Le Monde en France, El País en Espagne, Die Welt en Allemagne : OpenAI séduit la presse au cas par cas

OpenAI a réussi à convaincre de grands titres de presse en Europe – Le Monde, El País et Die Welt – et, aux Etats-Unis, l’agence de presse AP et l’American Journalism Project pour que son IA générative ChatGPT soit plus au fait de l’actualité dans des langues différentes. Le New York Times, lui, a préféré un procès.

Le directeur des opérations d’OpenAI, Brad Lightcap (photo), n’est pas peu fier d’avoir décroché des accords pluriannuels avec les grands quotidiens européens Le Monde en France, El País en Espagne et Die Welt en Allemagne. « En partenariat avec Le Monde et Prisa Media [éditeur d’El País], notre objectif est de permettre aux utilisateurs de ChatGPT du monde entier de se connecter à l’actualité de façon interactive et pertinente », s’est-il félicité le 13 mars dernier lors de l’annonce des deux accords noués pour plusieurs années avec respectivement le groupe français Le Monde pour son quotidien éponyme et le groupe espagnol Prisa Media pour son quotidien El País, de même que pour son quotidien économique et financier Cinco Días et son site d’actualités El Huffpost. Trois mois auparavant, ce même Brad Lightcap annonçait un premier partenariat avec le groupe allemand Axel Springer pour son quotidien Die Welt, et son tabloïd Bild, ainsi que pour ses sites d’information Politico (édition européenne) et Business Insider (économie et finances).

ChatGPT, polyglotte et informé : merci la presse européenne
« Ce partenariat avec Axel Springer aidera à offrir aux gens de nouvelles façons d’accéder à du contenu de qualité, en temps réel, grâce à nos outils d’IA. Nous sommes profondément engagés à nous assurer que les éditeurs et les créateurs du monde entier bénéficient de la technologie avancée de l’IA et de nouveaux modèles de revenus », avait alors assuré le directeur des opérations d’OpenAI. Ces « partenariats mondiaux d’information » permettent à ChatGPT d’européaniser un peu plus ses capacités d’informer en mettant à contribution trois premiers quotidiens du Vieux Continent, de trois langues différentes (français, espagnol et allemand). Et ce, après avoir largement entraîné en anglais ses grands modèles de langage « Generative Pre-trained Transformer » (GPT, GPT-2, GPT-3 et l’actuel GPT-4, en attendant GPT-5 en cours de développement). Avant les groupes européens Le Monde, Prisa Media et Axel Springer, OpenAI avait conclu aux Etats-Unis deux partenariats signés en juillet 2023 avec respectivement Continuer la lecture

Fermé et accusé de monopole, Apple consolide son walled garden aux commissions abusives

Apple a délogé Samsung en 2023 de la première place mondiale des fabricants de smartphones. De quoi conforter la marque à la pomme dans son modèle économique verrouillé et contesté. En plus des taxes de 30 % (ou 15 %), une nouvelle à 27 % (ou 12 %) va se retrouver devant la justice. Aux Etats-Unis, bientôt en Europe ?

« La dernière fois qu’une entreprise qui n’était pas Samsung s’est retrouvée au sommet du marché mondial des smartphones, c’était en 2010 [avec Nokia en tête à l’époque, ndlr]. Et pour 2023, il y a maintenant Apple », a indiqué le cabinet d’études international IDC. « Le succès et la résilience continus d’Apple sont en grande partie imputables à la tendance croissante des smartphones haut de gamme, qui représentent maintenant plus de 20 % du marché mondial, alimentée par des offres de remplacement agressives et des plans de financement sans intérêts d’emprunt », souligne Nabila Popal, directrice de recherche chez IDC. Ainsi, le « malheur » de Samsung fait le « bonheur » d’Apple qui a crû sur un marché mondial des smartphones pourtant en déclin de – 3,2 % en 2023 par rapport à l’année précédente. Il s’agit même, constate IDC, du volume annuel le plus bas en une décennie, avec 1,17 milliard d’unités vendues l’an dernier.

N°1 mondial des smartphones pour la toute première fois
« Apple est le seul acteur dans le “Top 3” à afficher une croissance positive chaque année, […] malgré les défis réglementaires croissants et la concurrence renouvelée de Huawei en Chine, son plus grand marché », ajoute Nabila Popal. Cela dit, pas sûr que la firme de Cupertino (Californie) – pour la toute première fois numéro un mondial des smartphones depuis le lancement de l’iPhone en 2007 – se maintienne longtemps en haut du podium mondial, en raison de l’offensive du fabricant sud-coréen avec la commercialisation, depuis le 31 janvier, de ses nouveaux Galaxy S24 boostés à l’IA (S24, S24 + et S24 Ultra) annoncés des Etats-Unis le 17 janvier dernier. Le monde iOS fermé et verrouillé d’Apple – que Edition Multimédi@ avait surnommé en 2010 l’ « ”iPrison” dorée » – devra aussi composer avec l’ex-numéro deux mondial des smartphones, le chinois Huawei, lequel regagne du terrain malgré son ostracisation par l’administration américaine. Sans oublier l’avancée de quatre autres chinois : Continuer la lecture

Le fonds d’investissement américain KKR étend son emprise sur les TMT, jusqu’en Europe

KKR, un des plus grands capital-investisseurs au monde, n’a jamais été aussi insatiable jusque dans les télécoms, les médias et les technologies. Le méga-fonds américain, où Xavier Niel est un des administrateurs, veut s’emparer du réseau de Telecom Italia. Son portefeuille est tentaculaire.

Fondé en 1976 par Jerome Kohlberg, Henry Kravis et George Roberts, KKR & Co n’en finit pas de gonfler. Le mégafonds d’investissement américain gère un portefeuille de 690 placements en capital-investissement dans des sociétés dans le monde entier, pour plus de 700 milliards de dollars au 31 décembre 2022. Au 30 juin 2023, ses actifs sous gestion (AUM (1)) et ses actifs sous gestion à honoraires (FPAUM (2)) s’élevaient respectivement à 518,5 milliards de dollars et à 419,9 milliards de dollars.

Xavier Niel, administrateur de KKR
Les deux co-présidents exécutifs du conseil d’administration de KKR sont deux des trois cofondateurs, Henry Kravis (79 ans, photo) et George Roberts (80 ans), le troisième cofondateur – Jerome Kohlberg – étant décédé (en 2015 à 90 ans). Ils sont épaulés par deux co-directeurs généraux que sont Joseph Bae et Scott Nuttall, eux aussi membres du conseil d’administration qui compte au total quatorze administrateurs (Board of Directors). Parmi eux : un seul Européen, en l’occurrence un Français : Xavier Niel depuis mars 2018, fondateur et président du conseil d’administration d’Iliad, maison mère de Free (3). La dernière opération en date engagée par KKR, en Europe justement, concerne TIM (ex-Telecom Italia).
Le 16 octobre, l’opérateur historique italien a annoncé qu’il a reçu ce jour-là « une offre ferme » pour son réseau fixe de la part de la firme new-yorkaise qui souhaite s’en emparer depuis longtemps. Le montant de cette offre n’a pas été divulgué, mais il serait bien inférieur aux 30 milliards d’euros qu’en espérait le premier actionnaire de TIM, le français Vivendi (23,75 %). Le groupe de Vincent Bolloré se dit prêt à saisir la justice (4). L’ex-Telecom Italia précise que l’offre de KKR porte sur son réseau fixe, « y compris FiberCop », filiale qui gère une partie de l’infrastructure réseau (derniers kilomètres du cuivre et une portion du réseau de fibre) et qui est déjà détenue à hauteur de 37.5 % de son capital par KKR depuis avril 2021 (5). L’offre du capital-investisseur expire le 8 novembre (6), « sous réserve de la possibilité de discuter des termes de nouvelles extensions jusqu’au 20 décembre prochain » (7). L’Etat italien, qui se dit ouvert à l’offre KKR en cours d’examen, détient 9,81 % de TIM (via la CDP) et s’attend à avoir 20 % de la société (Netco) opérant le réseau fixe convoité par KKR – selon un accord signé le 10 août entre le fonds américain et le ministère italien de l’Economie et des Finances (8). En outre, KKR a prévenu TIM qu’il allait faire « une offre ferme dans quatre à huit semaines » sur les actions détenues par l’ex-Telecom Italia dans Sparkle, sa filiale d’infrastructures optiques et de câbles-sous-marins. Selon Reuters, la valorisation combinée de Netco et de Sparkle atteindrait 23 milliards d’euros, dette comprise. Membre du conseil d’administration de KKR et président du conseil d’administration d’Iliad, la maison mère de Free étant présente en Italie depuis 2018, Xavier Niel suit ces grandes manœuvres de très près. Après avoir échoué en 2022 à s’emparer de la filiale italienne de Vodafone, il s’était positionné fin 2022 pour tenter d’acquérir des actifs de TIM (9).Toujours dans les télécoms en Europe, KKR avait investi en 2006 dans l’opérateur danois TDC via le consortium NTC et en est complètement sorti en septembre 2013, en empochant une belle plus-value. En marge des télécoms européennes, cette fois dans le cloud, KKR – associé avec TowerBrook (fonds de George Soros) – a investi en 2016 dans le français OVH pour un total de 250 millions d’euros. Dans le logiciel aussi, KKR a investi en 2021 dans l’éditeur Körber, spécialisé dans la supply chain (10).
Dans l’édition en Europe, le capital investisseur new-yorkais s’est intéressé en 2018 à Editis en faisant une offre de rachat sur le groupe espagnol Planeta qui détenait encore à l’époque le deuxième groupe français d’édition. Passé fin 2018 dans les mains de Vivendi (Bolloré), Editis avait été mis en vente en 2022. Xavier Niel faisait partie des prétendants au rachat, mais son offre faite avec un fonds non divulgué – probablement KKR – avait été jugée insuffisante par Vivendi qui a finalement cédé Editis au tchèque Daniel Kretinsky.

Simon & Schuster, Singtel, FGS Global, …
Parmi les nombreuses autres sociétés présentes dans le portefeuille multimilliardaire de KKR, citons sa dernière grosse acquisition aux Etats-Unis de la maison d’édition Simon & Schuster, cédée par Paramount en août pour plus de 1,6 milliard de dollars (11). Retour aux télécoms, mais cette fois à Singapour : KKR a injecté en septembre 800 millions de dollars dans Singtel Digital InfraCo, la filiale infrastructures réseaux de l’opérateur Singtel (12). Ou encore dans les relations publiques, KKR a investi 1,4 milliard de dollars en avril 2023 pour prendre 30 % de FGS Global (13), filiale du géant de la publicité WPP. @

Charles de Laubier

Guéguerre entre TF1 et Canal+ : la diffusion en ligne des chaînes gratuites devant la justice

C’est une manie de Maxime Saada, président du groupe Canal+ (Vivendi/Vincent Bolloré) : arrêter la distribution des chaînes du groupe TF1 lorsqu’il ne trouve pas d’accord commercial de diffusion avec ce dernier. C’était arrivé en 2018 ; c’est à nouveau le cas depuis début septembre.

Le groupe Canal+, non seulement éditeur de la chaîne cryptée éponyme mais aussi diffuseur de 150 autres chaînes en France via son service en ligne MyCanal (par ADSL, fibre, câble, …) ou via son TNT Sat (par satellite), n’y va pas par quatre chemins lorsqu’il ne trouve pas d’accord commercial avec les éditeurs de chaînes qu’il distribue : il les coupe. En somme, ce sont les téléspectateurs de ces chaînes-là – TF1, TMC, TFX, TF1 Séries films et LCI en l’occurrence – et qui plus est abonnés aux plateformes MyCanal et TNT Sat, qui sont pris en otage. C’est en tout cas un moyen de pression de Canal+ sur TF1 pour acculer à ce dernier à négocier un accord raisonnable.

« Les chaînes gratuites doivent le rester » (Saada)
Maxime Saada (photo de gauche), le président du directoire du groupe Canal+, a justifié dans le JDD du 3 septembre dernier la décision annoncée la veille de « renoncer à la diffusion » des chaînes du groupe TF1 en France. « En 2018, nous avions été contraints de trouver un accord et de rémunérer les chaînes gratuites et les services du groupe TF1. Ce n’est pas faute d’avoir alerté alors sur le risque de voir augmenter sensiblement les demandes à l’échéance suivante, une fois acté le principe de paiement de ces chaînes. C’est exactement ce qui se passe : TF1 souhaite nous imposer une augmentation de 50 % de sa rémunération. Notre contrat étant arrivé à son terme le 31 août [2022], nous n’avions d’autre choix que de couper », at- il expliqué. Ce que reproche aussi Maxime Saada à la filiale audiovisuelle de Bouygues dirigée par Gilles Pelisson (photo de droite), c’est d’exiger que les contenus de TF1 soient visualisés dans sa propre application et non pas dans celle de Canal+. « Or nos abonnés ne souhaitent pas être contraints de multiplier les applications pour visionner leurs contenus », assure Maxime Saada.
Le groupe TF1 ne l’entend pas de cette oreille et a annoncé vouloir porter plainte. « Nous réfléchissons sérieusement aux suites à donner compte tenu du préjudice subi », avait indiqué le 5 septembre à Edition Multimédi@ une porteparole du groupe TF1. Deux jours après, la filiale audiovisuelle du groupe Bouygues confirmait avoir assigné en référé Canal+ devant le tribunal de commerce de Paris. Dans cette procédure d’urgence, la « Une » demande que soit rétablie sans tarder la diffusion de ses chaînes sur le service satellitaire TNT Sat de Canal+. Tandis que de son côté, l’Arcom, le régulateur de l’audiovisuel, assure une médiation entre les deux parties pour que les chaînes de TF1 soient à nouveau disponibles auprès de millions d’abonnés de Canal+, dont ceux de MyCanal.
Qu’est-ce qui bloque ? Le 2 septembre, la filiale audiovisuelle du groupe Bouygues avait pris acte, tout en le « déplor[ant] fortement », de la décision du groupe Canal+ de « cesser la diffusion de ses chaînes et services ». Et de fustiger : « Canal + n’a pas souhaité conclure un nouvel accord de distribution des chaînes et services du groupe TF1 malgré des semaines de discussions et de négociations, faisant le choix de priver ses abonnés des chaînes et des services qu’ils payent dans leur abonnement » (1). Ce sont donc des millions de téléspectateurs qui reçoivent les chaînes du groupe TF1 via les plateformes de diffusion de Canal+. Cela représenterait pour la filiale télé de Bouygues jusqu’à 15% d’audience en moins. «Nos abonnés ont l’impression d’être pris en otage. Nous les comprenons », compatit Maxime Saada. Les chaînes TF1, TMC, TFX, TF1 Séries films et LCI sont cependant diffusées – en plus de la TNT (numérique hertzien) – sur les « box » par Bouygues Telecom (la société sœur de TF1 au sein de Bouygues), SFR (Altice), Free (Iliad), Orange, mais aussi par les plateformes Molotov et Salto. Elles sont également accessibles, avec leur service de télévision de rattrapage (replay), sur le site web MyTF1.fr et via l’application MyTF1 pour smartphones et tablettes. Autre argument utilisé par le patron du groupe Canal+ pour justifier le fait d’avoir coupé le signal des chaînes du groupe TF1 : le risque d’être attaqué devant la justice pour diffusion sans autorisation des chaînes de ce dernier. « Notre contrat étant arrivé à son terme le 31 août, nous n’avions d’autre choix que de couper. Nous avons vu ce qui s’est passé avec Molotov, attaqué en contrefaçon par TF1, et nous ne souhaitions pas nous retrouver dans cette situation », a expliqué Maxime Saada.

La jurisprudence « Molotov » (contrefaçon)
La plateforme numérique de télévision Molotov, rachetée en novembre 2021 par l’américain FuboTV, avait en effet perdu deux procès contre respectivement TF1 et M6 pour avoir poursuivi la diffusion de leurs chaînes alors que les accords avec les deux éditeurs de télévision étaient arrivés à échéance – le 1er juillet 2019 pour TF1 et le 31 mars 2018 pour M6. Molotov n’avait conclu en 2015 que des contrats de distribution expérimentaux avec M6 et avec TF1. Faute d’accord pour renouveler ces accords, la plateforme de télévision avait continué à diffuser les chaînes en question, en estimant qu’elle n’avait pas besoin d’autorisation de TF1 et de M6 du fait de l’obligation légale de reprise dite « must carry » dont bénéficient déjà l’hertzien, le câble et satellite (2) – alors pourquoi pas Internet. TF1 et M6 avaient chacun saisi le tribunal judicaire d’une action en contrefaçon. Les juges ont rejeté l’argument de Molotov en rappelant qu’en dehors de la diffusion par voie hertzienne – via la TNT depuis 2011 –, il n’y a aucune obligation légale de mise à disposition du signal à un distributeur, que ce soit par satellite ou par Internet.

Play Media : pas de « must carry » en ligne
Par un jugement du 2 décembre 2021 pour M6 (3) et du 7 janvier 2022 pour TF1 (4), la société Molotov a été reconnue coupable d’actes de contrefaçon de droits voisins et des marques des sociétés du groupe M6 et du groupe TF1. De plus, la même société Molotov a été condamnée à payer à 7millions d’euros de dommages et intérêts à M6 et 8,5 millions d’euros à TF1 (5) (*) (**).
Auparavant, en 2014, ce fut la plateforme Play Media, pionnier de la diffusion de chaînes en ligne, qui avait essuyé les plâtres de la diffusion de chaînes gratuite sur Internet, en l’occurrence celles de France Télévisions qui avait porté l’affaire devant la justice. Le groupe public, qui offrait à l’époque ses chaînes sur son propre service en ligne, Pluzz, avait assigné en concurrence déloyale Play Media pour avoir proposé un visionnage en direct et un accès à la télévision de rattrapage de ses chaînes sur la plateforme Playtv.fr. Et ce, sans son autorisation. France Télévisions avait obtenu, dans un jugement du 9 octobre 2014, 1 million d’euros de réparation de la part de Play Media pour avoir repris ses chaînes sans son accord. Cette première affaire s’était soldée par le rejet du « must carry » en ligne, après cinq années de procédure et de nombreuses décisions – jusqu’en cassation en juillet 2019 (6). La plateforme Myskreen.com, pourtant épaulée le groupe Figaro et Habert Dassault Finance via la société The Skreenhouse Factory créée par Frédéric Sitterlé (7), avait aussi eu maille à partir avec les chaînes de télévision, qui l’on amené à cesser ses activités et à être liquidée en 2015.
C’est face à cette jurisprudence générée par les France Télévisions, TF1 et autres M6 que le groupe Canal+ n’a pas pris le risque de reprendre les chaînes de TF1 sans autorisation. Pas plus qu’il ne l’avait fait en 2018. Cette année-là, la filiale télé de Vivendi avait coupé le signal de TF1 et porté plainte devant le tribunal de commerce de Paris sur le différend commercial qui les opposait sur la diffusion des chaînes sur MyCanal et sur CanalSat. « Nous saisissons le tribunal de commerce plutôt que le CSA [Conseil supérieur de l’audiovisuel, à l’époque, devenu l’Arcom, ndlr] car c’est une question de principe, étant donné que ces chaînes sont déjà disponibles gratuitement partout », nous avait répondu une porte-parole de Canal+ (8). Pour compenser en partie la baisse de ses recettes publicitaires dans un contexte de concurrence grandissante des services de SVOD Comme Netflix, TF1 veut faire payer la diffusion de ses chaînes assorties de services associés, ou premium, tels que replay, vidéo à la demande (VOD) ou encore programmes en avant-première. En 2019, le groupe Altice s’était lui aussi engouffré dans la brèche en demandant à Free de le rémunérer pour la diffusion de ses chaînes. Ce que l’opérateur de la Freebox s’était refusé à faire. Le TGI de Paris a estimé le 26 juillet de la même année que « Free n’a[vait] pas le droit de diffuser sans autorisation BFMTV, RMC Découverte et RMC Story sur ses réseaux » et lui a ordonné « de cesser cette diffusion, sous astreinte de 100.000 euros par jour de retard et par chaîne ». Ce jour-là, Free a cessé de diffuser les chaînes gratuites d’Altice, mais en prévoyant de les proposer en option payante. Saisi, le CSA avait considéré que Free n’avait aucune obligation de diffuser les chaînes pour lesquelles Altice est néanmoins en droit de se faire rémunérer (9) (*) (**).
Tout comme TF1 aujourd’hui. A condition que la filiale TV de Bouygues n’abuse pas de sa position dominante – qui serait renforcée si la fusion TF1-M6 en cours d’examen à l’ADLC obtenait un feu vert. « Le groupe TF1 a un sentiment de toute-puissance du fait de sa position dominante, et ce avant même une possible fusion », a dénoncé Maxime Saada dans le JDD. A défaut de pouvoir étendre le « must carry » des chaînes gratuites de la TNT à tous les moyens de diffusion – alors que l’on aurait pu penser le contraire au regard de la neutralité technologique –, TF1 et Canal+ sont condamnés à s’entendre. Soit dans le cadre d’une médiation organisée par l’Arcom, soit devant le tribunal de commerce. A moins que l’ADLC ne se saisisse de cette problématique des chaînes gratuite. N’étant ni la justice ni le régulateur, le gouvernement semble démuni face à ces bras de fer qui se font sur le dos des téléspectateurs.

Contrat privé versus pouvoir public
La ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak (RAM), a fait parvenir le 2 septembre un courrier au patron de Canal+ qu’elle exhorte : « J’en appelle à votre sens des responsabilités et de l’intérêt général pour éviter de priver des centaines de milliers de foyers de la réception de l’intégralité des chaînes de la TNT ». De plus, ajoute RAM, « cette situation n’est pas conforme à l’intention du législateur qui était de garantir une couverture intégrale du territoire par la TNT en obligeant les chaînes de la TNT à mettre leur signal gratuitement à disposition d’un distributeur satellite qui en fait la demande ». La missive n’a pas produit l’effet escompté. @

Charles de Laubier

Violation de données personnelles sur Facebook : « Zuck »paiera-t-il des dommages et intérêts ?

Depuis le 23 mai, le PDG cofondateur de Facebook – Mark Zuckerberg – est accusé d’avoir pris directement la décision qui a porté atteinte à la protection des données, provoquant le scandale « Cambridge Analytica » de 2016. Le procureur de Washington D.C. lui demande des dommages et intérêts.

Six ans après le scandale « Cambridge Analytica » qui a cloué au pilori la société britannique du même nom pour fuite massive en 2016 de données personnelles dans la campagne présidentielle de Donald Trump, voici que Mark Zuckerberg fait lui-même l’objet d’une plainte. Après le refus d’un juge en mars dernier que le PDG de Facebook soit cité comme témoin (1) dans la procédure engagée en 2018 contre le numéro un des réseaux sociaux (2), le procureur général du District de Columbia (Washington), Karl Racine (photo), remonte au créneau en poursuivant cette fois « Zuck » en l’accusant d’être directement responsable. Il demande à la justice de le condamner à verser des dommages et intérêts.

Dommages et intérêts demandés à « Zuck »
L’affaire retentissante « Cambridge Analytica », qui avait notamment porté sur l’utilisation illégale de 70 millions de comptes de Facebook aux Etats-Unis pour influencer en 2016 l’élection présidentielle américaine, a déjà valu à la firme de Menlo Park (Californie) 5 milliards de dollars d’amende infligés en juillet 2019 par la FTC (3). Cambridge Analytica a aussi manipulé des données personnelles lors de la campagne pour ou contre le Brexit au Royaume-Uni.
Cette nouvelle plainte à Washington D.C. s’attaque pour la première fois à Mark Zuckerberg en personne, en tant que PDG du groupe Meta Platforms (maison mère de Facebook depuis octobre 2021). Cette assignation en justice, déposée le 23 mai dernier par le procureur Karl Racine, démontre – preuves à l’appui – que le patron de Facebook était décisionnaire dans la tromperie des utilisateurs et la violation de loi américaine sur la protection des consommateurs. « Le District de Columbia est en possession d’éléments de preuve qui démontrent à la fois le bien-fondé de (…) la responsabilité personnelle de M. Zuckerberg et de ses violations de la CPPA [à savoir le California Consumer Privacy Act (CCPA) de 2018]», assure l’auteur de la plainte, qui demande au tribunal « réparation » en condamnant le PDG à « verser un dédommagement ou des dommages et intérêts » (4). Karl Racine, qui demande en outre de lui « infliger des sanctions civiles », explique que le groupe Facebook – « sous la direction » de Mark Zuckerberg – a modifié son business model parce qu’il a reconnu que son réseau social au « F » blanc sur fond bleu pourrait être encore plus rentable s’il pouvait exploiter et vendre – « auprès de tiers » – la capacité d’influencer de manière fiable le comportement de ses utilisateurs. Facebook a encouragé – « et, parfois, en collaboration avec (eux) » – des développeurs et des chercheurs afin de recueillir et d’analyser les données des utilisateurs de Facebook pour qu’ils puissent mieux apprendre à manipuler les humeurs de ces 2,9 milliards « d’amis » (à ce jour) et influencer leurs achats et même la manière dont ils votent. « Plus le Facebook de Zuckerberg attise la division et la polarisation, déstabilise les démocraties, amplifie les génocides et a une incidence sur la santé mentale des utilisateurs, plus Facebook et ses dirigeants gagnent de l’argent. Compte tenu des milliards de dollars en jeu, et n’ayant aucun égard envers les personnes qu’il prétend servir, Facebook – sous la direction de Zuckerberg – a décidé de cacher ces problèmes le plus longtemps possible, y compris en induisant intentionnellement en erreur les utilisateurs de Facebook ainsi que le public, la presse et les dirigeants politiques », dénonce le procureur général. A l’origine du mal : la décision prise en 2010 par Facebook – « encore une fois une idée de Zuckerberg » – d’ouvrir la plateforme Facebook à des tiers. C’est à partir de là que tout commence, Facebook ayant persuadé des développeurs externes de créer des applications accrocheuses pour le réseau social, « en dirigeant encore plus d’utilisateurs et de données d’utilisateurs vers la plateforme ». Ce détournement de user data s’est fait par des « portes latérales » (side doors) au sein des applications elles-mêmes. Et Karl Racine d’enfoncer le clou : « Etant donné que la plateforme de Facebook a été conçue pour permettre les abus, la société de Zuckerberg a fonctionné en grande partie sans mesures de protection appropriées pour protéger les utilisateurs : l’application des règles était laxiste, l’examen des violations des applications était incohérent ou subjectif, et les règles elles-mêmes étaient floues et déroutantes. Mais en 2018, le monde a appris cette imposture ».

Wylie et Kaiser : lanceurs d’alerte en 2018
La politique laxiste de « Zuck » dans la soi-disant protection des données personnelles éclate au grand jour en mars 2018 (voir encadré page suivante). « Ce qui est le plus troublant, c’est que Facebook s’est penché sur (l’activité de) Cambridge Analytica et a déterminé qu’elle présentait un risque pour les données des consommateurs, mais a choisi d’enterrer ces préoccupations plutôt que de les arrêter, car cela aurait pu nuire au résultat net de Facebook (et de Zuckerberg) », fustige encore le procureur général. Karl Racine appelle la justice à tenir pour responsable Mark Zuckerberg en personne dans la violation des lois américaines sur la protection des données des utilisateurs de Facebook. Le cofondateur de Facebook, dont il est le PDG (membre du conseil d’administration), est citoyen américain résidant à Palo Alto (en Californie). Tandis que le siège social du groupe Meta (Facebook jusqu’en octobre 2021) est situé à Menlo Park, dans le même Etat. « Depuis 2012, Zuckerberg est président du conseil d’administration de Facebook et contrôle environ 60 % des actions avec droit de vote », est-il rappelé.

La responsabilité du PDG est engagée
Selon Forbes, et au moment où nous écrivons ces lignes, « Zuck » est la 15e personne la plus riche du monde avec un patrimoine professionnel de 70,1 milliards de dollars (5). Depuis la création de « TheFacebook » le 4 février 2004 à l’université d’Harvard et le lancement de Facebook le 1er août 2005, l’encore jeune homme – 38 ans depuis le 14 mai 2022 – est le responsable en chef des opérations quotidiennes de Facebook, de sa stratégie produit et de ses pratiques – « y compris les actes et les pratiques énoncés dans la présente plainte ». Lorsqu’il sera entendu à Washington D.C. dans le cadre de cette nouvelle procédure judiciaire, ce ne sera pas la première fois qu’il répondra aux allégations de ce district, comme il a pu le faire aussi devant les agences fédérales (FTC et FCC) ou le Congrès américain.
Si l’affaire « Cambridge Analytica » porte sur l’année 2016, avant d’être révélée en 2018, elle trouve ses origines dès 2013 : en novembre de cette année-là, Aleksandr Kogan – chercheur scientist affilié à l’Université de Cambridge – et son entreprise Global Science Research (GSR) ont lancé une application-tierce sur la plateforme Facebook, appli ludique de quizz baptisée « This is Your Digital Life » et capable de collecter des données personnelles pour générer un profil de personnalité. L’année suivante, le jeune Américain d’origine moldave (36 ans aujourd’hui) a conclu un accord avec Cambridge Analytica – cabinet d’experts-conseils politiques basé à Londres, auprès de candidats américains ou d’ailleurs – pour lui vendre les données recueillies par son application : 87 millions de consommateurs Facebook, dont près de la moitié résidents du district de Washington. « Plutôt que de faire de telles divulgations significatives [sur ces agissements dont ils avaient connaissance, et en violation de leurs propres règles], Facebook et Zuckerberg ont plutôt profité de Kogan et de Cambridge Analytica – utilisant abusivement des données de consommation volées – en vendant des millions de dollars d’espaces publicitaires à Cambridge Analytica et pour les campagnes des candidats à la présidence lors des élections de 2016 », accuse le procureur général Karl Racine. Mark Zuckerberg est même allé jusqu’à prétendre que la vie privée n’est plus une « norme sociale » parce que « les gens se sont vraiment mis à l’aise non seulement (avec le fait) de partager plus d’informations et d’autres types de renseignements, mais aussi de communiquer plus ouvertement et avec plus de monde » (6). La responsabilité et la culpabilité du patron actionnaire de Facebook – maintenant de Meta – ne fait aucun doute, d’après les détails donnés par le procureur : « Au sein de Facebook, Zuckerberg a supervisé directement le développement de produits et les travaux d’ingénierie qui exposaient les données des consommateurs à des abus : Zuckerberg est responsable de la plateforme Facebook et est en mesure d’annuler toute décision prise par l’entreprise. (…) Et, contrairement à ses déclarations publiques, Zuckerberg avait l’intention de trouver un moyen de tirer parti des changements apportés à la plateforme pour amasser plus de données — et donc plus d’argent — pour Facebook ». Le raisonnement est implacable et accablant pour le geek devenu très tôt multimilliardaire. Pour illustrer la responsabilité de « Zuck », Karl Racine cite longuement un de ses e-mails internes – daté celui-là du 19 novembre 2012 – près de dix ans déjà – où le patron conclut : « Le but de la plateforme est de lier l’univers de toutes les applications sociales ensemble afin que nous puissions permettre beaucoup plus de partage et rester toujours le hub social central. Je pense que cela trouve le juste équilibre entre l’ubiquité, la réciprocité et le bénéfice ».

10 ans de mensonges et de tromperies
Cela fait au moins depuis dix ans que Mark Zuckerberg était au courant des « risques » de sa plateforme « ouverte » sur la vie privée des « amis », où les amis de mes amis sont mes amis – «mais il n’a pas agi », alors qu’« il était conscient des risques posés (mais) il a activement ignoré ces risques ». Car le partage de données est au cœur du business model et la principale source de revenus (y compris publicitaire) de Facebook. « En tant que tel, Zuckerberg a participé, dirigé, géré, ou autrement connu – et avait le pouvoir de contrôler – les actions incohérentes de Facebook concernant la vie privée, y compris les pratiques commerciales trompeuses, les fausses déclarations et les ambiguïtés qui contreviennent à la loi sur la protection des consommateurs », conclut le procureur. La parole est maintenant à la défense. @

Charles de Laubier

ZOOM

L’affaire « Facebook » éclate au grand jour en mars 2018
Le scandale «Cambridge Analytica » a été révélée le samedi 17 mars 2018 par le quotidien américain The New York Times aux Etats-Unis et par l’hebdomadaire dominicale britannique The Observer en Grande-Bretagne – ce dernier ayant le même propriétaire que le quotidien The Guardian, lui aussi contributeur (7). Ces trois journaux se sont appuyés sur les informations d’un Canadien, Christopher Wylie, qui s’est présenté alors comme le lanceur d’alerte de cette affaire (8). Mais il n’est pas le seul ancien collaborateur de Cambridge Analytica à avoir parlé puisque l’Américaine Brittany Kaiser a elle aussi fait des révélations (9) qui ont aussi fait l’effet d’une bombe (10). @