La 5G tant vantée poursuit lentement son décollage

En fait. Le 10 février, l’Arcep dévoilera les chiffres de son observatoire des services mobiles pour le quatrième trimestre. Selon les estimations de Edition Multimédi@, le parc de la 4G dépasserait pour la première fois les 70 millions de cartes SIM en France. En revanche, la 5G resterait sous la barre des 10 millions.

En clair. La 5G fait toujours pâle figure en France, alors que les quatre opérateurs télécoms (Orange, Bouygues Telecom, Free Mobile et SFR) promettaient au grand public du très haut débit mobile et de nouveaux usages, avec des débits jusqu’à dix fois supérieurs à ceux de la 4G (1). Force est de constater que, depuis les débuts de la commercialisation de la 5G il y a plus de deux ans, les clients mobiles (forfaits ou prépayés) ne se précipitent pas. Selon les chiffres de l’Arcep publiés le 12 janvier dernier sur le troisième trimestre 2022 du marché des communications électroniques, le nombre de cartes SIM actives en 5G ne dépasse pas les 6,2 millions (2) – ne pesant que 7,5 % du parc de carte mobiles actives en France. Et bien loin des 69,7 millions de clients 4G.
Si la croissance trimestrielle d’un peu plus de 21,5 % observée au troisième trimestre s’est poursuivie au quatrième trimestre l’an dernier, selon l’hypothèse basse de Edition Multimédi@, la 5G terminerait l’année 2022 avec à peine plus de 7,5 millions de clients mobiles – pesant seulement 9% du parc mobile total. Et toujours très loin des quelques 70 millions d’abonnés 4G attendus à fin 2022. Même en prenant cette fois une hypothèse haute intégrant l’effet « cadeaux de Noël », la 5G devrait rester sous la barre des 10 millions de clients. Comme l’Arcep ne précise pas dans son observatoire des services mobiles les chiffres de la 5G (ni de la 4G ni de la 3G), il faudra attendre finalement non pas le 10 février mais le 6 avril prochain pour avoir la confirmation de cette tendance poussive. @

Le marché mondial des métavers pourrait avoir à terme un impact économique bien réel

L’équipementier télécoms Ericsson a publié en octobre une étude voulant démontrer que « la 5G ouvre la voie au métavers ». Une étude d’Analysis Group, financée par Meta et parue en mai dernier, chiffre à 3.000 milliards de dollars l’apport des métavers au PIB Mondial d’ici 2031. Nouvel Eldorado ?

Les métavers font couler beaucoup d’encre, mais ils tardent à faire la preuve de leurs réelles perspectives économiques. Contribuerontils à hauteur de 3.000 milliards de dollars au produit intérieur brut (PIB) mondial d’ici le début de la prochaine décennie, comme le calcule Analysis Group dans son étude publiée au printemps dernier et financée par le groupe Meta (ex-Facebook) ? L’agence financière Bloomberg, elle, table sur un marché mondial du métavers de 800 milliards de dollars d’ici 2025. Entre les équipements (casques de réalité virtuelle en tête) et les dépenses dans ces mondes virtuels (dont la publicité), les perspectives sont dignes d’un « Eldorado 3.0 ».

La 5G, un catalyseur de métavers
De son côté, le suédois Ericsson a publié en octobre une étude intitulée « 5G : The Next Wave », présentée comme « la plus grande étude sur la 5G menée à ce jour auprès des consommateurs » (49.100 personnes interrogées dans 37 pays, représentatives de 430 millions d’utilisateurs de la 5G). Il en ressort que « l’adoption de la 5G ouvre la voie au métavers » et que « la transition des services immersifs vers des expériences métavers est en cours », les abonnés à la 5G faisant déjà leurs premiers pas dans ces mondes virtuels.
L’équipementier télécoms suédois, qui fournit bon nombre d’opérateurs de réseaux en infrastructure mobile (3G, 4G, 5G, …), constate que les utilisateurs de la 5G consacrent aujourd’hui en moyenne une heure de plus par semaine que les utilisateurs de la 4G à des activités liées aux métavers. Ils y pratiquent le jeu en ligne, la socialisation, le shopping, la participation à des concerts ou à des événements virtuels, ainsi que l’utilisation d’applications de réalité augmentée. « Les utilisateurs de la 5G pensent que d’ici 2025, 2 heures supplémentaires de contenu vidéo seront consommées chaque semaine sur les appareils mobiles, dont 1,5 heure sur les lunettes de réalité mixte plutôt que sur les smartphones », souligne le ConsumerLab d’Ericsson, dirigé par Jasmeet Sethi (photo de gauche), qui a réalisé ce sondage planétaire. Quant aux utilisateurs de la 4G, ils prévoient d’accroître leur « engagement », autrement dit les interactions, avec le métavers une fois qu’ils se seront abonnés à la 5G : 41 % indiquent qu’ils commenceront à utiliser ou à accroître leur utilisation de la réalité augmentée. « Globalement, six utilisateurs de smartphones sur dix pensent que la 5G est essentielle à la réalisation du métavers. La vitesse plus élevée, la fiabilité et le faible temps de latence de la 5G permettent aux utilisateurs de faire l’expérience de la XR [eXtended Reality] et d’autres activités », relève l’étude d’Ericsson. En France notamment, « 30 % des utilisateurs français déclarent qu’ils commenceront ou augmenteront l’utilisation d’applications de réalité augmentée dans le monde réel après avoir souscrit à la 5G ».
Autres enseignements de l’enquête mondiale : les utilisateurs de la 5G passent en moyenne 1 heure de plus par semaine dans les métavers que les utilisateurs de la 4G. Ces mondes virtuels existent dans les jeux en ligne et mobiles comme ceux de Roblox, Fortnite ou des jeux de réalité augmentée comme ceux de Niantic, mais aussi sur les plateformes de réalité virtuelle sociale ou les plateformes qui permettent aux utilisateurs de créer des expériences, de se socialiser, de vendre et d’acheter, de se divertir dans des environnements en 3D tels que Zepeto ou Ifland des groupes sud-coréens respectivement Naver et SK Telecom. « Les technologies telles que la VR [Virtual Reality], la AR [Augmented Reality], l’AI [Artificial Intelligence], la 5G, la blockchain, les NFT et bien d’autres sont toutes situées dans le monde des métavers et représentent une convergence et une mise à l’échelle de ces différents produits, services et visions en un seul ou plusieurs mondes en ligne interopérables », explique le ConsumerLab (1).

Les entreprises vont se « métaverser »
Les consommateurs s’attendent à ce que la 5G continue de pousser l’utilisation améliorée des vidéos au-delà du smartphone, à savoir sur les casques de réalité virtuelle et sur les lunettes connectées : en 2025, au moins 2 heures de contenu vidéo seront consommées chaque semaine sur les appareils mobiles, dont 1,5 heure sur les lunettes AR/VR (voir graphique page suivante). De son côté, le cabinet d’étude américain Gartner est lui aussi confiant en l’avenir du métavers : d’ici 2026, un quart des gens dans le monde passeront au moins 1 heure dans le métavers pour le travail, le shopping, l’éducation, l’interaction sociale et/ou le divertissement. La moitié des utilisateurs de la 5G qui utilisent déjà des services de réalité virtuelle (VR), constate Gartner, pensent que les applications de réalité augmentée (AR) passeront des smartphones aux casques XR d’ici deux ans, alors qu’un tiers seulement des utilisateurs de la 4G le pensent. « Les fournisseurs créent déjà des moyens pour les utilisateurs de reproduire leur vie dans le monde numérique. Qu’il s’agisse d’assister à des classes virtuelles, d’acheter des terrains numériques ou de construire des maisons virtuelles, ces activités se déroulent actuellement dans des environnements distincts. Ils finiront par se dérouler dans un environnement unique – le métavers – avec de multiples destinations », prévoit Marty Resnick (photo de droite), vice-président chez Gartner. Selon lui, comme aucun fournisseur unique possédera le métavers, il faut s’attendre à ce qu’il ait une économie virtuelle activée par les monnaies numériques (les cryptos) et les jetons non-fongibles (NFT). Cela sera aussi valable dans le monde des entreprises, qui pourront se réorganiser avec des espaces de travail immersifs dans des bureaux virtuels, d’autant que les deux années de confinements ou de restrictions sanitaires ont popularisé les visioconférences, les webinars ou encore les téléconsultations.

Lever les doutes persistants
Les entreprises n’auront pas besoin de créer leur propre infrastructure pour le faire parce que le métavers fournira le cadre. « D’ici 2026, 30 % des organisations dans le monde auront des produits et des services prêts pour le métavers », projette Marty Resnick (2). De quoi conforter Mark Zuckerberg, PDG cofondateur de Facebook – géant du Net devenu il y a un an Meta pour mieux embrasser la cause du métavers. Dans son étude d’une cinquantaine de pages (3) commanditée par Meta justement, le cabinet d’études américain Analysis Group évalue l’impact positif du métavers dans son ensemble à 2,8 % du PIB d’ici 2031. La région du monde qui en profitera le plus sera l’Asie-Pacifique (2,3 % du PIB), suivie des Etats-Unis (2,3 %), de l’Europe (1,7 %) et du Moyen-Orient/Afrique du Nord/Turquie (6,2 %). D’autres études tentent aussi de chiffer le futur du métavers : Grand View Research (4) prévoit près de 679 milliards de dollars en 2030 ; McKinsey (5) table sur 5.000 milliards de dollars en 2030 ; Fortune Business Insights (6) avance plus de 500 milliards de dollars en 2029.
Mais les freins aux déploiements des métavers existent, tels que leur impact carbone sur l’environnement (7). Quant aux Etats, ils ne veulent pas y perdre leur « souveraineté culturelle et technologique ». C’est du moins la volonté du gouvernement français qui a publié le 24 octobre un rapport « exploratoire » sur les métavers avec dix propositions (8), dont l’une est la création d’« un institut de recherche et coordination, sur le modèle de l’Ircam » (9).
Il y a aussi et surtout l’attentisme de la plupart des 4,5 milliards d’utilisateurs de réseaux sociaux dans le monde, notamment ceux de la jeune génération « TikTok », qui… attendent de voir. Résultat : les métavers d’aujourd’hui semblent déserts, au grand dam de « Zuck » et de son directeur du métavers, Vishal Shah (photo), lequel a envoyé le 20 septembre à ses propres équipes un memo – révélé le 7 octobre par The Verge – leur disant : « Tout le monde dans cette entreprise [Meta] devrait se donner pour mission de tomber amoureux d’Horizon Worlds [le métaversmaison, ndlr]. Vous ne pouvez pas le faire sans l’utiliser. Allez-y ! » (10). Y-a plus qu’à. @

Charles de Laubier

Itinérance 2G/3G Free-Orange : l’Arcep va consulter

En fait. Le 30 août, Iliad a publié ses résultats semestriels en hausse : 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires, et 639 millions d’euros de résultat net. Pour son réseau mobile – lancé il y a dix ans – Free bénéficie toujours d’un accord d’itinérance 2G/3G avec Orange. Doit-il être encore prolongé ?

En clair. « L’Arcep a reçu le 27 juillet 2022 un nouvel avenant au contrat d’itinérance conclu entre Free Mobile et Orange. Elle doit désormais l’analyser. Un appel à commentaires du secteur sera lancé dans les prochains jours », indique à Edition Multimédi@ une porte-parole du régulateur des télécoms. Le 3 mars 2011, France Télécom et Free Mobile signaient un accord d’itinérance nationale sur les réseaux 2G et 3G de l’opérateur historique pour y faire transiter le trafic Internet, voix et SMS/MMS du nouvel entrant.
Plus de dix ans après, cet accord – que Bouygues Telecom et SFR n’ont eu de cesse de contester, en vain – est toujours en vigueur. Le deal ne devait pas aller au-delà de 2018, ce que l’Autorité de la concurrence avait considéré en mars 2013 comme « une échéance raisonnable » (1). Autant au lancement en 2012 de Free Mobile, dépourvu à l’époque d’antenne réseau sur le territoire, cette itinérance était justifiée, autant aujourd’hui elle apparaît aux yeux de Bouygues Telecom et de SFR comme un avantage concurrentiel. Or, déjà renouvelé une première fois, cet accord d’itinérance élaboré par Nicolas Guérin – alors directeur juridique d’Orange – a été une seconde fois prorogé par un avenant de février 2020, soit jusqu’à fin 2022. Bien que désormais « déraisonnable », ce report avait quand même obtenu le feu vert de l’Arcep qui avait plafonné les débits de crête montants et descendants à 384 Kbits/s pour les clients en itinérance (au lieu de 1 Mbit/s en 2017). « L’Arcep n’a pas à ce jour jugé nécessaire de modifier les contrats de mutualisation et d’itinérance des opérateurs, y compris suite à cette prolongation », rappelle encore aujourd’hui Free. SFR et Bouygues Telecom avait aussitôt saisi le Conseil d’Etat pour demander l’annulation de cette décision, mais ils ont été déboutés le 15 décembre 2021. Au risque d’ulcérer à nouveau Bouygues Telecom et SFR, l’opérateur de Xavier Niel a obtenu d’Orange la prolongation de ce roaming national jusqu’en 2025. « En phase d’extinction progressive, la charge financière du contrat d’itinérance n’est désormais plus déterminante dans l’économie générale du groupe », temporise Iliad.
En Europe, Iliad voit aussi ses accords d’itinérance mobile 2G/3G/4G arriver bientôt à échéance eux aussi (2) : avec Orange Polska en Pologne en faveur de sa filiale Play (3) jusqu’en 2025, et avec Wind Te en Italie jusqu’en 2026. @

Couverture des zones blanches (non-rentables) : faut-il aller vers un deuxième « New Deal Mobile » ?

Le « New Deal Mobile » était la promesse des opérateurs mobiles – faite il y a quatre ans au gouvernement – d’une « 4G pour tous » au 31 décembre… 2020. Mais des zones blanches ont persisté au-delà de cette échéance. A fin 2021, « 98 % des sites mobiles sont en 4G ». Et les 2 % restants ?

Y aura-t-il un deuxième « New Deal Mobile » pour ne pas laisser les 2 % des sites mobiles dépourvus de 4G et des milliers de centres-bourgs toujours en zone blanche ? Lorsqu’elle était encore députée, Laure de La Raudière (photo) avait suggéré « un deuxième New Deal Mobile ». Certes, c’était treize mois avant de devenir présidente de l’Arcep. La députée d’Eure-et-Loir avait à l’époque – mais il n’y a pas si longtemps que cela – émis cette éventualité au regard du désaccord qu’elle avait avec le président fondateur de Free (Iliad), Xavier Niel, qu’elle auditionnait le 17 novembre 2020 à l’Assemblée nationale en commission (1) – sur la couverture mobile des territoires jusque dans les zones blanches non-rentables.

Du donnant-donnant à 3 milliards d’euros
En janvier 2018, il y a quatre ans maintenant, l’Arcep et le gouvernement annonçaient des engagements des opérateurs télécoms pour accélérer la couverture mobile des territoires qui à l’époque laissait à désirer. Bouygues Telecom, Free, Orange et SFR s’étaient ainsi engagés à investir plus de 3 milliards d’euros dans les « zones rurales ». En échange de quoi, l’Etat a renoncé à leur faire payer pas moins de 3 milliards d’euros de redevance pour leurs fréquences 4G – dans les bandes 900 Mhz, 1800 Mhz (sauf Free) et 2,1 Ghz – dont les autorisations d’exploitation leur ont été renouvelées pour dix ans supplémentaires. En effet, les autorisations de leurs réseaux mobiles 2G, 3G et 4G arrivaient à échéance, dès 2021 pour certaines et d’ici à 2024 pour d’autres. Globalement, les opérateurs mobiles ont obtenu « visibilité et stabilité jusqu’en 2030 » sur leurs fréquences.
Les engagements de couverture mobile sans précédents avaient, eux, été dans la foulée retranscrits dans leurs licences actuelles afin de les rendre juridiquement opposables – autrement dit pour permettre à des élus ou à des utilisateurs d’attaquer en justice les opérateurs mobiles en cas de non-connexion 4G. De plus, ces engagements sont contraignants et peuvent donner lieu à des sanctions de la part de l’Arcep (2). Ce fameux New Deal Mobil en faveur de l’aménagement numérique des territoires consiste à apporter la 4G tant attendue dans les zones rurales, synonymes de « zones blanches », qui n’ont aucune couverture mobile et encore moins de 4G. Il y a quatre ans, cela concernait tout de même plus de 1 million de Français sur 10.000 communes privés de mobile haut débit. A cette fracture numérique s’ajoutaient les principaux axes routiers et ferroviaires, sur lesquels il était impossible d’« avoir du réseau ».
Mais cet accord politique donnant-donnant avait accordé jusqu’à 2026 aux quatre opérateurs mobiles pour parachever pleinement le déploiement de la totalité des 5.000 nouveaux sites mobiles, à raison de 600 à 800 sites par an. Avant d’en arriver là, Bouygues Telecom, Free, Orange et SFR s’étaient engagés à couvrir 75 % des centres-bourgs en 4G au 31 décembre 2020 – sur un total de près de 5.000 et symboles de la fracture numérique en France. Mais ce taux n’a pas été atteint à cette première échéance (3), en raison du ralentissement des déploiements dû aux restrictions sanitaires et confinements de cette année 2020.
Ce retard avait déclenché des escarmouches entre l’ancien président de l’Arcep, Sébastien Soriano, et celui qui était déjà président de la Fédération française des télécoms (FFTélécoms), Arthur Dreyfuss (4). En avril 2020, le gendarme des télécoms appelait les opérateurs mobiles à ne pas prendre prétexte du confinement pour ne pas être « au rendez-vous de leur responsabilité » vis-à-vis du New Deal Mobile et du Plan Très haut débit. Une mise en garde qui avait fait perdre son sang-froid au secrétaire général de SFR (5) (*) (**). D’après l’Arcep, cette cible des 75 % du programme dit « zones blanches centres-bourgs » (ZBCB) n’a pas été atteinte fin 2020 comme cela était prévu mais seulement mi-2021. Les quatre opérateurs mobiles sous pression se sont ensuite engagés à couvrir les 25 % restants de ces centres-bourgs en zones blanches avant le 31 décembre 2022. Le compte à rebours a commencé.

Un « bilan en demi-teinte » (Sénat)
Autrement dit, pour la nouvelle année, la « 4G pour tous » (4G mobile voire 4G fixe) est encore un vœu pieux – alors que la 5G profite déjà à quelques-uns (1,6 million d’abonné au 30 septembre dernier) et que les équipementiers télécoms travaillent déjà sur la 6G… La densification du réseau 4G traîne en longueur, malgré des avancées certaines. Et ce, alors que depuis deux ans les Français ont été contraints par la crise sanitaire de faire du télétravail voire de la visioconférence. Les zones blanches sont devenues des points noirs. Et l’étude « Quel débit » publiée le 27 janvier par UFC-Que Choisir fustige le « mauvais haut débit » dans les zones rurales dont sont pénalisés 32 % des consommateurs (6). « Bilan en demi-teinte » a pointé le Sénat en novembre dernier lors de l’examen du volet « Cohésion des territoires » du projet de loi de finances (PLF) pour 2022 : « des progrès à confirmer dans la réduction de la fracture numérique » ; « un bilan en demi-teinte qui impose la poursuite des efforts pour résorber les zones blanches ».

La « 4G pour tous », mais pas pour tous
Pour la commission sénatoriale de l’aménagement du territoire et du développement durable, le compte n’y est pas malgré le dynamisme constaté des déploiements dans le cadre de ce New Deal Mobile : « S’agissant du programme de couverture ciblée, environ 3.000 sites ont d’ores et déjà été identifiés par arrêté [plusieurs arrêtés de 2018 à 2021, ndlr] depuis le lancement du New Deal. (…) Les retards induits en 2020 par le premier confinement ne semblent pas s’être résorbés : malgré des améliorations (…). Sur la totalité des arrêtés, à la date du 30 juin 2021, 830 sites de couverture ciblée étaient en service » (7).
Selon un bilan publié le 14 janvier dernier par la FFTélécoms et arrêté au 31 décembre cette fois, les 1.115 sites en service ont été atteints sur ce dispositif de couverture ciblée (8). Quant aux zones blanches dites ZBCB, dont il restait encore 25 % à couvrir d’ici la fin de cette année, elles seront scrutées de près par les sénateurs garants de l’aménagement numérique des territoires. « le New Deal Mobile est une réalité tangible dans les territoires » avec « 98 % des sites des opérateurs convertis en 4G », affirme la FFTélécoms :
• L’objectif de « généraliser la 4G sur l’ensemble des sites en propre des opérateurs avant fin 2020 » a été atteint.
• L’objectif de « généraliser la 4G sur les sites multi opérateurs issus des anciens programmes zones blanches [centres-bourgs] d’ici fin 2022 » est atteint à 89 %.
• L’objectif de « couverture de 5.000 nouvelles zones par opérateur identifiées par les élus de terrain d’ici fin 2027 » atteint à ce stade 1.115 nouveaux pylônes 4G multi opérateurs.
• L’objectif de « généraliser la 4G le long des axes routiers prioritaires », initialement prévu à fin 2020, est atteint entre 99,6 % et 99,8 %. Sur ce dernier point, tous les axes routiers dits prioritaires de l’Hexagone comprennent 55.000 kilomètres de routes, dont 11.000 km d’autoroutes et 44.000 km d’axes routiers principaux reliant, au sein de chaque département, le chef-lieu de département (préfecture) aux chefs-lieux d’arrondissements (sous-préfectures), et les tronçons de routes sur lesquels circulent en moyenne annuelle au moins cinq mille véhicules par jour. « Les opérateurs sont tenus de couvrir les axes routiers prioritaires en 4G, à l’extérieur des véhicules d’ici fin 2020, et à l’intérieur des véhicules d’ici 2022 ou 2025. Selon l’Arcep, plus de 99 % des axes routiers prioritaires seraient couverts en très haut débit mobile. Les opérateurs devront aussi couvrir 90 % des lignes ferroviaires du réseau ferré régional d’ici fin 2025 », ont rappelé les sénateurs, toujours dans le cadre du PLF 2022.
Ils ont en outre constaté que la 4G fixe peine, elle, à se déployer. Ces services d’accès fixe à Internet sur les réseaux mobiles 4G sont une alternative à la connexion filaire dans les zones où les débits fixes ne sont pas suffisants. Le New Deal Mobile prévoit en effet, d’une part, une obligation pour les quatre opérateurs mobiles de proposer des offres de 4G fixe (obligation que Free a tardé à respecter), et, d’autre part, un engagement de ces mêmes opérateurs à créer des sites de 4G fixe dans des zones identifiées par le gouvernement via des arrêtés (9). « Au total, 510 sites identifiés par arrêté doivent être mis en service par Orange et SFR d’ici fin 2021. Sur ces 510 sites, seuls 75 étaient en service à la date du 30 juin 2021, selon l’Arcep », ont regretté les sénateurs en novembre. Dans sa communication « New Deal Mobile », la FFTélécoms n’en dit mot. De son côté, dans son rapport « Réduire la fracture numérique mobile : le pari du New Deal 4G » publié en juin 2021, la Cour des comptes appelait à mettre en place « un véritable suivi des sites de 4G fixe existants ».

Vers un « New Deal Mobile » 5G ?
Les collectivités territoriales, les consommateurs ou tous ceux qui veulent connaître la couverture mobile réactualisée peuvent accéder à trois sites web du gendarme des télécoms : Arcep.fr, où se trouve (10) le « tableau de bord du New Deal Mobile » (prochaine mise à jour le 31 mars prochain) ; Monreseaumobile.arcep.fr, un outil cartographique permettant de « comparer les opérateurs mobiles » (couverture simulée et qualité de service) ; Jalertelarcep.fr, une plateforme permettant à chaque utilisateur d’« être un acteur de la régulation » (mais pas de réponse individuelle aux alertes). Reste à savoir si la 5G aura à son tour son « New Deal Mobile » : ne serait-ce que pour permettre aux territoires les plus reculés d’avoir du vrai très haut débit à l’ère du télétravail imposé en temps de crise sanitaire. @

Charles de Laubier

Les points hauts (tours, pylônes, châteaux d’eau, …) servent à désendetter les opérateurs mobiles

Les « points haut » font du bien au « bas de bilan » des opérateurs télécoms. Ces infrastructures physiques accueillant les antennes mobiles ont pris de la valeur avec les 2G, 3G, 4G et maintenant 5G. Les céder pour des milliards d’euros à des spécialistes « TowerCo » permet de se désendetter et d’investir.

Dans les coulisses des infrastructures mobiles, il y a les tours, les toits d’immeubles, les pylônes, les châteaux d’eaux voire des clochers d’églises utilisés pour diffuser les réseaux 3G, 4G et maintenant 5G via des antennes émettrices et réceptrices : les stations de base. La valorisation de ces « points hauts » a augmenté – pour ne pas dire explosée – au fur et à mesure que la couverture mobile des territoires s’est généralisée. A tel point que les sociétés chargées de les gérer, surnommées « TowerCo », valent parfois des milliards d’euros. C’est même devenu un marché hautement spéculatif.

Des tours hautement valorisées
Dernière manœuvre en date sur ce marché très convoité : celle d’Iliad, maison mère de Free, qui a annoncé le 18 mai dernier la vente d’ici la fin de l’année à la société spécialisée espagnole Cellnex de ses 30 % qu’elle détient encore dans son ex-filiale On Tower France. « On va entamer des discussions avec Cellnex sur le prix de cession », a indiqué Nicolas Jaeger, directeur général délégué d’Iliad, qui en espère au minimum 600 millions d’euros. Cette prochaine session de ce gestionnaire d’infrastructures télécoms mobiles est annoncée deux ans après que la maison mère de Free ait cédé, en mai 2019, 70 % de On Tower France (ex-Iliad 7) qui était alors encore une filiale sous contrôle et aux résultats consolidés dans le groupe Iliad. L’Autorité de la concurrence avait rendu un avis favorable au mois d’août suivant (1). A l’époque, Cellnex Telecom – dirigée au pas de charge par Tobías Martínez-Gimeno (photo de gauche) – avait racheté à Iliad non seulement cette activité de « points hauts » en France, mais aussi les 100 % de la filiale équivalente en Italie où Iliad est aussi opérateur mobile. Et ce, pour un total de 2 milliards d’euros – dont 1,4 milliard pour les 70 % de On Tower France.
Cette opération, bientôt suivie du solde des 30 %, se fait dans le cadre d’un « partenariat industriel » entre Cellnex et Iliad ainsi que sur la base d’« un contrat de prestations d’accueil et de services de longue durée » prévoyant notamment en France un programme de construction de nouveaux sites pour y déployer les antennes-relais mobiles. Par ailleurs, l’opérateur suisse Salt – détenu depuis fin 2014 en propre par Xavier Niel via sa holding personnelle NJJ Capital – a aussi cédé ses antennes-relais à Cellnex. Au total, la seule société On Tower France aura rapporté à Iliad – une fois entièrement cédée – au moins 2milliards d’euros. La maison mère de Free a d’ores et déjà prévu d’« affecter une partie des futurs produits de cession de On Tower France au programme 5G », avec l’objectif d’être en France « leader sur le réseau 5G parmi les challengers ». Fin avril 2021, Iliad revendiquait avoir « le plus grand nombre de sites 5G (toutes fréquences confondues) en métropole avec plus de 8.800 sites techniquement opérationnels – dont plus de 1.000 en 3,5 Ghz ». Une autre partie du fruit de la vente contribuera à réduire la dette du groupe Iliad, laquelle s’établit à plus de 7,7 milliards d’euros au 31 décembre 2020.
Se désendetter est aussi ce qui a incité Vodafone à introduire en Bourse sa filiale Vantage Towers, qui compte 82.000 sites d’émission-réception dans dix pays. Avec une lourde dette de plus de 40 milliards d’euros, l’opérateur télécoms britannique au rayonnement mondial n’avait pas d’autres options que de se délester un peu de ses antennes-relais pour récupérer de l’argent frais. Du moins, a-t-il rendu public jusqu’à un quart du capital de sa filiale pour environ 2,5 milliards d’euros. C‘est chose faite depuis mars dernier à la Bourse de Francfort, où l’entreprise nouvellement cotée est actuellement valorisée 13,6 milliards d’euros (au 4 juin 2021) – pas loin de la fourchette haute des 14,7 milliards escomptés par Vodafone avant l’introduction.
Digital Colony, un fonds américain spécialisé dans les infrastructures télécoms, et RRJ Capital, un investisseur hongkongais, ont acquis respectivement 550 et 450 millions d’euros de titres de Vantage Towers. Toutefois, l’opérateur télécoms britannique a précisé l’an dernier qu’il entendait bien garder une part majoritaire dans l’entreprise cotée « vu la nature stratégique de ces infrastructures et leur potentiel de valorisation future ».

Orange lorgne sur les pylônes de TDF
Toits d’immeubles, tours, pylônes, châteaux d’eaux voire clochers d’églises constituent des infrastructures devenues incontournables à l’ère du smartphone comme premier terminal d’accès à Internet et aux applications mobiles. D’où leur valorisation en pleine croissance qui suscite la convoitise des investisseurs, lorsque ce n’est pas pour les opérateurs de réseaux le moyen développer un actif stratégique. C’est dans ce contexte et sur un marché des « points hauts » devenu spéculatif qu’Orange s’intéresse à TDF, l’ex- Télédiffusion de France, diversifié depuis plusieurs années dans les infrastructures mobiles. L’information, non démentie, a été révélée par L’Express le 11 mai dernier (2). Ancienne filiale de France Télécom jusqu’en 2002, TDF pourrait ainsi retourner dans le giron de l’ancien monopole public des télécoms devenu Orange. En France, avec ses 19.000 sites d’infrastructures télécoms, l’ancien monopole public de radiodiffusion est toujours aujourd’hui un « tours opérateur » presque incontournable des télécoms (54 % de son chiffre d’affaires 2020), de la télévision (26 %), de la radio (16 %) et même de la fibre (3 %).

TowerCo : Orange a trouvé son « Totem »
TDF est détenu depuis sept ans par des fonds d’investissement qui aspirent à sortir en espérant maximiser leurs plus-values lors de la cession (3). Plutôt que de céder la propriété de ses infrastructures mobiles, Orange fait le chemin inverse de la plupart des autres opérateurs télécoms, lesquels en deviennent de simples locataires. Son projet de rachat de TDF a pour nom de code : First. Autrement dit, il s’agit d’être le premier sur ce marché très lucratif lorsque la taille critique est atteinte voire dépassée. L’ex-France Télécom a même décidé en février dernier de se doter d’une nouvelle filiale, baptisée Totem, pour valoriser ses 25.500 sites de tours et pylônes situés – « dans un premier temps » – en France et en Espagne (sur un total de 40.000 tours détenues en propre sur toute l’Europe). Le document d’enregistrement universel d’Orange (4), publié mi-mars, précise : « Totem sera animée par une équipe de direction totalement indépendante et dédiée. Cette dernière sera désignée au cours du premier semestre 2021 en vue de l’entrée en phase opérationnelle de la TowerCo d’ici la fin de l’année 2021 ».
Cette « TowerCo », dont l’infrastructure est aussi utilisée par Orange mais aussi pas d’autres opérateurs télécoms, a l’ambition européenne de « devenir une entité créatrice de valeur : en exploitant des actifs d’infrastructure passive mobile de premier ordre, (…), et en favorisant la croissance tant organique qu’inorganique. (…) Totem entend par ailleurs saisir les opportunités de croissance inorganique en Europe ». En clair, le groupe Orange indique qu’il étudie « la possibilité d’intégrer d’autres actifs d’infrastructure passive mobile européens (…) susceptibles de créer de la valeur pour [Totem] ». TDF fait partie des acquisitions possibles. Encore faudrait-il que l’Autorité de la concurrence donne son feu vert à un tel rapprochement. Rien que sur les marchés français et espagnol, « Totem aurait généré en 2020 un chiffre d’affaires supérieur à 500 millions d’euros et un [résultat brut d’exploitation] de près de 300 millions d’euros, dont deux tiers environ issus des actifs en France ». Orange, présidé actuellement par Stéphane Richard (photo de droite), compte garder le contrôle de Totem « pour bénéficier de la source importante de création de valeur durable qu’elle procure au groupe ». Totem pourrait ainsi tenir tête en Europe au groupe espagnol Cellnex Telecom qui s’est constitué un patrimoine de points haut à coup de milliards d’euros d’acquisitions, non seulement en France auprès d’Iliad/Free, mais aussi de Bouygues Telecom et d’Altice/SFR. « Cellnex a fait le pari résolu de développer son réseau, qui compte à l’heure actuelle environ 128.0000 sites, dont 71.000 déjà dans le portefeuille et le reste en cours d’acquisition ou de déploiement à l’horizon 2030 », prévient l’entreprise d’origine catalane et basée à Barcelone.
Ex-Acesa Telecom, devenue ensuite Abertis Telecom, laquelle se rebaptise Cellnex Telecom le 1er avril 2015, l’entreprise cotée à Madrid est valorisée près de 33,6 milliards d’euros (au 4 juin 2021) – soit bien plus que les 28 milliards d’euros de valorisation boursière d’Orange à la Bourse de Paris… Cela va faire dix ans l’année prochaine que Cellnex collectionne les pylônes et autres points hauts, acquis auprès notamment de Telefónica en Espagne (2012), de Wind en Italie (2015), de Bouygues Telecom en France (2016/2017), de Shere Group aux Pays-Bas et au Royaume- Uni (2016), de Sunrise en Suisse (2017), d’Arqiva au Royaume-Uni (2019), Omtel et les tours de Nos au Portugal (2020) ou encore Hivory en France (2021). Cette dernière acquisition – pour 2,65 milliards d’euros – s’est faite en février 2021 auprès d’Altice France (SFR) qui en détenait encore 50,01 %, Hivory gérant 10.500 sites et se présentant comme « la 1re TowerCo en France ». Les partenaires sociaux ont appris la nouvelle par voie de presse (5). L’avis de l’Autorité de la concurrence est encore attendu. Par ailleurs, il y a six mois, ce sont 24.600 pylônes situés dans toute l’Europe (6) que Cellnex a rachetés au groupe hongkongais CK Hutchinson pour… 10 milliards d’euros (7).

IHS Towers, Helios Towers, American Tower, …
En janvier dernier, Telefonica a vendu pour 7,7 milliards d’euros sa filiale « TowerCo » Telxius en Europe et en Amérique du Sud à l’américain American Tower. Le groupe français d’investissement Wendel (8) a lui aussi une filiale dédiée tours et pylônes, IHS Towers, avec près de 30.000 sites, notamment au Nigéria, en Afrique sub-saharienne et en Amérique latine (dont Brésil et Colombie). De son côté, le britannique Helios Towers continue son déploiement en Afrique, cette fois au Sénégal (9), après avoir fait l’acquisition l’an dernier de 1.200 tours télécoms auprès de Free Sénégal, dont NJJ alias Xavier Niel est propriétaire en propre. Les tours sont locales mais le marché est mondial. @

Charles de Laubier