L’App Store – la cash machine d’Apple lancée il y a 15 ans – pourrait faire perdre beaucoup d’argent à Apple

Le 10 juillet, Apple fêtera les 15 ans de son App Store – « le plus grand lancement de ma carrière » (dixit feu Steve Jobs). Lancée avec seulement quelque 500 applications, la boutique en ligne en compte aujourd’hui plus de 1,8 million, dont certaines ventes rapportent à Apple. Mais l’écosystème est contesté.

En quinze ans, l’écosystème App Store est devenu une cash machine générant l’an dernier quelque 1.100 milliards de dollars de ventes et facturations. Mais « plus de 90 % » de ces revenus cumulés sont allés – « sans aucune commission versée à Apple » – aux seuls développeurs, éditeurs et commerçants de plus de 1,8 million d’applications présentes à ce jour dans la boutique en ligne de la marque à la pomme. C’est ce qu’a indiqué le 31 mai la firme de Cupertino en dévoilant une étude qu’elle avait commanditée auprès de la société américaine Analysis Group. Car lorsque les transactions n’ont pas lieu via l’App Store, Apple ne ponctionne pas ses 30 % de commission habituelles sur les ventes numériques (achats d’applis, achats dits in-app, c’est-à-dire effectués au sein de l’application) ni les 30 % la première année et les 15 % pour les suivantes sur les abonnements in-app. Cette économie plus indirecte que directe pour Apple a fait un bond de près de 30 % sur un an, pour franchir l’an dernier la barre du trillion (mille milliards), dont 910 milliards en ventes de biens et services physiques, 104 milliards de biens et services digitaux et 109 milliards de publicités in-app (voir graphique page suivante).

Phil Schiller, le méconnu Monsieur « App Store »
Plus largement, selon cette fois le Progressive Policy Institute, les applications iOS ont induit « plus de 4,8 millions d’emplois aux Etats- Unis et en Europe », répartis à parts égales. Bien qu’il ait pris du champ il y a près de trois ans en prenant le titre honorifique d’ « Apple Fellow », Phil Schiller (photo) continue officiellement de diriger l’App Store qu’il a mis en place il y a quinze ans, après avoir oeuvré aux succès du Mac, dans les ordinateurs, et de l’iPod et de iTunes, dans la musique numérique. Le marketing mondial des produits à la pomme, c’était lui lorsqu’il en était vice-président, auquel a succédé en août 2020 Greg Joswiak (1). Phil Schiller – entré à 27 ans chez Apple en 1987 et 63 ans depuis le 8 juin dernier – reste aussi en charge des événements d’Apple tels que la conférence annuelle des développeurs – la WWDC (Worldwide Developers Conference). L’édition 2023 s’est tenue le 5 juin avec l’annonce du casque de réalité virtuelle et augmentée Vision Pro qu’Apple rendra disponible seulement « début 2024 », d’abord aux Etats-Unis et « à partir de 3.499 dollars » (hors taxes). Depuis Continuer la lecture

Pourquoi le fantôme de Snap fait trembler Internet

En fait. Le 23 mai, la société Snap – dirigée par son cofondateur Evan Spiegel – a émis un avertissement sur ses prévisions de résultats pour le second trimestre 2022. Depuis, le cours de Bourse du réseau social au fantôme a chuté de près de 45 % (1). C’est un vrai coup de semonce pour tout l’écosystème publicitaire.

En clair. « Depuis que nous avons publié nos objectifs le 21 avril 2022, l’environnement macroéconomique s’est détérioré davantage et plus rapidement que prévu. Par conséquent, nous pensons qu’il est probable que nous fassions état d’un chiffre d’affaires et d’un EBITDA ajusté inférieurs à l’extrémité inférieure de notre fourchette de prévisions pour le deuxième trimestre 2022 ».
Par cet avertissement enregistré par le gendarme de la Bourse américain, la SEC, et publié le 23 mai (2), l’éditeur de la plateforme Snapchat a jeté un froid et entraîné avec lui à la baisse d’autres entreprises cotées de réseaux sociaux et/ou leur maison mère (Twitter, Pinterest, Meta/Facebook, Alphabet/ YouTube, …), mais aussi des entreprises de publicité également cotées (Publicis, WPP, Omnicom, Interpublic Group, …).
Cette alerte laconique porte sur le chiffre d’affaires et la marge brute d’exploitation du deuxième trimestre en cours, dont les résultats seront publiés courant juillet. Comme l’essentiel des revenus de la société Snap provient pour l’essentiel de la publicité, ces quelques lignes ont sonnées comme coup de semonce pour toutes les plateformes numériques vivant de la publicité sur Internet et pour tous les acteurs de ce marché publicitaire très sensible aux conjonctures économiques. Snap est l’archétype de cette dépendance à la publicité en ligne : rien que sur son premier trimestre 2022, son chiffre d’affaires – essentiellement publicitaire – a franchi pour la première fois la barre du 1 milliard de dollars, soit un bond de 38 % sur un an (contre 769,6 millions de dollars au premier trimestre de l’année précédente).
Deux offres publicitaires principales sont proposées par le réseau social au fantôme, qui revendique 332 millions d’utilisateurs en moyenne par jour dans le monde, dont 75 % de Millennials et de GenZ : Snap Ads (3) et AR Ads (4). La publicité dite AR (Augmented Reality) propose aux annonceurs et partenaires des « filtres » sponsorisés (sponsored filters) et des « lentilles » sponsorisées (sponsored lenses). Mais l’inflation, la hausse des taux d’intérêt et la guerre en Ukraine a fait revenir tout l’écosystème de la virtualité à la réalité. Aux difficultés économiques, s’ajoutent la fin des cookies pour le ciblage chez Apple et Google, d’une part, et le fléau persistant de la fraude publicitaire (5), d’autre part. @

Puissance informatique et régulation « virtuelle » : les métavers vont poser des problèmes

Il y a 30 ans, l’auteur américain de science-fiction Neal Stephenson inventait le « metaverse » pour décrire un monde virtuel dans son roman « Snow Crash ». Aujourd’hui, ces univers immersibles en 3D misent sur le très haut débit et l’ultra haute définition pour tenter de devenir cette fois réalité.

La loi de Moore – inventée en 1965 par le cofondateur et président émérite d’Intel, Gordon Moore (93 ans depuis le 3 janvier), pour expliquer que la densité d’une puce en transistors double tous les deux ans – n’avait pas imaginée la montée en puissance des métavers. Ce néologisme – en anglais « metaverse » – est la contraction de meta qui signifie « au-delà » et d’universe pour « univers : il fut inventé par Neal Stephenson dans un roman de science-fiction paru en 1992 « Snow Crash » (Le Samouraï Virtuel). Soit cinq ans après que Gordon Moore ne quitte ses fonctions de PDG d’Intel…

Métavers mondial = puissance x 1.000
« Ces dernières années, le métavers est venu représenter une convergence utopique d’expériences numériques alimentée par la loi de Moore – une aspiration à permettre des environnements virtuels et de réalité augmentée riches, en temps réel et interconnectés à l’échelle mondiale, qui permettront à des milliards de personnes de travailler, jouer, collaborer et socialiser de façon entièrement nouvelle. En effet, le métavers peut être la prochaine plateforme informatique majeure après le World Wide Web et le mobile », prédit Raja Koduri (photo), l’actuel vice-président chez Intel, dans une tribune publiée en décembre dernier.
Mais, selon ce vétéran ingénieur informaticien américain, né en Inde, « l’informatique réellement persistante et immersive, à grande échelle et accessible en temps réel par des milliards d’êtres humains, exigera (…) une augmentation de 1.000 fois de l’efficacité informatique par rapport à l’état actuel de la technique » (1). Cela en prend le chemin, puisque la puissance des micro-processeurs et des ordinateurs s’achemine allègrement – « au cours des cinq prochaines années », avance Raja Koduri – vers l’informatique dite « zettascale », à savoir des supercalculateurs capables de traiter de l’ordre de 1 zettaflop à la seconde. Le zetta est la suite logique, en ordre décroissant, du peta, de l’exa, du tera, du giga et du mega. Cela dépasse l’entendement mais pas l’imagination des concepteurs de métavers. « Nous croyons que le rêve de fournir un pétaflop de puissance de calcul et un pétaoctet de données en une milliseconde à chaque Humain sur la planète est à notre portée », affirme celui qui est aussi directeur général de la division Accelerated Computing Systems and Graphics (AXG) créée l’an dernier au sein d’Intel et spécialisée dans la croissance de l’informatique et du graphisme haute performance.
Raja Koduri pense même que l’on est « à l’aube de la prochaine grande transition de l’informatique qui permettra une informatique persistante et immersive à grande échelle », au croisement des films d’animation, des jeux vidéo aux graphismes hyperréalistes, de la retransmission en live streaming en temp réel et à très haut débit, de la réalité virtuelle (VR) et de la réalité augmentée (AR), le tout avec des interactions aux temps de latence rendues imperceptibles. « L’explosion des technologies de la finance numérique décentralisée inspire des modèles économiques qui encouragent tout le monde à jouer un rôle dans la création de ces métavers », s’enthousiasme l’expert d’Intel qui compte bien répondre à la demande de ces univers immersibles en leur apportant des « blocs de construction ».
Car pour faire entrer les internautes dans ces métavers, il faudra que le réseau social immersible, comme le futur Meta envisagé par l’ex-Facebook, soit capable de proposer des avatars convaincants et créés dans leurs moindres détails (vêtements, cheveux, couleurs de peau réalistes, …) – « tous rendus en temps réel et basés sur des données de capteurs capturant des objets 3D du monde réel, les gestes, l’audio et bien plus encore ». Bref, la convergence numérique des mondes réel et virtuels est en marche.

Des internautes aux « métanautes »
Si le vice-président d’Intel mesure les limites de l’informatique d’aujourd’hui pour faire face à ces ambitions « métaverses » (« notre infrastructure informatique, de stockage et de réseau n’est tout simplement pas suffisante pour concrétiser cette vision »), il fait l’impasse sur les conséquences « carbone » pour l’environnement et le climat. Car, à l’instar du minage de milliers de cryptomonnaies dans le monde, l’émergence des métavers ne manqueront pas d’être énergivores et de forts contributeurs à l’émission de gaz à erreur de serre, au trou dans la couche d’ozone et au réchauffement climatique (2). A moins que les futurs Big Meta ne s’engage dès leur « écoconception » à limiter leur dégagement de CO2 dans l’atmosphère.
C’est à se demander s’il ne faudra pas appeler les internautes virtualisés des « métanautes ». Facebook, dont la maison mère Meta Platforms se veut aux avant-postes, nourrit l’espoir de convertir ses près de 3 milliards d’utilisateurs (cumul du réseau social historique avec Instagram, WhatsApp et Messenger) à son futur réseau social immersif.

Un marché mondial bien réel
La firme de Mark Zuckerberg a déjà commencé à investir – « des milliards de dollars » – dans son métavers qu’est en train de bâtir la nouvelle division Facebook Reality Labs (FRL), laquelle va présenter des comptes financiers séparés à partir des résultats à venir du quatrième trimestre 2021. « Nous nous attendons à ce que notre investissement dans Facebook Reality Labs réduise d’environ 10 milliards de dollars notre budget opérationnel global en 2021 », a déjà prévenu David Wehner, le directeur de Meta Platforms (3), anciennement « Facebook, Inc. » jusqu’à fin octobre 2021. Facebook a commencé à se faire les dents en proposant un univers collaboratif de travail baptisé « Horizon Workrooms », disponible gratuitement pour les casques de réalité virtuelle Oculus (hérités de l’entreprise fondée en 2012 et rachetée par le numéro un des réseaux sociaux deux ans plus tard pour 2 milliards de dollars).
Facebook n’est pas le seul, loin de là, à être attiré par les sirènes des métarvers, mais c’est le premier GAFAM à s’être engagé à investis massivement dans un réseau social immersif en 3D. Microsoft est aussi un géant du Net en embuscade, depuis la firme de Redmond a racheté en septembre 2014 la société suédoise Mojang et la franchise de son jeu de construction en ligne massivement multi-joueur et immersif Minecraft pour 2,5 milliards de dollars (4). A l’instar de Facebook, Microsoft va lancer « Mesh », plateforme virtuelles intégrée à son logiciel de visioconférencesTeams.
D’autres acteurs ont déjà développé leur métavers et détiennent une longueur d’avance sur la firme de Menlo Park, comme les éditeurs de jeu vidéo Roblox et Epic Games (Fortnite). Le fabricant des micro-processeurs graphiques Nvidia a déjà lancé sa propre plateforme, Omniverse, qui fut ouverte en version bêta en décembre 2020. Le chinois Baidu s’installe dans le métavers avec XiRang. Ses compatriotes Tencent, Alibaba et ByteDance fourbissent leurs armes. Il y aussi des pionniers comme Second Life (5), Decentraland voire World Of Warcraft (le jeu de rôle en ligne massivement multijoueur ou MMORPG édité par Blizzard Entertainment). Des startup se positionnent sur ce marché potentiel, telles que The Sandbox dont le métavers est basé sur la blockchain Ethereum comme l’est celui de Cryptovoxels. Bien d’autres initiatives immersives en 3D comme le britannique Somnium Space ou le français Kinetix. La 55e édition du CES (6) de Las Vegas, qui s’est tenue début janvier, a fait la part belle à ces univers parallèles avec leurs capteurs, casques, avatars, lunettes, haptiques, sensations, secondes peaux, boîtiers, etc. Tout un équipement pour entrer de plain-pied dans la science-fiction.
Ce nouvel eldorado du numérique est en passe de constituer un marché potentiel aux perspectives bien réelles. Selon le cabinet d’études britannique Strategy Analytics, les transactions dans les métavers et les jeux en immersion 3D pourraient atteindre la somme colossale de 42 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2026, contre 6,1 milliards l’an dernier. Ces mêmes analytes tablent sur 3,7 milliards de dollars d’ici cinq ans rien qu’en dépenses des internautes et recettes publicitaires dans les mondes de réalité étendue dits XR, pour Extended Reality. De son côté, le cabinet d’étude indien Marketysers Global Consulting (Reports And Data) évalue le marché mondial du métavers à des niveaux stratosphériques : plus de 872,3 milliards de dollars en 2028.
« Le – ou les – métavers restent néanmoins des dispositifs numériques où l’extension du domaine de la collecte des données pourrait s’avérer problématique si leur développement n’est pas maîtrisé », s’est inquiété Régis Chatellier (7), responsable d’études prospectives à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). Selon lui, une immersion et une intégration plus ou moins complètes entre le terminal d’accès et l’univers virtuel réduit la capacité individuelle à échapper à la collecte de données, quand bien même le cadre réglementaire européen du RGPD s’appliquera aux métavers. Qu’est-ce qui relèvera de la confidentialité des correspondances privées et de la vie privée à protéger de l’avatar et de son alter-ego ?

Des « méta-problèmes » en perspective
« Meta est une très belle illustration du “méta-problème” de Facebook. (…) Je suis aussi très inquiète (…). Le métavers a besoin de beaucoup de capteurs et de données biométriques sur les personnes », avait fait part Frances Haugen, ancienne ingénieure chez Facebook devenue lanceuse d’alerte, lors de son audition – bien réelle celle-là – devant deux commissions sénatoriales le 10 novembre dernier. @

Charles de Laubier

Deepfake : les vidéos truquées à l’intelligence artificielle sous l’œil du Parlement européen

Le création « deepfake » – consistant à manipuler des contenus vidéo, des images et/ou de l’audio – permet d’obtenir des résultats ultra-réalistes grâce à l’intelligence artificielle. Parodies ou désinformations, ces « hypertruquages » seront encadrés par le futur règlement européen AIA.

Le futur « Artificial Intelligence Act » que le Parlement européen examine actuellement en commissions aura un droit de regard sur les vidéos truquées et les contenus manipulés relevant de la pratique très en vogue du « deepfake » (1) – nom composé à partir de deep learning et de fake news. La commission « marché intérieur et protection des consommateurs » (Imco), tête de file dans le processus législatif de ce projet de règlement européen (2), a comme rapporteur l’eurodéputé italien Brando Benifei (photo). Selon nos informations, « un échange de vues avec les représentants de la Commission européenne » a eu lieu avec lui le 27 octobre dernier.

Article 1er du Artificial Intelligence Act
Prochaines réunions de la commission Imco : les 1er et 9 décembre prochains. Le projet de règlement Artificial Intelligence Act (AIA) sera à nouveau à l’ordre du jour et vient en complément des deux autres projets législatifs du numérique, les Digital Services Act (DSA) et Digital Markets Act (DMA), eux aussi en cours d’examen (lire p. 6 et 7). Il y sera aussi question de deepfake car dès l’article 1er du projet de législation sur l’intelligence artificielle, il est fait explicitement mention des « systèmes d’IA utilisés pour générer ou manipuler des images ou des contenus audio ou vidéo » qui devront être soumis à « des règles harmonisées en matière de transparence ».
Celles-ci sont précisées ensuite à l’article 52 du projet AIA : « Les utilisateurs d’un système d’IA – qui génère ou manipule des images ou des contenus audio ou vidéo présentant une ressemblance avec des personnes, des objets, des lieux ou d’autres entités ou événements existants et pouvant être perçus à tort comme authentiques ou véridiques (“hypertrucage”) – précisent que les contenus ont été générés ou manipulés artificiellement ». Si les deepfakes ne sont pas les seuls systèmes d’IA qui seront soumis à des obligations « en raison des risques spécifiques de manipulation qu’ils présentent » – les chatbots/robots conversationnels et les détecteurs biométriques automatisés d’émotions ou de catégorie sociale sont eux aussi dans le collimateur –, les « hypertrucages » audiovisuels occupent une place importante tant leur pratique se répand comme une traînée de poudre sur Internet, réseaux sociaux en tête. « Si un système d’IA est utilisé pour générer ou manipuler des images ou des contenus audio ou vidéo afin de produire un résultat qui ressemble sensiblement à un contenu authentique, il devrait être obligatoire de déclarer que le contenu est généré par des moyens automatisés, sauf pour certaines finalités légitimes faisant l’objet d’exceptions (domaine répressif, liberté d’expression) », précise le projet de règlement AIA dans ses motifs (3). La difficulté du Parlement européen va être d’encadrer la pratique de ces trucages vidéo ultra-réalistes sans pour autant porter atteinte à la liberté d’expression et à la liberté créative. Leurs auteurs de ces « photomontages » nouvelle génération dopés à l’IA ne seront théoriquement pas soumis à la censure ni victimes de chasse aux fausses informations, même si le projet de règlement n’évoque pas le droit à la critique, à la citation, à la caricature, à la parodie et au pastiche (relevant des exceptions au droit d’auteur). Pour autant, « [si] la ressemblance avec des personnes, des lieux ou des événements existants pourrait porter à croire qu’il s’agit de documents authentiques », les créateurs de deepfakes devront les déclarer. « Les deepfakes peuvent soulever des questions de droit d’auteur », indique à Edition Mulimédi@ Olivier Japiot, président du CSPLA (4).
Mais avant que le règlement AIA n’entre en vigueur en Europe, probablement en même temps les règlements DSA et DMA dont les adoptions par les eurodéputés sont attendues au printemps prochain durant la présidence française de l’Union européenne, les deepfakes n’en font qu’à leur tête. Le dernier Web Summit, grand-messe annuelle du numérique qui s’est déroulée début novembre à Lisbonne au Portugal, les a évoqués comme « un danger » mais aussi comme une révolution des médias et du divertissement. Des applications à portée de grand public (gratuites ou payantes) ont fait parler d’elles : Reface, Face Swap Live Lite, FaceApp, Mug Life ou encore Motionleap.

Deepfakes, effets spéciaux et copyright
Les truquages hyperréalistes sont aussi de mise sur TikTok ou Snapchat. Le studio hollywoodien cinquantenaire Lucasfilm, filiale de Disney, a même recruté en juillet dernier un YouTuber spécialiste du genre, un « deepfaker » déchaîné surnommé Shamook (5). Il commettra ses détournements vidéo au sein de la division Industrial Light and Magic (ILM) créée en 1975 pour les effets spéciaux par George Lucas, lequel aujourd’hui injecte dans ses films et séries de l’IA et du machine learning. La révolution « deepfake » n’a pas fini de singer l’audiovisuel et le droit d’auteur. @

Charles de Laubier

Youtubers, Tiktokers, Instagramers : les influenceurs devront montrer pattes-blanches à l’Arcom

Plateformes vidéo et réseaux sociaux devront veiller à ce que leurs influenceurs – Youtubers, Tiktokers et autres Snapchaters – cessent de faire de la publicité clandestine ou déguisée. Avec un prochain décret « SMAd », le futur régulateur Arcom leur demandera des comptes.

Les principes généraux définissant les obligations des éditeurs de services audiovisuels en matière de publicité, de parrainage et de téléachat ont été établis en France par un décret qui date de l’année 1992 – il y a près de trente ans, à la préhistoire de l’Internet. Les influenceurs (masculins et féminins confondus) n’étaient pas encore né(e)s pour la plupart à l’époque.

Un décret « SMAd » en Conseil d’Etat
« La publicité clandestine est interdite. (…) Constitue une publicité clandestine la présentation verbale ou visuelle de marchandises, de services, du nom, de la marque ou des activités d’un producteur de marchandises ou d’un prestataire de services dans des programmes, lorsque cette présentation est faite dans un but publicitaire », prévoit ainsi le décret du 27 mars 1992 pour la télévision (1). Ce sont les dispositions de ce décret vieux de trois décennies que la France s’apprête à étendre aux services en ligne, au premier rang desquels les influenceurs aux milliers voire millions d’abonnés, followers et autres amis. Le ministère de la Culture a concocté un décret d’application « publicité en ligne, parrainage/sponsoring et vente en ligne » (2) découlant de la transposition de la directive européenne de 2018 sur les services de médias audiovisuel (SMA).
Dans les Vingt-sept, d’autres pays veulent aussi que les influenceurs se tiennent à carreau (3). La France, elle, a transposé la « SMA » par une ordonnance fin 2020 (4). Il y a bien un premier décret « SMAd » qui est entré en vigueur le 1er juillet dernier (5) pour s’appliquer aux services de médias audiovisuel à la demande, mais celui-ci ne parle de publicité, de téléachat et de parrainage qu’en termes généraux, notamment en plaçant ces communications publicitaires sous la responsabilité de la France. Seul son article 33 consacré aux parrainages en ligne impose trois exigences : « • Leur contenu ne peut, en aucun cas, être influencé par le parrain dans des conditions susceptibles de porter atteinte à la responsabilité et à l’indépendance éditoriale de l’éditeur du service ; • Ils n’incitent pas directement à l’achat ou à la location de produits ou de services, notamment en faisant des références promotionnelles spécifiques à ces produits ou services ; • Le parrainage doit être clairement identifié en tant que tel par le nom, le logo ou un autre symbole du parrain, par exemple au moyen d’une référence à ses produits ou services ou d’un signe distinctif, d’une manière adaptée au programme au début, à la fin ou pendant celui-ci ». Mais il ne s’agit là que de parrainage ou de sponsoring, pas explicitement de placements de produit ni de promotion publicitaire déguisée, notamment à destination des enfants. Le prochain décret d’application « SMAd » va étendre les règles publicitaires existantes à la télévision aux plateformes numériques et aux réseaux sociaux, influenceurs en tête.
L’ordonnance de fin 2020 prépare le terrain à une régulation renforcée que va exercer le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) sur les influenceurs via de nouvelles obligations qui pèseront sur « les fournisseurs de plateformes de partage de vidéos », autrement les YouTube, TikTok et autres Instagram. Ces grands acteurs de réseaux sociaux devenus médias sociaux seront tenus désormais de respecter et de faire respecter « les exigences prévues par décret en Conseil d’Etat [celui attendu, ndlr] s’agissant des communications commerciales audiovisuelles qu’ils commercialisent, vendent ou organisent eux-mêmes et (…) pour les communications commerciales audiovisuelles commercialisées, vendues ou organisées par des tiers ». De plus, les plateformes du Net devront aussi « informe[ r]clairement les utilisateurs de l’existence de ces communications commerciales au sein des programmes et des vidéos créées par les utilisateurs, lorsque ces communications ont été déclarées par les utilisateurs qui les mettent en ligne ou lorsqu’ils en ont connaissance ».

Enfants ciblés et codes de bonne conduite
Comme le CSA et l’Hadopi vont fusionner, ce que prévoit la loi sur « la régulation et la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique » adoptée définitivement le 29 septembre dernier (6), donnant naissance à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), c’est ce nouveau régulateur qui aura la compétence pour faire respecter ce décret « SMAd » attendu sur le volet publicité en ligne. En outre, l’Arcom imposera aux médias sociaux d’inclure et d’appliquer le respect de ces exigences dans leurs conditions générales d’utilisation du service, les fameuses CGU. Ces plateformes numériques de partage et de diffusion audiovisuelles seront tenues aussi de mettre à la disposition des utilisateurs des mécanismes de classification et de notification des contenus, ainsi que de mettre en place des dispositifs de vérification d’âge et de contrôle parental, des procédures de résolution des réclamations, et des mesures d’éducation aux médias et de sensibilisation des utilisateurs. Quant aux données personnelles des mineurs collectées ou générées par les fournisseurs de plateformes de partage de vidéos, elles ne devront pas – « y compris après la majorité des intéressés » – être utilisées à des fins commerciales « telles que le marketing direct, le profilage et la publicité ciblée sur le comportement » (7).

Mauvaises pratiques : de Nabilla à McDonald’s
L’Arcom incitera aussi les plateformes du Net à adopter des « codes de bonne conduite », et elle devra publier un rapport sur l’état de la mise en œuvre de toutes ces disposition, codes de bonne conduite compris. De la théorie à la pratique, la toute récente communication de la filiale française de McDonald’s pourrait devenir un cas d’école. Le géant américain du fast-food y fait de la publicité en ligne déguisée en recourant à des « hommessandwichs » (8) que sont de jeunes influenceurs pour vanter – mais sans mentionner l’existence d’un partenariat – non pas les hamburgers ni les sodas ou autres aliments mais des colis-surprises aux logos « McDo » et les jouets offerts dans les « Happy Meal ».
C’est du moins les faits qui ont amené UFC-Que Choisir à porter plainte – devant le Tribunal judiciaire de Paris – contre la chaîne de restauration rapide pour pratiques commerciales trompeuses. « Dissimuler la nature publicitaire d’un message, laissant ainsi croire à la communauté d’un influenceur, à un conseil désintéressé, est une pratique commerciale trompeuse sanctionnable et contredit le positionnement vertueux affiché par McDonald’s France », a dénoncé le 13 octobre l’association de consommateurs qui avait déjà en garde au début de l’été contre le « trafic d’influence » des réseaux sociaux (9). La chaîne YouTube « Swan & Néo » aux plus de 5,7 millions d’abonnés à ce jour illustre cette pratique controversée voire illégale, bien que l’entreprise McDonald’s et la mère des deux enfants influenceurs ont affirmé l’absence totale de partenariat et de rémunération : le 13 octobre 2020 a été publiée une vidéo de plus d’un quart d’heures intitulée « Swan ouvre son propre fast food à la maison, le McSwan’s ! ». Depuis un an, cette promotion vidéo, qui ne dit pas son nom mais qui montre bien le «m» de McDo et son sourire jaune, a été vue plus de 11,3 millions de fois (10). UFC-Que Choisir ne mâche pas ses mots : « La perfidie d’un tel manque de transparence s’accroît si la communauté ciblée est composée d’enfants, moins armés que les adultes face à des messages publicitaires cachés » (11). Pourtant, McDonald’s est membre de l’initiative européenne « EU Pledge » (12). Et l’association de consommateurs d’enfoncer le clou : « A ce jour, les réseaux sociaux s’apparentent à un no man’s land juridique qui profite à l’autorégulation », tout en appelant à « un encadrement réglementaire contraignant et plus ambitieux ». Quitte à ce que la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) enquête et le Procureur de la République du tribunal judiciaire inflige une amende transactionnelle, comme ce fut le cas cet été à l’encontre de l’influenceuse Nabilla Benattia-Vergara sur le réseau social Snapchat – aujourd’hui à 3,8 millions d’abonnés (13) L’ancienne star de téléréalité a dû payer une amende de 20.000 euros pour avoir fait la promotion en janvier 2018 de services de formation au trading proposés par un site web spécialisé dans la vente et l’achat de bitcoin (14).
« Je ne suis pas au-dessus des lois et j’assume les conséquences de mes actes. Ce métier est nouveau et nous n’avons toujours pas de réglementation stricte. J’espère que cet accord permettra d’éveiller les consciences et la nécessite d’encadrer notre activité », a tweeté Nabilla le 28 juillet dernier (15). Le précédent cas « Nabilla » démontre que les influenceurs ne sont en effet pas au-dessus des lois : le code de la consommation – notamment son article L.121 (16) – mais aussi la loi sur la confiance dans l’économie numérique de 2004 – dont son article 20 (17) – n’ont pas attendu le prochain décret « SMAd » sur la publicité et les parrainages en ligne pour sévir lorsque qu’il y a absence de transparence et risque de tromperie vis-à-vis des internautes. Toute infraction est passible de deux ans de prison et de 300.000 euros d’amende.

De nombreux influenceurs hors-la-loi
Selon l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), qui publie depuis l’an dernier un « Observatoire de l’influence responsable », propose aux influenceurs et autres praticiens du « marketing d’influence » une certification qui leur permettra de mieux maîtriser le cadre légal et éthique. Pour l’heure, sur 30.318 contenus analysés grâce à l’intelligence artificielle sur YouTube, TikTok et Instagram, soit sur plus de 7.000 influenceurs, 26,7 % des contenus d’influence font de la publicité clandestine, et 41,2 % ne font pas suffisamment preuve de transparence publicitaire (18). « Le non-respect des règles est davantage le fait des influenceurs à faible audience ou long tail », relativise l’ARPP. @

Charles de Laubier