L’encrage à l’extrême droite du Parlementeuropéen hypothèque la réforme des télécoms

Les dernières élections européennes, donnant la part belle aux nationalistes, rendent incertaine la prochaine déréglementation des télécoms dans les Vingt-sept, alors que la Commission européenne doit réviser le code européen des communications électroniques d’ici décembre 2025.

Au plus tard le 21 décembre 2025, et tous les cinq ans par la suite, la Commission européenne est tenue de réexamine le fonctionnement de la directive de 2018 établissant le code des communications électroniques européen (CCEE). De même, d’ici cette même échéance, et tous les cinq ans là aussi, elle doit aussi réexaminer la portée du service universel, en vue de proposer la modification ou la redéfinition du champ d’application.

Déréglementer le marché des télécoms ?
A cela s’ajoute le projet de règlement télécoms, le Digital Networks Act (DNA) que pousse l’actuel commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton (photo), pour la prochaine mandature. Autant dire que la prochaine Commission européenne, qui prendra ses fonctions fin 2024 en tenant compte de l’extrême-droitisation du Parlement européen depuis juin, pourrait faire de la réforme des télécoms l’un de ses priorités. Rappelons que le code des communications électroniques européen, adopté en 2018 (1), a modifié et regroupé quatre directives préexistantes adoptées en 2002 et modifiées en 2009, à savoir les directives « cadre », « autorisation », « accès » et « service universel ». Cette directive du code des télécoms est censée avoir été transposée par chacun des Vingt-sept au plus tard le 21 décembre 2020.
Or, selon les constatations de Edition Multimédi@, il y a encore à mi-2024 des trous dans la « raquette » européenne des télécoms : l’Italie, le Luxembourg, la Grèce et la Bulgarie sont les quatre Etats membres qui n’ont quasiment pas transposé la directive du code des communications électroniques européen, avec respectivement seulement deux, deux, deux et une mesure(s) prise(s) en compte au niveau national (2). En plus de ces mauvais élèves européens, force est aussi de constater que bon nombre d’autres Etats membres n’ont que partiellement transposé la directive du code des télécoms. Dès le 4 février 2021, la Commission européenne avait engagé une procédure d’infraction contre 24 Etats membres, dont la France pour défaut de transposition du code des communications électroniques (3), suivie le 23 septembre 2021 d’un avis motivé adressé à 18 d’entre eux (4). Puis, le 6 avril 2022, la Commission européenne a saisi la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) d’un recours contre dix Etats membres pour défaut de transposition complète dans le droit national du code des communications électroniques (5).

Les fréquences de la TNT en Europe iront aux télécoms après 2031, mais la France résiste

Les « fréquences en or » actuellement utilisées par la TNT ont l’assurance d’être affectées à l’audiovisuel jusqu’en 2031. Ensuite, la Conférence mondiale des radiocommunications de 2031 (CMR-31) pourrait les allouer à la 5G/6G. La France, elle, va (ré)attribuer des autorisations TNT en 2025.

C’est à la Conférence mondiale des radiocommunications de 2031 (CMR-31) que l’Union européenne sera fixée sur le sort qui sera réservé aux fréquences de la banque 470-694 Mhz dans la « Région 1 », regroupant l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique. Ces fréquences – dites historiquement UHF (1) – sont actuellement aux mains de l’audiovisuel, en l’occurrence de la télévision numérique terrestre (TNT), ou Digital Terrestrial Television (DTT) en anglais. Il est plus que probable qu’après 2031 elles tombent dans l’escarcelle des télécoms qui demandent plus de spectre pour les déploiements de la 5G, y compris la 5G Broadcast (2), et de la future 6G (3).

Europe : la bande UHF destinée aux télécoms
« Dans la “région 1”, à savoir l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique, il y a des pays comme la France qui utilisent massivement la bande UHF [470-694 Mhz, ndlr] pour la diffusion de la TNT, a expliqué Gilles Brégant (photo), directeur général de l’Agence nationale des fréquences (ANFR), lors d’un colloque sur l’avenir de la TNT le 14 novembre dernier à Paris. Mais beaucoup d’autres pays cette région n’ont plus de télévision hertzienne de façon significative, comme la Suisse, l’Allemagne, des pays du Golf [persique] ou encore des pays africains. Ces derniers veulent développer de la téléphonie mobile dans cette bande de fréquences, mais aussi des réseaux de sécurité ou des systèmes de défense » (4).
En France, l’Arcom a lancé le 28 février et jusqu’en mai l’appel aux candidatures pour l’attribution de quinze fréquences pour la diffusion de chaînes de la TNT nationale (5). Mais pourquoi attribuer en 2025 quinze fréquences de la TNT – via des autorisations sur 10 ans assorties de conventions – si ce mode de diffusion numérique par voie hertzienne est voué à être remis en question par les instances internationales de gestion du spectre ?

Pérennité et qualité des réseaux très haut débit en fibre optique : le texte de loi attend son heure

Le projet de loi « Chaize », visant à « assurer la qualité et la pérennité des raccordements aux réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique », est depuis début mai entre les mains de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale. Point d’étape. Par Marta Lahuerta Escolano, avocate of counsel, Jones Day Le 2 mai 2023, le Sénat a approuvé à l’unanimité, avec des modifications, lors de sa première lecture, la proposition de loi « Assurer la qualité et la pérennité des raccordements aux réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique », déposée par le sénateur Patrick Chaize le 19 juillet 2022. Cette proposition de loi attend d’être examinée à l’Assemblée nationale (1) où elle est entre les mains de la commission des affaires économiques. La fibre optique est devenue l’infrastructure privilégiée pour répondre à la demande croissante de connectivité à haut débit. Nombreux problèmes de raccordement Grâce à sa capacité à transmettre des données à des vitesses plus élevées et à gérer un trafic plus important que les technologies traditionnelles, la fibre optique offre des avantages significatifs. En 2022, le déploiement des réseaux FTTH (Fiber-To-The-Home) en France a progressé à un rythme soutenu, avec 4,8 millions de nouveaux locaux raccordés à la fibre (2). Le Plan France Très haut débit (3) a joué un rôle essentiel dans cette accélération, en favorisant le déploiement de la fibre optique sur l’ensemble du territoire. L’objectif de ce plan est de garantir à chaque citoyen un bon débit pour tous (> 8 Mbits/s) d’ici 2020, le très haut débit (> 30 Mbits/s) d’ici 2022, et d’atteindre une généralisation de la fibre optique jusqu’à l’abonné (FTTH) d’ici 2025 (4). La réalisation de ces objectifs nécessite une collaboration et une mobilisation collective de tous les acteurs de l’industrie de la fibre optique, comprenant les donneurs d’ordres, les opérateurs d’infrastructure, les opérateurs commerciaux, les bureaux d’études et de contrôle, les installateurs (monteurs câbleurs, tireurs de fibre, raccordeurs, etc.), ainsi que les organismes de formation. Cependant, malgré les efforts déployés pour raccorder des millions de nouveaux locaux à la fibre, des défis subsistent. Certains secteurs géographiques demeurent insuffisamment couverts et la qualité des réseaux existants peut varier considérablement (5). L’Observatoire annuel de la satisfaction client, réalisé fin 2022 et publié par l’Autorité de régulation des commu-nications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) le 18 avril 2023, met en évidence que – parmi les principales raisons d’insatisfaction des clients – la qualité de service, notamment sur les réseaux fixes, arrive en tête. Elle est suivie des problèmes liés aux contrats et à la facturation, puis des difficultés rencontrées lors de la souscription et du raccordement (6). En France, le mode de raccordement dit « Stoc », pour « sous-traitance aux opérateurs commerciaux », a été mis en place pour accélérer le déploiement de la fibre optique. Il consiste en la sous-traitance par l’opérateur d’infrastructure au profit de l’opérateur commercial, du déploiement des derniers mètres de son réseau jusqu’à l’abonné (7). Cependant, rapporte le Sénat : depuis 2018 et en raison de l’accélération du déploiement de la fibre optique, des retours du terrain ont signalé de nombreux problèmes liés aux raccordements des utilisateurs finaux à la fibre optique. Ces problèmes incluent des débranchements injustifiés, des câbles emmêlés, et d’autres dysfonctionnements. L’exposé des motifs de la proposition de loi attribue ces problèmes à la pratique de la sous-traitance en cascade pour le rac-cordement final. Face à cette problématique, la filière télécoms a pris des mesures pour améliorer la qualité des raccordements. En 2020, une feuille de route a été adoptée, ce qui a conduit à l’élaboration d’un nouveau modèle de contrat de soustraitance appelé « contrat Stoc V2 ». De plus, les opérateurs se sont engagés à renforcer la qualité des interventions et à améliorer les contrôles, avec la mise en place du « contrat Stoc V3 » (8). Néanmoins, malgré ces efforts, le Sénat estime que les initiatives volontaires entreprises par les opérateurs n’ont pas permis d’atteindre les objectifs fixés. C’est dans ce contexte que la proposition de loi a été introduite, visant à garantir la qualité et la durabilité des réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique en France. Les objectifs de la proposition de loi L’exposé des motifs de la proposition de loi établit clairement le ton et les fondements de la démarche législative : « La France est en pointe en Europe pour les déploiements, et les abonnés plébiscitent cette technologie en s’abonnant de façon massive. Mais cette réussite de transforme progressivement en échec essentiellement du fait du mode de raccordement des abonnés. Les derniers mètres, qui sont les premiers mètres vus de l’abonné, ruinent l’image du Plan France Très haut débit et sapent la résilience de ce réseau essentiel » (9). Etablir un cadre à la mise en oeuvre du raccordement final et clarifier la répartition des responsabilités, renforcer les contrôles sur la qualité du raccordement à la fibre optique et protéger les abonnés, sont les trois principaux objectifs de cette proposition de loi qui comporte cinq articles. Les mesures législatives envisagées Répartition des responsabilités L’article 1er de la proposition de loi stipule que toute personne établissant ou ayant établi dans un immeuble bâti ou exploitant une ligne de communications électroniques à très haut débit en fibre optique permettant de desservir un utilisateur final – en l’occurrence l’opérateur d’infrastructure – est responsable à l’égard de l’utilisateur final de la bonne réalisation du raccordement à un réseau de communications électroniques à très haut débit. Cette responsabilité s’applique indépendamment des modalités spécifiques de réalisation du raccordement. Effectivement, l’article 1er de la proposition de loi souligne la responsabilité de l’opérateur d’infrastructure dans le choix du mode de réalisation des raccordements à la fibre optique sur son réseau. Il insiste également sur le rôle essentiel de l’opérateur d’infrastructure en tant que garant de la qualité des travaux réalisés. Conformément à l’article 3 de la proposition de loi, cette fois, l’opérateur d’infrastructure accorde la priorité à l’opérateur commercial pour réaliser le raccordement permettant de desservir l’utilisateur final. Cependant, cette délégation est soumise au strict respect des règles de l’art par l’opérateur commercial. En revanche, l’opérateur d’infrastructure continue d’effectuer : les raccordements longs ou complexes (qui seront définis par décret) dans les zones fibrées et les communes dans lesquelles le décommissionnement du réseau cuivre est engagé ; les raccordements effectués en cas de changement de fournisseur d’accès Internet par un abonné (article 3). En sa qualité de responsable de la bonne réalisation du raccordement final, l’opérateur d’infrastructure est tenu de mettre en place un guichet unique permettant aux utilisateurs finaux de signaler les problèmes de raccordement. L’opérateur d’infrastructure dispose d’un délai maximum de dix jours à partir de la réception de la notification via le guichet unique pour résoudre les difficultés signalées (article 1er). Qualité des raccordements Le raccordement devra se conformer à des exigences de qualité minimales qui seront déterminées par un décret, après consultation de l’Arcep. Les contrats et cahier des charges liant les opérateurs d’infrastructure, opérateurs commerciaux et sous-traitants devront les respecter et l’Arcep pourra imposer des sanctions en cas de manquement à ces exigences (article 4). Afin d’assurer le respect des exigences de qualité, les contrats de sous-traitance devront se conformer à un modèle de contrat établi par l’opérateur d’infrastructure. Ce modèle de contrat devra être soumis à l’Arcep et sera opposable aux usagers. En outre, tout intervenant chargé de réaliser un raccordement devra obtenir une labellisation conformément à un référentiel national. De plus, il devra remettre à l’utilisateur final un certificat de conformité, attestant que les travaux réalisés respectent le cahier des charges qui lui est imposé. Cela garantit que les travaux sont effectués selon les normes requises et fournit à l’utilisateur final une preuve tangible de la conformité des travaux réalisés (article 1er). En cas de défaut de qualité du raccordement, l’abonné aura le droit de demander réparation de son préjudice. Utilisation des deniers publics Dans les réseaux d’initiative publique (RIP) dans lesquels les collectivités territoriales déploient les réseaux via des contrats passés dans le cadre de la commande publique, la remise du certificat de conformité mentionné précédemment est une condition préalable au paiement de l’opérateur qui a réalisé le raccordement (article 2). Dans les RIP, sur demande de l’acheteur ou de l’autorité concédante, le cocontractant devra lui transmettre le calendrier hebdomadaire de réalisation des raccordements d’abonnés finaux dans un délai qui ne peut excéder quarante-huit heures. Droit des consommateurs L’article 5 de la proposition de loi renforce les droits des consommateurs en cas d’interruption prolongée du service d’accès à Internet, en établissant des pénalités à l’encontre du fournisseur d’accès à Internet (FAI). Selon cet article, en cas d’interruption du service d’accès à Internet pendant plus de vingt jours consécutifs, le consommateur aura le droit de résilier son contrat de service d’accès à Internet sans frais, à moins que le fournisseur ne démontre que l’interruption est directement imputable au consommateur. En cas d’interruption du service d’accès à Internet pendant plus de cinq jours consécutifs, le fournisseur est tenu de suspendre automatiquement toute demande de paiement adressée au consommateur. Cette suspension perdurera jusqu’à ce que le service d’accès à Internet soit rétabli de manière continue pendant au moins sept jours ou jusqu’à ce que le consom-mateur décide de résilier le service (article 5). A l’Assemblée nationale d’examiner le texte La proposition de loi doit maintenant être examinée par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, où elle a été transmise depuis début mai dernier. Les divers acteurs impliqués devront évaluer les modalités de mise en oeuvre des mesures prévues dans la proposition de loi et travailler en collaboration pour atteindre les objectifs fixés dans le Plan France Très haut débit. @

ANCT : le New Deal Mobile pourrait être prolongé

En fait. Le 15 juin, l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) a présenté sa nouvelle plateforme, « Toutes et tous connecté.e.s », pour continuer à signaler auprès de l’Etat les « trous » dans la couverture mobile. Et ce « dans la perspective d’un éventuel prolongement du New Deal Mobile ». En clair. Il semble que le gouvernement et le régulateur s’acheminent vers un deuxième « New Deal Mobile », après le premier signé en janvier 2018 avec les quatre opérateurs mobiles Bouygues Telecom, Free, Orange et SFR. Il en est question depuis presque trois ans (1) mais, cette fois, cela en prend le chemin et s’inscrit dans la lutte contre la fracture numérique persistante en France. Autrement dit, l’actuel New Deal Mobile pourrait être « prolongé », d’après ce qu’a dit le ministre délégué en charge des télécommunications, Jean-Noël Barrot, lors d’une audition au Sénat. « Dans la perspective d’un éventuel prolongement du New Deal Mobile, l’ANCT a ouvert une nouvelle plateforme de signalement des trous de couverture mobile », rapporte la Banque des Territoires (filiale de la CDC) dans son quotidien Localtis le 19 juin. Cette nouvelle plateforme baptisée « Toutes et tous connecté.e.s » remplace la précédente, « France mobile », laquelle avait été lancée il y a cinq ans. Le principe reste le même : permettre aux seuls élus inscrits de faire remonter le signalement de zones blanches (pas de signal) et grises (mauvaise couverture) dans leurs territoires, en termes de couverture mobile, afin que tout soit mis en œuvre pour installer de nouvelles antennes pour résorber les « trous » (2). La nouvelle plateforme a été repensée et redesignée par rapport à l’ancienne qui présentait en plus des bugs. A l’aide d’une carte zoomable, les élus sont maintenant en mesure de localiser précisément les zones mal ou pas couvertes par les opérateurs mobiles, et ils pourront bientôt suivre le déploiement des nouvelles antennes mobiles – comme l’indique l’ANCT dans une vidéo (3). L’élu pourra ainsi signaler les problèmes rencontrés (en extérieur, en intérieur, appeler, envoyer des SMS, accéder à Internet, …) et désigner le (ou les) opérateurs concerné(s). « De nouvelles fonctionnalités seront ajoutées dans les prochains mois, afin de proposer un outil dédié aux infrastructures numériques », indique en outre l’ANCT. Car, comme des élus l’ont fait valoir lors du comité de pilotage national de l’ex-France mobile, la nouvelle plateforme « Toutes et tous connecté.e.s » devrait à terme permettre aussi de signaler les trous « dans la raquette » du déploiement de la fibre optique. Surtout que les dysfonctionnements dans les raccordements du FTTH en France (4) sont récurrents. @

Revenus en hausse mais investissements en baisse : les opérateurs télécoms en font-ils assez ?

Les revenus 2022 des opérateurs télécoms en France sont en hausse, à plus de 45,8 milliards d’euros HT (+1,6 %). En revanche, leurs investissements sont en baisse, à 14,6 milliards d’euros (-1,8 %). Ce qui semble paradoxal avant la prochaine fermeture du réseau de cuivre. Saviez-vous que les opérateurs télécoms en France ont dépassé en 2022 la barre des 45 milliards d’euros de chiffre d’affaires ? Soit une hausse globale annuelle de 1,6 %, à précisément plus de 45,8 milliards d’euros, selon les calculs de Edition Multimédi@. Ce montant comprend à la fois le marché auprès du client final (plus de 36,7 milliards d’euros) et le marché auprès des opérateurs (plus de 9 milliards d’euros). Tandis que, toujours l’an dernier, les investissements consentis par ces mêmes opérateurs télécoms en France ont reculé de 1,8 %, à 14,6 milliards d’euros (hors achats de fréquences). Plan France THD et New Deal mobile C’est à se demander si les « telcos » ne relâchent pas leurs efforts d’investissements dans les déploiements des réseaux très haut débit fixe (fibre) et mobile (4G/5G) qui sont pourtant indispensables à l’aménagement numérique des territoires et à la lutte contre la fracture numérique. D’autant que le plan France Très haut débit, qui aura coûté près de 35 milliards d’euros, dont 65 % pris en charge par le secteur privé, 25 % par les collectivités territoriales et 10 % par l’Etat (1), est dans la dernière ligne droite de son objectif gouvernemental qui est de « généraliser la fibre optique en 2025 » en termes de prises raccordables. Le temps presse d’autant plus que la fibre optique est censée remplacer le réseau de cuivre (les paires de cuivre téléphoniques sur lesquelles passent le haut débit ADSL et le très haut débit VDSL2). Car l’opérateur télécoms historique Orange a déjà annoncé à tous ses concurrents, Bouygues Telecom, Free et SFR en tête, que la fermeture commerciale nationale de ce réseau de cuivre interviendra le 31 janvier 2026, avec la fin du plan de fermeture prévue en 2030. Il y a déjà sept communes où le réseau de cuivre a été définitivement fermé. L’Arcep indique qu’une nouvelle expérimentation d’extinction en zone très dense vient d’être lancée à Vanves (dans les Hauts-de-Seine en région parisienne et dans le centre-ville de Rennes (Ille-et-Vilaine en Bretagne). Le compte-à-rebours se poursuit. Or, d’après les relevés de l’Arcep au 31 décembre 2022, il restait encore sur tout le territoire 23,2 % des locaux – particuliers et entreprises confondus – à rendre raccordables à la fibre optique comme le sont les 76,8 % (voir tableau ci-dessous) – dont 53,8 % de ces prises FTTH ont trouvé « preneur » au 31 mars dernier, à savoir un peu plus de 19 millions d’abonnés à la fibre de bout en bout sur près de 35,3 millions de fibres optiques raccordables. Les opérateurs télécoms parviendront-ils au « 100 % fibre » avant l’échéance de dans un an et demi ? « Les déploiements vont vite et bien, et surtout en zones rurales. On a quand même des points d’attention dans certaines villes moyennes, comme Les Sablesd’Olonne, La Roche-sur-Yon et d’autres communes qui sont en-dessous de la moyenne nationale. J’invite les opérateurs – en particulier Orange – à poursuivre vraiment les déploiements dans ces zones-là. Puisque les opérateurs ont souscrit des engagements, vis-à-vis du gouvernement, à couvrir ces zones. (…) Orange a choisi à partir de l’année dernière de ralentir ses déploiements de fibre optique dans les zones les plus rurales. Nous l’avons mis en demeure de finir ses déploiements dans ces zones. L’instruction est en cours (2) », a indiqué le 25 mai la présidente de l’Arcep, Laure de La Raudière (photo), sur BFM Business. Le lendemain, l’ancienne députée a fait un déplacement à Marseille et à Septèmes-les-Vallons (Bouches-du-Rhône) pour y constater les retards et dysfonctionnement dans les raccordements à la fibre jusque dans les zones très denses. « Marseille a une couverture globale de 79 % du nombre de locaux, inférieure à la moyenne nationale (91 %). Les opérateurs privés ne déploient pas suffisamment », a-t-elle pointé dans son interview à La Provence parue le jour même. Laure de La Raudière (« LDLR »), qui a fait de la qualité des réseaux fibre une de ses premières priorités, rappelle d’ailleurs régulièrement, et à nouveau le 25 mai dernier, qu’« [elle a] du mal à dire que le plan France Très haut débit est une vraie réussite, étant donné ces problèmes de qualité de service sur les réseaux fibre » (3). Il y a aussi parallèlement la finalisation des engagements de Bouygues Telecom, Free Mobile, Orange et SFR dans le « New Deal mobile » pour atteindre 100 % du territoire en 4G, y compris pour résorber les « zones blanches centres-bourgs » dont il reste encore plus de 4 % à couvrir (4). Sans parler du déploiement de la 5G dans les zones un peu plus denses pour désaturer les réseaux 4G. Investissements : fixe en recul, mobile en hausse A l’heure où des retards dans les déploiements des infrastructures numériques et des dysfonctionnements voire des malfaçons dans les raccordements à la fibre préoccupent les élus locaux et leurs administrés, le recul des investissements des opérateurs télécoms semble pour le moins malvenu. Et ce, au moment où la proposition de loi « Assurer la qualité et la pérennité des raccordements aux réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique » (5) a été adoptée à l’unanimité au Sénat le 2 mai et va être débattue à l’Assemblée nationale. Même si ce reflux a été léger l’an dernier (- 1,8 %, à 14,6 milliards d’euros hors achats de fréquences, – 6,4 % avec), il s’avère plus prononcé (- 9,8 %) par rapport à 2020 (avec achats de fréquences), pourtant la première année impactée par la crise sanitaire. D’autant que si les investissements dans les réseaux mobiles (hors redevances pour fréquences mobiles) ont, eux, augmenté de 5,5 %, à 3,8milliards d’euros en 2022, il n’en va pas de même pour les réseaux fixe qui accusent pour leur part une baisse de 4,4 %, à 10,8 milliards d’euros, toujours l’an dernier (voir tableau ci-dessous). L’après-covid 19 n’a donc pas renversé la tendance baissière, bien que légère, les investissements restant « à un niveau élevé » ou « massifs » (dixit LDLR). Alors que dans le même temps, le chiffre d’affaires global des opérateurs télécoms a augmenté en 2022 de 1,6 %, à précisément plus de 45,8 milliards d’euros hors taxes. Revenus mobiles : hausse de 4,6 % en un an Le marché de détail (pour le client final) a contribué à ces revenus pour plus de 36,7 milliards d’euros, en hausse de 1,8 % sur un an. Tandis que le marché entre opérateurs (interconnexion, accès et itinérance) a contribué pour sa part à plus de 9 milliards d’euros, en hausse de 0,8 %. La plus grosse source de revenus l’an dernier pour les opérateurs télécoms réside dans les services mobiles aux clients finaux (marché de détail, y compris les recettes MtoM), à hauteur de 14,7 milliards d’euros (+ 4,5 % sur un an), auxquels s’ajoutent les revenus liés à la vente de terminaux mobiles, à hauteur de près de 3,5 milliards d’euros (+ 5,1 %). Au total, selon les calculs de Edition Multimédi@, le chiffre d’affaires mobile des opérateurs télécoms en France dépasse les 18,2 milliards d’euros en 2022, en belle hausse de 4,6 % sur un an. Quant aux services fixes, cette fois, ils constituent toutes catégories confondues la toute première source de revenu des opérateurs télécoms, à hauteur de plus de 16,5 milliards d’euros en 2022, quasiment stables (- 0,3 %). Le FTTH et la 5G permettent d’ores et déjà aux « telcos » d’accroître leurs revenus fixe et mobile (6). Sans parler du projet des opérateurs de réseaux de faire payer les GAFAM une taxe – une « compensation directe » ou fair share (7) – pour pouvoir utiliser leurs réseaux. Mais là, c’est une tout autre histoire. @

Charles de Laubier