Internet de l’espace : la Commission européenne doit proposer une régulation des satellites

L’Union européenne aura mis environ vingt ans avant de s’emparer de la nécessité de réguler l’Internet en matière fiscale, de protection des données personnelles et de lutte contre le terrorisme. Il reste à espérer qu’elle saura réagir plus promptement pour réguler les satellites en orbite basse.

Par Rémy Fekete, avocat associé, cabinet Jones Day

La FFC (1) – entité américaine en charge de réguler le secteur des télécommunications ainsi que les contenus des émissions de radio, télévision et Internet – a approuvé fin mars dernier le projet Starlink de SpaceX. Le projet Starlink vise à fournir des services mondiaux haut débit par satellite en orbite basse terrestre. L’autorisation d’exploitation valait pour le nombre de 4.225 satellites, auxquels s’ajouteront 7.518 satellites supplémentaires pour lesquels l’autorité de réglementation américaine vient de donner son accord.

Louis Pouzin, co-inventeur d’Internet : « Les Etats-Unis sont déterminés à maintenir leur contrôle »

Directeur scientifique du colloque « Internet du futur » qui s’est tenu le 7 juin, Louis Pouzin – coinventeur avec Vinton Cerf d’Internet, et directeur de projets d’Eurolinc – explique à Edition Multimédi@ ses préoccupations sur l’évolution du réseau et de sa gestion « étasunienne ».

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : L’organisation américaine Icann
va révéler le 13 juin les nouvelles extensions génériques de noms de domaines qu’elle a mises en vente – au prix de 185.000 dollars chaque. Le colloque du 7 juin, que vous avez dirigé avec le Forum Atena, en a fait un slogan : « Nouveaux riches, nouveaux pauvres, des mots, des maux ». Pourquoi ?
Louis Pouzin :
La politique de l’Icann (1) est d’accroître
ses revenus en mettant sur le marché des extensions génériques de noms de domaine, dites TLD (2), dont le coût est considérablement plus élevé que dans le système actuel. Le principe est celui des plaques d’immatriculation de voiture personnalisées (vanity plate) pratiqué dans certains pays. Actuellement, les noms de domaine se terminent par un TLD prédéfini : .com, .info, .net, … Dans le nouveau système, un « vani-TLD » pourrait être : .canon, .sony, .bank, .food, .taxi, etc. Disposer d’une telle extension sera un signe de richesse, de puissance, de notoriété, car il est cher et rare. L’Icann prévoit d’en allouer environ 500 chaque année (3). Ces captages auront pour effet de marginaliser et rendre peu visibles les marques attachées aux anciens TLD, donc de réduire leur valeur de marketing. On peut s’attendre à une reconstruction de l’écosystème des noms de domaine. Aux Etats-Unis, cette perspective a suscité une levée de boucliers des gestionnaires de marques. Le nom d’un vani-TLD est soumis à
de nombreuses restrictions définies par l’Icann, dans bien des cas subjectives : décence, géographie, politique, religion, sexe, similarité, etc. De plus, tous les scripts linguistiques (4) s’appliquent, ce qui sera source inépuisable de contestations et d’incohérences. Des confusions faciles seront exploitables par des escrocs.

Futur du Net : équilibre entre neutralité et sécurité

En fait. Le 21 janvier, les trois fondateurs de l’Internet – Vinton Cerf, Robert Kahn
et Louis Pouzin – ont évoqué le futur du « réseau des réseaux », à l’invitation de Forum Atena. Le Français était en visioconférence de Paris avec les deux Américains, l’un de Washington, l’autre de Californie. Historique.

En clair. Les trois pères fondateurs de l’Internet se posent de sérieuses questions à propos de l’avenir de leur « bébé », que cela soit sur sa capacité à supporter toutes
les connexions des terminaux – fixes ou de plus en plus mobiles – et des objets ou
à acheminer tous les contenus et services. « Avec 1,7 milliard d’internautes dans le monde et la montée en puissances des mobiles utilisés par 4 milliards d’humains, Internet est en plus de plus en plus sollicité. La radio, la télévision et autres médias
y convergent, avec les conséquences technologiques et économiques que cela engendre », a déclaré Vinton Cerf, qui a créé le protocole Internet TCP/IP après
s’être inspiré en mars 1973 des travaux du Français Louis Pouzin sur le datagramme (commutation de paquets) lors d’une visite rendue à Louveciennes. Recruté il y a cinq ans par Google, dont il est vice-président, l’Américain a fait part de ses trois préoccupations au regard du Net : la sécurité, la capacité et la neutralité du réseau.
Son compatriote Robert Kahn, président de la Corporation for National Research Initiatives, estime que la Net Neutrality doit aboutir à ce que les fournisseurs d’accès
à Internet « jouent la transparence » à l’égard des internautes, s’il doit y avoir différenciation de qualité de services. Pour l’architecte du réseau Arpanet dans les années 70, le problème est qu’« il faudrait harmoniser les réglementations nationales au regard d’Internet, devenu un système d’information global ». Quant à Louis Pouzin, pour qui « Internet présente beaucoup de défauts », il estime que le futur du Net s’affranchira des sept couches du modèle ISO, lesquelles séparent encore sur le réseau les communications physiques des applications situées dans les couches plus hautes. Cela passe par des “Sabots”, lesquels permettraient d’établir au-dessus de l’architecture réseau des liaisons de bout en bout avec identification et qualité de services intégrées entre deux communiquants. Comme l’Américain John Day (1),
qui parle lui de « DIF » (pour Distributed Inter-process communications Function),
le Français pense qu’Internet est à bout de souffle car « trop gros et trop ouvert » et dépassé par la mobilité. Les “Sabots” ou les “DIF”, sortes de réseaux privés virtuels sécurisés et maîtrisés, permettraient de lui apporter une meilleure sécurité, une meilleure gestion évolutive et une meilleure interface pour les services et les contenus qu’il propose. @