 30 septembre 2023 – 200,5 milliards de dollars (sans compter les 28,3 milliards de dollars des iPad ni même les 28,3 milliards de dollars des Mac) sur un total de 383,2 milliards de dollars. Et le modèle économique de l’iOS, basé sur l’App Store lancé il y a plus de quinze ans, est une cash machine qui prélève à chaque transaction les fameux 30 % de commission, lorsque ce n’est pas 15 % dans certains cas – voire maintenant 27 % ou 12 % comme annoncé par la Pomme aux développeurs le 17 janvier (6). Sur ce terrain-là, le groupe dirigé par Tim Cook (photo) – depuis la démission en août 2011 de Steve Jobs (décédé le 5 octobre 2011) – a été sommé par la justice américaine de ne pas empêcher les éditeurs d’applications « iOS » de l’App Store d’orienter leurs utilisateurs vers leur site web et leur propre moyen de paiement. Ces transactions effectuées sur des liens externes pour poursuivre ses achats sur le web sont censées échapper à Apple, alors qu’elles sont tout de même taxées par le fabricant d’iPhone.
Cette commission de 30 % prélevée au passage sur chacune de ces transactions externes lui a valu un procès qui a duré près de quatre ans et qui fut initié par le persévérant éditeur de jeux vidéo Epic Games (« Fortnite »). L’affaire est allée jusqu’à la Cour suprême des Etats-Unis, laquelle avait statué en avril 2023 en faveur d’Apple en ne reconnaissant pas son « monopole » que dénonçait Epic Games. Et le 16 janvier dernier, cette même Cour suprême a rejeté les recours en appel formés par Epic Games et Apple (7). Pour autant, la Pomme devra s’en tenir à l’injonction de deuxième instance (District Court) qui l’oblige à laisser des transactions se faire sur des liens externes.

Epic Games et Spotify comptent sur le DMA
Mais le ver peut être dans le fruit : la firme de Cupertino a trouvé une parade en instaurant une nouvelle taxe de 27 % (ou 12 % pour les TPE) applicables à ces transactions externes, au lieu des 30 % (ou 15 %) qui posaient problème aux éditeurs tiers et à la justice. Aussitôt, le PDG fondateur d’Epic Games, Tim Sweeney, a annoncé le 17 janvier sur X (ex-Twitter) avoir déposé une plainte contre la « mauvaise foi » d’Apple à se conformer au jugement (8). La marque à la pomme voit déjà se profiler un autre front qui remettra en cause son walled garden : le Digital Markets Act (DMA) européen (9), qui entrera en vigueur le 6 mars prochain. Spotify a déjà annoncé le 24 janvier (10) que l’on pourra faire des achats in-app sur iPhone avec son propre moyen de paiement. @

Charles de Laubier