Les « CSA » européens veulent plus de la Commission européenne contre les fake news

Les Google, Facebook et autres Twitter ont été contraints de se constituer en « police privée » pour chasser sur Internet les fausses informations. Liberté d’expression et liberté d’informer sont passées au crible pour supprimer les infox. Mais pour les « CSA » européens, cela ne pas assez loin.

Le groupe des régulateurs européens des médias audiovisuels, l’Erga (1), a publié le 6 mai son « rapport sur la désinformation et l’évaluation de la mise en œuvre du code de pratique » pour lutter contre les fake news. Ce rapport final intervient deux ans après l’adoption par la Commission européenne de mesures fondées sur les conclusions et les recommandations présentées le 12 mars 2018 par « un groupe d’experts de haut niveau » pour lutter contre la désinformation en ligne (2).

Autorégulation des acteurs du Net
Dans la foulée, le 24 avril 2018, la Commission européenne publiait une communication intitulée « Lutter contre la désinformation en ligne : une approche européenne » (3), qui préconisait un code de bonnes pratiques et de nouvelles règles visant à accroître la transparence et l’équité des plateformes en ligne, notamment la mise en place d’un réseau indépendant de vérificateurs de faits dans le cadre d’une démarche d’autorégulation des acteurs du Net. Ces derniers ont été fermement invités à coopérer avec l’exécutif européen dans cette croisade contre les mensonges, les manipulations et les informations erronées. Le 16 octobre 2018, les premiers signataires de ce « code de bonne conduite » furent Facebook, Google, Twitter et Mozilla (éditeur du navigateur Firefox).
Dans le même temps, l’Edima (European Digital Media Association) – lobby basé à Bruxelles et représentant les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) ainsi que Airbnb, Allegro, eBay, Expedia, Mozilla Mozilla, OLX, Snap, TripAdvisor, Twitter, Verizon Media, Yelp et Spotify – signait également ce code « anti-fake news », tout comme les associations professionnelles représentant l’industrie de la publicité et les annonceurs (EACA, IAB Europe, WFA et UBA). Microsoft a également rejoint le 22 mai 2019 les entreprises signataires. C’est lors des élections européennes de mai 2019 que les plateformes numériques participantes – Facebook, Google et Twitter en tête – ont publié des rapports mensuels sur la mise en œuvre de leurs actions dans le cadre de ce « code de pratique sur la désinformation » et dans un souci de « transparence de la publicité politique ». Cinq relevés mensuels ont été publiés sur cette période électorale, de janvier à mai 2019, dont le dernier publié il y a un an, le 14 juin (4). L’Erga en a fait la synthèse dans un rapport « monitoring » intermédiaire, en concluant que les GAFAM pouvaient mieux faire. « Google, Twitter et Facebook ont fait des progrès évidents dans la mise en œuvre des engagements du “Code of Practice on Disinformation” en créant une procédure ad hoc pour l’identification des publicités politiques et de leurs sponsors, et en rendant accessible au public les publicités en question. Il s’agissait d’un effort sérieux visant à accroître la transparence. Cependant, bien que les plateformes aient fourni des informations substantielles qui pouvaient être significatives pour les utilisateurs individuels, le suivi indique que les bases de données auraient dû être davantage développées [notamment plus détaillées, ndlr] afin de fournir les outils et les données nécessaires pour assurer la qualité électorale » (5). Les régulateurs européens de l’audiovisuel avaient en outre déjà constaté que les notions de « désinformation » et de « publicité politique » n’ont pas de définitions partagées par les Etats membres, dont certains n’ont même aucune définition des publicités politiques. A cela s’ajoutait aussi le fait que la plupart des « CSA » en Europe disposaient de compétences, de pouvoirs et de ressources juridiques très limités pour s’engager dans l’activité de surveillance des plateformes en ligne. Il y a un an, l’Erga estimait alors que l’approche de coopération en matière de régulation – appelée aussi co-régulation – adoptée par les institutions européennes ne devait pas empêcher d’aller plus loin en rendant exécutoires ou contraignantes (enforceable) les dispositions du code « anti-infox ».

Renforcer les autorités de surveillance
Cela supposait aussi, selon l’Erga, que les autorités de régulation chargées de surveiller le respect de ces dispositions par les plateformes du Net disposent également d’outils, d’accès aux informations et de l’autonomie nécessaires pour s’acquitter de cette tâche. « Il est crucial que les autorités de surveillance [« monitors », dans le texte, ndlr] aient la possibilité de créer leurs propres requêtes, filtres et outils d’analyse qui devraient être orientés vers les données brutes, non filtrées et non gérées dans les bases de données des plateformes numériques. L’information devrait être fournie de manière à leur permet également d’établir facilement le volume de publicité sur une période de temps définie, de comprendre des informations détaillées sur les pages où les publicités apparaissent, de connaître qui financent ces publicités, et d’identifier le problème pertinent pour chaque annonce en question », avait encore conclu l’Erga. Toujours dans son rapport intermédiaire de juin 2019, le groupe des régulateurs européens des médias audiovisuels avait appelé la Commission européenne à aller plus loin et au-delà de la seule publicité politique, « première étape d’un processus qui, inévitablement, rapprochera les deux parties (régulateurs et plateformes) tant au niveau européen qu’au niveau national ». L’Erga souhaitait « un niveau de coopération plus élevé ». Un an après son rapport intermédiaire, force est de constater que les premières recommandations de l’Erga n’ont toujours pas été suivis d’effet.

Mais respecter la liberté d’expression
Le groupe des régulateurs européens des médias audiovisuels en a donc remis une couche à travers son rapport final publié le 6 mai dernier (6). « Malgré des efforts notables fournis par les plateformes, l’application de ce code n’est pas encore optimale, à ce jour », insiste le groupe des « CSA » européens auprès de la Commission européenne. Il lui recommande d’agir maintenant dans trois directions pour améliorer la lutte contre la dissémination des infox en ligne : « Améliorer le code existant, étendre ses engagements et explorer de nouveaux outils pour tendre vers une régulation plus efficace, cette dernière étant assortie d’obligations claires de rendre compte selon des procédures davantage harmonisées et dans des délais appropriés », résume le communiqué du CSA en France, daté du 6 mai. Et le président de l’Erga, Tobias Schmid (photo) d’enfoncer le clou : « La lutte contre la désinformation est de la plus haute importance pour notre démocratie. Nous devons préserver la valeur du discours public sur Internet en empêchant la diffusion délibérée de fausses informations tout en respectant la liberté d’expression. (…) Mais un danger doit être combattu là où il se présente. Par conséquent, nous devons également trouver des moyens de renforcer les efforts des [plateformes numériques] signataires pour accroître l’efficacité des mesures du code et de leurs activités de reporting ». L’Allemand Tobias Schmid est par ailleurs directeur de l’autorité médiatique du plus puissant Land, la Rhénaniedu- Nord-Westphalie, ainsi que chargé des Affaires européennes de la DLM qui réunit en Allemagne les directeurs des autorités médiatiques. Au-delà des publicités politiques, l’Erga estime que la pandémie du coronavirus démontre qu’il faut aller plus loin dans la lutte contre la désinformation : « La prolifération de fausses nouvelles, guidées par des objectifs politiques et/ou axés sur le profit, qui accompagne la récente éclosion de covid-19, n’est qu’un exemple de la façon dont les stratégies de manipulation de l’information posent de graves menaces à la formation de l’opinion publique. Il est important de démystifier de telles nouvelles pour protéger les valeurs démocratiques et contrer les tentatives d’incitation à la haine et à la violence ». A nouveau, les régulateurs de l’audiovisuel recommandent que l’ensemble des plateformes numérique de contenus sur Internet opérant en Europe adhèrent à ce code contre la désinformation. Et concrètement, ils appellent à une bien plus grande transparence, y compris des données beaucoup plus détaillées (en particulier des données par pays) sur la façon dont les signataires mettent en œuvre le code « antiinfox ». De façon à uniformiser l’application de ce code de bonne conduite, l’Erga suggère que les plateformes mettent à disposition des ensembles de data, des outils de suivi des données et des informations spécifiques à chaque pays donné pour permettre au régulateur national un suivi indépendant. L’Erga propose en outre d’aider la Commission européenne (au niveau de sa DG Connect) à établir des définitions pertinentes, y compris en matière de publicité politique, ainsi que des lignes directrices pour assurer une approche plus cohérente entre les Etats membres.
Et pour que la lutte contre les fake news soit vraiment efficace, se limiter à Google, Facebook ou Twitter ne suffit plus, toujours selon les « CSA » européens : « Le nombre de signataires du code de pratique sur la désinformation est limité et ne comprend pas certaines plateformes importantes, les services d’information et de communication et les acteurs de l’industrie de la publicité qui sont actifs dans l’Union européenne. Par conséquent, tous les efforts possibles doivent être déployés pour augmenter le nombre de plateformes signataires du code, afin d’éviter les asymétries réglementaires ». Quant à l’auto-régulation flexible actuelle, si elle a pu être un premier pas important et nécessaire, elle a montré aussi ses limites et son insuffisante efficacité. Pour contrer la désinformation en ligne, il est aussi suggéré à la Commission européenne de passer à « une approche de co-régulation ». Aussi, l’Erga se propose de l’aider en 2020 à identifier les mesures spécifiques et pour les plateformes les indicateurs de performance-clés – les « KPI », disent les Anglo-saxons, pour Key Performance Indicators. Last but not the least : l’Erga veut aider Bruxelles à définir des outils nécessaires aux activités de surveillance (monitoring) et d’exécution des autorités de régulation nationales.

Vers une loi européenne « anti-infox » ?
Mais les régulateurs européens de l’audiovisuel et des médias veulent que les institutions européennes aillent encore plus loin, quitte « à envisager une régulation fixée par la loi, comme l’ont fait certains Etats membres tels que la France (7) ou l’Allemagne (8) ». Cette régulation pourrait être prévue par le futur Digital Services Act (DSA) que doit présenter (lire p. 3) la Commission européenne d’ici la fin de l’année. @

Charles de Laubier

Vivendi a encore déprécié sa filiale Dailymotion, de 68 millions d’euros dans ses résultats 2019

Dailymotion a 15 ans d’existence, la plateforme vidéo française ayant été créée le 15 mars 2005 par Benjamin Bejbaum et Olivier Poitrey. Mais le « YouTube » français, dévalorisé, continue encore de perdre de l’argent. Ses partenariats avec des éditeurs en Europe et aux Etats-Unis se multiplient.

(Après cet article paru dans EM@ n°234, Huawei et Dailymotion ont annoncé le 26 mai que le chinois intègre désormais la solution technologique vidéo du français)

« Vivendi a comptabilisé en 2019 une dotation pour dépréciation du compte courant de Dailymotion à hauteur de 68 millions d’euros », peut-on lire dans le document d’enregistrement universel 2019 de Vivendi, publié le 12 mars dernier. Ce n’est pas la première fois que le groupe multimédia de Vincent Bolloré procède à une dévalorisation de sa filiale Dailymotion. Dans son document de référence 2018 cette fois (1), Vivendi avait déjà dû comptabiliser une dépréciation de Dailymotion d’un montant de 73 millions d’euros, tout en consentant en plus à sa plateforme vidéo « un abandon de créance de 55 millions d’euros ».

Dailymotion a perdu la moitié de sa valeur
Autrement dit, financièrement, le « YouTube » français ne vaudrait plus que 130 millions d’euros au titre de l’année 2019. Soit moins de la moitié de sa valeur d’achat. Car si Dailymotion a 15 ans d’existence maintenant, son rachat par le groupe Vivendi date d’il y a 5 ans maintenant : c’est en juin 2015 qu’Orange lui vend dans un premier temps 90 % du capital de la plateforme vidéo pour 271,25 millions d’euros, avant de lui céder en juillet 2017 les 10 % restants pour 26 millions d’euros supplémentaires. Au total, Dailymotion aura coûté à l’achat à Vivendi près de 300 millions d’euros (2). Et encore, la valorisation de la plateforme française d’agrégation et de diffusion de contenus vidéo est peut-être bien moindre au regard de ses performances financières. Or Vivendi ne publie plus depuis deux ans le chiffre d’affaire de Dailymotion, ni ses pertes qui se sont creusées. Et ce, alors que Maxime Saada (photo), directeur général du groupe Canal+ depuis septembre 2015, est devenu aussi en mars 2017 président du conseil d’administration (3) de la plateforme vidéo qu’il a reprise en main. Les derniers résultats rendus publics de Dailymotion remontent à 2018 dans le document de référence de 2017 : Dailymotion affiche alors un chiffre d’affaires de seulement 43,2 millions d’euros, en chute de 26 % sur un an, avec une perte de 75,2 millions d’euros (contre 42,3 millions l’année précédente). La valeur comptable de Dailymotion dans les comptes de Vivendi était encore de 271,6 millions d’euros (grosso modo le prix d’achat), dont 80 millions d’euros pour la marque « Dailymotion » et 9 millions d’euros pour sa technologie. Depuis deux ans, Dailymotion se retrouve relégué dans les comptes de Vivendi dans les « Nouvelles Initiatives » aux plus de 700 salariés. Outre la plateforme d’agrégation de vidéo, l’on y trouve aussi Flab Prod (société de production vidéo rachetée en 2016 par Vivendi et également présidée par Maxime Saada), Flab Presse (agence de presse affiliée à Flab Prod), Vivendi Content (filiale de création de nouveaux formats, dont des vidéos pour mobile produites par Studio+ jusqu’à sa fermeture de ce dernier sur un échec (5)), ainsi que GVA (filiale du groupe, fournisseur d’accès à Internet en Afrique). Toutes ces entités « Nouvelles Initiatives » très disparates totalisent ensemble un chiffre d’affaires de 71 millions d’euros en 2019 – affichant une croissance assez faible de 7,5 % sur un an. Mais le résultat opérationnel de cet ensemble improbable accuse une perte de 65 millions d’euros, toujours l’an dernier, en amélioration tout de même par rapport à la perte de quelque 100 millions d’euros en 2018. Dailymotion pèse pour une bonne part dans cet agrégat fourre-tout.
Le « YouTube » français revendique à fin 2019 un total de plus de 350 millions d’utilisateurs mensuels dans le monde, en hausse de 20 % en deux ans. Selon la mesure d’audience « Internet global » de Médiamétrie en France, Dailymotion se retrouve à la 39e place avec 16,7 millions de visiteurs uniques sur le mois de mars, dont 63,7 % sur smartphone, 26,9% sur ordinateur et 23,6 sur tablette. Alors que YouTube, la filiale de Google, affiche 47,6 millions de visiteurs uniques sur le même mois – soit le double. Dailymotion entend « se distingu[er] des autres plateformes d’agrégation vidéo », notamment en se concentrant sur les 18-49 ans – « cible non-prioritaire pour les services vidéo en ligne existants mais stratégique pour les annonceurs » – et sur des contenus provenant d’éditeurs (actualités, divertissement, musique et sport).

Le pari des partenariats et de l’international
Vivendi espère sortir Dailymotion de l’ornière en multipliant les partenariats avec « des éditeurs mondiaux de contenus de premier plan » : en 2019, la plateforme vidéo en a noué plus de 280, dont 70 aux Etats-Unis. Parmi eux : Le Monde ou Konbini (6) en France, Gruner+Jahr en Allemagne, Hearst aux Etats-Unis, JPI Media en Grande-Bretagne, Meredith aux Etats-Unis, ou encore côté sports la MLB (baseball), la NHL (hockey) ou la Nascar (courses automobiles). Dailymotion essaie aussi de trouver de nouvelles audiences partout dans le monde, comme en Indonésie, à Taïwan ou encore au Mexique. @

Charles de Laubier

Retour sur le rapport « Les Hackers de la fiscalité » de Mounir Mahjoubi, prêt à déposer un amendement

Après sa note d’analyse sur la fiscalité numérique présentée fin septembre, l’ancien secrétaire d’Etat au numérique Mounir Mahjoubi, député de Paris, veut déposer un amendement pour obliger les GAFAM et autres acteurs du Net étrangers à divulguer leurs vrais résultats en France.

Le député (LREM) Mounir Mahjoubi (photo) s’apprête à déposer un amendement « pour forcer les compagnies à être transparentes » sur leurs revenus réalisés en France, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020 qui est examiné en commission des finances à l’Assemblée nationale depuis le 8 octobre et jusqu’au 14 octobre. « C’est le rôle du Parlement d’aider le gouvernement à améliorer ses lois. Je garde donc ouverte la possibilité de déposer un amendement pour forcer les compagnies à être transparentes en France », a-t-il confié à l’agence Bloomberg le 26 septembre dernier.

Réforme « trop timide » ; « durcir le ton »
Dans sa note d’analyse « Les Hackers de la fiscalité » d’une vingtaine de pages (https://lc.cx/Fisc), l’ancien secrétaire d’Etat chargé du Numérique (mai 2017-mars 2019) et ancien président du Conseil national du numérique (février 2016-janvier 2017) « appelle le Parlement [où il siège comme député de Paris depuis avril 2019, ndlr] à durcir le ton envers ces pratiques et à exiger plus de transparence sur les activités françaises de ces groupes ». Selon lui, la transparence doit venir non seulement des entreprises du numérique – les GAFAM en tête (Google, Amazon, Facebook, Apple et Amazon) – mais également de l’Etat français : « J’encourage l’Etat à transmettre au Parlement les éléments l’ayant conduit à estimer le rendement de la nouvelle taxe sur les services financiers ». Au niveau de l’Union européenne et de l’OCDE, il y a bien un travail collectif qui est mené sur ces questions, mais Mounir Mahjoubi estime que « le processus de réforme est en marche mais demeure trop timide » (1).
Car, en attendant une politique fiscale digne de ce nom à l’heure de l’économie numérique, les chiffres collectés par le député parisien (voir tableaux ci-dessous) démontrent que – rien que pour les GAFAM – le chiffre d’affaires « déclaré » l’an dernier est quatre fois inférieur à celui estimé « réalisé » (14,9 milliards d’euros réalisés en 2018, contre 3,4 milliards d’euros déclarés).


Quant au bénéfice imposable, il serait en réalité près de neuf fois supérieur à ce que ces cinq géants du Net auraient bien voulu faire croire au fisc français (3,4 milliards d’euros avant impôt estimés, contre 398 millions d’euros déclarés). Résultat : les GAFAM ont payé l’an dernier à Bercy près de neuf fois moins d’impôts dont ils auraient dû théoriquement s’acquitter en réalité (seulement 398 millions d’euros au lieu de 1,156 milliard d’euros). « J’approxime le manque à gagner pour l’Etat français à 1 milliard d’euros par an », estime Mounir Mahjoubi. Autant dire que la « taxe GAFA » – de 3 % sur le chiffre d’affaires des entreprises technologiques qui génèrent au moins 750 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel – que la France se vante d’avoir mise en place et applicable à partir du 1er janvier 2019 fait pâle-figure. Car celle-ci devrait rapporter quelque 400 millions d’euros cette année, 450 millions l’an prochain, 550 millions en 2021 et 650 millions en 2022. De plus, cette taxe est provisoire, le temps que l’OCDE aboutissement à faire adopter de règles fiscales communes avec ses pays membres (2).
Mounir Mahjoubi a été élu député le 28 avril dernier de la 16e circonscription de Paris, succédant ainsi à Delphine O – sœur de… son successeur au gouvernement Cédric O – qui était sa suppléante (lire en Une). L’actuel secrétaire d’Etat chargé du Numérique, en fonction depuis le 31 mars, n’a pas fait de commentaire sur le rapport de son prédécesseur. @

Charles de Laubier

Contenus haineux, terroristes et violents sur le Net : lutter mondialement sans oublier le juge national

Les avocats de France – via le Conseil national des barreaux (CNB) – appellent à concilier lutte contre la haine et respect des droits fondamentaux. Et ce, au niveau international mais en gardant le juge au centre du dispositif. Il faut aussi former les magistrats et créer un parquet national numérique.

Par Christiane Féral-Schuhl*, avocate associée, cabinet Féral-Schuhl/Sainte-Marie

15 mars 2019 : une attaque terroriste en Nouvelle-Zélande contre deux mosquées dans la petite ville de Christchurch (au sud de l’île) était filmée et diffusée en direct sur les réseaux sociaux. En réponse à cet acte inqualifiable de retransmettre en live sur Internet (1) ce massacre innommable en luimême, la volonté de réguler le contenu des réseaux sociaux afin de prévenir et d’empêcher une diffusion des discours de haines relève désormais d’une dynamique internationale.

Régulation mondiale du Net sans précédent
Dans le prolongement de la proposition de loi visant à lutter contre la haine sur Internet,
qui fut déposée le 20 mars dernier à l’Assemblée nationale à l’initiative du gouvernement et qui a été débattue les 3 et 4 juillet en séances publiques en première lecture avant un vote des députés prévu le 9 juillet (2), le président de la République Emmanuel Macron et la Première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern ont lancé, le 15 mai, l’appel de Christchurch. Il vise à prévenir la diffusion de contenus terroristes et extrémistes violents sur Internet, dans une démarche inclusive, participative et respectueuse des droits fondamentaux – en impliquant gouvernements, plateformes en ligne et représentants de la société civile. Il s’agit de la première initiative internationale visant à réguler les contenus sur Internet en dépassant le cadre législatif strictement national et en engageant un dialogue constructif entre les différents acteurs. Dans ce contexte, le Conseil national des barreaux (CNB) – établissement d’utilité publique fondé en 1990 pour représenter l’ensemble des avocats inscrits à un barreau français – a été invité à participer à la réflexion visant à rendre les engagements de cet appel effectif et sa mise oeuvre conciliable avec les libertés fondamentales.
• Les dispositions de l’appel de Christchurch
L’appel de Christchurch (3) invite de manière volontaire, par plusieurs séries d’engagements, les fournisseurs de services en ligne et les gouvernements à lutter contre les contenus terroristes ou extrémistes violents et garantir un Internet libre, ouvert et sûr, respectueux des droits de l’Homme. Cet appel, adopté sur la base du volontariat, fait écho aux dispositions de la proposition de la loi française visant à lutter contre la haine sur Internet. Ainsi, parmi les dispositions les plus innovantes, l’appel propose, notamment, aux fournisseurs de services d’améliorer la transparence des conditions générales d’utilisation des plateformes, de mettre en oeuvre ces conditions d’utilisation en prenant en compte les droits de l’homme et les libertés fondamentales (et notamment de prioriser la modération des contenus terroristes, fermer les comptes lorsque c’est nécessaire et prévoir un système de contestation transparent). L’appel de Christchurch propose aussi de prendre en compte le risque de diffusion de contenus haineux ou terroristes via les « live stream », d’améliorer les mécanismes de signalement des contenus, d’évaluer les algorithmes de manière à éviter qu’ils dirigent les utilisateurs des réseaux vers des contenus terroristes, ou encore de mettre en place des conditions générales d’utilisation transparentes et exhaustives et avertissant sur les conséquences de la diffusion d’un tel contenu.
Les gouvernements et les fournisseurs de services en ligne s’engagent parallèlement à plus et mieux coopérer d’un point de vue technologique, scientifique et juridique pour atteindre ces résultats, tout en respectant un cadre légal et les droits fondamentaux des utilisateurs.
• Les propositions du CNB
La lutte contre la haine et les contenus terroristes et extrémistes est un sujet mondial et l’affaire de tous. Les avocats, en tant que citoyens, sont concernés par la prolifération de la haine sur Internet. Toutes les mesures visant à lutter contre l’expression de la haine sur les réseaux sociaux et sur Internet doivent entrer dans un cadre légal et respecter les libertés publiques, y compris la liberté d’expression.

Réfléchir à la mise en oeuvre de l’appel
Dans la continuité de ses travaux engagés au niveau national, le CNB a participé à une réunion internationale d’experts issus du monde universitaires, d’organisations gouvernementales et internationales, d’associations et de juristes pour réfléchir à la mise en oeuvre de cet appel. Lors de cette consultation, le Conseil national des barreaux a salué cette initiative visant à lutter contre la diffusion de contenus terroristes. Comme l’affirme justement l’appel, « La diffusion de ce type de contenu sur Internet a des effets délétères sur les droits des victimes, sur notre sécurité collective et sur les populations du monde entier ». L’échelle internationale est tout à fait pertinente et seule une dynamique inclusive permettant d’engager un dialogue entre toutes les parties prenantes peut permettre d’agir utilement.

Dans le respect des droits des utilisateurs
Par ailleurs, le CNB a formulé plusieurs propositions pour faire en sorte que la mise en oeuvre de l’appel de Christchurch soit conciliable avec le respect des droits des utilisateurs et la bonne administration de la justice. A cet égard, l’un des moyens les plus efficaces de lutter contre les contenus haineux est la simplification des mécanismes de signalement et, notamment, l’harmonisation des formulaires de signalement et la mise en place d’un bouton unique de signalement d’un contenu haineux ou terroriste. Ces simplifications techniques, présentes dans l’article 2 de la proposition de loi française (notamment « un dispositif de notification directement accessible et uniforme permettant à toute personne de notifier un contenu illicite dans la langue d’utilisation du service »), sont un moyen efficace d’assurer une plus grande transparence et une meilleure information des utilisateurs des services.
De la même manière, la mise en place de procédures de contestation en cas de retrait de contenus (« un dispositif permettant à l’utilisateur à l’origine de la publication du contenu retiré, rendu inaccessible ou déréférencé de contester cette décision ») est primordiale pour assurer l’information des utilisateurs sur leurs droits et leurs devoirs. Toutefois, et dans le prolongement des réserves qui ont été exprimées par le CNB le 19 mai dernier (4) à la suite de la publication de la proposition de loi visant à lutter contre la haine sur Internet (voir encadré ci-dessous), la principale préoccupation de la profession d’avocat est de préserver le rôle de l’Etat en matière de justice. Et ce, en assurant des moyens suffisants permettant de poursuivre systématiquement et dans des délais raisonnables les utilisateurs diffusant des contenus manifestement illicites. Ces moyens pourraient permettre d’améliorer la formation des magistrats et de créer un parquet national numérique (5) afin de mieux articuler retrait des contenus et poursuites pénales. Les dispositifs envisagés actuellement sont centrés sur l’autorégulation des plateformes en ligne. L’obligation des plateformes à retirer les contenus manifestement illicites dans des délais extrêmement contraints sous peine de sanctions financières élevées, voire disproportionnées, risquent d’aboutir au contournement des mécanismes judiciaires adéquats en généralisant l’autocensure préventive des fournisseurs de services en ligne, au détriment de la liberté d’expression.
Or, il est fondamental qu’un équilibre soit respecté entre régulation, autorégulation et mécanismes judiciaires, ces derniers étant les seuls à même de sauvegarder l’équilibre entre l’interdiction des contenus illicites et la liberté d’expression des utilisateurs des plateformes. Dans cette architecture en construction, le rôle du juge et l’existence d’un recours juridictionnel effectif doivent rester centraux pour décider de ce qui est illégal ou non. De la même manière, la généralisation des algorithmes pour le contrôle des contenus constitue un moyen efficace de vérification mais soulève la question de leur transparence et de leur accès par les juges et les avocats en cas de contestation du retrait d’un contenu. Ces offensives à l’échelle nationale et internationale contre les contenus terroristes, extrémistes violents et haineux traduisent un besoin de régulation des contenus sur Internet et il appartient à nos sociétés de faire preuve d’imagination pour préserver l’équilibre fragile entre régulation et sauvegarde des droits fondamentaux. @

* Christiane Féral-Schuhl, présidente du Conseil national
des barreaux (CNB), est ancien bâtonnier du Barreau de
Paris, et auteure de « Cyberdroit », dont la 7e édition
(2018-2019) est parue aux éditions Dalloz.

ZOOM

La proposition de loi « Avia » renforcée à l’Assemblée nationale ne plaît pas du tout aux acteurs du Net
Lors de son examen en commission des lois à l’Assemblée nationale, le 19 juin dernier, la proposition de loi visant à lutter contre la haine sur Internet – appelée aussi « loi Avia », du nom de la rapporteure du texte, la députée Laetitia Avia (6) – a été renforcée. La portée de la loi a été étendue à la provocation au terrorisme ou à son apologie, ainsi qu’à l’apologie de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité, au harcèlement, au proxénétisme ou encore à la pornographique d’un mineur, voire aux contenus portant atteinte à la dignité de la personne humaine ou incitant à la violence ou à la discrimination, ou encore ceux s’en prenant à la nationalité ou à l’origine. Et ce, en plus de l’incitation à la haine ou de l’injure à raison de la race, de la religion, de l’ethnie, du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap, déjà prévu le projet initial.
Dans tous ces cas, l’obligation de retrait en 24 heures s’appliquera aux fournisseurs de services en ligne mais aussi, à la demande de Laetitia Avia, aux moteurs de recherche. D’autres dispositions (7) ont aussi durci le texte, y compris une sanction d’un an d’emprisonnement et 15.000 euros d’amende en cas de signalements abusifs par les utilisateurs de plateforme en ligne. Le 1er juillet, trois organisations professionnelles – Syntec Numérique, Tech in France et l’Asic (8) – ont alerté ensemble sur « le risque d’inefficacité du nouveau texte » et « le risque de compromettre son application ». Quant à La Quadrature du Net, association de défense des droits des internautes, elle dénonce aussi les risques sur la liberté de communication et le danger de l’instrumentalisation par le pouvoir politique. « Le délai de 24h pour retirer les contenus est si court qu[e] les plateformes n’auront d’autres choix que de réaliser un examen sommaire, ou un retrait quasi-automatique, des contenus signalés par leurs utilisateurs jugés les plus fiables ». @

Directive européenne sur « le droit d’auteur dans le marché numérique » : ce qu’en disent les acteurs du Net

Si les acteurs du Net et des ent reprises du numérique ont pratiqué un intense lobbying à Bruxelles et à Strasbourg pour tenter d’empêcher l’adoption du projet controversé de directive européenne réformant le droit d’auteur, leurs réactions – après le vote favorable des eurodéputés le
12 septembre (1) – n’ont pas été nombreuses. Les Gafam sont restés sans voix, ou presque, tandis que Mozilla (Firefox) a déclaré que ce vote ouvrait la voie au « filtrage brutal et inefficace » et que ce fut « un très mauvais jour pour l’Internet en Europe » (2).

« Nous poursuivrons nos partenariats » (Google)
Contacté par Edition Multimédi@, Google nous a fait part de sa réaction : « Les utilisateurs souhaitent avoir accès à de l’information de qualité et à du contenu créatif en ligne. Nous avons toujours dit que l’innovation et la collaboration étaient les meilleurs moyens de créer un avenir durable pour les secteurs européens de l’information et de la création, et nous sommes déterminés à poursuivre notre partenariat avec ces secteurs ». La filiale d’Alphabet est membre d’organisations professionnelles telles que Edima (European Digital Media Association), Digital Europe (ex- EICTA, European Information, Communications and Consumer Electronics Technology Industry Associations) ou encore CCIA (Computer & Communications Industry Association). Ce sont elles qui expriment le mieux la déception de la firme
de Mountain View. « Le Parlement européen a voté en faveur de la directive sur le copyright qui limitera la possibilité des citoyens européens de partager des informations en ligne et forcera le filtrage de leurs téléchargements. Les mesures adoptées [le 12 septembre] sont remarquablement similaires à celles déjà rejetées par une majorité
des députés européens [le 15 juillet], et cela est à la fois décevant et surprenant », a déclaré à l’issu du vote l’Edima, organisation basée à Bruxelles et représentant Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, eBay, Twitter, Snap ou encore Oath. Sa directrice générale, Siada El Ramly, regrette que les eurodéputés n’aient pas tenu compte des inquiétudes des citoyens sur les propositions contenues dans ce texte contesté. L’article 13 prévoit une responsabilité accrue des plateformes numériques pour lutter plus systématiquement contre le piratage sur Internet. L’article 11, lui, instaure sous forme de « droit voisin » une rémunération des articles et dépêches utilisés par les agrégateurs d’actualités. Les opposants à cette réforme du copyright mettent en garde contre le filtrage généralisé d’Internet, crainte qui avait abouti au rejet du texte en juillet (3).« Le droit voisin limitera le partage des actualités en ligne et le filtrage limitera les téléchargements des utilisateurs. Ce sont de mauvais résultats pour des citoyens européens », a déploré Siada El Ramly. Et cette spécialiste des affaires publiques en Europe d’ajouter : « Nous espérons que les préoccupations exprimées par les citoyens de l’Union européenne, tous les universitaires, les petits éditeurs, les start-up, et celles de l’ONU, seront toujours prises en compte durant la prochaine étape négociations ». La proposition de directive « Droit d’auteur » doit encore passer par les fourches caudines du trilogue constitué par la Commission européenne (à l’origine de la proposition de réforme en 2016), le Parlement et le Conseil de l’Union européens. Egalement basée à Bruxelles, Digital Europe a aussi regretté le vote des eurodéputés, soulignant également que « le rapport de septembre suit largement le projet de texte déjà rejeté en juillet ». Ce groupement européen d’intérêt économique compte parmi ses membres les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) mais aussi de nombreux autres industriels de la high-tech et des télécoms (Samsung, LG Electronics, Sony, Nokia, Nvidia, Panasonic, HP ou encore Lenovo). « Le résultat [du 12 septembre] gênera inutilement la recherche et développement en Europe, comme sur l’intelligence artificielle, en retardant l’instauration de la sécurité juridique et l’harmonisation avec une large exception [au droit d’auteur] pour le textand- data mining [le TDM étant l’exploration et l’extraction de données ou d’œuvres audiovisuelles, voire graphiques,
à des fins de recherche scientifique, ndlr]», critique Cecilia- Bonefeld Dahl (photo), directrice générale de Digital Europe. Pour ce groupement, l’adoption de cette directive est « une occasion manquée » de moderniser le cadre réglementaire du droit d’auteur en Europe.

L’Asic en France est restée sans voix
En France, l’Association des services Internet communautaires (Asic) – présidée par Giuseppe de Martino (ancien dirigeant de Dailymotion, aujourd’hui cofondateur de la plateforme vidéo Loopsider) – est restée dans voix depuis le 12 septembre. Représentant sur l’Hexagone Google, Facebook, Microsoft, Dailymotion ou encore Twitter, l’Asic avait cosigné – avec le Syntec numérique, France Digitale, Tech in France et Renaissance numérique – une tribune parue le 13 avril dernier dans Le Monde
« [demandant] de préserver l’Internet ouvert tel que nous le connaissons actuellement, en empêchant l’instauration d’un filtrage généralisé ». Ensemble, ils avaient mis en garde : « Le développement d’Internet, la créativité, la diversité des contenus que l’on peut y trouver et qui font sa richesse s’en trouveraient gravement menacés » (4). Les eurodéputés ne les ont pas entendus.

Les risques et les coûts du filtrage
De l’autre côté de l’Atlantique, la CCIA, basée à Washington et porte-parole des géants américains du Net, a réagi dès le 12 septembre pour dire tout le mal qu’elle pense de
« la décision d’adopter le filtrage des téléchargements pour une bonne partie des plateformes en ligne et d’introduire ce qui est appelé “droit des éditeurs de presse” ». Contactée par Edition Multimédi@, la porte-parole de la CCIA, Heather Greenfield (photo de droite), nous a indiqué ne pas savoir si Google et d’autres de ses membres avaient officiellement commenté le vote de Strasbourg. Dans son communiqué, l’organisation américaine fustige le revirement des eurodéputés : « Avec des centaines d’universitaires, des groupes de droits civils et le secteur en ligne, nous avons longuement plaidé contre ces mesures qui saperont la liberté d’expression en ligne et l’accès à l’information. Le filtrage présentera une obligation générale de surveiller les téléchargements de contenus effectués par les utilisateurs, ce qui portera atteinte aux droits fondamentaux des citoyens européens et détruira le régime de responsabilité limitée des plateformes qui était une pierre angulaire légale pour le secteur numérique européen ».
Présente à Bruxelles, la CCIA Europe s’appuie sur le Français Alexandre Roure qui est son directeur des Affaires publiques depuis novembre 2017 (après avoir été durant cinq ans au BSA, Bureau Software Alliance). Toutes ces organisations des acteurs du numérique se focalisent sur les articles 11 (droit voisin pour rémunérer la presse) et 13 (lutte généralisée contre le piratage) qui présentent selon elles un danger pour l’avenir de l’Internet et du Web. « Je suis entièrement d’accord pour dire que les plateformes en ligne ont certainement un rôle à jouer. Cela ne signifie pas nécessairement qu’une taxe sur les “snippets” [petits extraits d’articles repris par les agrégateurs d’actualités comme Google News, ndlr] soit la seule manière de progresser », a déclaré Siada El Ramly à l’AFP le 10 septembre. La directrice générale de l’Edima a rappelé que les droits voisins instaurés en Espagne et en Allemagne n’ont pas été des succès. En Espagne, des éditeurs de presse de petite taille ont dû fermer faute de pouvoir utiliser les agrégateurs d’information. En Allemagne, le secteur de la presse ne s’en est pas mieux sorti faute de créer de réelles nouvelles sources de revenus. Concernant la lutte contre le piratage, « disons-le très franchement, a poursuivi Siada El Ramly, si les plateformes ont l’obligation de s’assurer qu’un contenu protégé n’apparaît pas, tout ce qui pourrait être perçu comme une violation des droits d’auteur sera supprimé ». Et de prendre l’exemple d’une vidéo du spectacle de danse de sa fille où il y a une musique de fond : « L’ensemble de la vidéo devra être retirée de la plateforme sur laquelle elle a été
mise ». L’Edima regrette en tout cas que le débat ait été réduit à une opposition entre d’un côté les créateurs et de l’autre les plateformes, alors que la réalité est tout autre puisqu’il y a des artistes de part et d’autre. « L’Europe et l’industrie européenne ont beaucoup bénéficié des plateformes. Les technologies de l’information permettent la diversité culturelle en ligne, pour que les consommateurs européens aient davantage de choix », rappelle Siada El Ramly.
Fin août, l’Edima avait dressé les dix risques que présenteraient les articles 11 et 13 s’ils étaient appliqués : le taux d’erreurs dans le filtrage des contenus avec l’effet
« censure » que cela peut provoquer (un rapport de 1.000 contenus seraient menacés de suppression pour 1 cas illégal) ; le coût du filtrage pour une plateforme de taille moyenne pourrait atteindre 250.000 euros par an (5) (*) (**) ; le partage de photos de vacances pourrait s’en trouver impacté à cause du droit d’auteur ou de la morale ;
le partage de vidéos prises lors d’un festival de musique pourrait aussi être concerné ; le partage de selfies lors d’un match de football pourrait aussi être visé ; le partage d’événements familiaux avec de la musique ou des vidéos pourrait être bloqué ; poster des « mèmes » généralement basés sur des images connues et non libres de droits (6) sera risqué ; partager des cérémonies en tout genre avec de la musique le sera aussi ; partager des spectacles scolaires et musicaux également ; partager des articles d’actualité sera tout autant problématique.

Google va-t-il déréférencer la presse ?
A vouloir taxer Google ou Facebook, la presse en ligne risque de se tirer une balle dans le pied (7). « Il n’y a aucune raison de vous envoyer du monde, si c’est payant de vous envoyer du monde », pourraient dire les géants du Net au éditeurs de presse, selon Eric Leandri, cofondateur et président de Qwant, le moteur de recherche alternatif franco-allemande (8), qui s’exprimait le 13 septembre pour présenter son alliance avec le navigateur web américain Brave. @

Charles de Laubier