Les fintech et les Big Tech pourraient aller jusqu’à faire disparaître la banque traditionnelle

Lors des 5èmes Assises des Technologies financières, qui se sont tenues le 23 novembre à l’initiative de l’agence Aromates, le scénario du démantèlement des services bancaires n’est pas un sujet tabou. Mais selon la Fondation Concorde une « coopétition » entre banques et fintech serait préférable.

Les fintech poursuivent plus que jamais leur conquête des services bancaires, au point que « la distinction entre banques et fintech devient ténue », souligne la Fondation Concorde dans son rapport consacré aux banques et aux fintech, dévoilé le 23 novembre par l’économiste Christian de Boissieu (photo) aux Assises des Technologies financières. En plus de services financiers innovants et fluides proposés aux utilisateurs, elles développent des solutions disruptives « appliquées à des maillons de la chaîne de valeur considérées comme cœur de métier des banques ». Exemple : le crédit constitue une des activités historiques des banques ; des fintech y interviennent désormais dans l’acquisition de données, les modèles d’analyse de risque, le processus d’octroi ou encore le paiement fractionné. Résultat : les demandes d’agréments auprès de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) pour obtenir le statut d’établissement de crédit ont augmenté.

Crise existentielle au Comité de Bâle
« Les fintechs se transforment de plus en plus en établissements bancaires en termes réglementaires », constate la Fondation Concorde, think-tank pluridisciplinaire et indépendant créé il y a 25 ans. Pourtant, il y a un paradoxe français : la Banque de France rappelle que l’Hexagone est considéré comme le premier grand pays européen dans l’usage d’Internet pour les services bancaires. Or les fintech y sont moins nombreuses – 900 selon l’association France FinTech – que dans d’autres pays : en Allemagne ou en Grande-Bretagne, le secteur bancaire traditionnel est plus fragmenté et donc plus favorable aux fintech et néo-banques. Alors qu’en France, le monde bancaire est très concentré (BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale, Caisses d’Epargne, Crédit Mutuel/CIC, La Banque Postale, …). Le Comité de Bâle – dont sont membres l’ACPR et la Banque de France parmi les superviseurs bancaires de 27 pays dans le monde (2) – envisage plusieurs scénarios possibles pour la transformation du paysage bancaire : de la survie de la banque traditionnelle « se modernis[a]nt à l’aide d’une expérience client numérique renforcée », à la fin de la banque traditionnelle avec « disparition de la fonction d’intermédiation bancaire ». Pour l’ACPR, qui a publié en juillet une analyse sur « les acteurs numériques de la finance » (3), le scénario où « les services bancaires sont “démantelés” pour être offerts sur des plateformes numériques » n’est pas à exclure. Ce démantèlement laisserait la place aux opérations et transactions financières directes entre parties prenantes (particuliers, entreprises, …), grâce au peer-to-peer (P2P), à la blockchain et aux cryptomonnaies. Même le Fonds monétaire international (FMI) reconnaît, dans un rapport d’avril 2022 (4), qu’« en portant l’innovation à un niveau inédit, une forme d’intermédiation financière fondée sur des cryptoactifs, dite “finance décentralisée” (DeFi), a connu une croissance extraordinaire ces deux dernières années, et est susceptible d’offrir une efficience accrue et des possibilités d’investissement » (5).
Le président du conseil scientifique de la Fondation Concorde, Christian de Boissieu (6), écrit dans sa préface du rapport présenté aux Assises des Technologies financières : « Grâce à leur taille souvent modeste, grâce à leurs plateformes performantes dans la collecte et le traitement des données – les fameuses data– grâce à des coûts de transaction extrêmement compétitifs, les fintechs sont venues bousculer les banques » (7). Lorsque ce ne sont pas des Big Tech américaines (GAFAM) ou chinoises (BATX) qui, en ayant accès à des gros volumes de données (big data), « détiennent un avantage concurrentiel majeur visà- vis des banques traditionnelles », ce sont les fintech qui interviennent dans différents domaines financiers : services de paiement, compensation et règlement, crédit, assurance, gestion d’actifs, cryptoactifs, … Il y aurait plus de 25.000 fintech en activité dans le monde, d’après Statista. Lorsqu’elles marchent sur tout ou partie des plates-bandes des banques traditionnelles, on les désigne comme des « néobanques ». « L’approche souvent disruptive des fintech leur permet de challenger les services financiers de base traditionnellement proposés par les banques, tant en termes de qualité que de coût », constate la Fondation Concorde.

« Tout est une question d’équilibre »
Mais, selon son rapport, « tout est une question d’équilibre : disposer d’un secteur bancaire fort et solide est un atout pour l’économie d’un pays, pourvu que cela ne bride pas l’innovation ». Et pour Jacques Marceau (photo de droite), organisateur des Assises des Technologies financières (agence Aromates) et administrateur et animateur de la commission « banques et services financiers » de la Fondation Concorde, les fintech sont « à la fois des partenaires stratégiques et un atout pour les banques traditionnelles ». @

Charles de Laubier

A bientôt 35 ans, la radio Skyrock fondée par Pierre Bellanger veut devenir l’ « écosystème » des jeunes

Première radio des moins de 25 ans et deuxième radio musicale en France, Skyrock surfe plus que jamais sur la « musique urbaine » (rap, hip-hop, R’n’B, …) qui domine le marché français de la musique. Son fondateur Pierre Bellanger poursuit sa diversification pour en faire un écosystème numérique.

Skyrock aura 35 ans en mars prochain. L’ancienne radio libre fondée par Pierre Bellanger (photo) est devenue un groupe qui se présente aujourd’hui comme « un écosystème média et numérique », selon sa propre expression. Première radio des moins de 25 ans, deuxième radio musicale et quatrième radio privée en France, Skyrock affiche 6 % d’audience cumulée, soit plus de 3,2 millions d’auditeurs chaque jour, d’après la dernière mesure en date de Médiamétrie (1). Ses émissions-vedettes « Planète Rap » de Fred et « La Radio Libre » de Difool la propulsent même en soirée en tête des radios musicales au niveau national, en plus d’être la première radio musicale en Ile-de-France. Skyrock ne se limite cependant pas à la diffusion par voie hertzienne. La radio-phare de Pierre Bellanger se décline aussi en une quinzaine de webradios, des « mobiradios » comme il dit, qui s’écoutent dans l’application « Skyrock » (sur terminaux Android, iOS et Xbox One). Parmi les plus écoutés : « Skyrock 100 % français », « Skyrock Klassiks », « Skyrock PLM » (pour les militaires) ou encore « Skyrock Urban music non-stop ». Ensemble, en y intégrant les mobiradios d’Alger, d’Abidjan, de Casablanca et de Tunis, elles occupent la huitième place des radios digitales et webradios en France, avec plus de 8,9 millions d’écoutes actives par mois, dont 1,2 million provenant d’auditeurs situés en dehors de l’Hexagone, d’après les derniers chiffres de l’ex-OJD (2).

Skyrock Klassiks devient radio nationale en DAB+
L’une de ces mobiradios, Skyrock Klassiks – une sorte de « Nostalgie » du rap – va devenir cette année une radio hertzienne, étant la vingt-cinquième radio à avoir été autorisée le 20 janvier par le CSA pour être diffusée numériquement sur potentiellement tout le territoire national. « Skyrock Klassiks est une seconde radio nationale de notre groupe qui démarre en DAB+ à la mi-juillet sur l’axe Paris-Lyon-Marseille », indique Pierre Bellanger, PDG de Skyrock, à Edition Multimédi@. Skyrock Klassiks sera diffusée à terme sur tout l’Hexagone et les grands axes routiers aux côtés de la radio historique du groupe et des vingt-trois autres radios autorisées en DAB+ au niveau national telles que des musicales comme NRJ ou Fip et des généralistes comme RTL ou RMC (3).

Skred Visio en vue en 2021
Comme elles, la nouvelle « station » Skyrock Klassiks bénéficiera de la qualité de son numérique sans parasites et d’une grande fluidité d’écoute en mobilité comme en voiture. C’est ce qui caractérise la norme européenne Digital Audio Broadcasting. Pour l’instant, Skyrock est présent partout sur la FM en France mais seulement en DAB+ sur quelques villes seulement : Lyon, Marseille ou Nice pour l’instant. La « TNT » de la radio (4) s’est, depuis 2014, déployée progressivement en France, principalement dans des villes et en régions.
Skyrock Klassiks dépend de la SARL Palmyra et non de la SA Vortex comme Skyrock, laquelle a vu son chiffre d’affaire progresser l’an dernier par rapport aux 23,9 millions d’euros de 2019. Ces deux sociétés sont placées sous le contrôle de Pierre Bellanger via la holding Nakama. « Nakama est détenue à 77,4 % par Sammas et 22,6 % par RMF Holding [fonds de placement du Crédit Agricole via Delfinances, ndlr]. Sammas est détenue à 34,9 % par moi-même, 16,1 % par Solidus, 49 % par RMF Holding. Je suis majoritaire dans Solidus », nous détaillet- il. Ardian (ex-Axa Private Equity), qui était encore il y a dix ans majoritaire au capital de Skyrock (via Nakama et feu Orbus), a cédé à Samma le solde de ses parts en 2018 (5). Pionnier des radios libres, Pierre Bellanger l’est aussi dans les services en ligne. En 1985, il a créé Vortex (avec Filipacchi Médias comme actionnaire jusqu’en 1999) pour lancer le 21 mars 1986 – il y a 35 ans – Skyrock à la place de sa toute première radio La Voix du Lézard (ex- Radio Cité Future). La même année, il fonde Telefun pour éditer d’abord des services Minitel. Ce fut l’époque de la messagerie rose « 3615 Géraldine » (une passion partagée avec le fondateur de Free Xavier Niel), mais aussi des services téléphoniques sur le kiosque téléphonique surtaxé Audiotel, puis sur SMS+. Pierre Bellanger édite aussi des services Internet avec France Télécom.
A la fin des années 1990, il lance via Telefun les sites web Skyrock.com et Tasante.com. Et c’est en décembre 2002 qu’il devient un pionnier des réseaux sociaux avec le lancement de Skyblog.com qui sera une plateforme de blogs très active, avec réseau d’« amis » – deux ans avant Facebook ! –, chats en mode Internet Relay Chat (IRC) et messageries instantanées. Cependant, il y a quinze ans, le groupe audiovisuel britannique BSkyB l’oblige à abandonner la marque Skyblog. La plateforme de blogs intègre alors le site web Skyrock.com, devenant ainsi un réseau social, tandis que le site de la radio devient Skyrock.fm. A la fin des années 2000, il se revendique comme « le 7e réseau social mondial ». Telefun est aujourd’hui détenue à 100 % par Pierre Bellanger via la holding Cascadia et est en cours de sortie d’une procédure de sauvegarde (6). Skyrock s’est aussi lancé dans la vidéo, avec notamment son émission mythique « Planète Rap » qui totalise sur sa chaîne YouTube 24 millions de vues depuis sa mise en ligne en 2015. « Skyrock est la première chaîne média de YouTube », affirme le groupe de la rue de Greneta (Paris). La holding de Telefun, Cascadia, contrôle la filiale « France en ligne », qui exploite Shred, la régie publicitaire Springbird et Advestor.
C’est que Pierre Bellanger (62 ans), passionné de numérique, rêve depuis longtemps de se faire une petite place entre les GAFAM. En 2017, il lance l’application sur mobile Skred, présentée comme « la première messagerie mondiale sécurisée d’origine européenne », qui revendique aujourd’hui 9 millions d’utilisateurs. Gratuite et « sans aucune trace », ils peuvent échanger par messages, voix et vidéo sans s’inquiéter pour leur vie privée. Pierre Bellanger a même vanté – sur France Info le 16 janvier – les mérites de Skred face aux inquiétudes et rumeurs qui ont impacté en début d’année WhatsApp (filiale de Facebook). D’autant que Skred fonctionne en mode peer-to-peer et non de façon centralisée. « Nous n’avons pas de serveur intermédiaire et, donc, nous ne récupérons pas et nous n’utilisons pas les données des utilisateurs », a-t-il assuré (7). « Skred a un nouvel utilisateur toutes les six secondes depuis plus d’un an, comment savoir si cette polémique y contribue ? Probablement très marginalement », nous confie-t-il. Dans la même veine du « zéro data », le fondateur de Skyrock prépare le lancement d’un service de visioconférence fonctionnant aussi en pair-à-pair pour offrir une alternative aux Zoom, Teams (Microsoft) et autres Meet (Google). « Skred Visio prendra son envol courant 2021 avec notre écosystème “French Tech” habituel », nous précise-t-il.

Des oreilles au portefeuille
Pour parfaire son écosystème des jeunes, Pierre Bellanger a lancé le 14 décembre dernier un service de paiement sécurisé et d’achats groupés baptisé Yax. Opéré par la fintech française Lyf Pay, ce service gratuit est intégré aux applications mobiles de Skyrock, sous iOS et Android. Yax permet d’envoyer et de demander de l’argent à un contact, de créer une cagnotte et de participer à des achats groupés (contre des réductions de prix). « C’est un succès au-dessus de nos attentes ; le modèle fonctionne. Nous avons vendu, par exemple, 200 PS5 en moins de 40 secondes », se félicite Pierre Bellanger. Les auditeurs en ont aussi pour leur argent. @

Charles de Laubier

Dix ans après le rachat de PriceMinister, pionnier français du e-commerce, le japonais Rakuten résiste à la crise

Dix ans après avoir racheté PriceMinister, pionnière des places de marché françaises créée il y a 20 ans, le groupe japonais fondé par Hiroshi Mikitani se retrouve pris entre deux feux : un déficit sans précédent enregistré en 2019 et la crise économique provoquée par le covid-19. Mais l’écosystème « Rakuten » a des atouts.

Fondée il y a maintenant vingt ans par Pierre Kosciusko-Morizet, aujourd’hui business angel, qui l’a ensuite revendue il y a dix ans au groupe japonais Rakuten, la place de marché en ligne PriceMinister, pionnière du e-commerce en France, continue de prospérer depuis deux ans sous l’enseigne « Rakuten » de plus en plus mondiale. Ce terme signifie « optimisme » en japonais. Dans un contexte de crise et de récession économique mondiales, sur fond de pandémie plus ou moins maîtrisée, de l’optimisme, il en faut. Et si l’on y rajouter « ch », cela donne « rakutenchi », ce qui veut dire « paradis »… Avant d’y parvenir, Hiroshi Mikitani (photo), le président fondateur de Rakuten, société qu’il a créée il y a vingt-trois ans sous le nom de MDM, avant d’en changer le nom pour Rakuten en juin 1999, doit poursuivre son expansion internationale en se frayant un chemin entre les GAFA américains et les BATX chinois. En vingt ans, l’enseigne Rakuten s’est développée et diversifiée. Avec ses 70 services en ligne disponibles, elle revendique 1,4 milliard de consommateurs. Mais pour en faire une marque véritablement mondiale, il reste beaucoup à faire. Le Japon pèse encore 80 % de son chiffre d’affaires, du moins sur 2019, année où le groupe de Hiroshi Mikitani – dit « Mickey » – a franchi pour la première fois l’équivalent de 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires (1) – 10,5 milliards précisément à la faveur d’une hausse annuelle de 14,7 %.

Japon : lancement de la 5G de Rakuten Mobile retardé
Les « Amériques » (Canada et Etats-Unis) sont arrivées en tête des revenus internationaux à 15,6% du total du chiffre d’affaires de 2019, suivies de l’Asie (Chine) à 2,4 %, l’Europe n’arrivant qu’en dernière des régions contributrices au chiffre d’affaires global, à 2,2 %. Mais le Vieux Continent devrait peser plus lourd à l’avenir, au vu de la croissance à deux chiffres des revenus observée au premier trimestre 2020 en France et en Espagne. Alors que le groupe Rakuten a accusé un fort déficit l’an dernier – avec une perte nette équivalente à 274,7 millions d’euros (2) – après avoir été habitué à des années de rentabilité, Hiroshi Mikitani se retrouve à devoir redresser la barre au moment où l’économie nippone et les marchés internationaux où il est présent vacillent sous les effets dévastateurs de la pandémie covid-19. Pourtant, le 13 mai dernier, « Mickey » a maintenu ses prévisions pour cette année d’« une croissance à deux chiffres » de son résultat d’exploitation par rapport à l’exercice précédent grâce au e-commerce, aux activités de fintech et au mobile. Si les deux premiers pôles de croissance ont pu profiter du confinement, il n’en va pas de même pour Rakuten Mobile qui pourrait dégrader les comptes de la firme tokyoïte.
Devenu en début d’année le quatrième opérateur de réseau mobile de l’archipel nippon, après avoir été MVNO (3), la filiale télécoms coûte cher à la maison mère en infrastructures 4G et 5G (4). Rakuten Mobile a bien lancé ses offres 4G début avril, mais le coronavirus l’a contrainte de retarder de trois mois – à septembre au lieu de juin – le lancement commercial de ses forfaits 5G. Ce qui pénalise ce nouvel entrant par rapport à ses rivaux NTT Docomo, Softbank et KDDI, lesquels sont, eux, opérationnels depuis mars. Et comme un malheur n’arrive jamais seul : les Jeux olympiques de Tokyo, qui devaient se tenir du 24 juillet au 7 août prochains et qui auraient servi de rampe de lancement en grandes pompes à la 5G, ont dû être reportés d’un an à cause de la pandémie. Ces contre-temps devraient peser sur les résultats de l’année 2020.
Cotée depuis vingt ans, où elle est actuellement valorisée à la Bourse de Tokyo l’équivalent de 13 milliards de dollars, l’entreprise de « l’optimisme » est détenue à hauteur de 29,69 % du capital par Hiroshi Mikitani (dont 16,69 % via sa holding Crimson Group). Sa femme Haruko, avec laquelle il a eu deux enfants, en possède 9,78 %. Ainsi, le couple multimilliardaire – lui, né à Kobé il y a 55 ans, étant classé par Forbes 6e fortune du Japon, 33e fortune de la Tech et 383e personne la plus riche du monde (5) – détient ensemble près de 40 % du groupe. Que de chemins parcourus à l’international depuis dix ans. Rakuten a racheté en 2011 le fabricant canadien de liseuses Kobo assorti de sa bibliothèque d’ebooks pour 315 millions de dollars (6). C’est cette filiale qui a porté plainte contre Apple auprès de la Commission européenne (voir pages 6 et 7).
En 2012, le japonais a investi dans Pinterest à hauteur de 100 millions de dollars, avant de multiplier les implantations dans le e-commerce de divers pays, dont la Chine, Taïwan, Hong-Kong, la Corée, la Thaïlande, le Canada, l’Australie, l’Espagne, et la France. C’est dans l’Hexagone que Rakuten va investir dans le site comparateur de prix VoyagerMoinsCher.com que PriceMinister rachètera en 2017, avant que ce dernier ne devienne en 2010 une filiale de Rakuten (7). En juin 2012, c’est au tour de la plateforme de VOD espagnole Wuaki.tv – disponible dans plusieurs pays européens – d’entrer dans le périmètre du groupe japonais pour tenter de défier Netflix et Amazon Prime Video. Wuaki.tv sera rebaptisé Rakuten TV mi-2017.
En septembre 2013, Rakuten rachète aussi Viki, un service de VOD basé à Singapour. Tout en développant ses places de marché en ligne, le groupe de Hiroshi Mikitani se renforce dans « les contenus numériques sans frontières » (8). Puis, affichant alors une bonne santé financière et plus que jamais téméraire, le groupe Rakuten s’empare en 2014 de l’application de téléphonie (VoIP) et messagerie multimédia Viber pour pas moins de 905 millions de dollars ! A l’automne de la même année, il débourse encore 952 millions de dollars pour s’emparer de la société californienne Ebates (devenu Rakuten Rewards début 2019), spécialisée dans le cash-back et les programmes de fidélité et de récompenses commerciales. En 2015, Rakuten jette cette fois son dévolu sur le distributeur américain de livres numériques et de contenus digitaux OverDrive pour 410 millions d’euros. Puis, il injecte 300 millions de dollars dans la startup californienne Lyft, concurrente d’Uber, ainsi que dans un autre concurrent Cabigy basé en Espagne pour plus de 100 millions de dollars. Sans oublier des investissements ou acquisitions de moindre importance tous azimuts : DC Storm (en Grande- Bretagne), Slice, Acorns et Curbside (aux Etats-Unis) ou encore MetroResidences (à Singapour).
Ainsi, « Mickey » a réussi non seulement à faire fortune mais surtout à constituer un vaste écosystème « Rakuten » vertueux, où toutes les applications se complètent (voir schéma cicontre). Lorsqu’il débourse il y a six ans près de 1 milliard de dollars pour Viber, le visionnaire doit expliquer aux analystes financiers dubitatifs que l’opération en vaut la chandelle car e-commerce et réseaux sociaux sont les deux faces d’une même pièce. Les messageries vont permettre de recruter de nouveaux clients en ligne. Depuis, il mise à fond sur les « Rakuten Points » (9) que gagnent les consommateurs lors de leurs achats dans les différents services-maison. Au Pays du Soleil-Levant, cela fait partie de l’hospitalité que les Japonais appellent « omotenashi ». Cela permet surtout de retenir le plus longtemps possible le consommateur dans le même écosystème. Outre le paiement par « R Point », les règlements peuvent aussi se faire via la Rakuten Card, par virement de Rakuten Bank, avec la monnaie virtuelle « R Edy », par code-barre « R Pay » ou bientôt la cryptomonnaie « R Wallet ». Le cross-use, où un client passe d’un service à l’autre au sein de l’écosystème, dépasse les 72 %. Optimisme rime avec fidélité. @

Charles de Laubier

Christian Bombrun, président de l’AF2M (ex-AFMM) : « Le paiement sur facture opérateur progresse »

L’Association française du multimédia mobile (AF2M), cofondée il y a 15 ans sous le sigle AFMM par Orange, Bouygues Telecom et SFR (mais sans Free), a publié son bilan 2019 du paiement sur facture des trois opérateurs télécoms et d’Euro-Information Telecom (1). Entretien exclusivité avec son président Christian Bombrun (Orange).

(Depuis la parution de cet article dans le n°236 de Edition Multimédi@, Bouygues Telecom a annoncé le 26 juin vouloir acquérir Euro-Information Telecom, filiale du Crédit Mutuel)

Le « paiement sur facture opérateur », c’est lorsqu’un abonné mobile ou fixe se voit facturer par son opérateur mobile ou son fournisseur d’accès à Internet (FAI) un service payant via l’une des solutions multi-opérateurs de paiement à l’acte ou par abonnement : soit « Internet+ » (sur mobile de 0,20 euro à 10 euros, ou sur box de 0,15 euro à 30 euros), soit «SMS+» (services payants jusqu’à 4,5 euros accessibles par un numéro court à 5 chiffres), ou bien un nouvel usage SMS (collectes de dons, vente de tickets de transport ou de stationnement). Les opérateurs télécoms mettent en outre à disposition de grands marchants ou éditeurs de contenus des solutions appelées « Direct Billing » et « Store OTT », dont les recettes enregistrent la plus forte croissance du marché du paiement sur facture. Alors que les solutions SMS+ et Internet+ (mobile et box) ne cessent, elles, de décliner depuis quatre ans. De grands acteurs tels que Sony, Lagardère, Amazon, TF1, Apple, Microsoft, Canal+, NRJ ou même Netflix et la SNCF offrent l’option « facture opérateur » comme un moyen de paiement à part entière aux côtés de la carte bancaire, du porte-monnaie électronique ou du prélèvement. En 2019, le paiement sur facture opérateur – hormis Free qui n’est pas membre de la l’AF2M – a progressé de plus de 13 % à 443,2 millions d’euros.

Chiffre d’affaires d’un demi-milliard d’euros en 2019
Autrement dit, si l’on y intègre Free, le marché français a atteint le demi-milliard d’euros. Mais on est loin du pic de l’année 2012 qui affichait 664,8 millions d’euros (voir graphique). La concurrence dans le paiement en ligne s’est exacerbée. Face à PayPal, 1-Click d’Amazon, Google Pay, Samsung Pay, AliPay, Apple Pay ou Facebook Pay, les opérateurs télécoms résistent en jouant la carte du tiers de confiance auprès de leurs abonnés et en assurant le recouvrement des sommes directement sur leurs factures pour le compte des fournisseurs de contenus et services surtaxés. Le président de l’AF2M répond à EM@.

Edition Multimédi@ : Le marché français du paiement sur facture opérateur (PSF) en 2019 est très loin de la barre du 1 milliard d’euros qui avait été projetée en juin 2017 ? Comment expliquez-vous son déclin qui a suivi après l’année 2015 ?
Christian Bombrun (photo) : Nous sommes certes loin du chiffre estimé en 2017, mais le marché du paiement sur facture opérateur a connu une croissance en 2019 de 14 % pour atteindre près de 500 millions d’euros. L’année 2020 confirmera la tendance positive pour les solutions de paiement sur facture historiques SMS+ et Internet+. Le retard par rapport à nos prévisions d’il y a trois ans s’explique par la moindre arrivée de services à valeur ajoutée dans le marché historique des contenus digitaux et par le développement retardé des nouveaux marchés. Aujourd’hui, la presse, le caritatif ou encore les transports se développent sur les solutions de paiement sur facture opérateur. La solution d’achat de tickets de transport par SMS couvre plus de 620 communes en France, avec un chiffre d’affaires qui a doublé en un an (à 4,3 millions d’euros). Dans le contexte de la crise sanitaire « covid-19 », la vente de tickets par SMS a été adoptée par de nouvelles collectivités, dont la région Ile-de-France, afin de faciliter le respect des gestes barrières dans les transports publics, démontrant ainsi l’utilité du paiement sur facture face à de nouveaux besoins de dématérialisation. Par ailleurs, l’AF2M et les opérateurs ont encore renforcé en 2019 les mesures visant à améliorer la « conscience d’achat » [où le consommateur sait pleinement qu’il va payer le service ou le bien souhaité, sans que cela soit une fraude ou une arnaque, ndlr]. Ces mesures portent leurs fruits au niveau de la satisfaction client.

EM@ : Le marché français du PSF a rebondi en 2019 à 443,2 millions d’euros (soit +14 % sur un an) grâce à la seule croissance de ce qu’il est convenu d’appeler le « Direct Billing » et/ou le « Store OTT » : quels usages recouvrent ces deux concepts concrètement ?
C. B. : Nous nous réjouissons de la croissance importante de nos marchés de paiements sur facture en 2019. Le « Direct Billing » et le « Store OTT » sont des solutions de paiement sur facture qui ont la particularité de s’adresser à des services à valeur ajoutée ou à de grands éditeurs de contenus déjà connus du grand public. Les opérateurs mettent à disposition de ces acteurs leurs solutions de paiement sur facture avec des parcours d’achat renforçant la conscience d’achat. Ces solutions sont proposées en complément d’autres moyens de paiement tels que le porte-monnaie électronique, la carte bancaire ou le prélèvement. Elles ont des avantages spécifiques aux solutions traditionnelles, comme la simplicité pour le client et la sécurisation du paiement pour le marchand.

EM@ : Apple Pay, Google Pay ou Samsung Pay ne sonnent-ils pas le glas des solutions « opérateurs » Internet+ mobile, SMS+ et Internet+ box, lesquelles sont soumis à plus de restrictions « anti-fraudes » que celles des GAFA ? Le « RCS+ » donnera-t-il le change en 2021 ?
C. B. :
Pas du tout ! Les avantages concurrentiels des solutions SMS+ et Internet+ demeurent et se renforcent. Ces solutions permettent de se passer complètement d’une carte bancaire ou de toute autre information personnelle. Beaucoup de consommateurs sont frileux à l’idée de confier ce genre de données, d’autant plus lorsqu’il s’agit de les donner aux GAFA. Nous pensons que tous ces systèmes coexisteront dans le futur. L’introduction des solutions de paiement sur facture opérateur dans les RCS [pour Rich Communication Services, système sur le protocole IP de messagerie instantanée et de réseau social multimédia censé remplacer à terme les SMS et les MMS fonctionnant, eux, dans un écosystème mobile fermé (2), ndlr] est en effet tout à fait envisageable comme un levier complémentaire de croissance. Cela se fait déjà en Espagne et nous travaillons actuellement sur ce sujet au sein de l’AF2M pour la France.

EM@ : Free propose depuis mai 2012 du paiement sur facture de services SMS+, ainsi que pour « Internet+ box », mais pas pour « Internet+ mobile ». Pourquoi Free n’est pas membre de l’AF2M ?
C. B. :
Nous nous réjouissons que Free ait lancé des solutions SMS+ puis Internet+ box. Cependant, en effet, Free n’est pas encore sur Internet+ mobile. C’est leur choix que nous ne commentons pas au sein de l’AF2M, mais nous espérons qu’ils lancent également ce produit un jour. Notre observatoire ne peut pas intégrer les revenus de Free car celui-ci n’est pas encore membre de l’association, et par conséquent nous n’avons pas accès à ces informations. @

Propos recueillis par Charles de Laubier

Vingt ans après son lancement, PayPal résiste toujours à la concurrence dans le paiement en ligne

Lorsque la start-up californienne Confinity lance PayPal en septembre 1999, elle est loin d’imaginer que son service de transfert d’argent deviendra le leader mondial du paiement en ligne. Propriété d’eBay d’octobre 2002 à juillet 2015, PayPal mise sur son indépendance – envers et contre tous.

« La facture pour le déjeuner arrive, mais vous avez laissé votre portefeuille dans la voiture. Votre compagne de déjeuner ne veut pas prendre la note. Alors elle sort son Palm III, vous envoie un petit programme appelé PayPal, et vous suggère de transférer votre part de la facture. Plus tard ce jour-là, l’argent sort de votre compte et tombe dans le sien », explique le magazine Wired, dans un article daté du 27 juillet 1999 (1). PayPal sera alors lancé à l’automne et donnera son nom à la start-up Confinity cofondée par Peter Thiel, Max Levchin et Luke Nosek, avant d’être rebaptisé en 2001 après avoir fusionné avec la société X.com créée par Elon Musk.

Des acquisitions à tour de bras
Le nom « PayPal » signifiait à l’origine « payer un pote ». Aujourd’hui, le service PayPal a vingt ans et le groupe PayPal Holdings est valorisé au Nasdaq à New York 120 milliards de dollars (au 14-11-19). Son chiffre d’affaires 2019 est attendu à environ 17,7 milliards de dollars, soit une hausse de 15 % sur un an selon la guidance de l’entreprise, pour un résultat net d’environ 2,3 milliards de dollars (2). Cette pionnière des fintech, qui emploie plus de 21.800 salariés (3), s’étale sur un vaste campus de la Silicon Valley, à San Jose. PayPal, c’est non seulement une success story mais aussi une cash machine – au sens propre et au sens figuré.
Cette multinationale du paiement en ligne est dirigée depuis cinq ans maintenant par Daniel Schulman (photo de gauche), un ancien dirigeant d’AT&T, puis de la filiale américaine de Virgin Mobile (rachetée par Sprint Nextel), avant de passer quatre ans chez American Express. La plupart des filiales de PayPal sont issues d’acquisitions menées à tour de bras. Sont tombés dans son escarcelle : en 2013 Braintree pour 800 millions de dollars, qui avait racheté auparavant Venmo (service de paiement par application mobile, également lancé cet été en France) ; en 2015 Xoom pour 1milliard de dollars (service de transferts d’argent international) ; en 2018 la fintech suédoise iZettle pour 2,2 milliards de dollars (système de paiements et lecteur de carte à puce, y compris dans les points de vente avec des applications in-store). Cette dernière acquisition en date est la plus importante jamais réalisée par PayPal. D’autres achats plus discrets ont été menés à bien entre 2015 et 2017 : Modest Inc, Tio Networks, et Swift Financial (prêts aux petites entreprises). Plus récemment, ont été rachetées en 2018 les sociétés Hyperwallet pour 400 millions de dollars (prévention des risques pour les commerçants) et Simility pour 120 millions de dollars (système de e-paiement multidevise). En septembre dernier, PayPal – via sa filiale Yinbaobao – a jeté son dévolu sur la société chinoise GoPay en l’acquérant auprès de People’s Bank of China (PBOC) 70 % de son capital. L’opération doit être bouclée d’ici la fin de cette année. L’américain se retrouve nez-à-nez avec Alibaba et sa filiale Ant Financial (Alipay) ainsi qu’avec Tencent et sa solution WeChat Pay. « Nous sommes honorés de devenir la première plateforme de paiement étrangère autorisée à fournir des services de paiement en ligne en Chine », s’est tout de même félicité « Dan » Schulman fin septembre (4).
En France, le marché est bien plus réduit. Cela n’a pas empêché PayPal d’annoncer fin septembre avoir franchi – après quinze ans de présence française – la barre des 10 millions de clients, ce qui fait de l’Hexagone le quatrième marché de PayPal dans le monde sur un total de 295 millions de comptes au 30 septembre (5). Mais il reste à conquérir les autres 30 millions d’utilisateurs qui pratiquent l’ecommerce en France. « On connaît le bouton PayPal qu’on va retrouver sur les grands sites de e-commerce, les sites leaders en France, mais on est aussi beaucoup utilisé aussi par des petites et des moyennes entreprises qui vont vendre sur Internet pour développer leur chiffre d’affaires, par des particuliers aussi qui vont vendre viades places de marché. PayPal, c’est aussi un service d’envoi d’argent de personne à personne, en France ou à l’étranger. Et il y a deux ans, nous avons également lancé son service de cagnotte en ligne », a expliqué le 27 septembre sur Europe 1 Damien Perillat, directeur général de PayPal pour l’Europe de l’Ouest, depuis que Caroline Thelier (photo de droite) lui a succédé à la tête de la filiale française en février 2017.

Des partenaires et des ennemis
Parallèlement aux acquisitions, PayPal a aussi multiplié les partenariats, avec Visa, Mastercard, Samsung Pay, Google Pay ou encore tout récemment avec Facebook Pay (6), mais pas avec Apple Pay qui reste son rival de toujours. PayPal a beau être l’opérateur historique des transactions numériques, il n’en n’est pas moins bousculé sur ce marché par les nouvelles fintech. Quant à la Libra de Facebook, elle est encore à l’état de projet – duquel PayPal s’est retiré, en même temps que Stripe, Visa et Mastercard. @

Charles de Laubier