Les majors de la musique déplorent la « trop lente » croissance du streaming par abonnement

Est-ce une « anomalie » du marché français de la musique en ligne, comme le dit le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep) qui représente entre autres les majors ? Le streaming financé par la publicité, porté par TikTok, est moins rémunérateur pour les producteurs.

« La croissance du streaming par abonnement en France reste trop lente, comparée à l’adoption massive du modèle payant dans les autres grands marchés historiques de la musique enregistrée », regrette le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep), dont sont notamment membres les majors Universal Music, Sony Music et Warner Music. « Avec 11 millions d’abonnements payants, soit 1 million de plus que l’an passé, l’usage réunit désormais 16 millions d’utilisateurs premium, grâce aux offres famille et duo », indique à Edition Multimédi@ son directeur général, Alexandre Lasch (photo).

TikTok participerait à l’« anomalie »
Rien que sur le premier semestre 2023, le streaming musical par abonnement génère près de 232 millions d’euros, plus que jamais première source de revenu des producteurs (58,3 % du total, numérique et physique confondus). Pour autant, d’après le Snep, le compte n’y est pas. La croissance des abonnements reste bien en deçà de celle du streaming gratuit financé par la publicité, même si celui-ci est loin derrière en termes de chiffre d’affaires. Ainsi, pour les six premiers mois de 2023, la hausse des revenus des abonnements est de 10 % sur un an (35,8 millions d’euros), alors que celle du streaming financé par la publicité est de 28,1 % (35,4 millions d’euros). « L’anomalie vient du fait que le streaming audio freemium et vidéo, qui réalise désormais près de 20 % du marché, contribue davantage à la progression des revenus du streaming que les offres payantes », explique Alexandre Lasch.
Au streaming gratuit avec pub vient s’ajouter à cette « anomalie » le streaming vidéo musical, même si ce dernier segment stagne au premier semestre après une période de hausse. Résultat, souligne le syndicat des majors : « Le marché français se caractérise par l’évolution et le poids plus important qu’ailleurs du chiffre d’affaires des services de streaming financés par la publicité, qu’il s’agisse de streaming audio ou vidéo. Or ce sont les segments qui contribuent le plus faiblement à la rémunération des artistes et des producteurs, tout en captant – spécialement pour des services vidéo comme TikTok – un maximum d’utilisateurs et de temps d’écoute de musique ». La filiale du chinois ByteDance accentuerait cette tendance, perçue comme défavorable à l’abonnement musical. Le Snep se réfère à l’étude 2022 de l’IFPI (1) sur la consommation de musique pour signaler que « toutes applications de vidéos courtes confondues, la musique est au cœur de 64 % des vidéos consommées » et que « ces nouveaux usages très populaires se déploient à grande vitesse dans le monde entier». Tous ceux qui se sont engouffrés dans la brèche des nouveaux usages de vidéos courtes musicales en imitant le chinois sans toutefois l’égaler – Meta (Reels sur Instagram), Snap (Spotlight sur Snapchat) ou encore Google (Shorts sur YouTube) – sont pointés du doigt par le Snep : « Ils empêchent ainsi le modèle vertueux de l’abonnement de se développer en détournant de ces offres un public fortement engagé dans la musique, mais qui finalement se contente d’extraits de quelques secondes sans aller découvrir et écouter les morceaux dans leur intégralité viades services de streaming payants ». A ceci près que TiTok commence à marcher sur les platebandes des Spotify, Amazon Music et autres Deezer en testant la version bêtaTikTok Music (2) depuis cet été dans certains pays et avec l’accord des… majors. Pour l’heure, la progression des abonnements est jugée « insuffisante du fait d’un taux de conversion encore trop faible dans notre pays » et inquiète les producteurs, « alors que l’usage même du streaming s’est très largement installé et que nous devrions observer une phase de croissance plus rapide pour rattraper le niveau des grands marchés occidentaux ».
Alexandre Lasch indique à Edition Multimédi@ qu’« aux EtatsUnis, le nombre d’abonnements progresse cette année encore de 10 % pour atteindre un taux de pénétration de 29 %, alors qu’en France, et malgré une progression similaire, le poids des abonnements rapporté à la population de plus de 10 ans reste 11 points derrière, soit 18 % à fin 2022 ». A cet handicap de la France en abonnements, s’ajoute la crainte d’une « taxe streaming » souhaitée par le président de la République. Emmanuel Macron a donné jusqu’au 30 septembre à la filière musicale et aux plateformes de streaming pour se mettre d’accord sur une « contribution obligatoire » – de 1,75 % ? (3) – afin de financer le Centre national de la musique (CNM).

Hausse des tarifs d’abonnement en cause ?
« Un nouvel impôt de production ciblant l’abonnement en France ne peut pas être une option », rejette le Snep, vent debout contre cette « taxe streaming ». La filière est divisée. Et si le problème venait des récentes hausses des tarifs mensuels ? En France, Spotify a augmenté les siens le 24 juillet 2023 de 10 % à 20 % (4). Deezer en avait fait de même en janvier 2022 et songe aujourd’hui à augmenter à nouveau son prix en cas de « taxe streaming ». Aux Etats-Unis, les prix augmentent aussi (5). @

Charles de Laubier

Malgré ses pertes financières chroniques, Spotify vise une entrée en Bourse d’ici le début 2018

La société suédoise Spotify, devenue numéro un mondial de la musique en ligne, veut réussir d’ici un an à lever suffisamment d’argent en Bourse pour assurer son avenir. Car, pour l’heure, les pertes financières se creusent malgré un chiffre d’affaires qui franchira cette année les 3 milliards d’euros.

Le numéro un mondial du streaming musical a revendiqué mi-juin 140 millions d’utilisateurs actifs chaque mois, dont près de 50 millions d’abonnés payants, mais continue de perdre de l’argent : 349 millions d’euros en 2016, en hausse de 47 % sur un an, d’après les données financières publiées par sa holding Spotify Technology SA basée au Luxembourg. Quant au chiffre d’affaires, il a progressé de plus de 50 % à 2,93 milliards d’euros.

Introduction en Bourse pour ses 10 ans
La société suédoise espère signer avec les majors de la musique enregistrée Sony Music et Warner Music des accords de licence à l’échelle mondiale sur le long terme, comme elle l’a fait avec Universal Music (Vivendi) en avril dernier. Comme les majors sont actionnaires minoritaires de Spotify pour quelques pourcentages chacun (1),
en échange de la mise à disposition de leur catalogue, cela ne devrait pas poser de problème. En attendant, la plateforme de streaming a dans la foulée signé un nouvel accord avec un groupement de labels indépendants, la société néerlandaise Merlin Network (20.000 producteurs de musique), qui est considérée comme une « quatrième major potentielle » (dixit Spotify). Ces accords pluriannuels lui permettraient de trouver enfin le chemin de la rentabilité.
Ces accords de long terme seraient aussi le meilleur atout de Spotify pour rassurer les investisseurs dans la perspective de son introduction en Bourse, prévue à New York – sur le Nyse – d’ici le début de l’année 2018. Cette perspective boursière, que le cofondateur de Spotify Martin Lorentzon (photo de gauche) a tenté de démentir, a été confirmée à Reuters début juin. En fait, Martin Lorentzon s’était déjà opposé à une entrée en Bourse. Or, ce n’est plus lui qui dirige la plateforme de streaming musical depuis qu’il en a cédé les rênes de PDG à un autre cofondateur, Daniel Ek (photo de droite). N’est-ce pas pour mieux préparer son introduction en Bourse que l’entreprise
a renoncé en décembre dernier à acquérir – pour l’instant – la plateforme musicale allemande SoundCloud ? La dernière valorisation boursière de Spotify est estimée à
13 milliards de dollars – contre 8,5 milliards de dollars en 2015. Ce qui en fait une belle « licorne » mondiale, du surnom de ces sociétés non cotées mais valorisées au moins un milliard de dollars. Cependant, Spotify perd de l’argent depuis son lancement public en 2008 (le logiciel éponyme fut développé à partir de 2006). Si cette année 2017 marque le franchissement de la barre des 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires,
le numéro un mondial du streaming musical doit encore convaincre sur sa viabilité économique. La croissance des revenus de 2016 (+ 53 %) est certes moins élevée qu’en 2015 (+ 80 %), mais un peu plus forte qu’en 2014 (+ 45 %). Une cotation en Bourse permettait à Spotify de poursuivre son expansion internationale, en ajoutant
à sa soixantaine de marchés où il est déjà présent le Japon – considéré comme le second marché mondial pour l’écoute de la musique. Si Spotify se décide et réussit
à entrer en Bourse dans les prochains mois, ce sera la première plateforme musicale
à le faire après que Deezer ait renoncé à franchir le pas en octobre 2015 (2). Les plateformes de streaming musical gagnent en notoriété partout dans le monde, notamment en France auprès des utilisateurs, que cela soit Deezer (+ 2 points), Spotify (+ 5 points) et Apple Music (+ 7 points), d’après GfK dans son baromètre de début 2017 mis en place pour le Snep (3). Toujours sur l’Hexagone, Spotify s’arroge 24,5 % de parts de marché en 2016 dans le streaming musical audio et vidéo. Ce qui place la plateforme suédoise derrière le français Deezer et ses 38,8 % de parts de marché.

Vers de la musique sponsorisée à la « Payola »
En plus de ses revenus de publicité pour financer l’accès aux musiques gratuites, et surtout les abonnements qui montent en puissance à raison de plus de 30 % de ratio gratuit-payant, l’entreprise suédoise basée au Luxembourg a commencé à tester le
« pay per play ». Il s’agit de proposer aux producteurs de musique et différents labels de financer la diffusion de titres musicaux dans les playlists de Spotify. Ce « sponsored content » n’est pas proposé comme une publicité en tant que telle, mais comme un morceau avec les autres lors de la diffusion auprès des seuls utilisateurs du streaming gratuit. « Sponsored song » est une option fonctionnant sur le mode opt-out, selon
le site web TechCrunch. Pour la plateforme, et indirectement les ayants droits, les chansons sponsorisées permettraient d’engranger plus de recettes de la part des utilisateurs du gratuit qui rapportent habituellement moins que les abonnés payants. Cette pratique rappelle celle dite « Payola », qui est un système de paiement effectué par les maisons de disques à des stations de radio si elles veulent que leurs titres soient mieux exposés à l’antenne et donc dans les « Charts ». Décrié aux Etats- Unis dans les années 1950, la payola – néologisme créé à l’époque à partir de pay (payer) et le nom de l’un des premiers lecteurs de 33 tours, Victrola – est interdite, sauf à ce que la radio avertisse clairement le caractère sponsorisé du morceau de musique passant
à l’antenne. Avec les « Sponsored songs » de Spotify, les producteurs de musique enregistrée renouent avec cette pratique américaine qui ne fut pas exportée en Europe.

Il y a plus de dix ans, des majors ont été soupçonnées de contourner la législation en employant des promoteurs présentés comme indépendants : Sony BMG en juillet 2005, Warner Music en novembre 2005 et Universal Music en mai 2006 ont conclu un arrangement avec l’Etat de New York en payant respectivement 10, 5 et 12 millions de dollars d’amendes. Quatre des principales sociétés de radiodiffusion – Clear Channel Communications, CBS Radio, Entercom Communications et Citadel Broadcasting
– ont ensuite accepté de payer une amende de 12 millions de dollars. Avec le développement du streaming, des cas de payola ont été révélés par Billboard en 2015. Pour empêcher ce type de pratique, Spotify a modifié l’année suivante ses conditions générales d’utilisation afin d’interdire aux utilisateurs d’accepter toute rétribution pour influencer une playlist et/ou son contenu. Encore faut-il que les ayants droits de la filière musicale, préférant l’abonnement récurrent à la gratuité financée par la publicité, y trouvent leur compte. Spotify doit leur reverser des royalties qui grèvent sa rentabilité. Selon le Financial Times du 17 mars dernier, les majors ont accepté de baisser leurs royalties en échange pour Spotify de réserver des nouveaux albums à ses abonnés payants. L’accord pluriannuel avec Universal Music (labels EMI, Capitol, Virgin, Polydor, Geffen, etc.) prévoit notamment que les artistes du numéro un mondial de la musique enregistrée puissent réserver aux abonnés payants de Spotify leurs nouveaux albums pour une durée exclusive de deux semaines.
Afin d’arriver en Bourse dans les meilleures conditions et attirer les investisseurs, Spotify doit non seulement montrer patte blanche aux majors mais aussi convaincre des artistes tentés par le boycotte de la plateforme (4). C’est ainsi que la chanteuse américaine Taylor Swift a mis fin début juin à son boycotte qu’elle avait infligé à Spotify – notamment pour la sortie de son album « 1989 » – pour protester contre sa trop faible rémunération. Spotify, qui reverse quand même 70 % de son chiffre d’affaires aux ayants droits, a payé à ce jour plus de 5 milliards de dollars cumulés depuis sa création il y a neuf ans. Ce sont les majors Universal Music, Sony Music et Warner Music qui
en profitent le plus, suivies des artistes eux-mêmes. Selon la Recording Industry Association of America (RIAA), le streaming a pour la première fois en 2016 généré
la majorité des revenus de l’industrie musicale américaine.
Pour faire bonne figure avant son introduction en Bourse, le groupe suédois a en outre accepté en mai dernier de créer un fonds de près de 43,5 millions de dollars pour mettre fin à une procédure judiciaires à son encontre. Une action collective (class action) avait en effet été lancée par deux artistes indépendants, Melissa Ferrick et David Lowery, des groupes Cracker et Camper Van Beethoven, qui accusaient la plateforme de streaming de diffuser des oeuvres sans autorisations. Un accord avait par ailleurs été conclu en 2016 avec la National Music Publishers Association (NMPA).

IA : acquisition de la start-up française Niland
En mai , Spotify a annoncé l’acquisition de Niland, une start-up française spécialisée dans l’optimisation de la recherche de musique en ligne et des recommandations boostées à l’intelligence artificielle « pour faire émerger le bon contenu pour le bon utilisateur au bon moment ». Niland va quitter Paris pour New York. Spotify avait déjà acquis en mars la start-up newyorkaise MightyTV, spécialisée dans la recommandation de programmes de télévisions. Spotify se voit déjà en « Netflix » de la musique, mais surtout table sur le ciblage publicitaire et la personnalisation du marketing. @

Charles de Laubier

Avec Internet et le streaming, des musiciens sont tentés de se passer des maisons de disques

Le self-releasing musical émerge. Les plateformes d’auto-distribution – TuneCore de Believe Digital et SpinnUp d’Universal Music, mais aussi CD Baby, EMU Bands, Record Union ou encore Awal – séduisent de plus en plus d’artistes tentés de s’affranchir des producteurs de musique.

« Vous n’avez pas besoin d’un label pour partager votre musique dans le monde entier. Avec TuneCore, mettez facilement en ligne votre musique sur iTunes, Deezer, Spotify et plus de 150 autres plateformes digitales. Vous conservez 100 % de vos droits et 100 % de vos royalties ». Telle est l’accroche de la société newyorkaise qui a créé en 2005 une plateforme numérique de distribution mondiale de musiques. C’est la promesse, pour les artistes qui le souhaitent, de s’affranchir des maisons de disques – lesquelles risquent ainsi d’être « ubérisées » comme les maisons d’édition avec l’auto-édition (1).

100 % des revenus reversés à l’artiste
Cofondée par Jeff Price (qui a quitté l’entreprise en 2012) et basée à Brooklyn, la plateforme TuneCore se développe depuis à travers le monde. Après l’Australie, le Royaume- Uni, le Canada, le Japon, ainsi que depuis un an l’Allemagne et depuis octobre dernier la France, elle est aussi disponible en Amérique Latine, en Afrique,
en Russie, en Inde et à terme en Chine. Son PDG, Scott Ackerman (photo), se défend toutefois d’être en concurrence avec les majors de la musique (Universal Musi/EMI, Sony Music, Warner Music) ou les labels indépendants. A preuve : TuneCore a été racheté en avril 2015, il y a maintenant deux ans, par le producteur de musique français Believe Digital fondé par Denis Ladegaillerie – lequel fut président du Syndicat national des éditeurs phonographique (Snep) de 2010 à 2012 (2). Un partenariat stratégique a en outre été instauré entre les deux sociétés : des artistes distribués par TuneCore peuvent avoir la chance de signer avec les trois labels du groupe que sont Believe Recordings, Naïve ou Musicast. Pour séduire les artistes musicaux (musiciens, chanteurs et/ou compositeurs), la plateforme d’auto-diffusion musicale propose à partir de 9,99 dollars ou euros pour un sigle de distribuer le titre « dans le monde sur iTunes, Spotify, Deezer, Amazon Music, Google Play et plus de 150 plateformes ». En retour, le musicien – en herbe ou confirmé – peut espérer recevoir 100 % des revenus provenant des ventes par téléchargement et du streaming de sa musique, tout en conservant tous ses droits. Depuis sa création, TuneCore a déjà reversé près de 800 millions d’euros aux artistes pour un cumul de plus de 57 milliards de téléchargements et de streams. La France fut le troisième pays européen où TuneCore s’est implanté (tunecore.fr). Y sont organisées depuis peu, en partenariat avec le portail d’auto-promotion des artistes indépendants Scenes-locales.com, « Les Rencontres Indés ». Après le 9 mars dernier à Annecy, cette journée s’est déroulée le 18 avril à Marseille et va se tenir le 9 mai prochain à Nantes. TuneCore (alias Believe Digital) n’est cependant pas la première plateforme d’autoproduction musicale à se lancer sur ce marché naissant. La première major de la musique Universal Music (alias Vivendi) avait fait l’acquisition en 2012 de
la start-up suédoise SpinnUp, dont les tarifs et le reversement à 100 % sont les mêmes que ceux de TuneCore. Après la Suède, le reste de la Scandinavie, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, cette plateforme (spinnup.com) a été lancée sur l’Hexagone en octobre dernier.
Le marché mondial du self-releasing prend de l’ampleur partout dans  le monde, dans la mouvance du DIY (Do It Yourself). Le suédois Spotify, la première plateforme mondiale de streaming musical, suggère aux artistes – qui n’ont pas signé avec un label ni avec un distributeur – de prendre contact avec des « agrégateurs qui peuvent rendre disponible [leur] musique et collecter des royalties pour [eux] ». Et d’indiquer le nom de certains : « TuneCore, CD Baby, EMU Bands, Record Union, SpinnUp, Awal » (3). Le français Deezer – propriété depuis juillet 2016 de l’américain Access Industries, maison mère de Warner Music (4) – fait aussi un appel du pied aux  « artistes non signés » : « Vous n’avez pas besoin d’être signé sur un label pour mettre votre musique sur Deezer ; vous pouvez rendre votre catalogue disponible à l’aide d’un distributeur. Ces sociétés gèrent l’octroi de licences, la distribution et l’administration de votre musique. Voici nos partenaires recommandés : TuneCore, Record Union, CD Baby, One RPM, SpinnUp, Awal », explique Deezer.

Des partenaires pour une chaîne de valeur
Ces plateformes d’auto-distribution musicale n’attirent pas seulement de jeunes talents. Des artistes confirmés (5) les utilisent. D’autant que ces « Uber » de la distribution musicale ont noué des partenariats avec d’autres prestataires capables de compléter
la chaîne de valeur au service de l’artiste indépendant : accord avec YouTube pour la monétisation de clips vidéo, société de pressage de CD ou de vinyles, prestataire spécialisé dans le merchandising, acteur du financement participatif, etc. L’artiste a
les cartes en main. @

Charles de Laubier

Les critiques des majors de la musique envers YouTube semblent hypocrites sur les recettes du streaming vidéo

YouTube (Google) et dans une moindre mesure Dailymotion (Vivendi) représentent 60 % à 70 % de l’écoute de la musique en ligne en France, alors que ces plateformes vidéo pèsent à peine 10 % des revenus du streaming musical en 2016. Pour les producteurs, majors en tête, c’est le statut d’hébergeur qui est en cause. Vraiment ?

Par Charles de Laubier

« Le streaming audio génère dix fois plus de revenus pour les producteurs que le streaming vidéo avec deux fois moins d’utilisateurs. Et l’abonnement génère à lui seul près de dix fois plus de revenus pour les producteurs que le streaming vidéo », déplore encore cette année Guillaume Leblanc (photo), directeur général du Syndicat national de l’édition phonographique (Snep), lequel défend les intérêts d’une cinquantaine de membres dont les majors de la musique – Universal Music de Vivendi, Warner Music d’Access Industries et Sony Music Entertainment.
Dans l’auditoire lors de la présentation des chiffres du Snep le 28 février dernier, Denis Thébaud, PDG de Xandrie, propriétaire de la plateforme musicale Qobuz depuis fin 2015, a interpellé les membres du Snep au sujet de YouTube. «Est-ce qu’il n’y a pas une certaine hypocrisie à vendre de la musique que l’on peut avoir gratuitement à côté ? En fait, nous serions les faire-valoir de YouTube ! ».

Liaisons ambiguës entre les majors et le géant du Net
Les majors et d’autres producteurs de musique profitent de l’audience massive de la filiale vidéo de Google pour mettre en ligne des vidéo clip disponibles gratuitement, afin de faire la promotion de leurs artistes et albums, et de donner envie aux Youtubers d’aller ensuite sur Spotify, Deezer ou encore Qobuz pour découvrir l’ensemble des titres. Si les producteurs ne les postent pas eux-mêmes sur la plateforme de partage vidéo ou s’ils se limitent à des courts-métrages ou trailers (bandes-annonces), les utilisateurs se chargeront d’ailleurs de leur côté de mettre les titres en entier.
Résultat : YouTube est un véritable jukebox géant et gratuit, qui a passé un accord mondial en 2013 avec la Sacem(1) – laquelle gère aussi les droits d’Universal Music pour YouTube –, ainsi que depuis 2010 avec la SACD(2), la Scam(3) et l’Adagp(4). De quoi s’interroger sur les liaisons ambiguës entre les majors et le géant du Net : « S’il y a distorsion entre les revenus des hébergeurs [de type YouTube, ndlr] et le revenu des plateformes [comme Spotify, ndlr], dans un rapport de un à dix, pourquoi vous n’arrivez pas vous (producteurs et éditeurs de musique enregistrées) à imposer aux hébergeurs le prix de vos vidéos musicales ? Où est la difficulté ? Est-elle commerciale ou technique ? Car je ne comprends pas. Ne pourriez-vous pas interdire dans ces conditions que ces vidéos soient sur YouTube ou Dailymotion ? », leur a demandé le patron de Qobuz.

« Un abcès à crever » (Denis Thébaud)
En 2016, les chiffres du Snep montrent en effet que les 29 millions de Français ayant vu des clips vidéo – en grande partie sur YouTube, mais aussi sur Dailymotion ou d’autres plateformes vidéo – n’ont généré que 9 % des revenus globaux du streaming de musique en ligne, soit seulement 12 millions d’euros de chiffre d’affaires l’an dernier. Alors que les 13 millions – soit deux fois moins – d’utilisateurs de sites de streaming musical de type Spotify ou Deezer ont générés 91 % des revenus globaux du streaming de musique en ligne, soit 132 millions d’euros. Autrement dit, il y a deux fois plus de streamers vidéo mais dix fois moins revenus généré par les streamers audio. Parmi eux, les 3,9 millions d’abonnés à un site de streaming musical pèsent à eux seuls 82 % des revenus globaux du streaming de musique en ligne, soit 117 millions d’euros(voir le haut du graphique cidessous). Les abonnés à un service de streaming rapportent donc près de dix fois plus que l’ensemble des Youtubers qui vont sur ces plateformes pour écouter de la musique. Denis Thébaud estime qu’il y a là « un abcès à crever », d’autant que les internautes vont sur YouTube parce que la musique y est gratuite et qu’ils peuvent utiliser des logiciels de stream ripping de capture de flux audio ou vidéo (5) comme Youtubemp3, pour constituer leur propre bibliothèque de contenus.

Mais c’est sur le terrain du statut de YouTube que le président du Snep, Stéphane Le Tavernier, par ailleurs directeur général de Sony Music France, a répondu à Denis Thébaud : « Jusqu’à maintenant, ils [YouTube ou Dailymotion, ndlr] se positionnent derrière leur statut d’hébergeur qui les protège pour l’instant d’être considérés comme des plateformes de streaming avec lesquelles on va négocier comme avec d’autres [éditeurs comme Spotify]. C’est ce sur quoi l’on bute et qu’il faut d’abord régler avant
de pouvoir négocier différemment des revenus qui pourraient être générés ». Le Snep conteste le statut d’hébergeur de la filiale vidéo de Google qu’il considère comme un éditeur au même titre que Spotify ou Qobuz avec lesquels sont négociées des licences, alors que le statut d’hébergeur dispense YouTube d’être responsable des contenus mis sur sa plateforme. Pour supprimer une musique postée, il faut en faire la demande chaque fois qu’elle y est mise. « Il ne s’agit pas d’interdire sur YouTube – il est interdit d’interdire – mais de remettre en question son statut d’hébergeur », insiste Stéphane Le Tavernier. Le manque à gagner que dénonce le Snep sur le streaming vidéo, en raison d’un « transfert de valeur » des ayants droits de la filière musicale vers les plateformes, ne daterait pas d’hier : « L’évolution des courbes entre streaming audio et streaming vidéo l’atteste puisque l’écart ne cesse de grandir depuis 2013 entre les revenus du premier et ceux du second, avec une relative stagnation des revenus du streaming audio sur les deux dernières années » (voir le bas du graphique ci-contre).


La progression des revenus du streaming audio est cinq fois supérieure à celle des revenus du streaming vidéo. « Il est donc impératif à nos yeux de remettre de l’équité dans cet écosystème et nous comptons beaucoup sur la réforme de la directive européenne sur le droit d’auteur en discussion au Parlement européen. Nous appelons donc le prochain gouvernement à continuer à défendre dans toutes les instances européennes la nécessaire clarification du statut de l’hébergeur au niveau européen », déclare le directeur général du Snep. « Ces plateformes sont d’abord des plateformes de vidéo mais aussi utilisées pour des consommations audio. Entre 60 % et 70 % de l’écoute audio se fait via ces plateformes, alors qu’elles représentent à peine 10 % des revenus », déplore Olivier Nusse, directeur général de Universal Music France. « Il ne s’agit pas de baisser la rémunération des plateformes de streaming audio, mais plutôt d’augmenter les rémunérations audio ou vidéo », précise Thierry Chassagne, président de la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP) et président de Warner Music France. Et d’ajouter : « Sur la questions de l’hypocrisie, j’espère que vous ne parlez pas de nous. Car avec toutes les démarches que l’ensemble de la communauté artistique fait auprès de Bruxelles depuis des moins pour dénoncer ce statut d’hébergeur, on ne peut pas dire que nous avons la langue de bois. Nous sommes les premiers pénalisés ». @

Charles de Laubier

Les applis mobiles ne sont plus la chasse gardée des jeux, mais leur monétisation reste encore aléatoire

Le chiffre d’affaires mondial des « appli mobiles » va croître de 22 % en moyenne par an, de 69,7 milliards de dollars en 2015 à 188,9 milliards en 2020, selon la société de conseil App Annie. Mais derrière cet eldorado des apps, concurrentes du Web, très peu d’éditeurs tirent leur épingle du jeu.

Si vous n’êtes pas un éditeur de jeu vidéo, vous avez peu de chance aujourd’hui de faire du chiffre d’affaires avec votre application mobile. Il ressort en effet de l’étude d’App Annie, que les jeux représentent encore la majeure partie du chiffre d’affaires généré par les « applis » dans le monde : 66 % des 69,7 milliards de dollars de revenus en 2015, soit 46 milliards de dollars (1). Difficile donc dans le monde impitoyable des applis mobiles de tirer son épingle du… jeu. C’est une question de « monétisation ».

Les jeux fremium en tête
La principale porte d’entrée des « apps » se trouve dans le fremium qui, comme son nom l’indique (free pour gratuit et premium pour prime), consiste à attirer les mobinautes vers la version gratuite de l’application avant de lui proposer de payer une version moins limitée (en niveaux, en bande passante, en durée d’utilisation, en espace de stockage, …) ou bien des options à régler dans l’application elle-même (in-app).

Le succès planétaire de Pokémon Go illustre bien la stratégie du fremium, qui, dans
le jeu vidéo, s’est commué en free-to-play. D’après la société d’analyses AppsFlyer, environ 5 % des utilisateurs de ces jeux freeto- play font des achats dans l’appli (in-app) pour une dépense de près de 10 dollars par mois en moyenne. Les détenteurs de terminaux sous iOS d’Apple sont même plus dépensiers avec plus de 15 dollars par mois en moyenne, tandis que ceux sous Android de Google sont plus économes avec
à peine plus de 7 dollars par mois. Bien que les petits ruisseaux fassent les grandes rivières, ces petites dépenses in-app ne suffiront pas seules à Niantic, l’éditeur de Pokémon Go, pour franchir cette année la barre du 1 milliard de dollars de recettes. Pour y parvenir, l’entreprise de John Hanke table aussi sur les lieux sponsorisés que des annonceurs et/ou des commerçants proposent aux chasseurs de Pokémon avec l’espoir que ces derniers deviennent clients (2). S’inscrivent en tête de cette stratégie payante du freemium : l’éditeur japonais Mixi, dont le studio XFlag a développé
« Monster Strike », l’éditeur finlandais Supercell qui a développé « Clash of Clans » (Softbank a revendu en juin dernier sa participation de 73,2 % à Tencent), et l’éditeur américain Machine Zone (MZ) qui édite « Game of War – Fire Age ». Les bonus tels que les speed-ups (gagner du temps ou des niveaux), les objets virtuels (outils, armes, ou atouts) et les upgrades (versions améliorées) mettent du beurre dans les épinards des jeux mobiles.
Si la publicité intégrée dans les applis constitue la première source de revenu en 2015 (40 milliards de dollars environ) et devrait le rester d’ici à 2020 (110 milliards), les prévisions d’App Annie montrent que le freemium va renforcer sa seconde position entre 2015 (20 milliards de dollars) et 2020 (60 milliards). En revanche, les modèles d’applications payantes – téléchargeables moyennant paiement mais sans achats intégrés (comme « Grand Theft Auto: San Andreas », « Facetune » et « Terraria »)
–  ou « paidmium » – comprenez téléchargeables moyennant aussi paiement mais cette fois avec achats intégrés (comme « Minecraft Pocket Edition », « Minecraft: Story Mode » et « Ghost Blows Out the Light 3D ») – resteront très minoritaires sur le marché mondial des apps. Ensemble, le téléchargement payant et le paidmium progresseront moins vite que la publicité et le freemium : leur total de chiffre d’affaires qui était d’à peine 5 milliards de dollars en 2015 ne dépassera pas les 10 milliards en 2020. Bien que ce montant ne soit pas négligeable, cela reste très peu.

Montée des abonnements
Pour les achats intégrés (in-app) , les formules d’abonnements font de plus en plus recette et représentent aujourd’hui environ 15 % du chiffre d’affaires généré sur les app stores. « Différentes catégories sont concernées, notamment le streaming musical (Spotify et Pandora Radio), le streaming vidéo (Netflix et HBO Now) et la rencontre (Tinder). Apple et Google ont opéré des changements en juin 2016 qui devraient stimuler davantage les abonnements. L’App Store Apple et Google Play ont augmenté la part de chiffre d’affaires reversée aux éditeurs pour les abonnements, qui sont désormais ouverts à toutes les catégories d’apps sur iOS, y compris les jeux »,
précise l’étude, en constatant que le succès rapide des abonnements tient en partie à leur adéquation avec certaines catégories et approches freemium (NYTimes, Netflix, Spotify, …).
De son côté, le cabinet d’étude Gartner a constaté que les transactions in-app généraient 24 % de dépenses en plus par rapport aux applications au téléchargement payant.

iOS dépense plus qu’Android
Selon cette enquête publiée en mai dernier, il ressort que les mobinautes déboursent en moyenne 9,20 dollars par trimestre dans des transactions in-app, contre 7,40 dollars dans le « paid-for apps ». « Cela confirme qu’une fois les utilisateurs ont confiance en l’application mobile pour leur apporter de la valeur ajoutée sans avoir à payer préalablement, alors ils trouvent plus facile de dépenser in-app », commente Stéphanie Baghdassarian, directrice de recherche de Gartner en France. En revanche, la publicité intégrée dans les applis n’a pas prouvé qu’elle apportait de la valeur ajouté à l’utilisateur : seulement 20 % des personnes interrogées par Gartner déclarent cliquer souvent sur des publicités contenues dans les apps ; elles sont surtout près de 66 %
à dire qu’elles ne cliquent pas sur ces publicités.
Les applications mobiles étaient jusqu’à récemment la chasse gardée des éditeurs
de jeux vidéo, lorsque ce n’était pas des médias et des industries du divertissement. Les autres acteurs, notamment les entreprises de différents secteurs professionnels (banques, services, administrations, …), ont encore du mal à se convertir au mobile. Selon App Annie, la part des éditeurs d’apps « hors-jeux » devrait augmenter significativement dans le chiffre d’affaires total des applis mobiles dans le monde,
pour passer de 34 % en 2015 (24 milliards de dollars) à 45% en 2020 (85 milliards
de dollars).
Au total, App Annie prévoit une croissance de 270 % du chiffre d’affaires net généré par les applications mobiles dans le monde en cinq ans. Avec un rythme moyen annuel de 22 %, ce marché passera de 69,7 milliards de dollars en 2015 à 188,9 milliards en 2020. « Cette croissance est due à deux facteurs : d’une part, la forte hausse du temps passé dans les apps, les utilisateurs ayant doublé leur temps d’utilisation au cours des deux dernières années, et, d’autre part, le doublement du nombre d’utilisateurs de smartphones et de tablettes dans le monde, qui devrait s’élever à 6,2 milliards en
2020 », explique l’étude d’App Annie. Les applis devraient en outre profiter du fait que le Web est, depuis octobre dernier selon StatCounter, désormais plus consulté à partir de terminaux mobiles que des ordinateurs. C’est une première mondiale.
En termes de durée d’utilisation des applis, la croissance est exponentielle : les mobinautes passent plus de temps sur les apps de communication, suivies des
réseaux sociaux, des jeux, et des médias/vidéo. Les catégories médias et vidéo sont même en passe de surpasser les jeux en temps passé. Mais d’autres secteurs d’activité s’approprient à leur tour les applis, comme le transport et le commerce, dont le temps passé explose (bien que partant de très bas). « Les marchés matures comme les Etats-Unis et le Japon sont en pleine transition, passant d’une phase de croissance des téléchargements à une phase d’utilisation accrue et de développement du chiffre d’affaires des apps », indique App Annie. Sans surprise, l’écosystème d’Apple (iOS) génère le plus de chiffre d’affaires en 2015 (41 milliards de dollars) et devrait conserver cette première place d’ici à 2020 (99,3 milliards). Cette prédominance de la marque à la pomme s’explique non seulement pas le fait que iOS est reste bien positionné sur les marchés matures, notamment aux Etats-Unis et en Europe, mais aussi parce que sa clientèle est plus « aisée » financièrement. Quant à Android (Google Play et app stores Android tierces), il arrive en seconde position des écosystèmes mais croît plus vite que iOS grâce à une présence sur les marchés matures et émergents.
Et encore, l’« app économie » est sous-estimée dans la mesure où beaucoup de transactions financières se font en dehors de l’appli. C’est le cas par exemple du m-commerce initié par une appli mais finalisé à l’extérieur. Exemples : eBay ou Uber. Les apps peuvent aussi apporter de la valeur ajoutée à un service existant en dehors de l’app économie, contribuer à accroître la notoriété des marques, fidéliser les clients, réduire les coûts ou encore améliorer le parcours client. L’impact économique des apps dépasse largement leurs frontières numériques, et les wearables (vêtements et montres connectés) ainsi que les objets connectés (dans tous les domaines) sont en passe d’étendre le domaine des applis.La rançon de la gloire des applis est l’hyper-compétitivité de ce marché très privé qui rivalise avec le Web ouvert. « The Web is dead » (3), lançait déjà le magazine Wired en 2010. Six ans plus tard, le World Wide Web vit toujours mais la vague des applis propriétaires et la désormais prédominance des terminaux mobiles sont en passe de le reléguer au second plan.

Jusqu’à l’« app-surdité »
Cet engouement pour les applis peut parfois tourner à l’« app-surdité », comme a cherché à l’illustrer l’organisme norvégien de protection des consommateurs en dénonçant les 32 heures qu’il lui a fallu pour lire sans discontinuité les conditions générales d’utilisation (les fameuses CGU) de seulement 33 applications mobile (4). Résultat : 31 heures 49 minutes et 11 secondes ont été nécessaires ! Si le nombre des applis dépasse 1,5 million dans le monde, l’institut de mesure d’audience ComScore avait démontré que les mobinautes n’en privilégient que quelques-unes et le taux d’abandon reste très élevé. @

Charles de Laubier