La Société des droits voisins de la presse (DVP) peine à négocier avec les plateformes numériques

Créée il y a près de deux ans et épaulée par la Sacem et le CFC, la Société des droits voisins de la presse (DVP) – présidée par Jean-Marie Cavada – négocie difficilement avec une dizaine de plateformes numériques, dont Google, Meta, Microsoft, Twitter, LinkedIn ou Onclusive (ex-Kantar Media).

(Cet article a été publié dans EM@ n°304 du 24 juillet. Le 2 août, après d’autres médias, l’AFP a saisi la justice contre Twitter, rebaptisé X, pour refus de négocier)

Depuis sa création fin octobre 2021, il y a près de deux ans, la société de gestion collective des droits voisins de la presse DVP (dont la dénomination est Société des droits voisins de la presse) reste assez discrète sur l’état d’avancement de ses négociations avec une dizaine de grandes plateformes numériques. Il s’agit de tenter de trouver des accords de rémunération de la presse lorsque des articles en ligne sont exploités par ces plateformes. A ce jour, la Société DVP représente – au titre des droits voisins de la presse – 238 éditeurs et 46 agences de presse, soit plus de 624 publications de presse La Société DVP, présidée par Jean-Marie Cavada (photo), a en fait confié les négociations à deux organismes reconnus : la Sacem (1) pour les plateforme numériques dites B2C (orientées consommateurs) telles que Google, Meta, Microsoft, LinkedIn ou encore Twitter ; le CFC (2) pour les plateformes numériques dites B2B (orientées vers les entreprises et professionnels) telles que les prestataires de veille média comme Onclusive (ex-Kantar Media), Cision (ex- L’Argus de la presse) ou encore des crawlers (spécialistes scannant le Web pour leurs clients). La Sacem assure en outre la gestion de la société DVP, dont la directrice générale gérante est Caroline Bonin, la directrice juridique de la Sacem.

Quatre ans après la loi du 24 juillet 2019…
Les négociations pour obtenir « une juste rémunération », et d’en obtenir le paiement, ont commencé à partir du printemps 2022, mais rien n’a filtré jusqu’à maintenant – les négociations avant tout accord d’autorisation étant soumises à une stricte règle de confidentialité. « Une dizaine de négociations sont ainsi en cours, à des stades variés, notamment en raison de discussions juridiques complexes sur l’éligibilité au droit voisin de la presse de certaines publications, que les redevables du droit voisin contestent pour diminuer le montant de la rémunération à acquitter et que DVP défend, en application de la loi et dans l’esprit de la gestion collective », a signalé le 31 mai dernier la Société DVP à ses éditeurs membres (parmi lesquels Edition Multimédi@). Certaines négociations ont fait l’objet de plusieurs projets de contrats et offres financières, mais aucune n’a abouti à ce stade malgré des réunions hebdomadaires avec les plus importants acteurs du Net. Le conseil d’administration de la Société DVP – composé de 16 membres (dont 12 éditeurs de presse et 3 agences de presse) et présidé par Jean-Marie Cavada – oeuvre pour Continuer la lecture

L’article 17 de la directive « Copyright » validé, le filtrage des contenus sur Internet peut commencer

La Cour de justice européenne (CJUE) a validé le 26 avril 2022 l’article 17 de la directive « Droit d’auteur et droits voisins dans le marché unique numérique ». Le filtrage des contenus mis en ligne soulève des questions. La liberté d’expression et d’information risque d’être la victime collatérale.

En France, aussitôt après que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ait – dans un arrêt du 26 avril 2022 – validé le controversé article 17 sur le filtrage des contenus mis en ligne sur Internet, au nom de la lutte contre le piratage, l’Arcom a publié deux questionnaires pour l’ « évaluation du niveau d’efficacité des mesures de protection des œuvres et des objets protégés » par le droit d’auteur et les droits voisins. L’un s’adresse aux fournisseurs de services de partage de contenus (de YouTube à TikTok en passant par Facebook et Twitter). L’autre s’adresse aux titulaires de droits (de l’audiovisuel à la musique en passant par la radio, les podcasts, la presse écrite, les photos, les illustrations, les livres ou encore les jeux vidéo). Ils ont tous jusqu’au 20 juin 2022 pour y répondre (1).

Content ID, Rights Manager, Surys, TMG, …
La France est, parmi les Vingt-sept, le pays qui veut être le bon élève dans la transposition de la directive européenne de 2019 sur « le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique » (2), censée l’être depuis le 7 juin 2021 par tous les Etats membres. Sans attendre l’échéance, le gouvernement français avait pris une première ordonnance dès le 12 mai 2021 pour transposer (3) les dispositions concernant la responsabilité des plateformes et le fameux article 17.
Maintenant que la CJUE a tranché en faveur de la validité de cet article 17 au regard de la liberté d’expression et d’information, l’Arcom consulte les ayants droit et les plateformes de partage en vue de publier des recommandations (4) pour améliorer l’« efficacité » et la « robustesse » des mesures de protection mises en place par les acteurs du Net concernés, ainsi que leur « transparence », leur « simplicité d’usage » et leur « finesse ». Ces systèmes automatisés et méconnus du grand public se nomment, pour n’en citer que quelques uns : Content ID (YouTube), Rights Manager (Facebook), Audible Magic (5), Signature (Ina), Surys (ex-Hologram Industries, ex-Advestigo), Trident Media Guard (TMG), Kantar ACR (ex-NexTracker et SyncNow de Civolution), Digimarc (acquéreur d’Attributor) ou encore Blue Efficience (6). Ces outils de filtrage de contenus en ligne font de la reconnaissance automatique des ces contenus en recourant soit au « hachage numérique » (hashing), soit au « marquage numérique » (watermarking), soit – de façon plus sophistiquée, automatisée et la plus répandue – à l’« empreinte numérique » (fingerprinting). Mais l’Arcom comme ses homologues de l’Union européenne réunis au sein de l’Erga (7) savent que le filtrage des contenus sur Internet à l’aide de ces outils de protection – pour distinguer entre un contenu illicite et un contenu licite, sans bloquer ce dernier – relève d’un exercice d’équilibrisme entre le droit fondamental de la liberté d’expression et d’information, d’une part, et le droit de propriété intellectuelle, d’autre part.
Autant dire que les régulateurs et les plateformes vont marcher sur des œufs. La Commission européenne avait bien publié le 4 juin 2021 ses lignes directrices sur l’application de l’article 17, en insistant sur « la nécessité d’équilibrer les droits fondamentaux et le recours aux exceptions et limitations [au droit d’auteur et aux droits voisins] » (8). Elle avait aussi prévenu que l’objectif n’était pas de créer une obligation générale de surveillance de l’Internet (9). Mais malgré ses « orientations », les craintes sur la liberté d’expression et d’information ont persisté. Celle-ci est garantie par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières » (article 11). Et c’est à la suite d’un recours – en annulation de l’article 17 – introduit le 24 mai 2019 par la Pologne que la CJUE a dû mettre les choses au clair vis-à-vis de ces droits fondamentaux, tout en rejetant ce recours avec le soutien de la France, de l’Espagne et du Portugal. Les juges ont suivi – comme souvent à la CJUE – les conclusions que l’avocat général, Henrik Saugmandsgaard Øe (photo), ou usuellement Henrik Øe, avait rendues le 15 juillet 2021 (10).

Varsovie opposé à Paris sur la liberté
Dans sa plaidoirie, la Pologne estime que l’article 17 viole le droit à la liberté d’expression et d’information garanti par l’article 11 de la Charte. Son argumentation était la suivante : « Afin d’être exonérés de toute responsabilité pour le fait de donner au public l’accès à des œuvres protégées par le droit d’auteur ou à d’autres objets protégés qui ont été téléversés par leurs utilisateurs en violation du droit d’auteur, les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne sont contraints, en vertu de l’article 17, (….) de procéder, de manière préventive, à une surveillance de l’ensemble des contenus que leurs utilisateurs souhaitent mettre en ligne. Pour ce faire, ils devraient utiliser des outils informatiques permettant le filtrage automatique préalable de ces contenus ». Et Varsovie de conclure : « En imposant, de fait, de telles mesures de surveillance préventive aux fournisseurs de services de partage de contenus en ligne sans prévoir de garanties assurant le respect du droit à la liberté d’expression et d’information, les dispositions litigieuses constitueraient une limitation de l’exercice de ce droit fondamental qui ne respecterait ni le contenu essentiel de celui–ci ni le principe de proportionnalité et qui, par conséquent, ne saurait être considérée comme étant justifiée ».

Trois conditions cumulatifs obligatoires
Le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne, soutenus par la France et l’Espagne, ainsi que par la Commission européenne, se sont inscrits en faux contre ce « moyen unique » soulevé par la Pologne. Dans son arrêt du 26 avril 2022, la CJUE rappelle que l’article 17, introduit « un régime de responsabilité spécifique pour l’hypothèse où aucune autorisation n’est accordée ». Pour autant, les plateformes ne peuvent « s’exonérer de leur responsabilité pour de tels actes de communication et de mise à disposition de contenus violant le droit d’auteur que sous certaines conditions cumulatives » :
Ils ont fourni leurs meilleurs efforts pour obtenir une autorisation.
Ils ont fourni leurs meilleurs efforts, conformément aux normes élevées du secteur en matière de diligence professionnelle, pour garantir l’indisponibilité d’œuvres et autres objets protégés spécifiques pour lesquels les titulaires de droits ont fourni aux fournisseurs de services les informations pertinentes et nécessaires. C’est ce que l’on appelle le principe juridique du « notice and take down » que l’on retrouve aussi aux Etats-Unis dans le Digital Millennium Copyright Act (DMCA).
Ils ont agi promptement, dès réception d’une notification suffisamment motivée de la part des titulaires de droits, pour bloquer l’accès aux œuvres et autres objets protégés faisant l’objet de la notification ou pour les retirer de leurs sites Internet, et ont fourni leurs meilleurs efforts pour empêcher qu’ils soient téléversés dans le futur. C’est l’équivalent cette fois du « notice and stay down » qui n’est cependant pas prévu dans le DMCA malgré la tentative du sénateur américain Thomas Tillis en décembre 2020 de l’introduire. Ce sont ces trois « conditions cumulatives » qu’a dénoncées Varsovie face à l’avocat général de la CJUE soutenu par Paris. L’arrêté rejetant le recours rappelle que les acteurs du Net visés par l’article 17 n’agissent pas seuls : ils n’agissent que s’ils ont reçu de la part des titulaires de droits et dans le cadre d’une procédure de notification « les informations pertinentes et nécessaires » pour agir contre le piratage présumé. Les mesures prises par les plateformes de partage de contenus en ligne se font donc « en coopération avec les titulaires de droits ». Et la CJUE d’assurer que ces filtrages automatiques sur Internet « ne devraient pas avoir pour conséquence d’empêcher la disponibilité de contenus qui ne portent pas atteinte au droit d’auteur, y compris d’œuvres ou d’autres objets protégés dont l’utilisation est couverte par un accord de licence, ou par une exception ou une limitation au droit d’auteur ou aux droits voisins » (considérant 66 de l’arrêt). Car il ne s’agit pas de sacrifier la liberté d’expression, de création et d’information – dont font partie la citation, la critique, la revue, la caricature, la parodie ou le pastiche – sur l’autel du droit de propriété intellectuelle (11). Il est en outre rappelé que l’article 17 prévoit lui-même que son « application (…) ne donne lieu à aucune obligation générale de surveillance » (son huitième point).
Pourtant, certains pourraient dire « et en même temps »…, l’avocat général Henrik Øe avait averti dans ses conclusions rendues le 15 juillet 2021 et suivies comme souvent par la Cour que « pour pouvoir effectuer un tel contrôle préalable, les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne sont, en fonction du nombre de fichiers téléversés et du type d’objet protégé en question, (…) contraints de recourir à des outils de reconnaissance et de filtrage automatiques » (points 57 à 69 de ses conclusions). Et l’arrêt du 26 avril 2022 d’abonder : « En particulier, ni les institutions défenderesses ni les intervenants n’étaient en mesure, lors de l’audience devant la Cour, de désigner des alternatives possibles à de tels outils » (considérant 54).

Du fingerprinting au matching, et après ?
Les outils de reconnaissance ou ACR (Automatic Content Recognition), qui recourent à l’« empreinte numérique » (fingerprinting), filtrent automatiquement les œuvres et autres objets protégés par le droit d’auteur et les droits voisins dès que les internautes les « téléversent » sur les plateformes de partage et les réseaux sociaux. S’effectue alors automatiquement une comparaison de ces contenus mis en ligne avec des informations de référence fournies par les titulaires de droit. Lorsqu’il y a correspondance, on parle de « match ». L’ayant droit a alors le choix : soit bloquer le contenu « piraté », soit de le laisser en ligne en étant informé sur son audience, voire de l’ouvrir à de la publicité en ligne pour le monétiser. @

Charles de Laubier

Quelle protection en droits d’auteur et droits voisins pour les œuvres utilisées dans les podcasts ?

En attendant d’autres grilles de sociétés de gestion collective des droits d’auteur pour permettre aux créateurs de podcasts de connaître les tarifs en cas d’utilisation d’œuvres protégées, seule la Sacem a publié la sienne – négociée avec le Geste. Les droits voisins, eux, ne sont pas concernés.

Par Véronique Dahan, avocate associée, Joffe & Associés.

Le podcast représente en 2020 plus de 100 millions d’écoutes mensuelles en France (1). Malgré l’expansion de ce nouveau moyen de consommation de contenus sur Internet, les créateurs de podcasts rencontrent une épineuse contrainte : sans barèmes permettant d’évaluer le coût de l’utilisation d’œuvres musicales protégées par le droit d’auteur, ils sont contraints de choisir entre : intégrer sans autorisation dans leur émission sonore les œuvres musicales, en toute illégalité, ou utiliser uniquement des sons libres de droit ou des mashups non attractifs pour les auditeurs.

Podcast natif ou podcast replay
L’une ou l’autre de ces solutions ne permettant nullement de soutenir les auteurs-compositeurs, la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) s’est saisie de la question afin d’établir un barème permettant aux créateurs de podcasts d’estimer le montant à verser à l’organisme pour l’utilisation des œuvres qu’elle protège.
La Sacem a donc publié en janvier 2020 une brochure (2) détaillant les barèmes applicables à l’utilisation des œuvres protégées de ses adhérents dans les podcasts. Après un an de discussions, le Groupement des éditeurs de contenus et de services en ligne (Geste) a relayé le 2 septembre 2021 les nouveaux tarifs applicables, négociés avec la Sacem (3). Il convient à cet égard de définir le périmètre de cet accord afin d’en apprécier les apports et relever les points qui résistent au débat.

• L’applicabilité du barème aux podcasts en replay
Le podcast natif est le contenu sonore ou audiovisuel sur Internet créé pour être diffusé directement en ligne sans passer par un autre moyen de communication tel que la radio. Il se distingue ainsi du podcast en replay, lequel est une rediffusion d’un contenu déjà passé à l’antenne (les professionnels parlent aussi de Catch up Radio, ou radio de rattrapage). Le Geste a annoncé « une grille tarifaire s’appliquant aux droits d’auteurs sur les podcasts natifs » laissant sous-entendre l’exclusion de ceux en replay. Toutefois, la Sacem – lors de la publication des barèmes – a précisé que « ces tarifs sont applicables aux podcasts issus de la reprise d’une émission de radio ou de webradio comme aux podcasts dits “natifs”, créés spécifiquement pour une diffusion en ligne » (4). Le barème révisé de cette année (5), publié en mars 2021, vise quatre types de podcasts : les podcasts associatifs natifs ; les podcasts associatifs issus d’une webradio ; les podcasts commerciaux financés par la publicité ; et les podcasts commerciaux par abonnement. Néanmoins, les tarifs proposés pour utiliser les œuvres protégées dans les podcasts associatifs sont trois fois plus élevés dans le cadre d’une webradio (120 euros HT par an) que pour un podcast natif proposé sur un site Internet (40 euros HT par an). S’agissant du podcast commercial, il n’est fait aucune distinction de tarif selon qu’il s’agisse de la reprise d’une émission de webradio ou d’un podcast natif.

• Le cas de l’utilisation « éclair » d’une œuvre protégée par le droit d’auteur
Une deuxième interrogation concerne la durée de diffusion de l’œuvre protégée par le droit d’auteur. Les barèmes établissent un taux de redevance qui varie notamment selon la proportion du temps de diffusion de l’œuvre dans la durée total du podcast.
Ainsi, à titre d’exemple, l’utilisation d’une œuvre faisant partie du répertoire de la Sacem durant 20 % du temps total d’un podcast sur le cinéma donnera lieu à l’application d’un taux de 3 % des recettes à verser au titre des droits d’auteur à la Sacem. Mais qu’en est-il dans le cas où l’œuvre est diffusée pour une très courte durée, correspondant à, disons, 0.5 % ou moins de la durée totale du contenu ?

Quid des exceptions aux droits d’auteurs ?
L’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle (6) prévoit en effet plusieurs exceptions à la protection des droits d’auteur et notamment « les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées ». La Sacem a répondu à cette question en maintenant que même pour une utilisation très courte de son catalogue, les grilles devraient s’appliquer (7). Au regard du barème de la Sacem, le tarif est le même pour la diffusion d’une œuvre protégée par le droit d’auteur pendant une ou deux secondes ou pour une durée correspondant à 30 % de la durée totale de l’émission, les catégories « Jusqu’à 15 % » et « De 15 à 30 % » présentes dans les grilles pour 2020 ayant été supprimées dans la grille 2021.
• Un barème réservé aux œuvres du répertoire de la Sacem Alors que des contrats uniques concernant les différents organismes tels que la Société civile des auteurs multimédias (Scam), la Sacem et la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) ont été élaborés pour que les radios puissent exploiter l’ensemble des œuvres des répertoires de ces sociétés (8), tel n’est pas encore le cas s’agissant des podcasts.

Le Geste finit de négocier avec la SACD
Le Geste a annoncé en janvier 2020 avoir entrepris des négociations avec les organismes de gestion collective des droits d’auteur, pour établir des contrats-cadres d’exploitation de podcasts mais, à l’exception de la Sacem, aucun autre organisme n’a publié de grilles permettant aux créateurs de podcasts de connaître les tarifs auxquels ils s’exposent en utilisant une œuvre protégée par l’une de ces sociétés. Des accords entre certaines plateformes de podcasts ont toutefois ponctuellement émergés, comme Binge Audio – premier accord en avril 2020 sous la houlette du Geste (9) –,Bababam, Louie Media ou Nouvelles Ecoutes qui ont chacun signé avec la Scam (10). Mais à notre connaissance, la Scam n’a pas encore publié ses tarifs. Les droits d’auteur n’obtiennent pas encore le même niveau de reconnaissance et de protection s’agissant des podcasts que celui octroyé à la radio, qui réunit pourtant de moins en moins d’auditeurs. Selon les informations de Edition Multimédi@, des discussions sont en train d’être finalisées entre le Geste et la SACD. Les tarifs de cette dernière devraient être publiés dès qu’ils seront validés avec le groupement des éditeurs.

• L’exclusion de l’utilisation des œuvres protégées par les droits voisins
Plus encore, les droits voisins ne sont en aucun cas concernés par les grilles d’évaluation proposées par la Sacem et le Geste. La Sacem met à ce titre les créateurs de podcast associatifs ou commerciaux en garde, en précisant à la suite de son barème qu’ils doivent « également obtenir l’autorisation des producteurs de ces enregistrements » (11). La Sacem renvoie pour cela à la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP) et à la Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF) pour que les créateurs de podcasts s’accordent avec ces sociétés de gestion sur des « contrats généraux d’intérêts communs » (12). Pour autant, des contacts ont été pris par le Geste avec la SCPP pour les droits voisins et la SPPF va être également approchée. Il reste que le paiement de la redevance issue du barème de la Sacem ne permet pas, seule, d’utiliser des œuvres répertoriées par un organisme de gestion des droits voisins. Le 23 janvier 2020, à l’occasion du Salon de la Radio, la Sacem a par ailleurs rappelé que le barème publié pour l’année 2020 ne concernait que les œuvres sonores et non les podcasts audiovisuels. En clair, seules les œuvres de génériques ou créées spécialement pour le podcast, n’ayant pas fait l’objet d’une production, sont concernées par le barème de la Sacem. Pour passer un disque protégé au titre des droits voisins, un contrat propre avec un organisme de gestion de ces droits devra être conclu, sans quoi l’utilisation sera illicite.

• Un outil opportun malgré le périmètre restreint
Bien que le barème ne concerne que les droits des auteurs-compositeurs adhérents de la Sacem, la grille négociée par le Geste donne quelques motifs de satisfaction pour les créateurs de podcasts. Outre la plus grande sécurité juridique et une faculté désormais acquise depuis 2020 à estimer le montant des redevances à verser pour la protection des droits d’auteurs, les prix proposés ne sont pas rédhibitoires et ce même pour les petites structures.
Les taux de redevances restent en effet immobiles en ce qui concerne les podcasts dont l’objet est musical, de 6 % à 12 % des recettes publicitaires ou issus des abonnements selon le moyen de financement du podcast. Plus encore, les podcasts consacrés au sport et à l’information (sport, société, actualité politique, santé, économie, entreprise, éducation et jeunesse, sciences et technologies) et de type généraliste (voyages et tourisme, mode, enquêtes, gastronomie, développement personnel, sciences fiction, histoire, entrepreneuriat, documentaires, arts, culture et littérature) se voient attribuer des taux de redevance inférieurs, de 3 % à 9 % en fonction de l’utilisation du répertoire de la Sacem.

Quid des podcasts « transfrontaliers » ?
• La réglementation au sein de l’Union européenne (UE) La directive européenne de l’UE de 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique (13) – censée être transposée dans chacun des Vingt-sept depuis le 7 juin 2021 – ne prévoit pas expressément le cas de l’utilisation des œuvres sonores dans des podcasts. Toutefois il ne fait nul doute que la protection introduite par l’application du barème Sacem négocié avec le Geste fait le constat commun selon lequel « l’insécurité juridique subsiste, tant pour les titulaires de droits que pour les utilisateurs, en ce qui concerne certaines utilisations, notamment transfrontières, d’œuvres et autres objets protégés dans l’environnement numérique ». C’est dire que l’on n’a pas encore fini d’entendre parler des podcasts… @

Création d’une œuvre ou d’une invention par une IA : la justice commence à faire bouger les lignes

C’est un peu le paradoxe de l’oeuf et de la poule : qui est apparu le premier ? Dans le cas d’une création ou d’une invention par une intelligence artificielle, qui est l’auteur : la personne humaine ou la technologie créatrice ? Cette question existentielle commence à trouver des réponses, en justice.

Par Boriana Guimberteau (photo), avocatE associéE, cabinet Stephenson Harwood

L’intelligence artificielle (IA) fait l’objet de développements exponentiels dans des domaines aussi variés que les voitures autonomes (et les données générées par celle-ci), la rédaction d’articles ou la création de musiques. Au-delà de la compréhension de son fonctionnement, l’intelligence artificielle soulève la question de la paternité et de la titularité des œuvres créées ou des inventions générées par elle.

Vers un « Artificial Intelligence Act »
Avant d’explorer plus en amont cette question, il convient de fournir une définition de l’intelligence artificielle. Selon l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), l’intelligence artificielle désigne une branche de l’informatique qui a pour objet de concevoir des machines et des systèmes à même d’accomplir des tâches faisant appel à l’intelligence humaine, avec un intervention humaine limitée ou nulle. Cette notion équivaut généralement à l’intelligence artificielle spécialisée, c’est-à-dire aux techniques et applications programmées pour exécuter des tâches individuelles. L’apprentissage automatique (machine learning) et l’apprentissage profond (deep learning) font tous deux parties des applications de l’intelligence artificielle (1).
L’IA peut ainsi produire différents résultats dont certains pourraient être qualifiés de créations ou d’inventions, les premières protégeables par le droit d’auteur et les secondes par le droit des brevets d’invention. La question est alors de savoir qui sera titulaire des créations ou des inventions générées par l’IA, et si l’IA pourrait être qualifiée d’auteur ou d’inventeur par le droit positif français.
En matière de droit d’auteur tout d’abord, de nombreux auteurs se sont penchés sur la question de savoir si l’intelligence artificielle pouvait bénéficier de la qualité d’auteur. La majorité d’entre eux reconnaissent la conception personnaliste et humaniste du droit français qui considère comme auteur la personne qui crée une œuvre. Par définition, un fait créatif est un fait matériellement imputable à une personne humaine. Cette conception s’impose également par le seul critère d’admission à la protection des œuvres de l’esprit qu’est l’originalité, laquelle se caractérise par l’empreinte de la personnalité de l’auteur (2). Eu égard à la personne de l’auteur, le professeur Christophe Caron a pu affirmer que « le duo formé par la notion de création et de personne physique est indissociable » et donc que « le créateur est forcément une personne physique ». Si la définition de l’auteur est absente du code de propriété intellectuelle (CPI), on y retrouve néanmoins diverses références : « Est dite de collaboration l’œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques » (3) ; « Ont la qualité d’auteur d’une œuvre audiovisuelle la ou les personnes physiques qui réalisent la création intellectuelle de cette œuvre » (4). Dans le cadre de l’œuvre radiophonique, « ont la qualité d’auteur d’une œuvre radiophonique la ou les personnes physiques qui assurent la création intellectuelle de cette œuvre » (5). La seule exception à la naissance ab initio du droit d’auteur sur la tête d’une personne physique : l’œuvre collective (6).
De plus, la nécessité d’une intervention consciente de l’homme implique qu’un animal ou une machine ne peuvent être considérés comme auteurs. L’intelligence artificielle ne peut alors être qu’un outil de création supplémentaire.

L’approche « création intellectuelle »
Dans le cadre du projet de réglementation européenne sur les droits de propriété intellectuelle pour le développement des technologies liées à l’intelligence artificielle – l’« Artificial Intelligence Act » actuellement en cours d’examen en commissions au sein du Parlement européen (7) –, une résolution du 20 octobre 2020 du Parlement européen précisait sa teneur en affirmant ceci : « Les œuvres produites de manière autonome par des agents artificiels et des robots pourraient ne pas bénéficier de la protection par le droit d’auteur, afin de respecter le principe d’originalité, qui est lié à une personne physique, et étant donné que la notion de “création intellectuelle” porte sur la personnalité de l’auteur » (8). Cette approche se retrouve également dans les pays du système juridique dit Common Law. En 2012, la cour fédérale d’Australie affirmait la nécessité d’une intervention humaine en jugeant qu’une base de données générée automatiquement par un système d’intelligence artificielle n’est pas protégeable par le copyright dans la mesure où l’effort d’extraction des données n’était pas le fait d’une personne ou d’un groupe de personnes (9). Aux Etats-Unis, une position identique ressortait de l’affaire médiatisée du macaque Naruto ayant pris un selfie. La cour américaine n’a pas manqué de rappeler qu’une photographie prise par un animal n’est pas susceptible de protection eu égard à l’absence d’intervention humaine (10).

L’IA créatrice demande protection
L’AIPPI – association Internationale pour la protection de la propriété intellectuelle (11) – s’est également penchée sur cette question et a adopté, après d’âpres discussions, une résolution (12) lors de son congrès de septembre 2019. Selon cette résolution, les œuvres générées par une IA pourraient bénéficier de la protection par le droit d’auteur à condition qu’une intervention humaine ait lieu lors de leur création. Néanmoins, pour la première fois, le tribunal de Shenzhen en Chine a jugé qu’un article financier écrit par Dreamwriter, un algorithme conçu par Tencent, avait été reproduit sans autorisation reconnaissant ainsi que la création d’une intelligence artificielle peut bénéficier de la protection du droit d’auteur (13). Si diverses réflexions sont en cours pour faire émerger de nouveaux concepts juridiques appréhendant l’IA dans le cadre de la propriété intellectuelle, nulles n’ont connu de réels aboutissements législatifs jusqu’à présent. La protection des réalisations de l’IA s’opère ainsi notamment par la voie contractuelle. A titre illustratif, l’entreprise Aiva Technologies, connue pour son IA capable de composer de la musique, offre le choix entre une utilisation gratuite pour une exploitation privée des résultats créatifs et une utilisation payante pour une exploitation commerciale de ceux-ci.
Parallèlement, la problématique de l’IA-inventeur se pose également dans le cadre du droit des brevets. En effet, en France, le CPI prévoit que le droit au titre de propriété industrielle « appartient à l’inventeur ou à son ayant cause. Si plusieurs personnes ont réalisé l’invention indépendamment l’une de l’autre, le droit au titre de propriété industrielle appartient à celle qui justifie de la date de dépôt la plus ancienne » (14).
Ainsi, l’on retrouve en matière de brevets la même dimension humaniste dont est empreint le droit d’auteur. La question a néanmoins été posée aux offices et aux juridictions de savoir si une IA pouvait être l’inventeur d’un brevet. Les demandes déposées par « Dabus » ont ainsi pu illustrer cette problématique et les solutions retenues actuellement. Dabus est un réseau de neurones artificiel développé par le chercheur américain Stephen Thaler qui (l’IA neuronale) a notamment conçu, de manière autonome, un récipient pour boissons basé sur la géométrie fractale et un dispositif embarquant une lumière vacillante pour attirer l’attention pendant des opérations de recherche et de sauvetage. Depuis, l’équipe de « The Artificial Inventor Project » a amorcé une quête visant à faire reconnaître Dabus comme inventeur d’un brevet dans divers pays.
En décembre 2019, l’Office européen des brevets (EPO) a refusé deux demandes d’enregistrement de brevets européens (15) soumises au nom de Dabus dans la mesure où seule une personne physique peut être inventeur d’un brevet européen (16).
Le bureau américain des brevets et des marques de commerce (USPTO) a, lui, rejeté le 22 avril 2020 la demande de brevet indiquant Dabus comme inventeur pour les mêmes motifs (17). Le 2 septembre 2021, le tribunal du district Est de Virginie statuait lui aussi « qu’un système d’intelligence artificielle (IA) ne peut pas déposer de brevet » (18).
De l’autre côté de l’Atlantique, la cour d’appel de Londres suivit l’office des brevets britanniques (IPO) qui avait rejeté une même demande, le 21 septembre 2021. La juge Elisabeth Laing affirma ainsi que « seule une personne peut avoir des droits. Pas une machine » (19).
Néanmoins, au mois de juillet 2021, l’office des brevets sud-africain (CIPC) a reconnu Dabus comme inventeur lors d’un dépôt de brevet pour la première fois (20), suivi de près par la Cour fédérale australienne qui jugea que « Dabus pouvait être un inventeur au sens de la loi australienne » (21).

Vers des règles ad hoc ?
En conclusion, la question de l’intelligence artificielle et de la titularité des droits de propriété intellectuelle demeure globalement dominée par le principe de prééminence de l’humain, le droit français ne se démarquant pas tant de ses voisins européens et anglo-saxons. Toutefois, les développements de l’IA sont encore à un stade peu avancé et il faudrait suivre son évolution pour apprécier la nécessité d’une adaptation des règles juridiques en conséquence, notamment celles relatives à la protection des investissements ayant abouti à l’IA. @

* Boriana Guimberteau est avocate experte en
propriété intellectuelle, que cela soit dans les
domaines des marques de commerce, du droit
d’auteur, des dessins et modèles et des brevets. Elle
vient d’intégrer le cabinet Stephenson Harwood en tant
que partner, après dix ans chez FTPA Avocats.

L’AFP réinvente avec Google la « licence globale »

En fait. Le 13 juillet, le PDG de l’AFP, Fabrice Fries, et le directeur général de Google France, Sébastien Missoffe, « dans des déclarations transmises conjointement à l’AFP », ont indiqué qu’ils étaient « proches d’aboutir à un accord » sur les droits voisins de l’Agence France-Presse mais aussi sur une « licence globale ».

En clair. C’est le retour de la licence globale. Des sociétés de gestion collectives de droits d’auteurs et de nombreux internautes en avaient rêvée il y a une quinzaine d’années pour la musique en ligne ; l’Agence France-Presse va la faire pour tous ses contenus (textes, photos, vidéos, infographies, …) – quel que soit le support. Son PDG, Fabrice Fries, et le DG de Google France, Sébastien Missoffe, l’ont chacun fait savoir à l’AFP, le 13 juillet, le jour même où par ailleurs l’Autorité de la concurrence (ADLC) rendait publique sa décision prise la veille d’« inflig[er] une sanction pécuniaire de 500.000.000 euros » à Google. Et ce, pour ne pas avoir négocié « de bonne foi » avec les éditeurs de presse la rémunération des droits voisins due à ces derniers – et malgré les injonctions (1) prononcées le 9 avril 2020 par l’ADLC.
Et ce n’est pas l’accord-cadre signé entre Google et l’Alliance de la presse d’information générale (Apig) le 12 février dernier – soit cinq mois après la deadline imposée par l’ADLC – qui a allégé l’amende. Auprès des journaux membres de l’Apig, lesquels doivent à leur tour signer individuellement un contrat encadré, le géant du Net s’était engagé à verser sur trois ans 62,7 millions d’euros (2) de rémunération globale incluant leurs droits voisins. Quant à l’AFP, elle s’apprête enfin à signer avec Google non seulement sur ses droits voisins – que le géant du Net a rechigné à reconnaître et à rémunérer en tant que tels – mais aussi sur une « licence globale » pour l’exploitation de tous ses contenus sur Google Search, Google News, Google Discover et le nouveau service Showcase (3). Cette licence globale à rémunération forfaitaire annuelle, incluant les droits voisins, est en fait une exigence de la firme de Mountain View pour avoir « le même accès global, mondial et sans limite aux images (photos, vidéos et infographies) produites par l’AFP », ainsi qu’à « de nouveaux services (web stories, contenus audio, news corner, etc.) ».
Dans ces négociations débutées il y a un an avec l’AFP, Google a même doublé le montant de son offre initiale, dite « term sheet », étendue notamment à des contenus audio en anglais. Mais la direction de l’AFP avait fait part à Google de ses craintes, concernant ses photos, vidéos et iconographies, sur « une licence totale, mondiale, sans limite ni restriction d’usage, portant sur l’intégralité [de ses] contenus d’images ». @