« Contribution équitable » aux réseaux des opérateurs télécoms : ce qu’en pensent les GAFAM

Les Google, Amazon, Facebook (Meta), Apple et autres Microsoft ont réagi à l’idée – soumise à consultation par la Commission européenne jusqu’au 19 mai – qu’ils « contribuent équitablement » aux investissements des réseaux des opérateurs télécoms. C’est injustifié et risqué pour la neutralité du Net.

Les GAFAM et les « telcos », notamment les opérateurs télécoms historiques (Orange, Deutsche Telekom, Telefonica, Telecom Italia, …), vont plus que jamais se regarder en chiens de faïence. Les grandes plateformes numériques de l’Internet vont avoir l’occasion de démontrer que « tout paiement pour l’accès aux réseaux pour fournir du contenu ou pour le volume de trafic transmis serait non seulement injustifié, étant donné que le trafic est demandé par les utilisateurs finaux et que les coûts ne sont pas nécessairement sensibles au trafic (notamment sur les réseaux fixes), mais aussi qu’il compromettrait le fonctionnement de l’Internet et enfreindrait probablement les règles de neutralité de l’Internet ». C’est du moins en ces termes que la Commission européenne formule la position des GAFAM dans le questionnaire de sa « consultation exploratoire sur l’avenir du secteur de la connectivité et de ses infrastructures », ouverte depuis le 23 février et jusqu’au 19 mai. En face, les opérateurs télécoms – du moins les anciens monopoles d’Etat des télécommunications en Europe.

Les internautes paieront deux fois, selon la CCIA Europe (photo)
Ces grands opérateurs télécoms européens « demandent la mise en place de règles obligeant les fournisseurs de contenus et d’applications, ou les acteurs numériques en général qui génèrent d’énormes volumes de trafic, à contribuer aux coûts de déploiements des réseaux de communications électroniques [sous la forme d’une] contribution [qui] serait “équitable”, étant donné que ces (…) acteurs numériques profiteraient des réseaux de qualité sans supporter le coût de leurs déploiements ». Prudente, la Commission européenne se garde bien de prendre parti, contrairement aux prises de position favorable aux « telcos » de son commissaire européen Thierry Breton, en charge du marché intérieur (1), qui fut dans une ancienne vie président de France Télécom devenu Orange (octobre 2002-février 2005). Elle fait référence à la Déclaration européenne sur les droits et principes numériques pour la décennie numérique (DEDPN), telle que promulguée le 23 janvier 2023 au Journal officiel de l’Union européenne. Deux points de cette déclaration sont mentionnés dans Continuer la lecture

Lignes directrices de l’article 17 : ménager chèvre (droit d’auteur) et chou (liberté d’expression)

La lutte contre le piratage sur Internet en Europe prend un tournant décisif avec la transposition – censée l’être depuis le 7 juin dernier par les Etats membres – de la directive « Droit d’auteur et droits voisins ». Mais les orientations de son article 17 déplaisent aux industries culturelles.

Par Véronique Dahan, avocate associée, Joffe & Associés

Le 4 juin dernier, la Commission européenne a publié des lignes directrices (1) sur l’application de l’article 17 controversé de la directive « Droit d’auteur et droits voisins dans le marché numérique » (2). Pour l’exécutif européen « l’objectif des lignes directrices [sur l’article 17 de cette directive censée avoir été transposée depuis le 7 juin 2021 au plus tard] est de parvenir à une transposition correcte et cohérente de cet article dans les Etats membres, en portant attention à la nécessité d’équilibrer les droits fondamentaux et le recours aux exceptions et limitations [au droit d’auteur] » (3).

Œuvres protégées et liberté de création
Ces « orientations » sur l’article 17 étaient très attendues, même si de nombreux Etats membres ont d’ores et déjà transposé la directive « Copyright » en question dans leur droit national, ou sont en phase finale de transposition. La rédaction de ces lignes directrices a provoqué des craintes de la part des titulaires de droits qui redoutaient que la Commission européenne recommande aux Etats membres de restreindre l’application et les effets de l’article 17. Rappelons que l’intention du législateur est d’assurer un niveau élevé de protection aux titulaires de droits d’auteur en Europe. Aussi, toute recommandation qui viserait à restreindre la portée de la directive « Droit d’auteur et droits voisins dans le marché numérique » serait contraire à l’intention du législateur. Et ce, d’autant qu’une protection élevée des droits d’auteur est essentielle non seulement pour la création mais aussi pour son financement – tout en maintenant l’équilibre entre les intérêts des auteurs (propriété intellectuelle sur leurs œuvres) et ceux des utilisateurs (liberté d’expression et de création).
Seule une transposition uniforme dans tous les pays européens permettra une application efficace de cette directive « Copyright ». Son article 17 propose un nouveau régime juridique de responsabilité pour les plateformes de partage de contenus en ligne, lesquelles mettent à disposition, à des fins lucratives, une quantité importante de contenus protégés que leurs utilisateurs ont souvent directement mis en ligne. Ce texte législatif, qui a suscité de nombreux débats, répond à l’un des objectifs que s’était fixée la Commission européenne, à savoir : améliorer le fonctionnement du marché de la diffusion en ligne des biens culturels protégés, en mettant en place un système d’autorisation et de responsabilité des plateformes de services de partage de contenus en ligne. L’article 17 de la directive, intitulé justement « Utilisation de contenus protégés par des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne », pose un régime de responsabilité hybride qui conduit les plateformes à répondre à deux types d’obligations : fournir leurs meilleurs efforts pour obtenir les autorisations nécessaires auprès des titulaires de droits et assurer une rémunération appropriée au profit de ces derniers ; fournir également leurs meilleurs efforts afin de garantir l’indisponibilité des contenus non autorisés par les titulaires de droits.
Ainsi, cet article 17 est inédit en ce qu’il impose désormais aux services de partage de contenus en ligne d’obtenir les autorisations des ayants droit pour diffuser leurs œuvres, et de les rémunérer en conséquence. Sans accord préalable, ces plateformes numériques devront faire état de l’indisponibilité des œuvres non-autorisées. Les lignes directrices de la Commission européenne font suite aux dialogues mis en place entre les fournisseurs de services de partages de contenus en ligne et les titulaires de droits, afin d’examiner les meilleures pratiques pour une coopération. L’objectif principal étant d’apporter une aide aux Etats membres dans le cadre de la transposition de cette directive. Ces « orientations » – terme employé dans la traduction en français de ce guidance, plutôt que « lignes directrice » qui n’apparaît pas dans le texte – apportent, tout d’abord, des précisions quant au champ d’application de l’article 17.

Le streaming illicite dans le collimateur
Le « fournisseur de services de partage de contenus en ligne » concerné par la directive « Copyright » est défini par celle-ci (4) comme étant « le fournisseur d’un service de la société de l’information dont l’objectif principal […] est de stocker et de donner au public l’accès à une quantité importante d’œuvres protégées par le droit d’auteur ou d’autres objets protégés qui ont été téléversés par ses utilisateurs qu’il organise et promeut à des fins lucratives ». Cette directive de 2019 vise notamment ceux qui « jouent un rôle important sur le marché des contenus en ligne en étant en concurrence pour les mêmes publics avec d’autres services de contenus en ligne, comme les services de diffusion audio et vidéo en flux continu ». Autant dire que les GAFAM et toutes plateformes de streaming vidéo, de musique en ligne ou de réseau social sont visés. La Commission européenne recommande aux Etats membres, par souci de sécurité juridique, de transposer explicitement, sans modification, cette définition dans leur législation nationale et précise, par ailleurs, que ce champ ne peut être augmenté ou réduit.

Pas de surveillance généralisée du Net
Une analyse au cas par cas devra être menée afin de déterminer si le fournisseur tombe dans le champ de l’article ou non. En outre, ces lignes directrices apportent des précisions au regard de l’« autorisation des titulaires de droits » (5). Le terme « autorisation » n’est pas défini par la directive « Copyright ». Dès lors, il est conseillé aux Etats membres de mettre en place des moyens visant à encourager le développement de licences (modèles d’autorisation, mécanisme volontaire de facilitation d’accord, licences collectives, …). Par ailleurs, il est spécifié que les autorisations octroyées aux fournisseurs couvrent également les usages non-commerciaux ou ne générant pas de revenus significatifs réalisés par les utilisateurs.
Ainsi, les plateformes numériques de partage de contenus en ligne deviennent directement responsables de la mise à disposition d’un contenu non autorisé par son auteur, sans que le régime de responsabilité limitée de l’hébergeur ne puisse s’appliquer. Toutefois, le service en ligne sera exonéré de toute responsabilité s’il démontre avoir satisfait aux trois conditions cumulatives suivantes : fournir ses meilleurs efforts pour obtenir une autorisation ; (1) fournir ses meilleurs efforts pour assurer l’indisponibilité des œuvres protégées pour lesquelles les titulaires de droit ont fourni les informations nécessaires ; (2) faire preuve de réactivité dès la réception d’une notification motivée pour bloquer l’accès aux contenus protégés (3-a) et mettre en œuvre ses meilleurs efforts pour éviter dans le futur un scénario similaire (3-b). Ces conditions sont appréciées selon un principe de proportionnalité (6), détaillé par l’article 17 justement (7), et qui est rappelé à de nombreuses reprises par Bruxelles. La première condition – meilleurs efforts d’obtention d’une autorisation – se doit d’être évaluée au cas par cas au regard des spécificités du marché. Sans définition, là aussi, de la notion de « meilleurs efforts », la Commission européenne ajoute que cela s’entend par des démarches proactives et de bonne foi de la part des plateformes numériques concernées pour engager et poursuivre les négociations avec les titulaires de droit. L’objectif de la deuxième condition – fournir ses meilleurs efforts pour assurer l’indisponibilité des œuvres protégées pour lesquelles les titulaires de droit ont fourni les informations nécessaires – n’est pas de recommander l’usage de technologies spécifiques pour parvenir à rendre indisponibles les œuvres protégées. L’idée est de favoriser la coopération entre les fournisseurs en ligne et les titulaires de droits en leur laissant une certaine flexibilité, et que les acteurs du Net en question procèdent à un examen humain rapide pour décider si le contenu doit rester en ligne ou être supprimé. La Commission européenne tient à rappeler que l’objectif de la troisième et dernière condition – faire preuve de réactivité dès la réception d’une notification motivée pour bloquer l’accès aux contenus protégés et mettre en œuvre ses meilleurs efforts pour éviter dans le futur un scénario similaire – n’est pas de créer une obligation générale de surveillance pour les plateformes numériques.
Ce régime de responsabilité se veut pragmatique et prévoit un système particulier pour les fournisseurs qui proposent du contenu en ligne depuis moins de trois ans et qui ont un chiffre d’affaires annuel de moins de 10 millions d’euros. Il s’agit de critères que les Etats membres ne peuvent pas modifier. Parmi ces fournisseurs, les conditions qu’ils doivent respecter vont dépendre de leur audience : ceux réunissant moins de 5 millions de visiteurs devront respecter les conditions (1) (2) et (3-a) susvisées, tandis que ceux qui réunissent plus de 5millions de visiteurs devront respecter les conditions (1), (2), (3-a) et (3-b).
Enfin, la Commission européenne rappelle que le régime instauré par l’article 17 se veut souple. Une souplesse marquée par l’essence même du texte qui tend à protéger les usages légitimes ne portant pas atteinte aux droits d’auteur. L’article 17 n’affecte en rien la possibilité pour les utilisateurs et les plateformes de se prévaloir des exceptions existantes relatives notamment au droit de critique et de citation, à la caricature, à la parodie et au pastiche. Des notions non-définies qui doivent, selon la Commission européenne, être analysées dans leur sens commun et au regard du contexte dans lequel elles interviennent. Ainsi, elle ajoute que les Etats membres devraient adapter ces exceptions ou limitations obligatoires de manière à ce qu’elles s’appliquent de façon cohérente avec la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (8), « notamment la liberté d’expression et la liberté des arts ».

Expression des internautes et titulaires de droits
Toujours dans une logique de souplesse, ce régime de responsabilité des plateformes numériques impose la mise en place d’un mécanisme de traitement des plaintes des utilisateurs. La Commission européenne préconise un mécanisme simple et sans frais pour garantir son efficacité. En ce sens, il est proposé que les plateformes pourraient fournir des formulaires en ligne aux utilisateurs. Ce mécanisme pourrait également aller plus loin en permettant directement aux titulaires de droits et utilisateurs d’échanger. En définitive, l’article 17 et les récentes lignes directrices de la Commission européenne tentent de trouver un équilibre entre protection des titulaires de droits et la liberté d’expression. @

Vie privée et télétravail : la consécration des VPN

En fait. Le 5 mai, la fondation Mozilla – créée dans la foulée du développement il y a vingt ans du navigateur Firefox – a rendu disponible en France sa solution de réseau privé virtuel, Mozilla VPN, pour permettre aux internautes de sécuriser et de masquer leurs connexions à Internet et de ne pas être géolocalisés.

En clair. Les VPN – Virtual Private Network – sont plus connus par les internautes des pays autoritaires ou dictatoriaux qui pratiquent la censure de contenus en ligne et les blocages d’accès à des plateformes étrangères. Mais échaudés par les atteintes en ligne à leur vie privée, le pistage de leurs navigations et géolocalisations à des fins publicitaires (sans parler des cookies), voire la fuite de leurs données personnelles, les internautes des pays démocratiques sont de plus en plus demandeurs de VPN. Le sigle fait même son entrée dans le Larousse 2022 !
« Pour vivre heureux vivons cachés » est le nouveau credo du Web, dont les connexions sécurisées « https » ne suffisent pas. Le VPN est une sorte de camouflage numérique et de bouclier en ligne, qui offre une sécurisation par chiffrement des données et masque l’adresse IP de l’internaute (une de ses données personnelles) pour ne pas être détecté, pisté ou identifié. Pratiqué de longue date par les technophiles, les réseaux privés virtuels se démocratisent au fur et à mesure que les offres de VPN grand public faciles d’utilisation sont proposées (NordVPN, IPVanish, Cyberghost VPN, Surfshark, etc). Et ce, moyennant paiement sur un mois (de 5 à 12 euros) ou sur six à trois ans (de 2 euros à 10 euros par mois selon la durée de souscription). Pour Mozilla VPN lancé le 5 mai en France et en Allemagne (1), les tarifs sont de 9,99 euros pour un mois, 6,99 par mois sur six mois ou de 4,99 euros pour douze mois (2). L’utilisation du navigateur Firefox n’est pas nécessaire, mais un compte Mozilla si. La fondation californienne à but non lucratif s’appuie pour cela sur la société suédoise Amagicom qui opère un réseau mondial de 750 serveurs (dans 30 pays) fonctionnant sur leur solution open-source de VPN, Mullvad, et sécurisé de bout-enbout (3) par le protocole de cryptage WireGuard. « Surfez, jouez, travaillez et streamez tout en préservant votre confidentialité sur Internet », promet la fondation Mozilla.
Depuis mars 2020, confinements successifs oblige, la Cnil (https://lc.cx/Cnil-VPN) et l’Arcep (https://lc.cx/Arcep-VPN) recommandent d’utiliser des VPN pour télétravailler ou se former en distanciel, et « éviter l’exposition directe sur Internet » (dixit la Cnil). Mais attention, « la combinaison de celui-ci [le VPN de l’employeur] avec votre Wifi peut engendrer un débit ralenti » (dixit l’Arcep). @

Jeunes internautes de moins de 13 ans et enfants influenceurs de moins de 16 ans sous surveillance

Alors qu’Instagram prépare une version « Kids » de son réseau social, la question de l’accès des mineurs de moins de 13 ans se pose de plus en plus. Entre l’intelligence artificielle et le contrôle parental, les TikTok, YouTube et autres Facebook cherchent à encadrer l’accès de la très jeune génération.

« Les enfants demandent de plus en plus à leurs parents s’ils peuvent rejoindre des applications qui les aident à suivre leurs amis. Une version d’Instagram où les parents ont le contrôle, comme nous l’avons fait avec Messenger Kids, est quelque chose que nous explorons. Nous en dirons plus prochainement », a lancé le 19 mars dernier dans un tweet (1) le directeur d’Instagram, Adam Mosseri. Sur le modèle de Messenger Kids, qui est opérationnels auprès des moins de 13 ans depuis 2017 aux Etats-Unis, aux Canada et quelques pays, avant d’être quasi généralisé dans le monde il y a un an, un « Instagram Kids » devrait donc voir le jour.

Les 13 ans de la loi américaine Coppa
Le patron d’Instagram réagissait à un article de Buzz Feed News qui révélait le 18 mars (2) le projet de Facebook de créer un Instagram pour les moins de 13 ans. Cela n’a pas manqué de susciter des réactions sur les réseaux sociaux, où justement les jeunes enfants en-dessous de cet âge-là n’ont pas le droit de s’inscrire. Cette interdiction aux moins de 13 ans a été officialisée par les Etats-Unis il y a huit ans maintenant, dans le cadre du Children’s Online Privacy Protection Act (Coppa). C’est sur cette loi américaine (3) fixant à 13 ans l’âge minimum pour pouvoir s’inscrire sur les réseaux sociaux – Facebook en tête – que les différents pays se sont alignés. Mais dans les faits, cette règle devenue universelle est largement enfreinte par de jeunes enfants et pré-adolescents qui contournent l’interdiction, soit en mentant sur leur âge, soit en utilisant l’identité d’un proche (un frère ou une soeur voire un ami-e complice, par exemple), soit en utilisant un compte d’un 13 ans ou plus à son insu. De nombreuses études ont démontré que des moins de 13 ans étaient bien présents sur les réseaux sociaux, Médiamétrie mesurant même l’audience des Facebook, Snapchat et autres TikTok à partir de l’âge de… 2 ans ! L’appétence des bambins pour ces plateformes d’échanges ne date pas d’hier : une étude Ipsos-Médiamétrie de 2015 révélait déjà que 57 % des 11–12 ans et 26 % des 9–10 ans avaient ouvert un compte. Plus récemment, en février dernier, le Bureau européen des unions de consommateurs (Beuc), dont est membre en France l’association UFC-Que Choisir, a déposé plainte (4) auprès de la Commission européenne contre l’application TikTok aux formats courts créatifs très prisée des jeunes. Ce recours, qui s’appuie sur « le règlement sur la coopération en matière de protection des consommateurs » du 12 décembre 2017 (Consumer Protection Cooperation Regulation), affirme que la plateforme chinoise accepte des inscriptions de moins de13 ans et s’inquiète du fait que « l’application est plébiscitée par les adolescents ». En France, UFC-Que Choisir affirme que « 45 % des enfants de moins de13 ans ont indiqué utiliser l’application » (5). Pourtant, TikTok tente d’y remédier, notamment avec son « Mode connexion famille » lancé en novembre 2020.
Instagram est aussi le terrain de jeu des moins de 13 ans, bien que cette limite soit bien la condition sine qua non dans ses conditions générales d’utilisation. « Nous exigeons que tout le monde ait au moins 13 ans pour utiliser Instagram et avons demandé aux nouveaux utilisateurs de fournir leur âge lorsqu’ils s’inscrivent à un compte pendant un certain temps. Bien que beaucoup de gens soient honnêtes au sujet de leur âge, nous savons que les jeunes peuvent mentir au sujet de leur date de naissance », a récemment reconnu la filiale de Facebook (la plateforme de photos et vidéos Instagram fut rachetée en 2012 pour 1 milliard de dollars). Adam Mosseri, le patron d’Instagram, veut y remédier. Cela passe selon lui par notamment restreindre les « DM» (direct messaging) entre les adolescents et les adultes qu’ils ne suivent pas, encourager les adolescents à rendre leur compte privé, ou encore les inciter à être prudents dans les « DM » (6). Dans l’annonce faite le 16 mars dernier concernant de nouvelles mesures vis-à-vis des plus jeunes, Instragam en appelle à l’IA et au machine learning : « Nous voulons en faire plus pour empêcher que cela se produise [les inscriptions en dessous de 13 ans], mais il est complexe de vérifier l’âge des gens en ligne et de nombreux membres de notre industrie sont aux prises avec ce problème ».

La « Cnil » italienne enquête depuis janvier
Et la filiale de Facebook d’ajouter : « Pour relever ce défi, nous mettons au point une nouvelle technologie d’intelligence artificielle et d’apprentissage automatique pour nous aider à assurer la sécurité des adolescents et à appliquer de nouvelles caractéristiques adaptées à leur âge ». De nouvelles fonctionnalités sont opérationnelles depuis le mois de mars dans certains pays, avant d’être généralisées partout dans le monde, a précisé Instagram. Par exemple, l’IA permettra de détecter lorsqu’un adulte envoie une grande quantité de demandes d’amis ou de messages à des personnes de moins de 18 ans. Les destinataires seront alertés dans leur DM en leur donnant la possibilité de mettre fin à la conversation, de bloquer, de signaler ou de restreindre l’adulte en question.
Fin janvier dernier, la GPDP – la « Cnil » italienne (7) – a demandé formellement à Facebook et à Instagram « des informations sur le traitement (des mineurs) » que font ces deux réseaux sociaux. « La “Garante” [surnom de la GPDP, ndlr] a demandé à Facebook, propriétaire d’Instagram, de fournir des informations, notamment le nombre et les profils détenus par la jeune fille et, le cas échéant, comment une jeune fille de 10 ans pourrait s’inscrire sur les deux plateformes », a-t-elle indiqué.

IA appelée à la rescousse (Instagram et TikTok)
La « Cnil » italienne faisait référence en particulier à la mort d’une fillette de 10 ans habitant à Palerme lors d’un défi dit du « jeu du foulard » sur TikTok. « Plus important encore, a poursuivi la “Cnil” italienne, des informations spécifiques ont été demandées sur les mécanismes d’enregistrement en place et les méthodes de vérification de l’âge appliquées par les deux réseaux sociaux pour vérifier le respect du seuil d’âge pour l’enregistrement ». Cette jeune victime avait ouvert plusieurs profils sur les deux réseaux sociaux de la firme de Mark Zuckerberg.
La GPDP a prévenu que son enquête allait s’étendre à tous les réseaux sociaux, notamment en ce qui concerne « les mécanismes régulant l’accès des enfants aux plateformes », dans le but d’« intensifie[r] son action pour protéger les enfants utilisant les réseaux sociaux » (8). Le 3 février dernier, la « Cnil » italienne a fait savoir que TikTok lui avait répondu avoir mis en oeuvre des mesures pour interdire l’accès aux utilisateurs de moins de 13 ans, tout en envisageant de « déployer des systèmes basés sur l’IA à des fins de vérification de l’âge » (9). Une campagne d’information sera également lancée par TikTok pour sensibiliser les parents et les enfants. Quant au groupe Facebook, il avait une quinzaine de jours pour répondre à la GPDP, mais aucune information n’a encore filtré du régulateur italien.
Intelligence artificielle ou contrôle parental ? Si Instagram et TikTok ont choisi la voie du traitement automatique à grand renfort de marchine learning, les parents sont aussi appelés à surveiller leurs chérubins. La plateforme vidéo YouTube a annoncé le 24 février dernier qu’elle allait dans les prochains mois proposer aux parents d’utiliser leur propre compte Google pour permettre à leurs enfants d’accéder leurs à YouTube mais dans le cadre de ce « compte supervisé », selon l’expression de James Beser (photo de droite), le directeur de produit « Kids and Family » (10) de la filiale vidéo de Google. Les parents régleront les contenus vidéo acceptables pour leurs enfants âgés de 13 ans et plus. Par ailleurs, le service YouTube Kids créé en 2015 et destinée des jeunes utilisateurs de plus de 13 ans intègre déjà le contrôle parental.
En France, le député Bruno Studer (LREM) – président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation – a relancé la piste du contrôle parental par défaut. Dans une interview à Next Inpact publiée le 19 mars dernier, il s’en explique : « Il ne s’agit pour l’heure que d‘une piste de réflexion. Je repars du discours du président de la République de 2019 où le chef de l’Etat réclamait une solution robuste pour prévenir l’accès des mineurs aux sites pornos. Un sujet sur lequel je me suis penché. Nous en avons discuté ensemble. Nous devons désormais arriver à massifier l’utilisation du contrôle parental » (11). Plus d’un an après le discours d’Emmanuel Macron devant l’Unesco en novembre 2019 (12), le gouvernement a bien lancé en début d’année la plateforme en ligne Jeprotegemonenfant.gouv.fr pour inciter les parents à utiliser des outils de contrôle parental, afin de protéger les mineurs contre leur exposition potentielle ou avérée à la pornographie. Car celle-ci peut avoir des conséquences néfastes sur eux, tant sur leur développement psychologique que sur leur représentation de la sexualité. Insuffisant malgré la volonté présidentielle.
Mais le député Bruno Studer constate que le contrôle parental est très peu utilisé. « S’il était activé par défaut [le contrôle parental], sa désactivation supposera une décision de ceux qui sont responsables de l’intérêt psychique et physique des enfants à savoir les parents », avance le député du Bas-Rhin. Par ailleurs, la loi du 19 octobre 2020 encadre l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de 16 ans sur les plateformes en ligne. Le débuté Bruno Studer en était co-rapporteur. Il s’agit de protéger l’enfant influenceur lorsqu’il doit être qualifié de « travailleur-salarié » et/ou percevant des revenus importants relevant d’une activité commerciale (13).

Dans la vraie vie, clause « Roméo et Juliette »
Parallèlement, dans « la vraie vie » si l’on peut dire, les mineurs font aussi l’objet d’une proposition de loi visant à renforcer leur protection contre les violences sexuelles. Porté par le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, ce texte a déjà été adopté par l’Assemblée nationale mifévrier et se retrouve devant le Sénat (14). Il prévoit notamment deux nouvelles infractions concernant les mineurs de moins de 15 ans victimes de violences sexuelles commises par des personnes majeures, avec une exception via la clause dite « Roméo et Juliette » (15). @

Charles de Laubier

La presse française est de plus en plus digitale et dépendante de Google, mais plus du tout solidaire

62,7 millions d’euros : c’est ce que s’est engagé à verser Google à 121 journaux français membres de l’Apig qui a cosigné cet accord-cadre, dont 86,8 % étalés sur trois ans et le solde pour « mettre fin à tout litige » sur cette période. Deux syndicats d’éditeurs – le Spiil et la FNPS – s’insurgent.

Le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil) a dénoncé le 8 février les accords « opaques, inéquitables et nuisibles », créant même « une dangereuse distorsion de concurrence » au sein de la presse français, signés par quelques journaux avec Google. Dès le 21 janvier, la Fédération nationale de la presse d’information spécialisée (FNPS) dénonçait, elle, l’accord-cadre annoncé ce jour-là entre le géant du Net et l’Alliance de la presse d’information générale (Apig) qui « acte de facto la position illégale de Google ».

Rémunérations inconnues et critères flous
L’agence Reuters a révélé le 12 février que l’accord-cadre « Google-Apig » portait sur un total de 62,7 millions d’euros (1). Le Spiil, présidé par Jean-Christophe Boulanger (photo de gauche) et représentant 150 éditeurs indépendants de 180 titres de presse, s’est « alarm[é] de la teneur des premiers accords signés entre Google et certains éditeurs de presse sur les droits voisins ». Ces accords de licence signés individuellement et uniquement par des journaux dits de « presse d’information générale » – le controversé statut IPG – avec Google (2) leur permettent de percevoir une rémunération pour les débuts d’articles et leurs liens exploités sur le moteur de recherche (Google Search et Google Actualités). Conformément au contrat-cadre (3) annoncé le 21 janvier par l’Apig, dont 285 titres – parmi lesquels les grands quotidiens nationaux – sont membres (4), chaque accord de licence individuel peut donner à l’éditeur un accès au «News Showcase » de Google, son nouveau programme de licence de publications de presse permettant aux lecteurs internautes d’accéder à un contenu éditorial enrichi ou qualifié de « premium ». Le problème est que la rémunération prévue dans les accords de licence entre chaque éditeur de presse et Google est à géométrie variable, dans le sens où elle est basée sur des « critères » tels que « la contribution à l’information politique et générale », « le volume quotidien de publications » ou encore « l’audience Internet mensuelle ». Pour le Spiil, c’est dommageable car ces accords ne permettent pas de s’assurer du traitement équitable de tous les éditeurs de presse dans la mesure où la formule de calcul des rémunérations n’est pas rendue publique : « La profession n’a pas su mettre ses désaccords de côté pour mener une négociation commune. Google a profité de nos divisions pour faire avancer ses intérêts. Un exemple en est le choix de l’audience comme un critère prépondérant du calcul de la rémunération. Ce choix est bien dans l’intérêt industriel de Google, mais il est une catastrophe pour notre secteur et notre démocratie. Il va favoriser la course au clic et au volume : une stratégie qui bénéficie plus aux plateformes qu’aux éditeurs et qui ne favorise pas la qualité ». Selon Jean- Christophe Boulanger, ces accords renforcent encore au sein de l’écosystème de la presse française le pouvoir d’intermédiaire de Google, lequel fait tout pour ne pas rémunérer les droits voisins et « noyer » son obligation à ce titre dans son initiative «News Showcase ». Autrement dit, bien qu’un éditeur de l’Apig puisse exiger une rémunération des droits voisins sans utiliser ce programme de licence « Google », son montant n’est cependant pas fixé dans l’accord-cadre « Apig », ce qui pousse ainsi les éditeurs à s’engager auprès de «News Showcase ». « Encourager une telle situation de dépendance [éditoriale et économique] vis-à-vis d’un tel acteur pour la conquête et la rétention d’abonnés nous semble une erreur stratégique majeure », déplore-t-il. Le Spiil alerte en outre sur un autre service qui existe depuis trois ans maintenant : le « Subscribe with Google » (5). Il s’agit d’un moyen simplifié de créer un compte sur un média en ligne et de s’y abonner. Le syndicat de la presse indépendante en ligne « appel[le] les régulateurs à examiner en détail les accords commerciaux conclus » pour l’utilisation de ce service d’abonnement en ligne pour s’assurer « qu’ils ne constituent pas un complément de rémunération au titre des droits voisins qui ne seraient offerts qu’à certains éditeurs ».

Le statut « IPG » : pas eurocompatible ?
Quant à Laurent Bérard-Quélin (photo de droite), président de la FNPS et par ailleurs directeur général de SGPresse (6), il représente 500 entreprises membres qui éditent 1.231 publications imprimées et 473 publications en ligne. Pour ce syndicat de la presse spécialisée, l’accord-cadre « Google- Apig » – décliné en accords individuels de licence avec le moteur du Net – « n’est pas conforme à l’esprit, si ce n’est à la lettre, de la loi [sur le droit voisin de la presse datée du 26 juillet 2019]». Car seulement quelques journaux, dits IPG, sont concernés. Or cette notion d’IPG porte sur « moins de 13 % des éditeurs de presse » (dixit le Spiil) et est « contraire à la législation européenne » (dixit la FNPS). @

Charles de Laubier