En Europe : les 5 ans du marché unique numérique

En fait. Le 6 mai, il y a 5 ans, le marché unique numérique – Digital Single Market (DSM) – était lancé par la Commission européenne, dont l’ancien président Jean-Claude Juncker avait fait l’une de ses priorités. Entre mai 2010 et mai 2020, des e-frontières sont tombées et des silos ont été cassés.

En clair. C’est Jean-Claude Juncker – alors au début de son mandat de président de la Commission européenne – qui avait fixé l’objectif ambitieux du marché unique numérique au sein des Vingt-huit (aujourd’hui Vingt-sept) : « Nous devons tirer un bien meilleur parti (…) des technologies numériques qui ne connaissent aucune frontière. Pour cela, nous devrons avoir le courage de briser les barrières nationales en matière de réglementation des télécommunications, de droit d’auteur et de protection des données, ainsi qu’en matière de gestion des ondes radio et d’application du droit de la concurrence », avait-il prévenu dans sa communication du 6 mai 2010 sur « la stratégie pour un marché unique numérique en Europe » (1).
Le Luxembourgeois l’avait aussi exprimé mot pour mot dans chacune des lettres de mission remises aux deux principaux commissaires européennes concernés de l’époque, Andrus Ansip et Günther Oettinger (2). Ce projet de Digital Single Market (DSM) avait été conçu un an auparavant – sous la présidence de José Manuel Barroso – par la commissaire européenne qui était chargée de la Société de l’information et des Médias, Viviane Reding, avec son homologue à la Concurrence, Neelie Kroes, devenue par la suite vice-présidente, en charge de la Société numérique. Le 19 mai 2010, l’exécutif européen publiait son plan d’action quinquennal (2010-2015) pour une « stratégie numérique », dont les deux premières mesures consistaient à créer un « marché unique numérique » et à réformer « le droit d’auteur et les droits voisins » (3). Ce programme s’inscrivait dans le cadre la stratégie « Europe 2020 » (4) lancée en mars 2010 en remplacement de celle de Lisbonne. Les mondes de la culture et de leurs ayants-droits – particulièrement en France – se sont arc-boutés sur leur « exception culturelle ».
Finalement, en 2020, nous y sommes : outre la fin des frais d’itinérance de roaming mobile en 2017, l’Europe s’est dotée : en 2019 d’une directive sur le droit d’auteur « dans le marché unique numérique » (5), en 2018 d’une directive sur les « services de médias audiovisuel » (SMAd), en 2018 aussi d’un règlement mettant fin au géo-blocage (hors audiovisuel), en 2017 d’un règlement sur « la portabilité transfrontalière des services de contenu en ligne » (audiovisuel compris), sans oublier le RGPD (6) applicable depuis deux ans maintenant. Prochaine étape sensible : le DSA, Digital Services Act (7). @

Brainstorming politique et législatif sur les multiples enjeux de l’intelligence artificielle

Il ne se passe pas un mois sans que l’intelligence artificielle (IA) ne fasse l’objet d’un rapport, d’un livre blanc, ou d’une déclaration politique. Il en va pour les uns de la « souveraineté », pour les autres de droit de propriété intellectuelle, ou encore de révolution numérique, c’est selon. Et après ?

La Commission européenne a publié le 19 février – dans le cadre de la présentation de sa stratégie numérique (1) – son livre blanc intitulé « Intelligence artificielle. Une approche européenne axée sur l’excellence et la confiance » (2), soumis à consultation publique jusqu’au 19 mai (3). En France, le 7 février, c’était le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) qui publiait son rapport sur l’IA et la culture au regard du droit d’auteur (4). En octobre 2019, l’OCDE (5) présentait son rapport « L’intelligence artificielle dans la société » (6). Le gouvernement français, lui, présentait à l’été 2019 sa stratégie économique d’IA (7), dans le prolongement du rapport Villani de 2018.

Contrôler les « systèmes d’IA à haut risque »
Quels que soient les initiatives et travaux autour de l’intelligence artificielle, les regards se tournent vers le niveau européen lorsque ce n’est pas à l’échelon international. Appréhender l’IA d’un point de vue politique et/ou réglementaire nécessite en effet une approche transfrontalière, tant les enjeux dépassent largement les préoccupations des pays pris isolément. Ainsi, la Commission européenne et l’OCDE se sont chacune emparées du sujet pour tenter d’apporter des réponses et un cadre susceptible de s’appliquer à un ensemble de plusieurs pays. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen (photo), s’était engagé à ouvrir dans les 100 premiers jours de son mandat le débat sur « l’intelligence artificielle humaine et éthique » et sur l’utilisation des méga données (Big Data). Le livre blanc sur l’IA, un document d’une trentaine de pages, expose ses propositions pour promouvoir le développement de l’intelligence artificielle en Europe tout en garantissant le respect des droits fondamentaux. Cette initiative avait été enclenchée il y a près de deux ans par l’ancienne Commission « Juncker » et sa stratégie européenne pour l’IA (8) présentée en avril 2018. Concrètement, il s’agit maintenant pour la Commission « Leyen » de limiter au maximum les risques potentiels que l’IA peut induire, tels que « l’opacité de la prise de décisions, la discrimination fondée sur le sexe ou sur d’autres motifs, l’intrusion dans nos vies privées ou encore l’utilisation à des fins criminelles » (dixit le livre blanc). « Par exemple, des biais dans des algorithmes ou des données de formation utilisés dans des systèmes de recrutement reposant sur l’IA pourraient conduire à des résultats qui seraient injustes et discriminatoires et, partant, illégaux en vertu de la législation de l’UE en matière de non-discrimination ». La Commission européenne compte mettre en place « un écosystème d’excellence » en rationalisant la recherche, en encourageant la collaboration entre les Vingt-sept, et en accroissant les investissements dans le développement et le déploiement de l’IA. Cet écosystème « IA » devra être basé sur la confiance. Aussi, la Commission européenne envisage la création d’un « cadre juridique » qui tienne compte des risques pour les droits fondamentaux et la sécurité. La précédente Commission « Juncker » avait déjà balisé le terrain avec un groupe d’experts de haut niveau – 52 au total (9) – dédié à l’intelligence artificielle, dont les travaux ont abouti à des lignes directrices en matière d’éthique « pour une IA digne de confiance » (10) que des entreprises ont mises à l’essai à la fin de 2019 dans le cadre du forum European AI Alliance constitué à cet effet par 500 membres (11).
Mais la Commission européenne ne veut pas effrayer les entreprises sur un cadre règlementaire trop stricte au regard de cette technologie émergente. « Un cadre juridique devrait reposer sur des principes et porter avant tout sur les systèmes d’IA à haut risque afin d’éviter une charge inutile pour les entreprises qui veulent innover. (…) Les systèmes d’IA à haut risque doivent être certifiés, testés et contrôlés, au même titre que les voitures, les cosmétiques et les jouets. (…) Pour les autres systèmes d’IA, la Commission propose un système de label non obligatoire lorsque les normes définies sont respectées. Les systèmes et algorithmes d’IA pourront tous accéder au marché européen, pour autant qu’ils respectent les règles de l’UE », a prévenu la Commission européenne. Encore faut-il que savoir comment caractériser une application d’IA « à haut risque ».

Une approche internationale nécessaire
Selon le livre blanc, c’est le cas si cette dernière cumule deux critères : l’application d’IA est employée dans un secteur où, compte tenu des caractéristiques des activités normalement menées, des risques importants sont à prévoir (santé, transports, énergie, certains services publics, …) ; l’application d’IA est de surcroît utilisée de façon telle que des risques importants sont susceptibles d’apparaître (risque de blessure, de décès ou de dommage matériel ou immatériel, …). L’Europe entend jouer « un rôle moteur, au niveau mondial, dans la constitution d’alliances autour de valeurs partagées et dans la promotion d’une utilisation éthique de l’IA ». Il faut dire que la Commission européenne n’est pas la seule – loin de là – à avancer sur le terrain encore vierge de l’IA.

5 principes éthiques édictés par l’OCDE
L’OCDE, dont sont membres 37 pays répartis dans le monde (des pays riches pour la plupart), s’est aussi emparée de la question de l’IA en élaborant des principes éthiques. Cette organisation économique a elle aussi constitué son groupe d’experts sur l’intelligence artificielle (AIGO), qui, le 22 mai 2019, a amené l’OCDE à adopter des principes sur l’IA, sous la forme d’une recommandation (12) considérée comme « le premier ensemble de normes internationales convenu par les pays pour favoriser une approche responsable au service d’une IA digne de confiance ». Après en avoir donné une définition précise (voir encadré ci-dessous), l’OCDE recommande à ses Etats membres de promouvoir et de mettre en œuvre cinq grands principes pour « une IA digne de confiance », à savoir :
• 1. Croissance inclusive, développement durable et bienêtre (renforcement des capacités humaines et de la créativité humaine, inclusion des populations sous-représentées, réduction des inégalités économiques, sociales, entre les sexes et autres, et protection des milieux naturels, favorisant ainsi la croissance inclusive, le développement durable et le bien-être).
• 2. Valeurs centrées sur l’humain et équité (liberté, dignité, autonomie, protection de la vie privée et des données, non-discrimination, égalité, diversité, équité, justice sociale, droits des travailleurs, attribution de la capacité de décision finale à l’homme).
• 3. Transparence et explicabilité (transparence et divulgation des informations liées aux systèmes d’IA, favoriser une compréhension générale des systèmes d’IA, informer les parties prenantes de leurs interactions avec les systèmes d’IA, permettre aux personnes subissant les effets néfastes d’un système d’IA de contester les résultats sur la base d’informations claires et facilement compréhensibles).
• 4. Robustesse, sûreté et sécurité (veiller à la traçabilité, notamment pour ce qui est des ensembles de données, des processus et des décisions prises au cours du cycle de vie des systèmes d’IA, approche systématique de la gestion du risque, notamment ceux liés au respect de la vie privée, à la sécurité numérique, à la sûreté et aux biais).
• 5. Responsabilité (du bon fonctionnement des systèmes d’IA et du respect de ces principes).
Le G20 a ensuite approuvé ces principes dans sa déclaration ministérielle des 8-9 juin 2019 sur le commerce et l’économie numériques (13), en présence également du Chili, de l’Egypte, de l’Estonie, des Pays-Bas, du Nigéria, du Sénégal, de Singapour, de l’Espagne et du Viet Nam. « Afin de favoriser la confiance du public dans les technologies de l’IA et de réaliser pleinement leur potentiel, nous nous engageons à adopter une approche de l’IA axée sur l’être humain, guidée par les principes de l’IA du G20 tirés de la recommandation de l’OCDE sur l’IA, qui sont annexés et qui ne sont pas contraignants », ont déclarés les ministres de l’économie numérique et/ou du commerce des pays signataires.
D’autres organisations multilatérales mènent aussi des réflexions sur l’intelligence artificielle, telles que le Conseil de l’Europe, l’Unesco (14), l’OMC (15) et l’UIT (16). Au sein de l’ONU, l’UE participe au suivi du rapport du groupe de haut niveau sur la coopération numérique, et notamment de sa recommandation sur l’IA. Le 21 novembre dernier, l’Unesco a été mandatée à l’unanimité par ses 193 Etats membres pour élaborer avec l’aide d’experts des normes éthiques en matière d’IA. « Parce que l’intelligence artificielle dépasse le registre de l’innovation, c’est une rupture, une rupture anthropologique majeure qui nous place devant des choix éthiques », a lancé sa directrice générale, la Française Audrey Azoulay, lors de la 40e Conférence générale de cette agence de l’ONU.
En France, le CSPLA s’est penché sur l’IA au regard du droit d’auteur. Dans leur rapport publié en février, les deux professeures – Alexandra Bensamoun et Joëlle Farchy – suggèrent « la création d’un droit spécial du droit d’auteur (pour manifester la parenté évidente de ces créations avec les œuvres classiques), assis sur les critères classiques dans une lecture renouvelée ». Il s’agit d’un choix politique, comme ce fut le cas pour le logiciel. Une autre option avancée par les auteures serait de créer un droit spécifique, en droit d’auteur et à la lisière d’un droit voisin, en s’inspirant du régime de l’œuvre posthume.

Quel droit pour l’œuvre créée par une IA ?
Le droit privatif sur les productions créatives d’une IA pourrait ensuite consister en un droit sui generis, sur le modèle du droit accordé au producteur de bases de données, avec un objectif affiché, celui de soutenir et de protéger l’investissement. « La publication de notre rapport sur l’IA permet de contribuer utilement à la réflexion européenne et internationale sur ce sujet. Il sera d’ailleurs traduit prochainement en anglais dans ce but », indique à Edition Multimédi@ Olivier Japiot, président du CSPLA. @

Charles de Laubier

ZOOM

La définition de l’IA, par l’OCDE
« Un système d’intelligence artificielle (ou système d’IA) est un système automatisé qui, pour un ensemble donné d’objectifs définis par l’homme, est en mesure d’établir des prévisions, de formuler des recommandations, ou de prendre des décisions influant sur des environnements réels ou virtuels. Les systèmes d’IA sont conçus pour fonctionner à des degrés d’autonomie divers ». @

Et combien coûtera la stratégie digitale de l’Europe ?

En fait. Le 19 février, la Commission européenne a présenté sa stratégie numérique pour les cinq prochaines années en matière de données, d’une part, et d’intelligence artificielle, d’autre part. Deux enquêtes sont menées en ligne, jusqu’au 19 mai pour le livre blanc sur l’IA. Mais le financement reste à préciser.

En clair. Le projet de budget 2021-2027 de l’Union européenne, post-Brexit, a déjà été drastiquement revu à la baisse sous la dernière présidence de la Finlande (1). Bien que la nouvelle Commission « Leyen » soit placée sous le signe d’« une Europe préparée à l’ère numérique », sous la houlette de la vice-présidente Margrethe Vestager, l’heure n’est pas trop aux stratégies dispendieuses. En présentant ses « idées et mesures » en matière de données et d’intelligence artificielle, l’exécutif européen n’a pas précisé comment serait financier ses ambitions digitales dans ces domaines. Il est cependant indiqué, en marge de sa communication du 19 février, que « les investissements nécessaires seront possibles grâce à des fonds transférés du Programme pour une Europe numérique [Digital Europe Programme (2)], du Mécanisme pour l’interconnexion en Europe [Connecting Europe Facility (3)] et d’Horizon Europe (4) ». Sans pour autant chiffrer le montant global issu de ces trois véhicules budgétaires pour financer sa stratégie numérique, la Commission européenne indique qu’elle a proposé d’investir, dans le cadre du Digital Europe Programme, « près de 2,5 milliards d’euros dans le déploiement de plateformes de données et d’applications de l’IA ». En ce qui concerne le programme de recherche et développement Horizon Europe, la Commission « Juncker » – avant l’actuelle Commission « Leyen » – avait proposé un investissement ambitieux de 100 milliards d’euros tous secteurs d’activités confondus, dont « 15 milliards d’euros dans le pôle “Numérique, industrie et espace”, au sein duquel l’IA constituerait un secteur clé à soutenir ».
Dans le livre blanc sur l’IA (5), il est mentionné qu’« au cours des trois dernières années, le financement de l’UE en faveur de la recherche et de l’innovation dans le domaine de l’IA a atteint 1,5 milliard d’euros ». En revanche, aucun montant n’est avancé pour le véhicule budgétaire Connecting Europe Facility (CEF2). Mais dans un document informel (non-paper), la Commission européenne évoque une somme de 3 milliards d’euros sur trois ans (2021-2023) « pour le volet consacré aux infrastructures stratégiques de connectivité numérique », au sein de l’Union européenne, dont jusqu’à 75 % en soutien du déploiement d’infrastructures 5G et jusqu’à 25 % pour les investissements dans des infrastructures de données transfrontalières. @

Adobe fête ses 35 ans en pleine forme grâce à ses acquisitions et à la croissance de ses abonnements

L’éditeur de logiciels de création, cofondée il y a 35 ans par Charles Geschke et John Warnock, a basculé avec succès dans le cloud pour y vendre par abonnements ses célèbres logiciels – Photoshop, Acrobat, Illustrator, … Son PDG, Shantanu Narayen, dispose d’une trésorerie confortable pour d’éventuelles nouvelles acquisitions.

Charles Geschke vient d’avoir 78 ans, le 11 septembre dernier. C’est le cofondateur avec John Warnock du numéro un des logiciels graphiques Adobe Systems – il y aura 35 ans en décembre de cette année. Photoshop, Acrobat, Illustrator, InDesign, Dreamweaver, Flash, …, mais aussi le langage PostScript : tous ces outils de création sont reconnus et utilisés mondialement dans la création,
le développement, les médias, le marketing, la communication et l’audiovisuel. Bien qu’il n’ait plus de fonctions opérationnelles dans le groupe depuis son départ à la retraite en 2000, Charles Geschke en a été néanmoins président du conseil d’administration jusqu’en janvier dernier.
Depuis le début de l’année, Shantanu Narayen (photo) lui a succédé tout en conservant ses fonctions de directeur général d’Adobe qu’il assume depuis décembre 2007. Cet Indien de 54 ans, né à Hyderabad, fêtera l’an prochain ses 20 ans chez Adobe Systems.

Au total, selon les calculs de Edition Multimédi@, Adobe investi en moins de dix ans quelque 4 milliards de dollars dans sa croissance externe (Omniture, Day Software, Demdex, Auditude, Efficient Frontier, Neolane, Fotolia
et TubeMogul).

Abonnements dans le cloud : 80 % du chiffre d’affaires
Il est à la tête d’une icône de la Silicon Valley (à San José), ni start-up mais multinationale ni licorne mais cotée en Bourse, qui prévoit de dépasser cette année les 7 milliards de dollars de chiffre d’affaires – à 7,24 milliards, selon le consensus d’analystes financiers – grâce à une croissance attendue de 23 % sur un an. Adobe Systems, dont le siège administratif est depuis dix ans situé dans le petit paradis fiscal américain qu’est l’Etat du Delaware, devrait aussi accroître sa rentabilité par rapport au résultat net affiché en 2016 et en hausse de plus de 85 % à 1,1 milliard de dollars.
Pour une entreprise du logiciel qui a survécu à 35 ans de grandes révolutions, aussi bien des technologies que des écosystèmes (d’Internet au cloud), c’est une belle performance. Adobe affiche – au 29 septembre 2017 – une capitalisation boursière
de 72,3 milliards de dollars au Nasdaq à New York, avec une action passée d’environ 30 dollars il y a cinq ans à près de 150 dollars aujourd’hui. En un an, le titre a bondi de 40 %. Ayant pris à temps le tournant de la dématérialisation des logiciels, Adobe est passé avec succès de la vente packagée en magasins à la vente d’abonnements en ligne grâce au mode Software-as-a-Service (SaaS) et maintenant le cloud computing. Depuis janvier dernier, la fameuse Creative Suite – incluant Photoshop, Acrobat, InDesign, Illustrator, Premiere Pro ou encore Typekit – n’est plus commercialisée.
La version 6, disponible depuis cinq ans, a été la dernière à être vendue en boîte.

Abonnements en cloud : 80 % des revenus
Cette année marque donc pour Adobe le basculement complet de son modèle économique dans le nuage informatique. Avec Creative Cloud, ses applications mises
à jour sans surcoûts sont désormais disponibles « exclusivement » via un abonnement (de 23,99 à 66,99 euros par mois) qui comprend aussi des services de tutoriels, des modèles intégrés ou encore – via Adobe Stock et Fotolia – 60 millions d’images, d’illustrations vectorielles, de vidéos et d’éléments en 3D – tous libres de droits. Adobe Sensei marque aussi l’offensive de la firme de San José dans la création complexe à partir d’intelligence artificielle (IA), de marchine learning et de deep learning. Adobe table ainsi sur ses revenus annuels récurrents – ou ARR pour « Annualized Recurring Revenue » – afin de pérenniser sa rentabilité. Les abonnements dépassent pour la première fois cette année les 80 % du chiffre d’affaires annuel (contre 78 % en 2016, par rapport aux 50 % de 2014) et le secteur des médias numériques y contribuent à plus des deux-tiers (plus de 3,3 milliards de dollars en 2016). A la fois présent dans
les médias numériques et le marketing digital, le groupe dirigé par Shantanu Narayen s’adresse à une vaste clientèle, ce qui en fait sa force : créateurs, graphistes, web designers, photographes, cinéastes, développeurs d’applications, professionnels des médias, éditeurs, agences de communication, mais aussi responsables marketing, publicitaires ou encore annonceurs. Adobe est du coup devenu un acteur majeur du
Big Data, avec plus de 90 trillions de transferts de données par an revendiqués.

Mais l’éditeurs des créateurs entend aussi séduire plus que jamais le grand public, comme l’a expliqué le PDG Shantanu Narayen le 19 septembre dernier, lors de la présentation de ses résultats financiers « record » pour le troisième trimestre : « Nous sommes en train de nous étendre dans l’espace créatif bien au-delà de notre base loyale de professionnels. Que cela soit pour “designer” un blog personnel ou pour produire un film court, les capacités de Creative Cloud se développent pour s’adresser aux besoins des jeunes d’aujourd’hui, des experts en médias sociaux et des créatifs enthousiastes, tout en repoussant plus loin les frontières technologiques pour nos pros créatifs les plus exigeants ». Ayant rencontré ses premiers succès sur les ordinateurs de bureau des graphistes professionnels, Adoba a su élargir sa base de clientèle au grand public, doté de tablettes et smartphones. Par exemple, Photoshop se décline en plusieurs applications mobiles telles que Photoshop Sketch, Photoshop Mix, Photoshop Lightroom ou encore Photoshop Fix. Mais c’est dans la création vidéo qu’Adobe voit la demande exploser avec pour les professionnels Premiere Pro, mais aussi Premiere Clip pour « créer des films à la volée à partir d’un smartphone » ou Adobe Spark pour
« créer des publications et graphismes pour les réseaux sociaux, des récits web et des vidéos animées », sans oublier des outils de réalité virtuelle et le 360 degrés renforcés par l’acquisition en juin dernier de la technologie Skybox intégrée dans Premiere Pro
et After Effects. La prochaine conférence annuelle Adobe Max, du 18 au 20 octobre prochains, révèlera son lot de nouvelles versions et applications. Elle devrait aussi sonner le glas du logiciel Flash Player qu’Adobe arrêtera définitivement en 2020 : l’annonce de la fin de ce lecture de vidéo – de moins en moins utilisés sur les navigateurs web – a été faite fin juillet. La croissance de Document Cloud, le pendant de Creative Cloud, permet à Adobe de capitaliser sur son célèbre logiciel Acrobat, devenu standard international dans la création et la lecture de documents, et sur son format PDF créé il y a maintenant 25 ans. Avec Adobe Scan, le PDF s’est aussi démocratisé sur les mobiles. Pour les entreprises, Adobe Sign permet la signature électronique de documents.
Dans le marketing digital, cette fois, où l’on retrouve des outils de communication,
de publicité et de mesure d’audience, la concurrence est plus rude puisqu’Adobe se retrouve face à aussi bien IBM, Oracle ou Salesforce ou SAP que Google ou Yahoo. Mais ses acquisitions successives ces dernières années lui permettent de réaliser 30 % de son chiffre d’affaires dans cette activité. Sa plus grosse acquisition fut celle en 2009 d’Omniture, société spécialisée dans les logiciels de mesures d’audience publicitaire sur Internet, pour 1,8 milliard de dollars. Elle fut suivie pas plusieurs achats de moindre ampleur entre 2010 et 2012 (Day Software, Demdex, Auditude et Efficient Frontier). En 2013, Adobe s’est emparé pour 600 millions de dollars de la société française Neolane spécialisée dans le marketing digital. Puis, après avoir racheté en 2015 Fotolia pour 800 millions de dollars, Adobe a jeté son dévolu l’an dernier sur TubeMogul, un éditeur de logiciel de publicité programmatique, en déboursant 549 millions de dollars.

1,7 Mds $ de cash : nouvelles acquisitions ?
Au total, selon les calculs de Edition Multimédi@, Adobe a investi en moins de dix ans quelque 4 milliards de dollars dans sa croissance externe. Et sa marge de manœuvre reste aujourd’hui intacte ; sa trésorerie a même grossi ces derniers mois en passant
de 1 milliard de dollars fin 2016 à 1,7milliard de dollars de cash disponible au 1er septembre dernier. @

Charles de Laubier

La stratégie de Vivendi reste dans le flou artistique

En fait. Le 25 avril, lors de l’assemblée générale de Vivendi à L’Olympia, les actionnaires ont voté à 82 % des suffrages exprimés pour la reconduction pour quatre ans de Vincent Bolloré comme administrateur du conseil de surveillance du groupe qu’il préside depuis 2014. Mais pour quelle stratégie ?

En clair. La stratégie du conglomérat français Vivendi n’est finalement pas plus claire depuis que Vincent Bolloré (photo de gauche) a succédé, il y a près de trois ans, à Jean-René Fourtou à la présidence de son conseil de surveillance. Pourtant, l’homme d’affaire breton, devenu actionnaire de référence de Vivendi (20,6 % du capital et 29 % des droits de vote), a été renouvelé comme administrateur pour une durée de quatre années. Certes, le groupe coté du bas de la liste du CAC 40 s’est bien délesté de ses activités télécoms (SFR, Maroc Telecom et GVT) avec l’ambition de devenir « un groupe mondial, champion français des médias et des contenus ». Mais sa stratégie reste encore floue (1) en termes de développements en Europe (participations dans Telecom Italia, Mediaset, Telefonica) et d’acquisitions réalisées (Gameloft, Dailymotion, …) ou futures (Ubisoft, Havas, …).

Vincent et Yannick Bolloré : « rapprochement à terme » Vivendi-Havas
Il y a un an, Vincent Bolloré avait par exemple annoncé « un partenariat stratégique et industriel » avec l’italien Mediaset (groupe Berlusconi) – dont Vivendi détient 28,8 % du capital – en vue de lancer notamment une plateforme de SVOD en Europe, un « Netflix latin » pour concurrencer le numéro un mondial américain. Mais Vivendi et Mediaset sont aujourd’hui en conflit ouvert.
De plus, reconduit par 82 % des actionnaires, le milliardaire et dixième fortune de France (patrimoine de 7,3 milliards d’euros en 2016, selon Challenges) renforce son emprise familiale sur Vivendi où son fils Yannick Bolloré (photo de droite) a été – après « cooptation » l’an dernier – élu à 71 % membre du même conseil de surveillance. Et voilà qu’il est question d’un « rapprochement à terme » avec le groupe publicitaire Havas, dont le fils Bolloré est PDG depuis 2013. Havas est contrôlé par le groupe Bolloré (2) et des passerelles existent déjà : le président de Vivendi Content et de Studio+, Dominique Delport, Continuer la lecture