Ecoconception numérique : et quid des fabricants ?

En fait. Le 17 mai, l’Arcep et l’Arcom, en lien avec l’Ademe, ont publié le « référentiel général de l’écoconception des services numériques » destiné à leurs écoconcepteurs : sites web, plateformes vidéo, applications, logiciels/API, outils d’IA ou blockchain. Mais il ne s’adresse pas aux fabricants de terminaux.

En clair. Le référentiel général de l’écoconception des services numériques (RGESN) publié le 17 mai, soit deux ans et demi après la promulgation de la loi dite « Reen » du 15 novembre 2021 visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France (1), n’a pas de caractère contraignant. C’est-à-dire que ses 78 critères présentés sous forme de questions posées à tous les écoconcepteurs de « services numériques » – sites web, plateformes vidéo, applications logiciels/API, outils d’IA ou encore blockchain – n’ont pas à être obligatoirement respectés.
En revanche, le RGESN permet à ces professionnels du design digital de voir si leurs projets de services numériques sont conformes à des « critères de conception durable » afin d’en réduire l’empreinte environnementale. En plus des critères prévus par la directive européenne « Ecodesign » de 2009 (2), la France a précisé dans sa loi Reen que « ces critères concernent notamment l’affichage et la lecture des contenus multimédias pour permettre de limiter le recours aux stratégies de captation de l’attention des utilisateurs des services numériques ». Le paradoxe de ce référentiel général de l’écoconception est qu’il s’adresse seulement aux écoconcepteurs de services numériques et non pas aussi directement aux fabricants de terminaux numériques tels que smartphones, téléviseurs, ordinateurs ou encore tablettes. Or, comme le soulignent les promoteurs du RGESN que sont l’Arcep, l’Arcom, l’Ademe, la Cnil, la Dinum et l’Inria, « les terminaux, en particulier leur fabrication, représentent la majeure partie de l’empreinte environnementale du numérique », soit de 65 % à 92 % selon une étude Ademe-Arcep.

La régulation veille à ce que les opérateurs télécoms intègrent des principes RSE/ESG

Alors que vient tout juste d’être publié le 3e volet de l’étude menée par l’Arcep et l’Ademe sur l’impact environnemental du numérique en France, les opérateurs télécoms intègrent de plus en plus des principes « RSE » et « ESG » pour notamment être éco-responsables.

Par Marta Lahuerta Escolano, avocate of counsel, Jones Day

L’empreinte environnementale des réseaux de télécommunications suscite un intérêt croissant dans le paysage numérique, compte tenu de la pénétration croissante des technologies de l’information et des communications dans notre société. Alors que ces réseaux sont vitaux pour assurer les besoins en connectivité de nos différentes activités, leur déploiement et leur utilisation génèrent des répercussions significatives sur l’environnement.

Emission CO2 du numérique en hausse
Les centres de données, les câbles sous-marins et les pylônes requièrent une alimentation électrique constante pour assurer la transmission des données. Ce qui a des conséquences en termes d’émissions de gaz à effet de serre (GES). Selon une étude de l’Agence de la transition écologique (Ademe) et l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), publiée en 2023 (1), l’empreinte carbone du numérique pourrait tripler entre 2020 et 2050 si aucune action n’était prise pour limiter la croissance de l’impact environnemental du numérique (2). Face aux enjeux environnementaux et sociaux croissants et l’essor de la régulation européenne en matière de durabilité, l’intégration des principes dits de « responsabilité sociale des entreprises » (RSE) est devenue une priorité pour les opérateurs télécoms qui sont désormais tenus de répondre à des normes plus strictes pour réduire leur impact environnemental. Le secteur numérique représente de 3 % à 4 % des émissions mondiales de GES, soit environ deux fois plus que l’aviation civile, selon le « Telco Sustainability Index » du cabinet de conseil américain BCG (3), et, selon cette fois l’Ademe, il contribue à hauteur de 2,5 % à l’empreinte carbone en France (4).

Digital Markets Act (DMA) : mais que fait l’Arcep ?

En fait. Le 26 mars, l’Organe des régulateurs européens des télécoms (Berec) – que vice-préside Laure de La Raudière (Arcep) – tiendra à Bruxelles son 12e Forum annuel pour y rencontrer opérateurs télécoms, plateformes numériques et industriels. Objectif : harmoniser l’applications des règles européennes.

En clair. Avec le Digital Markets Act (DMA), entré en vigueur le 2 mai 2023 pour réguler les activités des grandes plateformes numériques en général (1) et des six « gatekeepers » (Alphabet/Google, Amazon, Apple, ByteDance/TikTok, Meta et Microsoft) en particulier (2), l’Organe des régulateurs européens des télécoms (Berec) entre dans une nouvelle ère de la régulation numérique. L’Arcep, qui fait partie des 37 régulateurs des télécoms membres (seuls ceux des Vingt-sept ont un droit de vote), a largement contribué à l’élaboration du DMA comme sur les aspects de l’interopérabilité des services de messagerie en ligne.
C’est le cas pour les « contrôleurs d’accès » tels que Meta. Ses messageries WhatsApp et Messenger sont justement des « services de plateforme essentiels » au sens du DMA. De ce fait, la firme de Mark Zuckerberg est obligée depuis le 7 mars 2024 de garantir dans l’UE l’interopérabilité de ses deux « services de communications interpersonnelles non fondés sur la numérotation » avec ceux de « tout autre fournisseur qui propose ou a l’intention de proposer de tels services dans l’UE ». Et ce, « en fournissant sur demande et gratuitement les interfaces techniques nécessaires ou des solutions similaires qui facilitent l’interopérabilité » (3).

Satellites d’Elon Musk : Starlink veut être partout

En fait. Le 27 novembre, le ministre israélien des Communications a félicité Elon Musk – fondateur de SpaceX et de sa constellation par satellites Starlink – pour des connexions Internet, « y compris dans la bande Gaza » où ce ministre résidait. Globalement, Starlink a pris de l’avance sur OneWeb et Kuiper.

En clair. « Elon Musk, je vous félicite d’avoir conclu un accord de principe avec le ministère des Communications sous ma direction. Grâce à cet accord important, les unités satellitaires Starlink ne peuvent être exploitées en Israël qu’avec l’approbation du ministère israélien des Communications, y compris dans la bande de Gaza », a lancé le 27 novembre sur X (exTwitter), Shlomo Karhi, le ministre israélien des Communications (1), qui indique sur son compte X être « résident de la bande de Gaza » (2). Elon Musk, également propriétaire de l’exTwitter, était en visite en Israël ce jour-là non seulement pour s’entretenir avec le président de l’Etat hébreu Isaac Herzog de la lutte contre l’antisémitisme en ligne, mais aussi pour conclure un accord avec le ministère israélien des Communications permettant d’assurer des connexion Internet par satellite dans le pays, bande de Gaza incluse.
La plus grande fortune mondiale (3), par ailleurs cofondateur et DG de Tesla, est venu – pendant la trêve dans la guerre entre Israël et le Hamas – avec sa casquette de fondateur PDG de SpaceX qui a créé et exploite Starlink, la plus grande constellation de satellites Internet jamais déployée au monde. Elle compte à ce jour 5.200 satellites en orbite, alors qu’il y en a environ 8.000 opérationnels tout opérateurs de satellites confondus.

L’Arcep est attendue sur l’analyse du secteur des infrastructures gigabit aux entreprises

Le cadre législatif du « marché numérique unique » a fondé son programme de « numérisation des entreprises » sur la « connectivité gigabit » en boucle locale et sur les « services numériques avancés » en nuage. L’Arcep doit l’intégrer dans ses analyses et sa régulation du « marché entreprises ». Par Christophe Clarenc, avocat, cabinet DTMV & Associés Les documents de consultation publique publiés par l’Arcep en vue du cycle 2024- 2028 de régulation des marchés du haut et du très haut débit fixe pour les entreprises (son « bilan et perspectives » de juillet 2022 et son projet de décision « marché 2 de fourniture en gros d’accès de haute qualité » de février 2023 (1)) ne sont pas au rendez-vous du cadre et des cibles d’analyse, de bilan et de feuille de route tracés dans la communication « Connectivité gigabit » de 2016 de la Commission européenne (2) et fixés dans la décision législative « Cibles numériques à l’horizon 2030 » de décembre dernier (3). Gigabit aux entreprises : marché « cible » Cette décision « Cibles numériques à l’horizon 2030 » poursuit le programme de « transformation numérique de l’Union européenne » en fixant aux Etats membres des « cibles numériques » à l’horizon 2030 dans les domaines connexes : des « réseaux fixes de connectivité gigabit jusqu’au point de terminaison du réseau » ; des « infrastructures numériques d’informatique en nuage, d’informatique en périphérie, de gestion des données et d’intelligence artificielle » ; de la « numérisation » des entreprises et des services publics à travers ces réseaux et ces infrastructures, ce avec une « feuille de route nationale » (comportant les « trajectoires prévisionnelles » et les « investissements et ressources nécessaires ») à présenter « le 9 octobre 2023 au plus tard », et un suivi de leurs « performances » et « progrès » dans l’Indice de l’économie et de la société numériques (DESI) annuellement publié par la Commission européenne. S’agissant des « réseaux fixes en gigabit », la décision de décembre 2022 a fixé à l’horizon 2030 une cible de « couverture de tous les utilisateurs finaux » au premier rang desquels les entreprises. Cette cible est à rapprocher de l’objectif « pour 2025 » qui avait été fixé en 2016 par la Commission européenne dans sa communication « Connectivité gigabit ». Elle appelait le secteur des télécommunications à un déploiement accéléré et massif des nouveaux « réseaux à très haute capacité » (VHCN) en fibre optique jusqu’au point de terminaison – réseaux « FTTP » dans le DESI recouvrant les boucles locales optiques (BLO) dédiées (BLOD) et mutualisées sur FTTH (BLOM) – assurant une « connectivité Internet en gigabit » (symétrique descendante/montante d’au moins 1 Gbit/s) considérée comme nécessaire pour l’utilisation par les entreprises des « solutions de transformation numérique » fournies dans les plateformes d’informatique en nuage. La Commission européenne proposait à cet effet une réforme du cadre réglementaire des télécommunications pour faire de « l’accès à la connectivité à très haute capacité et de sa pénétration sur le marché un objectif de la régulation », avec des conditions « incitatives, stables et homogènes » pour les opérateurs investisseurs leur assurant un « retour sur investissement », des conditions de « concurrence fondée sur les infrastructures dans les zones denses où plusieurs réseaux peuvent coexister » et des conditions « favorisant le Co investissement et les modèles d’opérateurs réservés au marché de gros » dans les autres zones. Elle formulait avec cette réforme un « objectif stratégique pour 2025 de connectivité en gigabit pour l’ensemble des principaux pôles de l’activité socio-économique ». Cette réforme est venue par la directive européenne du 11 décembre 2018 établissant le nouveau code des communications électroniques européen (4) et visant « à mettre en œuvre un marché intérieur des réseaux et des services de communications électroniques qui aboutisse au déploiement et à la pénétration des réseaux à très haute capacité ». La Commission européenne a présenté en février 2023 une proposition de « Gigabit Infrastructure Act » (5) visant à faciliter le déploiement des BLO dans les infrastructures de génie civil alternatives. Bilan et trajectoire sur « l’objectif 2025 » Le DESI 2022 (6) classe la performance de la France au 5e rang des Etats membres dans l’indice « Connectivité », avec en particulier un taux de couverture de 63 % pour les réseaux FTTP contre 50 % pour la moyenne des Etats membres. L’analyse bilantielle et prospective du « marché entreprises »* présentée par l’Arcep pour le cycle 2024- 2028 n’est pas au rendez-vous de ce cadre et de ces conditions. Elle ne désigne pas et ne définit pas ce marché « cible » des réseaux et services gigabit sur BLO en marché pertinent de référence et structurellement distinct des autres marchés de détail et de gros du haut et du très haut débit fixe. Elle ne présente pas d’état des lieux ni a fortiori de feuille de route des « investissements et ressources nécessaires » concernant « l’objectif 2025 de connectivité en gigabit pour l’ensemble des principaux pôles de l’activité socio-économique » au regard à la fois de la cartographie des BLOD et des BLOM-FTTH déployées en concurrence par les opérateurs investisseurs et de l’état des mises en service FTTH Pro, FTTH+ et FTTE par chacun des opérateurs FTTH concernés dans leurs zones. Concurrence sur le « marché entreprises » Le bilan de l’Arcep voit une « concurrence insuffisante » qui ne correspond pas à son objectif annoncé en 2016 – et atteint – de « stimuler une concurrence à au moins trois opérateurs investisseurs sur le segment entreprises », ni à ses données de structure et de niveau des parts de marchés concurrentiels sur les marchés de détail concernés. Il ne répond pas non plus au critère de « concurrence effective » fixé dans la réglementation sectorielle, ni aux conditions symétriques du déploiement des BLO. Et il ne prend pas en compte par ailleurs la présence, le poids et la pression des grands fournisseurs de services intégrés d’informatique en nuage et de communications interpersonnelles non fondés sur la numérotation sur ce « marché entreprises ». Dans son « bilan et perspectives » de juillet 2022 (7), l’Arcep relève que « les entreprises françaises, et en particulier les plus petites, accusent un retard dans leur transformation numérique ». « Si elles disposent généralement d’au moins un accès à Internet, elles ont un moindre usage du numérique que leurs homologues européennes. Ainsi, les entreprises localisées en France se positionnent à la 19e place en matière d’intégration des technologies numériques selon le “Digital scoreboard” [faisant alors référence au DESI 2021, ndlr] établi par la Commission européenne ». Et d’ajouter : « Dans la mesure où la connectivité est la porte d’accès des entreprises aux solutions numériques, l’Arcep a identifié depuis ces dernières années la connectivité des entreprises comme l’un de ses chantiers prioritaires ». La France est pourtant au 5e place en matière de connectivité… L’indice « Intégration des technologies numériques » (ITN) du DESI de la Commission européenne mesure les « progrès » de la numérisation des entreprises dans chaque Etat membre à travers l’évolution de leurs taux et niveau d’adoption des « 12 technologies numériques sélectionnées » comme « indicateurs de performance » pour cet indice, dont en particulier les « technologies avancées » du « cloud », du « big data » et de l’« AI ». La décision de décembre 2022 a fixé à l’horizon 2030 une cible d’adoption de ces trois services avancés par au moins 75 % des entreprises et une cible d’adoption d’un « niveau élémentaire d’intensité numérique » (adoption d’au moins quatre des « technologies » cataloguées dans l’indice ITN) par plus de 90 % des TPE. Le DESI 2022 affiche pour les entreprises françaises des niveaux de taux d’ITN contrastés entre eux et par rapport à la moyenne de l’Union européenne (UE) : un taux de 25 % pour les services cloud, par rapport à un taux moyen UE de 34 % ; un taux de 22 % pour les services big data, par rapport à un taux moyen UE de 14 % ; un taux de 7 % pour les services AI, par rapport à un taux moyen UE de 8 % ; et un taux de 47 % pour les TPE au « niveau élémentaire d’intensité numérique », par rapport à un taux moyen UE de 55 %. La diversité de ces taux d’ITN des entreprises françaises rapportée à l’indice de connectivité en France tend à montrer que les conditions du marché des services de connectivité aux entreprises en France sont sans rapport avec leur taux et leurs politiques d’ITN. L’ITN des entreprises s’est très largement traduite par une « migration » dans les infrastructures numériques des trois grands fournisseurs américains de services intégrés d’informatique en nuage (Amazon Web Services, Microsoft Azure et Google Cloud), qui « concentrent l’essentiel du marché en volume et en croissance » selon les propres termes de l’Autorité de la concurrence (8). Périmètre des « infrastructures numériques » L’Arcep serait ainsi bienvenue d’intégrer la présence et le poids des grands fournisseurs de services intégrés d’informatique en nuage et de communications interpersonnelles non fondés sur la numérotation dans son analyse du secteur des infrastructures et des services gigabit aux entreprises, en convergence à la fois avec : le règlement « Marchés Numériques » (DMA) de 2022 (9) qui a classé ces services dans la liste des « services de plateforme essentiels » ; avec la directive « Sécurité des Réseaux et des Systèmes d’Information » (NIS 2) (10) qui a classé et regroupé ces fournisseurs et les opérateurs de communications électroniques dans le même secteur convergent des « infrastructures numériques » ; et avec la décision législative de 2022 qui appelle à une « feuille de route nationale » également pour le déploiement des « nœuds périphériques » de l’informatique en périphérie. @

* Le « marché entreprises » recouvre l’ensemble des entreprises (TGE, MGE, PME, TPE et Petits Professionnels) et des entités publiques (administrations, établissements publics, collectivité territoriales) qui se fournissent pour les besoins de leur activité socio-économique.