Les critiques des majors de la musique envers YouTube semblent hypocrites sur les recettes du streaming vidéo

YouTube (Google) et dans une moindre mesure Dailymotion (Vivendi) représentent 60 % à 70 % de l’écoute de la musique en ligne en France, alors que ces plateformes vidéo pèsent à peine 10 % des revenus du streaming musical en 2016. Pour les producteurs, majors en tête, c’est le statut d’hébergeur qui est en cause. Vraiment ?

Par Charles de Laubier

« Le streaming audio génère dix fois plus de revenus pour les producteurs que le streaming vidéo avec deux fois moins d’utilisateurs. Et l’abonnement génère à lui seul près de dix fois plus de revenus pour les producteurs que le streaming vidéo », déplore encore cette année Guillaume Leblanc (photo), directeur général du Syndicat national de l’édition phonographique (Snep), lequel défend les intérêts d’une cinquantaine de membres dont les majors de la musique – Universal Music de Vivendi, Warner Music d’Access Industries et Sony Music Entertainment.
Dans l’auditoire lors de la présentation des chiffres du Snep le 28 février dernier, Denis Thébaud, PDG de Xandrie, propriétaire de la plateforme musicale Qobuz depuis fin 2015, a interpellé les membres du Snep au sujet de YouTube. «Est-ce qu’il n’y a pas une certaine hypocrisie à vendre de la musique que l’on peut avoir gratuitement à côté ? En fait, nous serions les faire-valoir de YouTube ! ».

Liaisons ambiguës entre les majors et le géant du Net
Les majors et d’autres producteurs de musique profitent de l’audience massive de la filiale vidéo de Google pour mettre en ligne des vidéo clip disponibles gratuitement, afin de faire la promotion de leurs artistes et albums, et de donner envie aux Youtubers d’aller ensuite sur Spotify, Deezer ou encore Qobuz pour découvrir l’ensemble des titres. Si les producteurs ne les postent pas eux-mêmes sur la plateforme de partage vidéo ou s’ils se limitent à des courts-métrages ou trailers (bandes-annonces), les utilisateurs se chargeront d’ailleurs de leur côté de mettre les titres en entier.
Résultat : YouTube est un véritable jukebox géant et gratuit, qui a passé un accord mondial en 2013 avec la Sacem(1) – laquelle gère aussi les droits d’Universal Music pour YouTube –, ainsi que depuis 2010 avec la SACD(2), la Scam(3) et l’Adagp(4). De quoi s’interroger sur les liaisons ambiguës entre les majors et le géant du Net : « S’il y a distorsion entre les revenus des hébergeurs [de type YouTube, ndlr] et le revenu des plateformes [comme Spotify, ndlr], dans un rapport de un à dix, pourquoi vous n’arrivez pas vous (producteurs et éditeurs de musique enregistrées) à imposer aux hébergeurs le prix de vos vidéos musicales ? Où est la difficulté ? Est-elle commerciale ou technique ? Car je ne comprends pas. Ne pourriez-vous pas interdire dans ces conditions que ces vidéos soient sur YouTube ou Dailymotion ? », leur a demandé le patron de Qobuz.

« Un abcès à crever » (Denis Thébaud)
En 2016, les chiffres du Snep montrent en effet que les 29 millions de Français ayant vu des clips vidéo – en grande partie sur YouTube, mais aussi sur Dailymotion ou d’autres plateformes vidéo – n’ont généré que 9 % des revenus globaux du streaming de musique en ligne, soit seulement 12 millions d’euros de chiffre d’affaires l’an dernier. Alors que les 13 millions – soit deux fois moins – d’utilisateurs de sites de streaming musical de type Spotify ou Deezer ont générés 91 % des revenus globaux du streaming de musique en ligne, soit 132 millions d’euros. Autrement dit, il y a deux fois plus de streamers vidéo mais dix fois moins revenus généré par les streamers audio. Parmi eux, les 3,9 millions d’abonnés à un site de streaming musical pèsent à eux seuls 82 % des revenus globaux du streaming de musique en ligne, soit 117 millions d’euros(voir le haut du graphique cidessous). Les abonnés à un service de streaming rapportent donc près de dix fois plus que l’ensemble des Youtubers qui vont sur ces plateformes pour écouter de la musique. Denis Thébaud estime qu’il y a là « un abcès à crever », d’autant que les internautes vont sur YouTube parce que la musique y est gratuite et qu’ils peuvent utiliser des logiciels de stream ripping de capture de flux audio ou vidéo (5) comme Youtubemp3, pour constituer leur propre bibliothèque de contenus.

Mais c’est sur le terrain du statut de YouTube que le président du Snep, Stéphane Le Tavernier, par ailleurs directeur général de Sony Music France, a répondu à Denis Thébaud : « Jusqu’à maintenant, ils [YouTube ou Dailymotion, ndlr] se positionnent derrière leur statut d’hébergeur qui les protège pour l’instant d’être considérés comme des plateformes de streaming avec lesquelles on va négocier comme avec d’autres [éditeurs comme Spotify]. C’est ce sur quoi l’on bute et qu’il faut d’abord régler avant
de pouvoir négocier différemment des revenus qui pourraient être générés ». Le Snep conteste le statut d’hébergeur de la filiale vidéo de Google qu’il considère comme un éditeur au même titre que Spotify ou Qobuz avec lesquels sont négociées des licences, alors que le statut d’hébergeur dispense YouTube d’être responsable des contenus mis sur sa plateforme. Pour supprimer une musique postée, il faut en faire la demande chaque fois qu’elle y est mise. « Il ne s’agit pas d’interdire sur YouTube – il est interdit d’interdire – mais de remettre en question son statut d’hébergeur », insiste Stéphane Le Tavernier. Le manque à gagner que dénonce le Snep sur le streaming vidéo, en raison d’un « transfert de valeur » des ayants droits de la filière musicale vers les plateformes, ne daterait pas d’hier : « L’évolution des courbes entre streaming audio et streaming vidéo l’atteste puisque l’écart ne cesse de grandir depuis 2013 entre les revenus du premier et ceux du second, avec une relative stagnation des revenus du streaming audio sur les deux dernières années » (voir le bas du graphique ci-contre).


La progression des revenus du streaming audio est cinq fois supérieure à celle des revenus du streaming vidéo. « Il est donc impératif à nos yeux de remettre de l’équité dans cet écosystème et nous comptons beaucoup sur la réforme de la directive européenne sur le droit d’auteur en discussion au Parlement européen. Nous appelons donc le prochain gouvernement à continuer à défendre dans toutes les instances européennes la nécessaire clarification du statut de l’hébergeur au niveau européen », déclare le directeur général du Snep. « Ces plateformes sont d’abord des plateformes de vidéo mais aussi utilisées pour des consommations audio. Entre 60 % et 70 % de l’écoute audio se fait via ces plateformes, alors qu’elles représentent à peine 10 % des revenus », déplore Olivier Nusse, directeur général de Universal Music France. « Il ne s’agit pas de baisser la rémunération des plateformes de streaming audio, mais plutôt d’augmenter les rémunérations audio ou vidéo », précise Thierry Chassagne, président de la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP) et président de Warner Music France. Et d’ajouter : « Sur la questions de l’hypocrisie, j’espère que vous ne parlez pas de nous. Car avec toutes les démarches que l’ensemble de la communauté artistique fait auprès de Bruxelles depuis des moins pour dénoncer ce statut d’hébergeur, on ne peut pas dire que nous avons la langue de bois. Nous sommes les premiers pénalisés ». @

Charles de Laubier

Musique : les producteurs décidés à aller jusqu’au bout en justice contre la licence légale des webradios

Les producteurs de musique – Universal, Sony et Warner en tête – estiment avoir « un dossier très très solide » pour annuler l’extension de la licence légale aux webradios. Leurs sociétés de gestion collective (SCPP et SPPF) sont prêtes à aller jusqu’à la question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

La Société civile des producteurs phonographiques (SCPP) et
la Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF) sont prêtes à aller jusqu’au bout devant la justice contre l’extension de la licence légale aux webradios, quitte à poser – via le Conseil d’Etat ou le Conseil constitutionnel – une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). C’est ce qu’a affirmé Marc Guez (photo), directeur général de la SCPP, en marge de son assemblée générale le 29 juin dernier au Pavillon Royal.

« Un dossier très très solide » (SCPP)
« On a un dossier très très solide. On pense pouvoir obtenir une QPC. Et si on l’obtient, elle sera positive. Nous sommes confiants. Mais comme toute action de justice, l’issue n’est jamais certaine », a-t-il ajouté. La SCPP représente près de 2.400 producteurs de musique, dont les « Big Three » : Universal Music (Vivendi), Sony Music et Warner Music (Access Industries). La SPPF, elle, compte plus de 1.540 producteurs indépendants membres. Les deux organisation existent depuis une trentaine d’année, nées avec la loi du 3 juillet 1985 sur les droits d’auteur, dite loi « Lang », qui a reconnu en France le droit exclusif – dit droit « voisin » du droit d’auteur – des producteurs de musique. Cette loi Lang a aussi instauré la licence légale que paient depuis les radios hertziennes – moyennant une redevance de 4% à 7% de leur chiffre d’affaires (1) – pour avoir le droit de diffuser, gratuitement pour les auditeurs, de la musique. C’est cette licence légale – considérée par Marc Guez comme « une anomalie » (2) – que la loi « Création », adoptée définitivement le 29 juin dernier, étend aux webradios qui le demandaient depuis longtemps (3) – notamment par l’intermédiaire du Syndicat des éditeurs de services de musique en ligne (ESML), partenaire du Geste (4) où Xavier Filliol – co-président de la commission Audio digital – milite de longue date pour les webradios « dans un paysage FM saturé par manque de fréquences disponibles ».
Les éditeurs de webradios s’estimaient discriminés et n’avait de cesse de demander
à bénéficier du même régime que les radios de la bande FM. Et à l’instar du rapport Zelnik de janvier 2010 (5), le rapport Lescure de mai 2013 avait recommandé l’extension du régime de la rémunération équitable aux webradios au nom du principe de neutralité technologique. Pour celui qui était président de la SCPP jusqu’en avril dernier, Pascal Nègre, ex-président d’Universal Music France, « l’argument de la neutralité technologique entre radios hertziennes et webradios ne tient pas car dans
le premier cas (FM) les programmes sont limités et dans le second (Internet) ils sont multiples ». Finalement, malgré le lobbying parlementaire intense de la SCPP et de la SPPF, l’amendement prévoyant l’extension de la licence légale au webcasting avait bien été adopté. Bien que la SCPP ait obtenu au Sénat en première lecture du projet de loi « Création » la suppression de l’amendement contesté, elle n’a toutefois pas réussi à éviter que l’Assemblée nationale ne réintroduise en deuxième lecture cet amendement « webcasting ». En septembre 2015, les deux sociétés de gestion collective, liées respectivement au Snep (syndicat des majors, entre autres producteurs de musique) et à l’UPFI (producteurs indépendants), avaient accusé le gouvernement d’être passé en force. Peine perdue : l’article 13 de la loi Création modifie le fameux article L. 214 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) dans lequel il est désormais ajouté que
« lorsqu’un [morceau de musique] a été publié à des fins de commerce, l’artiste-interprète et le producteur ne peuvent s’opposer public… à sa communication au public par un service de radio » et non plus seulement en radiodiffusion (hertzien) et par câble.
C’est une victoire pour les milliers de webradios, pour lesquelles la licence légale leur reviendra moins chère que les 12,5 % qu’elles versent jusqu’à maintenant à la SCPP et à la SPPF (gestion collective volontaire). Les producteurs de musique, au premier rang desquels les majors Universal Music, Sony Music et Warner Music – le président de la filiale française de cette dernière étant Thierry Chassagne, le nouveau président de la SCPP –, dénoncent « une expropriation du droit exclusif de la propriété intellectuelle, contraire à la Constitution de la République française en violation avec les traités internationaux signés par la France ».

Contraire au droit international ?
Il s’agit des traités de l’Ompi (6) et la Convention de Berne. « Si les pouvoirs publics ont bien renoncé à imposer une gestion collective obligatoire des exploitations en ligne ou une mesure équivalente, ils ont cru devoir proposer (…) d’étendre le champ de la licence légale (…) au webcasting, en contravention avec le droit constitutionnel, le droit européen et le droit international », s’insurge encore la SCPP. @

Charles de Laubier

Licence légale étendue aux webradios : bras de fer

En fait. Le 12 janvier, la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP) faisait un point en présence de son président Pascal Nègre (Universal Music).
A l’instar du Snep (majors de la musique) et de l’UPFI/SPPF (producteurs indépendants), elle fustige l’extension de la licence légale aux webradios.

En clair. Ce n’est pas gagné pour les milliers de webradios en France : les producteurs de musique – majors (Universal Music/EMI, Sony Music, Warner Music) et indépendants – sont vent debout contre l’extension de la licence légale aux webradios. A travers leurs organisations professionnelles (Snep/SCPP pour les majors et UPFI/SPPF pour les indépendants), ils accusent le gouvernement d’être passé en
force en faisant adopter le 29 septembre 2015 à l’Assemblée nationale un amendement prévoyant – à l’article 6 bis du projet de loi « Liberté de création » – d’appliquer aux radios sur Internet la même « rémunération équitable » que pour les radios de la
bande FM.

Cette licence légale permettrait aux webradios – si cette disposition était aussi adoptée au Sénat en février prochain, puis en seconde lecture – de diffuser de la musique contre le paiement d’une redevance de 4% à 7% de leur chiffre d’affaires (1). La licence légale leur reviendrait ainsi moins chère que les 12,5 % qu’elles versent aux sociétés de perception des droits des producteurs, SCPP et SPPF, dans le cadre d’une gestion collective volontaire où les ayants droits peuvent autoriser ou interdire (2). Le Syndicat des éditeurs de services de musique en ligne (ESML), partenaire du Groupement des éditeurs de contenus et de services en ligne (Geste), est au avant-poste de cette avancée en faveur du webcasting. Mais le lobbying déterminé des producteurs compte bien obtenir au Sénat la suppression de cette disposition, en dénonçant « une expropriation du droit exclusif de la propriété intellectuelle, contraire à la Constitution de la République française et aux traités internationaux signés par la France [traités OMPI, Convention de Berne, ndlr] ». En outre, pour Pascal Nègre, président de la SCPP (3),
« l’argument de la neutralité technologique entre radios hertziennes et webradios ne tient pas car dans le premier cas (FM) les programmes sont limités et dans le second (Internet) ils sont multiples ».
Cela fait près de quinze ans que les éditeurs de webradios, s’estimant discriminés, demandent à bénéficier du même régime que les radios hertziennes ! A l’instar du rapport Zelnik de janvier 2010, le rapport Lescure de mai 2013 avait recommandé l’extension du régime de la rémunération équitable aux webradios (4) au nom de ce principe de neutralité technologique. Il serait temps que le gouvernement arbitre… @

Après Allbrary et Qobuz, Xandrie veut s’enrichir d’autres sites en ligne dans la culture et le divertissement

Déjà opérateur de la bibliothèque digitale Allbrary et nouveau propriétaire de la plateforme de musique en ligne Qobuz, la société Xandrie prévoit d’autres acquisitions « de sites d’information ou de ventes de contenus » pour devenir « le spécialiste international de la culture et du divertissement digital ».

Par Charles de Laubier

Denis Thébaud« Xandrie souhaite adjoindre à son offre d’autres sites dans le domaine de la culture et du divertissement, que ce soit des sites d’information ou de ventes de contenus. Nous prévoyons de nouvelles acquisitions en 2016 et 2017 ; nous avons plusieurs cibles. Notre scope est large, pour autant qu’il serve la stratégie Xandrie de devenir le spécialiste international de la culture et du divertissement », indique Denis Thébaud (photo), PDG de Xandrie, dans un entretien à Edition Multimédi@.
Fondateur de cette société créée en 2012, dont il détient environ 80 % du capital (1), il est aussi PDG du groupe Innelec Multimédia (coté en Bourse) qu’il a créé il y a 32 ans pour la distribution physique de produits tels que jeux vidéo, DVD, logiciels, CD audio, consoles ou encore objets connectés (2). Denis Thébaud a aussi créé il y a 20 ans la société Focus Home Entertainment (aussi cotée en Bourse), le troisième éditeur français de jeux vidéo (3) dont il est actionnaire à plus de 50 %.

« 15 millions d’euros dans Qobuz d’ici 2020 »
En faisant l’acquisition fin décembre de Qobuz, la plateforme de musique en ligne de haute qualité sonore, Xandrie rajoute une corde à son arc – et prévoit d’autres acquisitions. « Notre premier projet est Allbrary qui, comme Qobuz, se veut être une verticale de Xandrie. Qobuz sera donc préservé au sein de notre groupe, avec son identité propre et ses équipes dédiées. Au-delà de la somme de reprise qui est raisonnable, nous allons consentir sur les cinq prochaines années des investissements pour développer cette pépite musicale qui a beaucoup d’avenir : 10 millions d’euros
en marketing et 5 millions en développement technique », nous précise-t-il (4).
Ainsi, d’ici à 2020, la société de Denis Thébaud injectera plus – soit un total de 15 millions d’euros – que les 13 millions d’euros levés par Qobuz auprès des fonds de capital-risque Innovacom et Sigma Gestion depuis sa création par Yves Riesel usqu’ici son PDG (5), et Alexandre Leforestier. Cette reprise de Qobuz par Xandrie fait suite à une décision du Tribunal de commerce de Paris qui, le 29 décembre dernier, a prononcé la reprise des actifs de la plateforme musicale par Xandrie, à l’exception
du passif.

Qobuz : la pépite française donne de la voix
Qobuz avait été placé en redressement judiciaire le 9 novembre, après une période
de plus d’un an d’observation durant laquelle aucun repreneur ne s’était manifesté, après que les actionnaires de la plateforme musicale aient refusé de renflouer la société. Le report de l’entrée en Bourse de Deezer, décidé en octobre, a sans doute rendu sceptiques les investisseurs sur le modèle économique des services d’écoute
en ligne. Denis Thébaud nous a confié qu’il a regardé le dossier durant ces douze derniers mois, sans prendre de contact avant le mois d’octobre, tandis qu’une autre société (Son Vidéo Distribution) présentait une offre de reprise concurrente. « Notre offre était la mieux disante, elle garantissait la reprise de quasiment tous les salariés. C’est un challenge important que nous nous sommes fixés et nous voulons attendre l’équilibre en quatre ans », ajoute Denis Thébaud.
Une quarantaine de personnes travaillent aujourd’hui pour Qobuz, dont les locaux sont basés à Paris dans le 19e arrondissement. Le chiffre d’affaires de la plateforme musicale pour l’année en cours devrait dépasser les 10 millions d’euros, contre 7,5 millions en 2015 (au lieu de 12,5 millions espérés initialement…) et 6,4 millions en 2014. Les derniers chiffres connus sur Qobuz faisaient état d’environ 21.500 abonnés et de plus de 100.000 utilisateurs actifs par mois. « La clientèle que nous visons en Europe, d’abord, apprécie la musique haute qualité car elle a de l’oreille et dispose souvent d’équipements Hifi très performants. C’est une clientèle qui apprécie le streaming, qualité CD [16-Bit/44,1 Khz, ndlr], mais télécharge aussi beaucoup pour posséder sa musique et l’utiliser à sa guise. Notre abonnement “Sublime” à 219,99 euros par an,
qui est “notre offre la plus chère”, est plébiscitée par ces amateurs car elle offre le streaming qualité CD, et aussi des prix préférentiels sur le téléchargement en qualité Hi-Res 24 Bits », explique le PDG de Xandrie. En mai dernier, Qobuz a revendiqué être le premier service de musique en ligne européen à être certifié « Hi-Res Audio », label de haute qualité sonore – Hi-Resolution Audio (HRA) – décerné par la prestigieuse Japan Audio Society, association nippone des fabricants de matériel audio. Au printemps dernier, Qobuz avait d’ailleurs protesté contre l’utilisation trompeuse par le service de musique Deezer du terme « Haute-Résolution » pour qualifier la qualité de son service « Elite ». La plateforme française a en outre noué des partenariats avec des fabricants de matériels Hifi et hightech tels que Sony, LG, HTC, Samsung, Sonos, Devialet, Linn, Lumin, Bluesound ou encore Google (Chromecast). « Au-delà de la musique, nos amateurs apprécient la qualité de la documentation, les livrets, la présentation des artistes et tous les partis pris du site pour faire découvrir en permanence des perles musicales, classique, jazz, rock, etc. », ajoute Denis Thébaud. Qobuz et ses 30 millions de titres musicaux, assortis de métadonnées enrichies, vont migrer sur le cloud d’Amazon (AWS), tandis que l’été prochain sera lancée une offre familiale (Qobuz Family) et une solution « voiture connectée » avec CarPlay d’Apple
et Android Auto de Google.
Au sein de Xandrie, Qobuz et Allbrary seront deux marques complémentaires. Au-delà des synergies possibles entre les deux, il y aura une « mutualisation des moyens et des équipes » dans les fonctions supports : administration, finance, juridique, relations avec les ayants droits, systèmes d’information, … Les deux verticales vont continuer à se développer en Europe (pays anglophones et germanophones) et à l’international (6). Qobuz est déjà ouvert dans neuf pays (7). Quant à la marque « Allbrary The Digital Library », elle a été déposée sur les Etats-Unis, le Canada, la Chine, le Japon, l’Inde
et l’Algérie. Allbrary, que Edition Multimédi@ avait révélé fin 2012 dans le cadre d’une interview exclusive avec Denis Thébaud (8), se veut la première bibliothèque digitale réunissant – dans sa version bêta – six univers différents : ebooks, films et séries, jeux vidéos, logiciels, création digitale et partitions musicales. Viendront ensuite la presse et la musique. Et c’est en toute discrétion qu’Allbrary a ouvert un service de vidéo à la demande (VOD), en version bêta là aussi (allbrary.fr/vod), destiné au marché français et permettant dans un premier temps de louer et de visionner des films et séries. Les vidéos sont en effet proposées en streaming et sous forme de location en ligne (sur
48 heures), le téléchargement définitif étant prévu dès cette année, en attendant l’abonnement SVOD. Selon nos informations, Xandrie a choisi l’agrégateur VOD Factory, lequel édite déjà les services vidéo de SFR, de Tevolution ou encore de
la Fnac.

Allbrary sortira de sa bêta mi-2016
La bibliothèque digitale sera accessible sur tous les écrans. « Allbrary est disponible sur Windows, Android et sera disponible sur iOS en mai prochain. Dans un mois environ [en février], nous aurons une nouvelle version bêta plus évoluée, et c’est vers mi-2016 que nous commencerons réellement notre développement commercial », nous a-t-il confié. Allbrary, qui dépasse les 80.000 références d’œuvres culturelles est accessible soit par le site web Allbrary.fr, soit par des applications pour smartphones et tablettes, et bientôt directement sur des terminaux et des téléviseurs connectés. @

Charles de Laubier

Pourquoi Deezer s’en remet à la Bourse de Paris pour faire le poids face à Spotify et Apple

Fondé en août 2007 par Daniel Marhely et Jonathan Benassaya, Deezer est devenu en huit ans une plateforme de streaming musical avec 6,3 millions d’abonnés, dont la moitié en France. La domination de Spotify et l’arrivée d’Apple Music poussent en Bourse l’entreprise française, non rentable mais cofinancée par le milliardaire russo-britannique Leonard Blavatnik.

Leonard BlabatnikLe premier actionnaire de Deezer n’est autre que le milliardaire russo-britannique Leonard Blavatnik (photo), la plus grosse fortune de Grande-Bretagne avec un patrimoine estimé à 18 milliards d’euros.
Né à Odessa en Ukraine et ressortissant des États-Unis, il détient à ce jour – via sa holding personnelle Access Industries – 26,9 % du capital dilué (36,7 % avant dilution) de la société française Odyssey Music Group qui s’est rebaptisée Deezer le 4 septembre dernier pour prendre le nom de sa célèbre plateforme musicale éditée jusqu’alors par sa filiale Blogmusik.
C’est dans cette dernière que les majors mondiales de la musique détenaient chacune des bons de souscription d’action (BSA) ou warrants, qui leur donnaient accès à des actions de son capital. En faisant jouer leur option dans la perspective de l’introduction en Bourse prévue à la fin de cette année, Universal Music, EMI (racheté fin 2011 par la précédente), Sony Music, Warner Music et détiennent à elles quatre plus de 20 % du capital dilué de Deezer, avec pour l’instant respectivement (1) : 5,88 %, 1,89 %, 3,79 % et 3,79 %.

Majors et Orange : risques de conflits d’intérêt
Les quatre majors qui ne font plus que trois constituent donc ensemble le deuxième actionnaire de future entreprise cotée, derrière l’investisseur Leonard Blavatnik, mais devant Orange et ses 10,6 % (14,5 % avant dilution). Les trois labels mondiaux représentent environ 13 % du catalogue musical de Deezer qui compte plus de 35 millions de titres au total, « mais approximativement 67 % des contenus streamés sur sa plateforme ».
Son offre est donc largement dépendante des musiques fournies sous licence par les trois majors, qui ont en plus un intérêt capitalistique direct à ce que cela rapporte. D’autant que Deezer, comme les autres plateformes musicales, doit leur payer à l’avance des « minimums garantis » (MG), lesquels peuvent s’avérer plus élevés que les revenus de la plateforme.
A noter que la holding du milliardaire et philanthrope d’origine soviétique, Access Industries, détient Warner Music depuis 2011 après avoir acquis la major américaine pour plus de 3milliards de dollars. Pour prévenir tout conflit d’intérêt, Guillaume d’Hauteville – vice-président d’Access Industries et directeur chez Deezer depuis 2012 – s’est engagé à ne pas obtenir les détails des accords commerciaux avec les autres majors.
De même, Pierre Louette – directeur général adjoint d’Orange et directeur chez Deezer depuis 2015 – est tenu lui aussi de ne pas avoir connaissance des contrats passés avec d’autres opérateurs télécoms (2).
Parmi les actionnaires suivants, l’on retrouve notamment DC Music (9,5 %) des frères Rosenblum (fondateurs de Pixmania), Idinvest Partners (9,45 %) soutenu par les groupes Allianz et Lagardère, ou encore Xavier Niel (3,6 %). Malgré une levée de fonds de quelque 70 millions d’euros en 2012, Deezer n’a pas pu se lancer de façon indépendante à la nécessaire conquête des Etats-Unis où était déjà implanté son concurrent suédois Spotify. Plus généralement, la plateforme française n’a pas eu
les reins assez solides financièrement pour assurer son expansion internationale.
A la demande des majors actionnaires, Deezer a dû rapidement développer les abonnements – 6,3 millions à ce jour (3) – au détriment de la gratuité financée par la publicité qui ne rapportait pas assez. C’est en août 2010 que le partenariat est noué avec Orange pour proposer un bundle entre ses forfaits fixe ou mobile, accord qui a
été l’année suivante étendu au Royaume-Uni. D’autres partenariats avec d’autres opérateurs télécoms ont suivi, en Belgique, Autriche, Pays- Bas, Hongrie, Pologne, Serbie, Amérique du Sud, Afrique, Moyen-Orient et Asie. Sans parler des offres faites avec des fabricants d’appareils high-tech grand public tels que Sonos, Bose, Bang & Olufsen, Devialet, Philips, LG, Panasonic, Parrot, Sony, Samsung, Toshiba, voire avec des constructeurs automobiles comme BMW et Audi.

Moins dépendant d’Orange
En raison de ce déploiement en dehors de France, le chiffre d’affaires généré par Orange a décru en proportion : de 56 % du total des revenus en 2012 à moins de 25 % actuellement. Mais la France pèse encore plus de la moitié des revenus de Deezer (52,3 % des 141,9 millions d’euros de 2014), suivie par le reste de l’Europe (28,7 %), l’Amérique Latine (15,1 %) et de manière anecdotique les Etats-Unis (0,2 %). Et la plateforme musicale n’a jamais généré de bénéfices. Ses pertes nettes se succèdent
et se ressemblent d’une année sur l’autre : 27,1 millions d’euros en 2014, 22 millions
en 2013 ou encore 28,8 millions en 2012. Toutes proportions gardées, Spotify ne fait guerre mieux. @

Charles de Laubier