Adobe fête ses 35 ans en pleine forme grâce à ses acquisitions et à la croissance de ses abonnements

L’éditeur de logiciels de création, cofondée il y a 35 ans par Charles Geschke et John Warnock, a basculé avec succès dans le cloud pour y vendre par abonnements ses célèbres logiciels – Photoshop, Acrobat, Illustrator, … Son PDG, Shantanu Narayen, dispose d’une trésorerie confortable pour d’éventuelles nouvelles acquisitions.

Charles Geschke vient d’avoir 78 ans, le 11 septembre dernier. C’est le cofondateur avec John Warnock du numéro un des logiciels graphiques Adobe Systems – il y aura 35 ans en décembre de cette année. Photoshop, Acrobat, Illustrator, InDesign, Dreamweaver, Flash, …, mais aussi le langage PostScript : tous ces outils de création sont reconnus et utilisés mondialement dans la création,
le développement, les médias, le marketing, la communication et l’audiovisuel. Bien qu’il n’ait plus de fonctions opérationnelles dans le groupe depuis son départ à la retraite en 2000, Charles Geschke en a été néanmoins président du conseil d’administration jusqu’en janvier dernier.
Depuis le début de l’année, Shantanu Narayen (photo) lui a succédé tout en conservant ses fonctions de directeur général d’Adobe qu’il assume depuis décembre 2007. Cet Indien de 54 ans, né à Hyderabad, fêtera l’an prochain ses 20 ans chez Adobe Systems.

Au total, selon les calculs de Edition Multimédi@, Adobe investi en moins de dix ans quelque 4 milliards de dollars dans sa croissance externe (Omniture, Day Software, Demdex, Auditude, Efficient Frontier, Neolane, Fotolia
et TubeMogul).

Abonnements dans le cloud : 80 % du chiffre d’affaires
Il est à la tête d’une icône de la Silicon Valley (à San José), ni start-up mais multinationale ni licorne mais cotée en Bourse, qui prévoit de dépasser cette année les 7 milliards de dollars de chiffre d’affaires – à 7,24 milliards, selon le consensus d’analystes financiers – grâce à une croissance attendue de 23 % sur un an. Adobe Systems, dont le siège administratif est depuis dix ans situé dans le petit paradis fiscal américain qu’est l’Etat du Delaware, devrait aussi accroître sa rentabilité par rapport au résultat net affiché en 2016 et en hausse de plus de 85 % à 1,1 milliard de dollars.
Pour une entreprise du logiciel qui a survécu à 35 ans de grandes révolutions, aussi bien des technologies que des écosystèmes (d’Internet au cloud), c’est une belle performance. Adobe affiche – au 29 septembre 2017 – une capitalisation boursière
de 72,3 milliards de dollars au Nasdaq à New York, avec une action passée d’environ 30 dollars il y a cinq ans à près de 150 dollars aujourd’hui. En un an, le titre a bondi de 40 %. Ayant pris à temps le tournant de la dématérialisation des logiciels, Adobe est passé avec succès de la vente packagée en magasins à la vente d’abonnements en ligne grâce au mode Software-as-a-Service (SaaS) et maintenant le cloud computing. Depuis janvier dernier, la fameuse Creative Suite – incluant Photoshop, Acrobat, InDesign, Illustrator, Premiere Pro ou encore Typekit – n’est plus commercialisée.
La version 6, disponible depuis cinq ans, a été la dernière à être vendue en boîte.

Abonnements en cloud : 80 % des revenus
Cette année marque donc pour Adobe le basculement complet de son modèle économique dans le nuage informatique. Avec Creative Cloud, ses applications mises
à jour sans surcoûts sont désormais disponibles « exclusivement » via un abonnement (de 23,99 à 66,99 euros par mois) qui comprend aussi des services de tutoriels, des modèles intégrés ou encore – via Adobe Stock et Fotolia – 60 millions d’images, d’illustrations vectorielles, de vidéos et d’éléments en 3D – tous libres de droits. Adobe Sensei marque aussi l’offensive de la firme de San José dans la création complexe à partir d’intelligence artificielle (IA), de marchine learning et de deep learning. Adobe table ainsi sur ses revenus annuels récurrents – ou ARR pour « Annualized Recurring Revenue » – afin de pérenniser sa rentabilité. Les abonnements dépassent pour la première fois cette année les 80 % du chiffre d’affaires annuel (contre 78 % en 2016, par rapport aux 50 % de 2014) et le secteur des médias numériques y contribuent à plus des deux-tiers (plus de 3,3 milliards de dollars en 2016). A la fois présent dans
les médias numériques et le marketing digital, le groupe dirigé par Shantanu Narayen s’adresse à une vaste clientèle, ce qui en fait sa force : créateurs, graphistes, web designers, photographes, cinéastes, développeurs d’applications, professionnels des médias, éditeurs, agences de communication, mais aussi responsables marketing, publicitaires ou encore annonceurs. Adobe est du coup devenu un acteur majeur du
Big Data, avec plus de 90 trillions de transferts de données par an revendiqués.

Mais l’éditeurs des créateurs entend aussi séduire plus que jamais le grand public, comme l’a expliqué le PDG Shantanu Narayen le 19 septembre dernier, lors de la présentation de ses résultats financiers « record » pour le troisième trimestre : « Nous sommes en train de nous étendre dans l’espace créatif bien au-delà de notre base loyale de professionnels. Que cela soit pour “designer” un blog personnel ou pour produire un film court, les capacités de Creative Cloud se développent pour s’adresser aux besoins des jeunes d’aujourd’hui, des experts en médias sociaux et des créatifs enthousiastes, tout en repoussant plus loin les frontières technologiques pour nos pros créatifs les plus exigeants ». Ayant rencontré ses premiers succès sur les ordinateurs de bureau des graphistes professionnels, Adoba a su élargir sa base de clientèle au grand public, doté de tablettes et smartphones. Par exemple, Photoshop se décline en plusieurs applications mobiles telles que Photoshop Sketch, Photoshop Mix, Photoshop Lightroom ou encore Photoshop Fix. Mais c’est dans la création vidéo qu’Adobe voit la demande exploser avec pour les professionnels Premiere Pro, mais aussi Premiere Clip pour « créer des films à la volée à partir d’un smartphone » ou Adobe Spark pour
« créer des publications et graphismes pour les réseaux sociaux, des récits web et des vidéos animées », sans oublier des outils de réalité virtuelle et le 360 degrés renforcés par l’acquisition en juin dernier de la technologie Skybox intégrée dans Premiere Pro
et After Effects. La prochaine conférence annuelle Adobe Max, du 18 au 20 octobre prochains, révèlera son lot de nouvelles versions et applications. Elle devrait aussi sonner le glas du logiciel Flash Player qu’Adobe arrêtera définitivement en 2020 : l’annonce de la fin de ce lecture de vidéo – de moins en moins utilisés sur les navigateurs web – a été faite fin juillet. La croissance de Document Cloud, le pendant de Creative Cloud, permet à Adobe de capitaliser sur son célèbre logiciel Acrobat, devenu standard international dans la création et la lecture de documents, et sur son format PDF créé il y a maintenant 25 ans. Avec Adobe Scan, le PDF s’est aussi démocratisé sur les mobiles. Pour les entreprises, Adobe Sign permet la signature électronique de documents.
Dans le marketing digital, cette fois, où l’on retrouve des outils de communication,
de publicité et de mesure d’audience, la concurrence est plus rude puisqu’Adobe se retrouve face à aussi bien IBM, Oracle ou Salesforce ou SAP que Google ou Yahoo. Mais ses acquisitions successives ces dernières années lui permettent de réaliser 30 % de son chiffre d’affaires dans cette activité. Sa plus grosse acquisition fut celle en 2009 d’Omniture, société spécialisée dans les logiciels de mesures d’audience publicitaire sur Internet, pour 1,8 milliard de dollars. Elle fut suivie pas plusieurs achats de moindre ampleur entre 2010 et 2012 (Day Software, Demdex, Auditude et Efficient Frontier). En 2013, Adobe s’est emparé pour 600 millions de dollars de la société française Neolane spécialisée dans le marketing digital. Puis, après avoir racheté en 2015 Fotolia pour 800 millions de dollars, Adobe a jeté son dévolu l’an dernier sur TubeMogul, un éditeur de logiciel de publicité programmatique, en déboursant 549 millions de dollars.

1,7 Mds $ de cash : nouvelles acquisitions ?
Au total, selon les calculs de Edition Multimédi@, Adobe a investi en moins de dix ans quelque 4 milliards de dollars dans sa croissance externe. Et sa marge de manœuvre reste aujourd’hui intacte ; sa trésorerie a même grossi ces derniers mois en passant
de 1 milliard de dollars fin 2016 à 1,7milliard de dollars de cash disponible au 1er septembre dernier. @

Charles de Laubier