Après Allbrary et Qobuz, Xandrie veut s’enrichir d’autres sites en ligne dans la culture et le divertissement

Déjà opérateur de la bibliothèque digitale Allbrary et nouveau propriétaire de la plateforme de musique en ligne Qobuz, la société Xandrie prévoit d’autres acquisitions « de sites d’information ou de ventes de contenus » pour devenir « le spécialiste international de la culture et du divertissement digital ».

Par Charles de Laubier

Denis Thébaud« Xandrie souhaite adjoindre à son offre d’autres sites dans le domaine de la culture et du divertissement, que ce soit des sites d’information ou de ventes de contenus. Nous prévoyons de nouvelles acquisitions en 2016 et 2017 ; nous avons plusieurs cibles. Notre scope est large, pour autant qu’il serve la stratégie Xandrie de devenir le spécialiste international de la culture et du divertissement », indique Denis Thébaud (photo), PDG de Xandrie, dans un entretien à Edition Multimédi@.
Fondateur de cette société créée en 2012, dont il détient environ 80 % du capital (1), il est aussi PDG du groupe Innelec Multimédia (coté en Bourse) qu’il a créé il y a 32 ans pour la distribution physique de produits tels que jeux vidéo, DVD, logiciels, CD audio, consoles ou encore objets connectés (2). Denis Thébaud a aussi créé il y a 20 ans la société Focus Home Entertainment (aussi cotée en Bourse), le troisième éditeur français de jeux vidéo (3) dont il est actionnaire à plus de 50 %.

« 15 millions d’euros dans Qobuz d’ici 2020 »
En faisant l’acquisition fin décembre de Qobuz, la plateforme de musique en ligne de haute qualité sonore, Xandrie rajoute une corde à son arc – et prévoit d’autres acquisitions. « Notre premier projet est Allbrary qui, comme Qobuz, se veut être une verticale de Xandrie. Qobuz sera donc préservé au sein de notre groupe, avec son identité propre et ses équipes dédiées. Au-delà de la somme de reprise qui est raisonnable, nous allons consentir sur les cinq prochaines années des investissements pour développer cette pépite musicale qui a beaucoup d’avenir : 10 millions d’euros
en marketing et 5 millions en développement technique », nous précise-t-il (4).
Ainsi, d’ici à 2020, la société de Denis Thébaud injectera plus – soit un total de 15 millions d’euros – que les 13 millions d’euros levés par Qobuz auprès des fonds de capital-risque Innovacom et Sigma Gestion depuis sa création par Yves Riesel usqu’ici son PDG (5), et Alexandre Leforestier. Cette reprise de Qobuz par Xandrie fait suite à une décision du Tribunal de commerce de Paris qui, le 29 décembre dernier, a prononcé la reprise des actifs de la plateforme musicale par Xandrie, à l’exception
du passif.

Qobuz : la pépite française donne de la voix
Qobuz avait été placé en redressement judiciaire le 9 novembre, après une période
de plus d’un an d’observation durant laquelle aucun repreneur ne s’était manifesté, après que les actionnaires de la plateforme musicale aient refusé de renflouer la société. Le report de l’entrée en Bourse de Deezer, décidé en octobre, a sans doute rendu sceptiques les investisseurs sur le modèle économique des services d’écoute
en ligne. Denis Thébaud nous a confié qu’il a regardé le dossier durant ces douze derniers mois, sans prendre de contact avant le mois d’octobre, tandis qu’une autre société (Son Vidéo Distribution) présentait une offre de reprise concurrente. « Notre offre était la mieux disante, elle garantissait la reprise de quasiment tous les salariés. C’est un challenge important que nous nous sommes fixés et nous voulons attendre l’équilibre en quatre ans », ajoute Denis Thébaud.
Une quarantaine de personnes travaillent aujourd’hui pour Qobuz, dont les locaux sont basés à Paris dans le 19e arrondissement. Le chiffre d’affaires de la plateforme musicale pour l’année en cours devrait dépasser les 10 millions d’euros, contre 7,5 millions en 2015 (au lieu de 12,5 millions espérés initialement…) et 6,4 millions en 2014. Les derniers chiffres connus sur Qobuz faisaient état d’environ 21.500 abonnés et de plus de 100.000 utilisateurs actifs par mois. « La clientèle que nous visons en Europe, d’abord, apprécie la musique haute qualité car elle a de l’oreille et dispose souvent d’équipements Hifi très performants. C’est une clientèle qui apprécie le streaming, qualité CD [16-Bit/44,1 Khz, ndlr], mais télécharge aussi beaucoup pour posséder sa musique et l’utiliser à sa guise. Notre abonnement “Sublime” à 219,99 euros par an,
qui est “notre offre la plus chère”, est plébiscitée par ces amateurs car elle offre le streaming qualité CD, et aussi des prix préférentiels sur le téléchargement en qualité Hi-Res 24 Bits », explique le PDG de Xandrie. En mai dernier, Qobuz a revendiqué être le premier service de musique en ligne européen à être certifié « Hi-Res Audio », label de haute qualité sonore – Hi-Resolution Audio (HRA) – décerné par la prestigieuse Japan Audio Society, association nippone des fabricants de matériel audio. Au printemps dernier, Qobuz avait d’ailleurs protesté contre l’utilisation trompeuse par le service de musique Deezer du terme « Haute-Résolution » pour qualifier la qualité de son service « Elite ». La plateforme française a en outre noué des partenariats avec des fabricants de matériels Hifi et hightech tels que Sony, LG, HTC, Samsung, Sonos, Devialet, Linn, Lumin, Bluesound ou encore Google (Chromecast). « Au-delà de la musique, nos amateurs apprécient la qualité de la documentation, les livrets, la présentation des artistes et tous les partis pris du site pour faire découvrir en permanence des perles musicales, classique, jazz, rock, etc. », ajoute Denis Thébaud. Qobuz et ses 30 millions de titres musicaux, assortis de métadonnées enrichies, vont migrer sur le cloud d’Amazon (AWS), tandis que l’été prochain sera lancée une offre familiale (Qobuz Family) et une solution « voiture connectée » avec CarPlay d’Apple
et Android Auto de Google.
Au sein de Xandrie, Qobuz et Allbrary seront deux marques complémentaires. Au-delà des synergies possibles entre les deux, il y aura une « mutualisation des moyens et des équipes » dans les fonctions supports : administration, finance, juridique, relations avec les ayants droits, systèmes d’information, … Les deux verticales vont continuer à se développer en Europe (pays anglophones et germanophones) et à l’international (6). Qobuz est déjà ouvert dans neuf pays (7). Quant à la marque « Allbrary The Digital Library », elle a été déposée sur les Etats-Unis, le Canada, la Chine, le Japon, l’Inde
et l’Algérie. Allbrary, que Edition Multimédi@ avait révélé fin 2012 dans le cadre d’une interview exclusive avec Denis Thébaud (8), se veut la première bibliothèque digitale réunissant – dans sa version bêta – six univers différents : ebooks, films et séries, jeux vidéos, logiciels, création digitale et partitions musicales. Viendront ensuite la presse et la musique. Et c’est en toute discrétion qu’Allbrary a ouvert un service de vidéo à la demande (VOD), en version bêta là aussi (allbrary.fr/vod), destiné au marché français et permettant dans un premier temps de louer et de visionner des films et séries. Les vidéos sont en effet proposées en streaming et sous forme de location en ligne (sur
48 heures), le téléchargement définitif étant prévu dès cette année, en attendant l’abonnement SVOD. Selon nos informations, Xandrie a choisi l’agrégateur VOD Factory, lequel édite déjà les services vidéo de SFR, de Tevolution ou encore de
la Fnac.

Allbrary sortira de sa bêta mi-2016
La bibliothèque digitale sera accessible sur tous les écrans. « Allbrary est disponible sur Windows, Android et sera disponible sur iOS en mai prochain. Dans un mois environ [en février], nous aurons une nouvelle version bêta plus évoluée, et c’est vers mi-2016 que nous commencerons réellement notre développement commercial », nous a-t-il confié. Allbrary, qui dépasse les 80.000 références d’œuvres culturelles est accessible soit par le site web Allbrary.fr, soit par des applications pour smartphones et tablettes, et bientôt directement sur des terminaux et des téléviseurs connectés. @

Charles de Laubier

Protéger l’innovation et le patrimoine informationnel : une entreprise avertie en vaut deux

Depuis la directive européenne « Attaques contre les systèmes d’information »
de 2013, censée être transposée par les Ving-huit depuis le 4 septembre 2015,
les entreprises – et leurs-traitants – doivent redoubler de vigilance contre la cybercriminalité aux risques démultipliés. L’arsenal français est renforcé.

Par Christiane Féral-Schuhl*, avocate associée, cabinet Féral-Schuhl/Sainte-Marie

L’innovation à l’ère numérique peut revêtir plusieurs formes :
un nouveau brevet, un concept commercial, un logiciel, des informations stratégiques, des bases de données, de la musique, des films, … Certaines de ces données bénéficient d’une protection légale : le droit d’auteur pour les logiciels, les vidéos, les œuvres multimédia… ; le droit des marques pour les noms de domaine,
les logos… ; la loi informatique et libertés pour les données personnelles, le droit des brevets pour les inventions, …

Preuve de la titularité des droits
La protection est parfois assujettie à des formalités légales : l’enregistrement des brevets, des dépôts de marques, des noms de domaine ou encore les formalités auprès de la Cnil (1). Parfois, la protection est acquise de plein droit mais il faudra justifier de certaines conditions en cas de contestation : l’« originalité » pour l’oeuvre logicielle ou encore l’« investissement financier, matériel ou humain substantiel » pour les bases de données (2). Il faudra en tout état de cause établir la preuve de la titularité des droits, ce qui peut exiger des précautions telles que le dépôt des codes sources pour lui donner date certaine, ou encore un contrat pour encadrer les conditions de cession
des données concernées.
Mais la protection n’est pas systématique, comme l’illustre si bien le long débat législatif sur le secret des affaires qui n’a pas encore permis de trouver de solution (3), ouvrant la voie au détournement de données stratégiques pour l’entreprise. S’il est désormais acquis que la valeur de l’entreprise réside en grande partie dans son patrimoine informationnel, la question de la protection de ces données est d’autant plus cruciale que l’entreprise, pour être compétitive, doit vivre à l’heure du big data, de l’open data, du cloud, du logiciel libre (open source), des API (4) et des objets connectés.
Comment, dans cet environnement, lutter contre la malveillance ou tout simplement la négligence ?
Une enquête réalisée par le cabinet d’étude britannique Vanson Bourne pour EMC, réalisée entre août et septembre 2014 sur des décideurs informatiques au sein d’entreprises employant plus de 250 personnes (pour un total de 3.300 personnes dans 24 pays), a révélé que 64 % des entreprises concernées avaient déclaré avoir
été victime(s) de pertes de données ou d’interruptions d’activité dans le cours de l’année 2014. Ce qui correspond à une moyenne de trois jours ouvrés d’interruption
non planifiée. Ces entreprises auraient subi un préjudice de 1,7 milliards de dollars.

Si les entreprises sont confrontées à des risques en provenance de l’extérieur (piratage, vol de données, fraude, virus, phishing, usurpation d’identité, …), il faut constater que les défaillances sont le plus souvent le résultat de négligences internes : non respect des règles de sécurité, notamment dans la gestion des badges d’accès ou des codes, divulgations non autorisées de données, erreurs de manipulations, …, manque de formation, d’information, de sensibilisation, etc.
L’exemple de la recherche et du développement – secteur d’investissement et d’innovation par nature – en est une bonne illustration. En effet, les travaux menés
par les chercheurs le sont parfois en mode collaboratif sur des réseaux non sécurisés, voire non conservés dans les serveurs de l’entreprise, exposant à la perte des investissements. De même, la publication ou l’utilisation d’API ouvrent des fenêtres sur les systèmes d’information des entreprises et organisations, et engendrent des risques liés à la sécurité, notamment d’atteintes aux données (intrusion, captation, …).

Directive contre la cybercriminalité
Le chef d’entreprise a l’obligation d’assurer la sécurité de l’entreprise. Cette obligation devrait être renforcée dans les années à venir avec la directive européenne « Attaques contre les systèmes d’information » du 12 août 2013.
Cette directive visant à combattre la cybercriminalité (5), qui devait être transposée par les Vingt-huit avant le 4 septembre 2015 (6), encourage les Etats membres à prévoir
« dans le cadre de leur droit national, des mesures pertinentes permettant d’engager
la responsabilité des personnes morales, lorsque celles-ci n’ont de toute évidence pas assuré un niveau de protection suffisant contre les cyberattaques » (considérant 26). Mais au-delà de cette obligation générale, le chef d’entreprise peut être tenu, pour certaines catégories de données, à des obligations légales spécifiques. Tel est le cas pour les données à caractère personnel pour lesquelles il est tenu de « prendre toutes précautions utiles, au regard de la nature des données et des risques présentés par le traitement, pour préserver la sécurité des données et, notamment, empêcher qu’elles soient déformées, endommagées, ou que des tiers non autorisés y aient accès » (7).
Le manquement à cette disposition légale est sanctionné de cinq ans de prison et de 300.000 euros d’amende (8).

Obligations des entreprises
L’entreprise, elle, doit également veiller au respect de cette obligation par ses sous-traitants (9), au risque d’être sanctionnée. Ainsi, une société distribuant des produits optiques a été condamnée par la Cnil à une sanction de 50.000 euros pour avoir, entre autres, manqué à son obligation d’assurer la sécurité et la confidentialité gérées par
un de ses sous-traitants. La Cnil relève que « le contrat entre la société et son sous-traitant ne comportait aucune clause relative à la sécurité et à la confidentialité des données » (10).
Sur ce point également, le prochain règlement européen sur la protection des données à caractère personnel (« Privacy »), devrait renforcer les obligations en prévoyant une obligation de notification des failles de sécurité à toutes les personnes concernées, ainsi qu’une obligation d’informer l’autorité de contrôle de toute violation « sans retard injustifié et, si possible, 24 heures au plus tard après en avoir pris connaissance ». Au-delà du délai de 24 heures, l’entreprise devra nécessairement justifier son silence.
Par ailleurs, les opérateurs d’importance vitale (OIV) sont tenus de respecter des règles de sécurité spécifiques (11). Leur non-respect les expose à des sanctions pénales (12). Les OIV ont également l’obligation d’informer sans délai le Premier ministre de tout incident affectant le fonctionnement ou la sécurité des systèmes d’information (13).

Enfin, on rappellera que le Référentiel général de sécurité (RGS) – afin d’instaurer
la confiance dans les échanges au sein de l’administration et avec les citoyens – s’impose aux administrations et aux prestataires qui les assistent dans leur démarche de sécurisation de leurs systèmes d’information (arrêté du 13 juin 2014 portant approbation du RGS et précisant les modalités de mise en oeuvre de la procédure
de validation des certificats électroniques). Plus généralement, on rappellera que l’arsenal français est complet avec plusieurs infractions répertoriées dans le Code pénal. Le vol (14) de données est cependant rarement reconnu par la jurisprudence puisque les éléments constitutifs de l’infraction ne sont pas réunis : dans la mesure
où la donnée n’est pas une « chose », il n’y a pas de « soustraction frauduleuse de la chose d’autrui ».
En revanche, le recel (15) peut être invoqué à la condition que les données atteintes soient fixées sur un support physique. Même si le recel d’informations sans support matériel a pu être admis dans des arrêts anciens, la jurisprudence actuelle ne suit
pas cette tendance. De même, l’abus de confiance (16) est souvent utilisé à l’encontre de salariés ayant détourné des fichiers informatiques à des fins personnelles, en contradiction avec, notamment, la Charte informatique de l’entreprise. Enfin, l’usurpation d’identité numérique (17), utilisée depuis peu, a conduit récemment à la condamnation d’une personne s’étant fait passer pour l’ancien associé d’une entreprise afin de créer des adresses courrielles et des profils sur les réseaux sociaux. De même, c’est sur ce fondement qu’a été sanctionnée la personne ayant créé un faux site web permettant aux internautes de publier au nom d’une personne publiques des communiqués au contenu diffamatoire.

Infractions et Cheval de Troie
Enfin, les atteintes aux STAD (18) répertorient toute une série d’infractions : le fait d’accéder ou de se maintenir frauduleusement dans tout ou partie d’un STAD, le fait d’entraver ou fausser le fonctionnement d’un STAD, le fait d’introduire frauduleusement des données dans un STAD, extraire, détenir, reproduire, transmettre, supprimer ou modifier frauduleusement les données qu’il contient, ou encore le fait de – sans motif légitime – importer, détenir, offrir, céder ou mettre à disposition un équipement, instrument, programme informatique ou toute donnée conçus ou spécialement adaptés pour commettre une ou plusieurs infractions prévues par les articles 232-1 à 323-3 du Code pénal, comme par exemple le Cheval de Troie.
Il convient de signaler que dans un arrêt récent (19), la Cour d’appel de Paris a relaxé un internaute ayant accédé à un système de traitement automatisé de données (STAD) dont la sécurité défaillante avait permis l’accès aux données, mais l’a condamné pour maintien frauduleux, ayant constaté qu’il avait réalisé des opérations de chargement alors qu’il existait un contrôle d’accès dont il n’avait pu ignorer l’existence On rappellera que la voie pénale n’exclut pas une action civile pour obtenir des dommages intérêts. @

* Christiane Féral-Schuhl,
ancien bâtonnier du Barreau de Paris.

Criteo, l’ex-licorne française cotée au Nasdaq, se sent vulnérable face aux logiciels antipubs (ad-blocks)

C’est la bête noire de Jean-Baptiste Rudelle, cofondateur et PDG de Criteo,
start-up française spécialisée dans la publicité ciblée sur Internet. Les ad-blocks, ces outils qui permettent aux internautes de bloquer les bannières et vidéos publicitaires, pourraient mettre en péril ses activités très lucratives.

Dix ans après sa création, la société française Criteo est une star
à Wall Street. Ses 745 millions d’euros de chiffre d’affaires générés en 2014 et sa rentabilité en croissance continue à 34,3 millions d’euros de bénéfice net l’an dernier font l’admiration des Américains et des Européens, autant des analystes financiers que des entrepreneurs. La « French Tech » promue par les pouvoirs publics de l’Hexagone n’est pas peu fière de compter parmi ses start-up
un tel fleuron.
Son cofondateur (1), Jean-Baptiste Rudelle (photo), qui en est le PDG et le quatrième plus gros actionnaire avec 6,4 % du capital (2), est sous le feu des projecteurs. Son livre intitulé « On m’avait dit que c’était impossible. Le manifeste du fondateur de Criteo » vient de paraître, début octobre, chez Stock. Il y fait la promotion des start-up françaises et essaie de communiquer aux lecteurs l’envie de créer leur entreprise et la culture de l’échec, sans tomber dans le « pessimisme masochiste » lorsqu’il s’agit d’entreprendre en France – « petit paradis fiscal qui s’ignore » ! Jean-Baptiste Rudelle
a conservé son siège social à Paris (rue Blanche) mais il a cependant décidé en 2008 de s’installer avec sa famille en Californie, à Palo Alto, le berceau de la Silicon Valley, pour conquérir l’Amérique.

Le chiffre d’affaire de Criteo va dépasser le milliard
Mais du haut de ses dix ans, sa société Criteo aura beau s’approcher d’une valorisation boursière de 2,5 milliards de dollars et dépasser allègrement cette année le milliard de dollars de chiffre d’affaires, et même 1milliard en euros (dont entre 525 et 530 millions reversés aux partenaires), cette ex-licorne – puisqu’elle est cotée en Bourse depuis deux ans maintenant – n’en est pas moins vulnérable au regard de son activité mondiale de ciblage publicitaire sur Internet et les mobiles. En effet, grâce à ses propres algorithmes prédictifs, l’icône française du Net achète aux médias et revend aux annonceurs – en quelques millisecondes – des emplacements publicitaires en
ligne dont les bannières s’affichent sur tous les terminaux (ordinateur, smartphones, tablettes, …) des internautes et mobinautes « ultra ciblés ». La plateforme de publicité programmatique est ainsi présente dans 85 pays et compte 27 bureaux à travers le monde.

Blocage d’e-pub et cookies supprimés
Or, de par cette activité qui fait son coeur de métier et sa raison d’exister, Criteo est justement un nouveau géant du numérique aux pieds d’argile. « En cas de résistance des consommateurs envers la collecte et le partage des données utilisées pour diffuser les publicités ciblées, en cas d’accroissement réglementaire ou juridique de la visibilité du consentement (des utilisateurs) ou des mécanismes de “Do Not Track”, et/ou en cas de développement de nouvelles technologies ayant un impact sur notre capacité à collecter les données, tout ceci détériorera substantiellement les résultats de nos activités », prévient en effet la direction de Criteo dans la partie « Facteurs de risques » de son rapport annuel déposé chez le gendarme boursier américain, la SEC (3), au printemps dernier. Et d’ajouter que « certains navigateurs web, tels que Safari [développé par Apple, mais aussi d’autres comme Firefox de Mozilla, ndlr], bloquent déjà ou prévoient de bloquer par défaut tout ou partie des cookies ». Apparus pour
la première fois il y a vingt ans, ces petits fichiers espions appelés « cookies » – et déposés discrètement dans le terminal de l’utilisateur – constituent en fait le fond
de commerce publicitaire de Criteo (« Je prédis », en ancien grec).

En bloquant ou en refusant tous ces « mouchards », à l’aide de l’option de blocage du navigateur ou d’un logiciel de ad-blocking (de type Ad-Block Plus), c’est tout le modèle économique de l’icône de la « French Tech » qui risque de s’effondrer comme un château de cartes. « Utilisant des cookies et des technologies de tracking similaires, nous collectons l’information sur l’interaction des utilisateurs avec les sites web et les applications mobiles des publicitaires et des éditeurs », explique Criteo.
Lorsque vous faites par exemple un achat sur Internet, il y a de fortes chances que l’entreprise de Jean-Baptiste Rudelle vous « espionne » – en collectant à votre insu
des données vous concernant – pour afficher ensuite sur votre écran des publicités
en rapport avec ce que vous avez choisi en ligne. Dans son livre (p.103), Jean-Baptiste Rudelle assure que ces données sont « anonymes ». En Europe, où Criteo réalise encore la majeure partie de son chiffre d’affaires, la Commission européenne a justement prévu de durcir la réglementation sur la protection des données et de la
vie privée. Le texte en cours d’examen, qui devrait être adopté d’ici la fin de l’année, compte obliger les éditeurs de sites web et d’applications mobiles à obtenir le consentement préalable des utilisateurs et à les informer sur l’utilisation de leurs données. Sans attendre, Criteo tente de limiter la casse en précisant utiliser plutôt
des cookies de « premier niveau » (first-party) – moins supprimés par les utilisateurs
de leur navigateur –, au lieu des cookies de « tierce partie » (third party) beaucoup plus éradiqués (4). Pour la simple raison qu’il est difficile de poursuivre la navigation sur un site web si l’on n’accepte pas ces cookies de premier niveau. Cependant, Criteo n’est pas sûr que cela soit suffisant : « Il n’y a pas de certitude que les régulateurs ne contesteront pas la transparence de [notre] solution ou que les éditeurs de navigateurs ne bloqueront pas techniquement [notre] solution. Si le lancement de notre solution n’est pas un succès, nous pourrions être empêché de diffuser les publicités auprès des utilisateurs qui utilisent des navigateurs bloquant les cookies de tierce partie ». Et Criteo de mettre en garde investisseurs et actionnaires : « Si nous sommes bloqués pour servir des publicités à une partie significative d’internautes, notre acticité pourrait en souffrir et nos résultats opérationnels pourraient être mis à mal ».

Ainsi, la pérennité de la start-up publicitaire dépend grandement du degré de tolérance et d’acceptation des utilisateurs à la publicité en ligne « ultra ciblée » (dixit Jean- Baptiste Rudelle dans son livre) qui est de plus en plus intrusive et indiscrète. Si l’usage des ad-blockers et des opt-out of tracking – de type Do Not Track (DNT) en cours d’adoption au sein du W3C (5) (*) – se généralisait, cela pourrait être fatal au business model publicitaire et programmatique de Criteo. D’autant que l’Europe n’est pas la seule à prévoir des restrictions sur le dépôt des cookies et l’exploitation des données personnes, la Cnil en France étant très active sur ce point (6). Les Etats-Unis y songent aussi : des amendements ont été déposés devant le Congrès américain, et la Californie est à l’avant-garde du DNT. « N’importe quelle perception de nos pratiques ou produits comme une atteinte à la vie privée (…) peut nous soumettre à la critique publique,
à des actions collectives privées [classe action], à une mauvaise réputation ou des plaintes par des régulateurs, ce qui pourrait perturber notre activité et nous exposer
à un handicap accru », met encore en garde Criteo qui emploie 1.300 employés, dont les deux tiers sont en Europe (région EMEA).

Millions d’adeptes et milliards de pertes
Selon une étude d’Adobe et de PageFair publiée en août, plus de 198 millions d’utilisateurs dans le monde – dont 77 millions en Europe – ont déjà bloqué les e-pubs à partir de leur navigateur ou de leur smartphone. Cela devrait provoquer sur l’année 2015 une perte cumulée mondiale de 22,8 milliards de dollars pour les éditeurs et les annonceurs, et de 41 milliards de dollars prévus en 2016. @

Charles de Laubier

La société Xandrie lance Allbrary, plateforme numérique culturelle aux ambitions internationales

En gestation depuis cinq ans, la bibliothèque digitale culturelle Allbrary – ebooks, jeux vidéo, logiciels, créations et bientôt films, musiques et presse – devient accessible (site web et application Android). Edition Multimédi@ a rencontré son PDG, Denis Thébaud.

Denis ThébaudC’est sans précédent en France, voire en Europe : pour la première fois, une plateforme numérique unique propose une offre culturelle diversifiée. Son nom : Allbrary. La société française Xandrie qui l’a conçue a l’ambition de proposer une bibliothèque digitale « tout en un » que chacun peu personnaliser à sa guise en fonction de ses goûts et loisirs culturels, plutôt que d’aller courir différents sites Internet d’offres de livres numériques, de jeux vidéo, de logiciels, de films ou encore de musique.

Bibliothèque digitale personnalisable
« C’est un projet de long terme que nous mettons au point depuis 2010 et qui a nécessité plus de 8 millions d’euros d’investissement initial, auxquels s’ajoutent 3 à
4 millions d’euros sur le prochain exercice pour son fonctionnement et son évolution », nous explique Denis Thébaud (photo), PDG de la société Xandrie (1).
Ce projet de bibliothèque numérique multiculturelle, que Edition Multimédi@ avait révélé fin 2012, entre enfin dans sa phase opérationnelle et mobilise aujourd’hui une vingtaine de salariés et divers équipes de développement externes. Pour le lancement de sa version bêta publique, Allbrary était présent au Salon du livre de Paris avec un catalogue en ligne atteignant à ce jour 80.000 références d’oeuvres culturelles. Les accès se font soit par le site web Allbrary.fr, soit par l’application pour smartphones
et tablettes sous Android, en attendant d’autres environnements.

A l’avenir, Allbrary sera une application proposée directement sur des terminaux (Lenovo, Asus, …), voire des Smart TV. « Allbrary est là pour apporter de la simplicité
à ceux qui ne sont pas encore rompus avec le numérique et qui sont perdus face à la complexité des offres existantes. Nous proposons actuellement des livres numériques, des jeux vidéo, des logiciels et des créations digitales. Et à partir de l’été prochain, le catalogue s’enrichira de vidéos et de partitions musicales. Viendra par la suite la musique elle-même, puis, à l’avenir, la presse », poursuit Denis Thébaud. Selon une logique cross-media, l’utilisateur aura la possibilité de passer d’un écran à un autre
en reprenant le cours de son oeuvre à partir de là où il l’avait laissée avant de s’interrompre. Chaque catégorie de loisirs numériques est en outre enrichie par
une équipe dédiée afin que les métadonnées servent à faire des recommandations personnalisées sur la base des préférences de chaque utilisateur. Pour l’offre de VOD, Xandrie vient de signer avec un partenaire qu’il ne dévoilera que l’été prochain. La vidéo sera d’abord proposée en streaming et sous forme de location en ligne (sur 48 heures), puis dans un deuxième temps l’offre sera élargie au téléchargement. « Afin
de faire face au minimum garanti [MG désignant l’avance ferme et définitive sur les recettes à venir, ndlr], il fallait trouver une solution de mutualisation pour la VOD », indique Denis Thébaud. Pour la musique en ligne, plus difficile à mettre en oeuvre
car « moins rémunérateur », Allbrary proposera d’abord le téléchargement, puis le streaming.

Xandrie fait en sorte de signer des accords de licences de portée mondiale, afin de faire d’Allbrary une plateforme internationale qui sera déclinée en anglais dans les prochains mois (1). Pour le livre, les partenaires sont Gallimard, Nathan, Albin Michel, ainsi que Penguin ou encore Random House. Pour les jeux vidéo, le catalogue compte Ubisoft, Focus Home Interactive, Nordic Games, Bethesda Softworks et d’autres. Côtés logiciels, on trouve Adobe, Microsoft, Symantec, Génération 5 ou encore Bitwig et Magix. Sans oublier les créations issues de Cyclone, Biwig Studio, ViaCad, etc. Il faut dire que la société Xandrie est rompue aux accords de distribution, dans la mesure
où elle a été à l’origine une émanation du groupe Innelec Multimédia – distributeur physique de produits tels que jeux vidéo, DVD, logiciels, CD audio, consoles, objets connectés, etc – que Denis Thébaud a créé il y a 32 ans maintenant. Si Innelec Multimédia est une société cotée, il n’en va pas de même pour l’ex-filiale Xandrie (2)
qui est devenue indépendant fin 2012. Formule d’abonnement en 2016 Ce guichet unique des loisirs numériques, inédit en France, propose des contenus qui seront gratuits ou payants. Les achats se font à l’acte, en attendant qu’une offre d’abonnement multiculturelle soit lancée en 2016. Les partages des revenus avec les fournisseurs se font selon la clé de répartition 70/30 (70 % pour l’éditeur et 30 % pour le distributeur), lorsque ce n’est pas 60/40. L’architecture technique et les développements sont progressivement rapatriés en interne (3), après avoir été en partie sous-traités, afin d’accélérer le déploiement. @

Charles de Laubier

Quand les acteurs du logiciel et du numérique se mêlent de culture et formulent des recommandations

Récapitulatif des recommandations du livre blanc « Le Numérique, une chance pour la culture » (1) co-publié en décembre par l’Association française des éditeurs de logiciels et solutions Internet (Afdel) et le think tank Renaissance numérique, lesquels l’ont remis à Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat au numérique, et à Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication (2).

1. France.art : l’accélérateur numérique de notre rayonnement patrimonial
Parce que la France compte parmi les plus belles et les plus larges collections artistiques mondiales, il est urgent de mettre à disposition gratuitement en ligne les reproductions photographiques haute définition de l’ensemble des œuvres présentes dans les musées publics, accompagnées de contenu pédagogique. Ces contenus seront disponibles d’une part sur les sites Internet des institutions concernées, d’autre part sur un nouveau site Internet fédérateur, accessible sur tout type de terminal et en plusieurs langues, sous l’URL (3) www.france.art. Des API (4) et une orientation
«open content» permettront de démultiplier les usages autour de ces contenus.
Cette plateforme pourra voir le jour rapidement dans le cadre d’un partenariat public-privé et grâce au mécénat, tant financier que de compétences.

2. De l’open-content pour nos musées
Parce que la France compte parmi les plus belles collections artistiques mondiales, il est nécessaire de rendre disponible en ligne, en totalité et gratuitement, toutes les œuvres notre patrimoine tombées dans le domaine public, en fournissant des fichiers téléchargeables sur une plateforme centrale. Pour faire émerger cette plateforme, un partenariat publicprivé doit être mis en place, allant chercher des fonds dans les budgets mécénat des entreprises.

3. Adapter la protection des droits d’auteurs et droits voisins aux ambitions de rayonnement du patrimoine artistique public
Droits d’auteurs et droits voisins rendent complexe la possibilité pour les musées de présenter leur collection sur leur site web, tandis que les musées étrangers connaissent moins de contraintes sur ce plan et en font un argument concurrentiel. Il est urgent de remettre l’intérêt public au centre des discussions sur le droit d’auteur et de mettre à jour l’environnement réglementaire, notamment sur les questions du formalisme des contrats de cession de droit (l’écrit est encore aujourd’hui obligatoire) et de délimitation préalable des usages (une contrainte forte dans l’espace numérique).
Dans la foulée de la mission Sirinelli sur l’adaptation du contrat d’édition à l’heure du numérique dans le secteur du livre [médiation lancée le 11 septembre 2012 et ayant abouti à la signature le 21 mars 2013 de l’accordcadre entre le Conseil permanent des écrivains (CPE) et le Syndicat national de l’édition (SNE), lire p. 6 et 7, ndlr], un débat public doit s’ouvrir sans délai sur l’évolution du droit d’auteur en matière de reproduction photo et vidéo des œuvres d’art et patrimoniales sur les supports numériques. Il doit s’accompagner d’actions de sensibilisation des acteurs du secteur et plus largement du grand public, afin de combler le déficit d’informations et de connaissances concernant la nature du droit d’auteur et de ses principes d’application dans l’espace numérique.

4. Le livre numérique au prix le moins élevé
Harmoniser le prix du livre au format numérique avec le prix le moins élevé de la version papier mise en vente par la maison d’édition. Aujourd’hui, le livre dans son format numérique peut valoir plus cher à l’acquisition que dans son format poche.
Une différence de prix que ne s’explique pas le lecteur, le format numérique faisant
fi des coûts de distribution, stockage et impression.

5. Accélérer le financement de projets culturels innovants
Aujourd’hui, de nombreux fonds pour l’innovation dans le domaine culturel existent. Ils sont structurés à l’échelle nationale ou régionale par secteur.
Deux recommandations :
• Dans chaque jury ou commission de sélection des projets qui seront subventionnés, exiger la présence au moins deux représentants d’organismes représentant les acteurs de la branche numérique, afin de garantir le caractère innovant, dans la technologie mais aussi dans les usages, des projets présentés.
• Exiger la transparence totale, par la publication des verbatims des réunions et des délibérations des jurys, afin que les start-ups innovantes puissent, chaque année, mieux comprendre les attentes et les critères de sélection des instances décisionnaires. @