Le « fédivers », une promesse d’interopérabilité ?

En fait. Le 9 août, La Quadrature du Net (défenseuse des libertés fondamentales) estime que l’interopérabilité proposée par Meta avec Threads (concurrent de Twitter/X) – via un protocole « fédivers » pour communiquer avec d’autres réseaux décentralisés – n’est « pas une bonne nouvelle ».

En clair. « Le fédivers (de l’anglais fediverse, mot-valise de “fédération” et “univers”) est un ensemble de médias sociaux composé d’une multitude de plateformes et de logiciels, où les uns communiquent avec les autres grâce à un protocole commun », explique La Quadrature du Net (LQDN). Le terme « fédivers » – à ne pas confondre avec « métavers » – est utilisé depuis moins de dix ans pour désigner les réseaux sociaux décentralisés, mais fédérés entre eux, afin d’assurer une interopérabilité entre leurs utilisateurs. Et ce, grâce un protocole commun ouvert et décentralisé comme plus répandu : ActivityPub, reconnu par le World Wide Web Consortium (W3C). Plusieurs médias sociaux sont interopérables comme Mastodon (partage de messages), PeerTube (partage de vidéos), Pixelfed (images et photos), Funkwhale (musiques) ou encore GNU social (l’un des plus anciens microbloggages né il y a plus de dix ans sous le nom de StatusNet).
La galaxie « fédivers » s’agrandit progressivement (1), au point de voir arriver un nouvel entrant : Threads, un microblogging lancé le 6 juillet dernier par Meta (maison mère de Facebook et d’Instagram) pour concurrencer Twitter rebaptisé X. La particularité de Threads est d’être décentralisé et bientôt compatible avec ActivityPub justement, donc interopérable à terme avec Mastodon par exemple. Chaque média social devient ainsi une « instance » lorsqu’il interagit avec un autre média social. C’est là que le bât blesse lorsque Threads veut interopérer avec d’autres instances du fédivers. « L’arrivée de Facebook sur le fédivers ressemble à la stratégie de prendre les devants, d’agir tant qu’il n’existe pas encore d’encadrement, afin de cannibaliser le fédivers en profitant de la circonstance de l’effondrement de Twitter », estime LQDN, qui souligne que Threads n’est pas encore interopérable avec le reste du fédivers car « il ne s’agit à ce stade que d’une annonce ».
L’initiative « anti-Meta » a été lancée sous le nom de Fidepact (2) pour bloquer Threads sur le fédivers. Mais LQDN ne l’a pas signée, bien qu’elle partage la crainte de « cannibalisation du fédivers par Meta », car : « Il est possible, et souhaitable, d’avoir Facebook et les autres réseaux sociaux commerciaux sur le fédivers. C’est une condition sine qua non à leur affaiblissement » (3). En attendant une obligation légale d’interopérabilité applicable aux GAFAM. @

L’anonymat sur les réseaux sociaux n’existe pas, seule est pratiquée la pseudonymisation

A part pour certains geeks utilisant Tor, l’anonymat sur Internet n’existe quasiment pas – contrairement à une idée répandue. L’identification d’un internaute utilisant un pseudonyme se fait par son adresse IP et peut être ordonnée par un juge sur « réquisition judiciaire ».

« L’anonymat sur les réseaux sociaux n’est plus une protection face à la justice », a lancé le procureur de la République de Créteil, Stéphane Hardouin, le 6 juillet dernier sur son compte professionnel LinkedIn, en montrant son communiqué expédié le même jour (1). Il annonce qu’un jeune homme âgé de 19 ans, ayant relayé de façon anonyme sur Twitter – après la mort de Nahel tué à bout portant par un policier le 27 juin 2023 à Nanterre et ayant suscité une forte émotion – un appel à attaquer le centre commercial « Créteil Soleil » et le tribunal judiciaire de Créteil, a été identifié avec l’aide de Twitter.

Twitter, Snapchat, Instagram, TikTok, …
Présumé innocent, il encourt en cas de culpabilité jusqu’à cinq ans de prison d’emprisonnement et 45.000 euros d’amendes. Son anonymat a été levé par Twitter sur réquisition judiciaire adressée le 1er juillet au réseau social à l’oiseau bleu. Accusé de « provocation publique et directe non suivie d’effet à commettre un crime ou un délit et complicité de dégradation ou détérioration d’un bien appartenant à autrui », le garçon majeur – domicilié dans le Val-de-Marne – a été interpellé le 6 juillet et placé en garde à vue au commissariat de Créteil.
Après son tweet, il se trouve que le centre commercial « Créteil Soleil » était pris d’assaut le 30 juin (21 individus interpelés), puis dans la nuit du 2 au 3 juillet des barricades faites de poubelles était incendiées et des mortiers était tirés aux abords du tribunal judiciaire de Créteil. Son message a été repéré par Pharos, la « plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements » de l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC), au sein de la Police judiciaire. Pour la réquisition judiciaire adressée à Twitter, le procureur de Créteil, Stéphane Hardouin, fait référence dans son communiqué à la circulaire du garde des sceaux datée du 30 juin et signée par Eric Dupond-Moretti (photo), qui appelle notamment à « une réponse pénale ferme ». Le ministre de la Justice pointe notamment l’anonymat sur les réseaux sociaux qui peut être levé par un juge : « Il apparaît que de nombreuses exactions sont commises après avoir été coordonnées via les systèmes de diffusion de messages sur certains réseaux sociaux dits OTT pour “opérateurs de contournement” (Snapchat notamment). Il doit être rappelé que depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2021-650 du 25 mai 2021, les OTT sont considérés comme des opérateurs de communication électronique (…), au sens de l’article L.32 du code des postes et des communications électroniques (CPCE). Dès lors, ils sont tenus de répondre aux réquisitions judiciaires, car relevant des mêmes obligations que les opérateurs téléphoniques. Ils peuvent ainsi être requis au visa de l’urgence pour assurer une réponse rapide sur les éléments de nature à permettre d’identifier les auteurs de ces messages ».
Dans la circulaire « Traitement judiciaire des violences urbaines » de quatre pages (2), émise par la Direction des affaires criminelles et des grâces à l’attention des procureurs et des présidents des tribunaux, le garde des sceaux leur demande de « veiller à retenir la qualification pénale adaptée aux faits perpétrés dans ce contexte et à procéder à une évaluation rapide et globale de la situation de manière à pouvoir apporter une réponse pénale ferme, systématique et rapide aux faits le justifiant ».
Et d’ajouter : « Pour les mis en cause majeurs, la voie du défèrement aux fins de comparution immédiate ou à délai différé, ou le cas échéant, de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, sera privilégiée pour répondre aux faits les plus graves ». Eric Dupond- Moretti a rappelé en outre que « les infractions commises par les mineurs engagent, en principe, la responsabilité civile de leurs parents ». Que cela soit dans la vraie vie ou sur les réseaux sociaux, nul n’est censé échapper aux sanctions pénales si la justice juge coupable l’individu ou l’internaute interpellé.

Pseudonymisation et démocratie vont de pair
Dans son rapport annuel 2022 – publié le 27 septembre – sur « les réseaux sociaux : enjeux et opportunités pour la puissance publique » (3), le Conseil d’Etat a estimé que « les réseaux sociaux engendrent une désinhibition, souvent aggravée par l’anonymat, qui ouvre la voie à de nombreux actes malveillants ». Faut-il pour autant interdire l’utilisation de pseudonymes sur les réseaux sociaux ? Les sages du Palais-Royal se sont dits très réservés sur la suppression de l’anonymat qui n’est autre que de la pseudonymisation : « La possibilité de s’exprimer sous un autre nom que le sien, qui a toujours été admise dans la vie réelle, est, comme l’a d’ailleurs rappelé par exemple la Cnil (4), “une condition essentielle du fonctionnement des sociétés démocratiques” qui permet “l’exercice de plusieurs libertés fondamentales essentielles, en particulier la liberté d’information et le droit à la vie privée”. Elle peut faciliter la prise de parole de personnes qui craignent la discrimination ou souhaitent contester les positions acquises ».

L’anonymat du Net est toute relative
Le Conseil d’Etat estime en outre que « la suppression de l’anonymat, qui n’a été adoptée par aucune démocratie occidentale et n’est pas envisagée au sein de l’Union européenne, ne paraît pas constituer une solution raisonnable conforme à notre cadre juridique le plus fondamental ». Et contrairement aux détracteurs d’Internet et des réseaux sociaux, l’anonymat sur Internet n’existe pas en général. « Cette forme d’anonymat n’est que relative. Il est en effet relativement facile, en cas de nécessité, d’identifier une personne compte tenu des nombreuses traces numériques qu’elle laisse (adresse IP, données de géolocalisation, etc.). La LCEN [loi de 2004 pour la confiance dans l’écono-mie numérique, ndlr] prévoit l’obligation de fournir à la justice les adresses IP authentifiantes des auteurs de message haineux et plusieurs dispositifs normatifs, dont la directive dite “Police-Justice”, obligent les opérateurs à conserver de telles données : en pra-tique, les opérateurs répondent généralement sans difficulté aux réquisitions judiciaires pour communiquer l’adresse IP. Les obstacles rencontrés existent mais apparaissent finalement assez limités : la possibilité de s’exprimer sur Internet sans laisser aucune trace paraît donc à ce jour réservée aux “geeks” les plus aguerris [utilisant notamment le navigateur Tor garantissant l’anonymat de ses utilisateurs, ndlr] ».
La pseudonymisation, comme le définit d’ailleurs l’article 4 paragraphe 5 du règlement général européen sur la protection des données (RGPD), est un traitement de données personnelles réalisé de manière à ce que l’on ne puisse plus attribuer les données à une personne physique identifiée sans information supplémentaire. « En pratique, rappellent les sages du Palais-Royal, la pseudonymisation consiste à remplacer les données directement identifiantes (nom, prénoms, etc.) d’un jeu de données par des données indirectement identifiantes (alias, numéro séquentiel, etc.). La pseudonymisation permet ainsi de traiter les données d’individus sans pouvoir identifier ceux-ci de façon directe. Contrairement à l’anonymisation, la pseudonymisation est une opération réversible : il est possible de retrouver l’identité d’une personne si l’on dispose d’informations supplémentaires ». Sans remettre en cause l’anonymat de l’expression, le Conseil d’Etat propose notamment la généralisation du recours aux solutions d’identité numérique et aux tiers de confiance. Et ce, notamment pour mieux protéger les mineurs, vérifier la majorité numérique – laquelle vient d’être fixée en France à 15 ans (5) – et de garantir la fiabilité des échanges sur les réseaux sociaux. La Cnil, présidée par Marie-Laure Denis (photo ci-contre), veut préserver l’anonymat. Y compris lorsque les sites pornographiques vérifient l’âge de leurs utilisateurs, sous le contrôle de l’Arcom. Pour cela, la Cnil préconise depuis juin 2021 le mécanisme de « double anonymat » (6) préféré à la carte d’identité. Ce mécanisme empêche, d’une part, le tiers de confiance d’identifier le site ou l’application de contenus pornographiques à l’origine d’une demande de vérification et, d’autre part, l’éditeur du site ou de l’application en question d’avoir accès aux données susceptibles d’identifier l’utilisateur (7). Quant au contrôle parental, il sera activé par défaut en France sur tous les terminaux à partir du 13 juillet 2024, selon le décret « Renforcer le contrôle parental sur les moyens d’accès à Internet » du 11 juillet paru 13 juillet (8).

« Couper les réseaux sociaux » (Macron)
« Quand les choses s’emballent pour un moment, [on peut] se dire : on se met peut-être en situation de les réguler ou de les couper », a lancé Emmanuel Macron de l’Elysée, le 4 juillet dernier, devant un parterre de 300 maires de communes touchées par les émeutes déclenchées par le meurtre du jeune Nahel. Face au tollé provoqué par ce propos digne d’un régime autoritaire à la Corée du Nord, à l’Iran ou à la Chine, le porte-parole du gouvernement Olivier Véran a dû rétropédaler en ne parlant plus que de « suspensions de fonctionnalités » comme la géolocalisation. Si couper les réseaux sociaux est faisable techniquement, avec l’aide des fournisseurs d’accès à Internet (FAI), la décision de le faire risque d’être illégale au regard des libertés fondamentales qui fondent une démocratie. @

Charles de Laubier

Emmanuel Macron fait sienne la « taxe streaming » controversée pour financer le CNM

L’Elysée a fait sa Fête de la Musique le 21 juin dernier et Emmanuel Macron l’a inaugurée en lançant un ultimatum aux plateformes de streaming musical afin qu’elles trouvent –d’ici le 30 septembre — un accord avec le Centre national de la musique (CNM) sur une « contribution obligatoire ».

« On le sait – vous le pratiquez –, il y a de plus en plus de streaming. Ce que je lui ai demandé [à Rima Abdul-Malak, ministre de la Culture] est, d’ici à la fin du mois de septembre, de trouver un accord de place pour que toutes les plateformes – qui font parfois beaucoup d’argent avec le streaming – nous aident à le redistribuer de la manière la plus intelligente pour financer la création et les artistes [via le Centre national de la musique]. Comme on l’a fait en France avec le cinéma et la création audiovisuelle [via le CNC, ndlr] », a déclaré Emmanuel Macron (photo), président de la République, lors de son discours d’ouverture de la Fête de la Musique, à l’Elysée, le 21 juin dernier.

Mises en garde au gouvernement
Et le chef de l’Etat, micro sur scène, de prévenir les Spotify, YouTube, Apple Music, Amazon Music, Deezer et autres Qobuz : « C’est un très bon modèle qui permet de respecter le droit des artistes, de défendre la diversité des cultures et l’exception culturelle à laquelle nous tenons tant. Donc, il faut que l’on ait un accord avec ces plateformes de streaming. Sinon, de toute façon, on prendra nos responsabilités pour les mettre à contribution et nous aider à financer les musiques » (1). Cet ultimatum fait suite au rapport « sur le financement des politiques publiques en direction de la filière musicale » que le sénateur Julien Bargeton, appartenant à la majorité relative présidentielle, a remis le 20 avril à Rima Abdul-Malak (2). Il préconise une « taxe streaming » à 1,75 % sur le chiffre d’affaires des plateformes de streaming pour la musique enregistrée, qui serait le pendant de la « taxe billetterie » à 1,75 % du spectacle vivant actuellement en vigueur.
« Faute d’un accord au 30 septembre 2023, le gouvernement se réservera la possibilité de saisir le Parlement d’une contribution obligatoire des plateformes de streaming, du type de celles proposées par le sénateur Julien Bargeton », a aussi annoncé l’Elysée dans un communiqué (3). Depuis le printemps, le prochain projet de la loi de finances 2024 est évoqué comme véhicule législatif pour faire adopter cette « taxe streaming » si la filière musique ne réussissait pas à se mettre d’accord à temps avec les plateformes de musique en ligne (4). « Le président de la République souhaite en outre que la France porte au niveau européen la poursuite des avancées obtenues sur la rémunération des artistes par les plateformes de streaming », indique aussi l’Elysée. Le Syndicat des éditeurs de services de musique en ligne (ESML), dont sont membres Spotify, Deezer, Qobuz et 17 autres plateformes musicales et services des artistes s’est dit inquiet suite à la déclaration d’Emmanuel Macron : « Nous craignons les conséquences catastrophiques de cette taxe sur le streaming musical, sur les ayants droits et finalement sur la création ». L’ESML, dont est président Ludovic Pouilly, par ailleurs vice-président de Deezer en charge des relations avec les institutions et l’industrie de la musique, estime que « cette taxe s’apparenterait ainsi à un nouvel impôt de production, reposant sur des acteurs indépendants européens et français du streaming musical comme Deezer, Spotify et Qobuz dont l’activité n’est pas encore rentable. Alors que nos services de streaming musical français et européens souffrent d’une concurrence déloyale des GAFA, qui ne contribuent pas à la même hauteur que nous au financement de l’industrie musicale (…) » (5).
De son côté, le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep), qui représentant notamment les majors Universal Music, Sony Music et Warner Music, fustige depuis des mois « la création d’un nouvel impôt sur le streaming dont notre secteur devrait s’acquitter ». Dans un communiqué du 22 juin, le Snep, son bras armé « droit d’auteur » la SCPP (6), La Scène Indépendante et le Réseau des musiques actuelles de Paris (Map) mettent aussi en garde le gouvernement : « La situation du streaming reste fragile ».

Bertrand Burgalat : #taxestreamingnonmerci
Et les quatre organisations de poursuivre : « Les plateformes françaises et européennes, dont le modèle économique est centré sur la diffusion de musique, n’ont pas atteint le seuil de rentabilité. Elles opèrent de surcroît sur un marché moins dynamique ici que dans les autres grands pays de la musique, dans un contexte de concurrence accrue et d’incertitude sur l’intelligence artificielle » (7). Le président du Snep, Bertrand Burgalat (producteur, musicien, compositeur, arrangeur et chanteur français), s’est fendu de deux tweets assassins. Le premier pour lancer le 21 juin : « Après avoir empêché la guerre en Ukraine et refondé la France en cent jours, le président Macron s’attaque au streaming » (8) Le second le 24 juin pour dire : « Le président de la République a donc demandé à Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la Culture, de réunir sans délai l’ensemble des acteurs de la filière etc : déjà 2 jours ouvrés sans signe de vie du ministère. #taxestreamingnonmerci » (9). Aucun commentaire de la ministre de la Culture n’est en effet intervenu après l’allocution d’Emmanuel Macron à L’Elysée, où Rima Abdul Malak était bien présente face à la scène de la Fête de la Musique du « Château ».

Financer le CNM pour aider la filière
En revanche, l’Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI) ainsi que son bras armé « droit d’auteur » la SPPF (10) sont favorables à cette taxe sur les plateformes de streaming musical. Avec une vingtaine d’autres organisations, notamment du spectacle vivant comme le Syndicat des musiques actuelles (Sma), le Syndicat national du spectacle musical et de variété (Prodiss) et d’autres (Camulc, Felin, Forces musicales, Prodiss, Profedim, …), elles ont « salu[é] l’annonce volontariste du président de la République de favoriser la concertation rapide de la filière et, à défaut d’une piste qui fasse l’unanimité, de mettre en œuvre une contribution de la diffusion numérique ». Et de rappeler au gouvernement : « Nous avions collectivement soutenu la piste d’une mise à contribution de la diffusion numérique (plateformes de streaming, réseaux sociaux, etc.), tant dans son activité payante que gratuite ».
Cette « taxe streaming » permettrait, selon leurs supporteurs, de financer le Centre national de la musique (CNM), établissement public à caractère industriel et commercial placé sous la tutelle du ministre de la Culture, afin de mieux aider la filière musicale et ses artistes.
La Société des auteurs compositeurs dramatiques (SACD) y est, elle aussi, favorable. « La mise en place d’une contribution des plateformes de streaming, qui pourrait intervenir dans la prochaine loi de finances, si les professionnels ne parvenaient pas à faire émerger des solutions adaptées d’ici le 30 septembre, serait une mesure juste, utile et efficace, comme l’est déjà de façon analogue pour l’audiovisuel et le cinéma la taxe sur les services de vidéo à la demande », considère la société de gestion collective fondée par les auteurs réunis autour de Beaumarchais en 1777 pour défendre les droits des auteurs (11). « Le bon choix du PR [président de la République, ndlr] en soutien de l’excellent rapport du sénateur @JulienBargeton », a tweeté le 21 juin Pascal Rogard, directeur général de la SACD (12). La perspective de cette « taxe streaming » a creusé les divisions au sein de la filière musicale française. L’opposition entre le Snep et l’UPFI est à son comble. La Fête de la Musique a même été gâchée, notamment à l’occasion d’un dîner-débat organisé le 21 juin par l’UPFI et le Prodiss où était convié « l’ensemble de l’écosystème pour un débat ouvert et franc » et où « la question du financement de la filière a été au coeur des échanges » (13). Le Snep représentant les majors de la musique enregistrée avait décliné l’invitation en ces termes twittés le jour même : « Le Snep ne participe pas au déjeuner du Prodiss et de l’UPFI, qui multiplient les faux-semblants d’union d’un écosystème musical plus divisé que jamais. Face à ce constat, la ministre de la Culture a annoncé une concertation par les pouvoirs publics. Il est temps en effet de sortir de l’impasse : des solutions existent pour éviter l’écueil d’un nouvel impôt de production, injuste, qui mettrait en risque toute la chaîne de valeur de la musique enregistrée, les plateformes françaises et européennes, les artistes, les auteurs, les compositeurs, les éditeurs et les producteurs » (14). Ambiance. Présent à ce dîner, Antoine Monin, directeur général de Spotify pour la France et le Benelux, a pris la parole au nom de l’ESML en déclarant : « La filière musicale française et le CNM méritent mieux que le rapport Bargeton. Si la première saura se remettre d’une énième guerre picrocholine, je ne suis pas certain que le second survivra à une telle fracture originelle ». Les protestations ont fusé parmi les convives.

Une « taxe anti-rap » et « taxe raciste » ?
Comme le rap caracole en tête de la musique enregistrée depuis quelques années, porté par le streaming et son succès auprès de la jeune génération, la « taxe streaming » a dès l’automne dernier été… taxée de tous les maux. « Non à la taxe streaming. Taxe anti-rap. Taxe raciste. Taxe non justifiée », avait tweeté le rappeur Niska le 4 octobre dernier à l’attention de Rima Abdul Malak (15). Face à la montée de la polémique sur les réseaux sociaux, le président du CNM, JeanPhilippe Thiellay (photo ci-dessus), avait dû s’inscrire en faux : « C’est un raccourci biaisé de dire que ce serait une taxe anti-rap. Sur le top 10.000 des écoutes, ce genre en représente un quart, pas plus. Et dire que le CNM n’aime pas le rap, c’est faux. Et nous accuser de racisme, c’est blessant » (16). @

Charles de Laubier

Pourquoi Orange, Deutsche Telekom, Telefónica et Vodafone lancent leur adtech Utiq en Europe

Lancée le 10 février après avoir obtenu le même jour le feu vert de la Commission européenne qui n’y voit « aucun problème de concurrence », la co-entreprise Utiq d’Orange, Deutsche Telekom, Telefónica et Vodafone cherche à obtenir le consentement publicitaire des mobinautes.

Les cookies sont morts, vive l’identifiant mobile ? Les géants du Net avaient imposé le dépôt de cookies publicitaires sur les terminaux pour traquer les internautes sur le Web et les mobiles. Des opérateurs télécoms pensent avoir trouvé l’alternative aux cookies, voués à disparaître, avec un identifiant numérique associé à l’adresse IP de chaque mobinaute (mais pas à sa carte SIM). Le consentement préalable et obligatoire des utilisateurs, avant de leur envoyer des publicités ciblées, sera recueilli par les opérateurs télécoms.

Identifiant mobile publicitaire
Basée en Belgique, à Bruxelles, la coentreprise Utiq – détenue à parts égales (25 % du capital) par ses cofondateurs Deutsche Telekom, Orange, Telefónica et Vodafone (initiateur du projet) – veut être un tiers de confiance dans la publicité numérique en Europe. La plateforme Utiq, ouverte « à tous les autres opérateurs télécoms européens », se veut aussi exemplaire dans la protection des données, au regard de la législation applicable par les Vingt-sept à travers le règlement général RGPD et la directive ePrivacy.
L’adtech des « telcos » permet d’obtenir ou pas de chaque abonné son consentement explicite (opt-in), condition sine qua non pour les marques de faire de la publicité ciblée sur les sites web et dans les applications mobiles (in-app). Utiq sonne d’ailleurs « you » (vous) et « tick » (cocher). « La seule donnée partagée est un jeton numérique [token, ndlr] pseudo-anonymisé et non réversible. Les consommateurs sont libres de donner ou de refuser leur consentement en un seul clic, ainsi que de révoquer tout autre consentement préalablement donné », assure la coentreprise dirigée par Marc Bresseel (photo de gauche), un ancien IBMeur ayant passé ensuite quinze ans chez Microsoft Advertising, suivis de moins de deux ans chez Interpublic (IPG Mediabrands), quatrième groupe mondial de publicité. Après des tests menés sous son ex-nom « Trust PID » durant des mois en Allemagne (avec Axel Springer, RTL et IQ Digital) et en Espagne, Utiq a créé fin mai sa troisième filiale, cette fois en France, basée à Boulogne-Billancourt et dirigée par Sophie Poncin (photo de droite). Contactée par Edition Multimédi@, celle-ci nous indique avoir démissionné de chez Orange, où elle a passé quinze ans, notamment en tant que directrice déléguée d’Orange Advertising, après avoir été moins de deux ans chez Google, et après huit ans chez France Télévisions Publicité (1). Des tests en France avec des marques et des médias auront lieu en juillet et en septembre, avec Orange, Bouygues Telecom et SFR, en attendant Free. L’Italie et, en dehors de l’Union européenne, le RoyaumeUni ont aussi leur filiale Utiq. D’autres pays européens suivront à partir de 2024. « Utiq est une initiative paneuropéenne visant à accompagner notre secteur vers plus de responsabilité, par le biais d’un consentement qui soit volontaire, clair et informé », a déclaré Marc Bresseel le 6 juin. Interrogé sur une éventuelle introduction en Bourse, il nous répond : « Il n’y a aucun plan en ce moment de faire une IPO [Initial Public Offering]. Il faut vraiment lancer le service, l’étendre au reste de l’Europe. Après, les actionnaires décideront de la stratégie d’investissement ».
Cette « solution mutualisée multi-opérateurs de publicité digitale et de marketing digital » permet aux « telcos » de tenter de reprendre la main sur le marché de la publicité numérique dominé par Google et Facebook. Utiq a noué un partenariat européen exclusif avec la société danoise Adform, spécialiste de la publicité programmatique. Il s’agit d’une plateforme d’intermédiation publicitaire dite DSP (Demand Side Platform) pour l’achat d’espaces publicitaires par les annonceurs et agences de publicité (2). « Les annonceurs peuvent désormais s’engager sereinement dans une stratégie cookieless [sans cookies tiers, ndlr], tout en ayant la certitude de bénéficier des normes européennes les plus rigoureuses en matière de gestion du consentement et de traitement des données personnelles », explique Alexandra Jarry-Bourne, vice-présidente chez Adform.

Reste convaincre les médias en ligne
Pour l’heure, l’accueil d’Utiq de la part d’éditeurs et de médias semble plutôt timoré, comme l’a révélé mi-juin Le JDNet. Certains sont « sceptiques » sur le double opt-in (consentement Utiq avec logo de l’opérateur télécoms, puis consentement de l’éditeur si ce n’est pas déjà fait). « Cela va augmenter mon taux de rebond [visiteurs quittant aussitôt le site web, ndlr] », craint un acteur sous couvert d’anonymat. Un autre se demande pourquoi une exclusivité avec une seule plateforme d’achat d’espace (Adform). Audelà de l’« opacité » (3), une inconnue demeure : quelle commission vont prendre les opérateurs télécoms ? Sophie Poncin a tenté de rassurer (4), sans donner de tarifs, ni à Edition Multimédi@. @

Charles de Laubier

Majorité numérique à 15 ans harmonisée en Europe ?

En fait. Le 28 juin, la proposition de loi « visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne » a été définitivement adoptée en commission mixte paritaire par députés et sénateurs. L’âge de 15 ans pour les réseaux sociaux va-t-il être harmonisé au niveau des Vingt-sept ?

En clair. Maintenant que la loi française « Majorité numérique » a été adoptée le 28 juin, obligeant les réseaux sociaux et plateformes numériques à vérifier non seulement que leurs jeunes utilisateurs ont bien l’âge de 15 ans pour les utiliser, mais aussi à obtenir une autorisation parentale en dessous de cet âge-là, la Commission européenne devra donner son avis. Le gouvernement français lui a en effet notifié la proposition de loi telle qu’adoptée, afin d’avoir le feu de Bruxelles qui doit vérifier que cette législation est bien conforme au droit de l’Union européenne.
Une fois le blanc-seing de la Commission européenne obtenu, le gouvernement fixera par décret une date d’entrée en vigueur de la loi, « [date] qui ne peut être postérieure de plus de trois mois à la date de réception par le gouvernement de la réponse de la Commission européenne ». L’harmonisation de la majorité numérique en Europe ne semble pas prévue, le règlement général sur la protection des données (RGPD) laissant le loisir aux Etats membres de fixer cette majorité numérique entre 13 et 16 ans (1). Cette vérification de l’âge viendra donc s’ajouter à l’obtention du consentement de l’enfant « e-majeur » ou d’un parent pour le traitement des données à caractère personnel – cette obligation concernant la protection de la vie privée étant déjà en vigueur. Pour l’accès aux réseaux sociaux, ce n’est qu’à compter de la date de promulgation de la loi « Majorité numérique » que les plateformes numériques (YouTube, Instragram, WhatsApp, TikTok, Facebook, Google Actualités, …), ainsi que les sites pornographiques premiers visés (2), disposeront de deux ans pour vérifier l’âge de leurs utilisateurs. C’est le président de l’Arcom qui est chargé de veiller à ce que les plateformes numériques mettent en œuvre une « solution technique certifiée pour vérifier l’âge des utilisateurs finaux et l’autorisation de l’un des titulaires de l’autorité parentale de l’inscription des mineurs de moins de quinze ans ».
Au préalable, l’Arcom devra établir un « référentiel » validé par la Cnil (3), auquel les « solutions techniques » devront être conformes. Or la Cnil, qui a préconise depuis juin 2021 le mécanisme de « double anonymat » (4) préféré à la carte d’identité, n’a toujours pas rendu public le bilan du test mené par un laboratoire de l’Ecole polytechnique et le Pôle d’expertise de la régulation numérique (PEReN) de Bercy. @