iPad, iPhone, iPod, iTunes, iBooks Store, iAd… : Apple, l’« iPrison » dorée du Net

Apple est un « jardin muré » (walled garden). Mais le modèle économique de
la firme de Steve Jobs soulève des questions, notamment vis à vis de ses concurrents. Passé la frénésie médiatique autour de l’iPad, les autorités
antitrusts pourraient enquêter sur des abus éventuels.

L’iPad est-il la goutte d’eau qui va faire déborder le « vase clos » d’Apple ? Presque dix ans après le lancement de son baladeur iPod, sept ans après l’ouverture de sa boutique virtuelle iTunes Store qui en a assuré le succès, et trois ans après l’arrivée de l’iPhone, Apple joue encore à guichet fermé avec sa nouvelle icône : l’iPad. La tablette multimédia est disponible depuis vendredi 28 mai sur huit marchés hors des Etats-Unis (1), dont la France : 599 à 799 euros (2). Trois ans après le succès de l’iPhone, Apple défraie à nouveau la chronique avec son nouvel écran tactile multifonction.

Ecosystème très « propriétaire »
Le groupe de Steve Jobs fait à chaque fois d’une pierre deux coups, en se rendant indispensable et incontournable : non seulement il fabrique le terminal « propriétaire »
mais aussi fournit le contenu qui va avec, exclusivement. Sans l’iPhone ou l’iPad, pas
de contenus provenant de l’App Store, la boutique en ligne des applications. Pas de musiques ni de films non plus à télécharger à partir de la plateforme online dédiée, iTunes. La marque à la pomme cultive ainsi ce que l’on appelle outre-Atlantique son
« walled garden », qui heurte les principes d’interopérabilité et de neutralité du Net. Depuis dix ans maintenant, la firme californienne a ainsi trouvé la voie en instaurant sur le Net – pourtant ouvert et standardisé – un écosystème autarcique et fermé. A chaque vente à l’acte ou à l’abonnement en ligne, Apple se rémunère en prélevant une commission de 30 % et en reversant les 70 % restant aux fournisseurs de contenus
ou d’applications. Attractif. Quelque 200.000 applications ont ainsi été développées à ce jour pour ce monde pourtant fermé, et plus de 5.000 déjà pour l’iPad. Au passage,
la multinationale enrichit sa base de millions de clients finals qu’il maîtrise, tout comme les prix.
Et avant même sa disponibilité, la tablette multimédia a été plébiscitée par les médias, presse écrite en tête. En France, Lagardère Active (Paris Match), Le Monde, Prisma Presse (Géo), Les Echos, le groupe Amaury (Le Parisien) ou encore Le Figaro croient
y voir le moyen de faire payer leurs articles en ligne (3). Les maisons d’éditions, dont Hachette ou Albin Michel, sont aussi tentées par cet environnement sécurisé pour leurs livres numériques. Mais Apple leur impose ses conditions.
Depuis le succès du tarif unique à 0,99 dollar ou euro pour un titre musical téléchargé sur l’iPod à partir d’iTunes,le géant américain continue avec l’iPad d’obliger les éditeurs de contenus « partenaires » à s’aligner sur sa grille tarifaire (4). Quant à la conférence mondiale des développeurs d’Apple, qui se tiendra à San Francisco du 7 au 11 juin, elle est en réalité un club très fermé. Le système d’exploitation d’Apple est une sorte de forteresse imprenable et incompatible avec d’autres environnements ou terminaux. Les développeurs d’applications et les éditeurs de contenus sont tenus d’utiliser les outils de programmation d’Apple. Cette créativité en « liberté surveillée » et évince les autres outils. Par exemple, le logiciel de créations multimédias Flash du groupe américain Adobe – pourtant utilisé dans le monde par 3,5 millions de créatifs – ne peut pas être utilisé sur l’iPhone ni sur l’iPad. Depuis quelques semaines, Steve Jobs critique cet outil qu’il juge « démodé ».
Les autorités antitrusts ont été saisies outre- Atlantique d’une plainte d’Adobe. La Federal Trade Commission (FTC) et le Department of Justice (DoJ) américains auraient commencé leur enquête pour savoir s’il y a abus de position dominante et pratique anticoncurrentielle par Apple. Contactée par Edition Multimédi@, Mitchell Katz, porte-parole de la FTC, explique – sans démentir – que « les investigations ne sont pas rendues publiques » et que « rien n’a été annoncé quant à cette plainte » d’Adobe. Dans son premier rapport trimestriel 2010, Adobe se plaint que « les nouvelles versions des systèmes d’exploitation et des produits tiers, plateformes ou appareils, tels que l’iPhone ou l’iPad d’Apple, rendent la performance de nos produits plus difficile. Et nos utilisateurs sont incités à utiliser des technologies alternatives, ce qui pourrait être dommageable pour notre activité »…

Le ver est-il dans le fruit du « jardin muré » ?
Selon le « New York Times » du 26 mai, le DoJ a déjà lancé une enquête antitrust contre Apple dans la musique en ligne. La Commission européenne, elle, pourrait s’intéresser à son tour au défaut d’interopérabilité de la marque à la pomme. Le ver est-il dans le fruit du « jardin muré » ? Dans son plan d’action 2010-2015 publié le 19 mai, Neelie Kroes – désormais en charge à Bruxelles de la Stratégie numérique après avoir été à la Concurrence – affiche sa détermination à faire la chasse aux « normes » et
« plateformes » qui ne seraient pas « ouvertes » : « L’interopérabilité (…) doit encore
être accrue ». Après Microsoft (5), Apple pourrait devenir la bête noire de l’exécutif européen. @

Charles de Laubier