Streaming musical : ce que prévoit l’accord du 12 mai sur la rémunération minimale des artistes

Signé le 12 mai 2022 par les organisations syndicales des producteurs de musique enregistrée, d’une part, et celles des artistes-interprètes, d’autre part, l’« accord historique » garantit une rémunération minimale pour ces derniers lors de la diffusion de leurs musiques en streaming.

La signature de l’accord pour la rémunération des artistes-interprètes dont la musique est diffusée en streaming, qui s’est déroulée le jeudi 12 mai au ministère de la Culture et sous l’égide du médiateur de la musique Jean-Philippe Mochon (photo), est à marquer d’une pierre blanche. Il fixe une garantie de rémunération minimale pour les artistes-interprètes dont les œuvres musicales sont diffusées « en flux » (comprenez en streaming). Mais, selon nos informations auprès du médiateur de la musique, il reste encore à se mettre d’accord sur la rémunération spécifique des musiciens d’orchestre, notamment dans la musique classique.

Deux arrêtés ministériels en vue
Quoi qu’il en soit, l’accord est considéré comme « historique ». Les signataires « à l’unanimité » de ce document d’une quinzaine de pages – que Edition Multimédi@ s’est procuré (1) – sont : les syndicats d’employeurs et producteurs de musiques – Syndicat national de l’édition phonographique (Snep), Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI) et Syndicat des musiques actuelles (SMA) ; les organismes de gestion collective des droits d’auteur des artistes-interprètes – Société civile des producteurs phonographiques (SCPP), Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF), Administration des droits des artistes et musiciens interprètes (Adami) et Société de gestion des droits des artistes interprètes (Spedidam) ; les syndicats de salariés – Snam-CGT, SFACGT, F3C-CFDT, SNM-FO, Snacopva CFE CGC, FCCS CFECGC, FNSAC-CGT et Snapsa CFE-CGC.
Tous sont convenus que les artistes-interprètes toucheront une rémunération minimale dans le cadre du streaming musical. Cet accord fait le distinguo entre les artistes interprètes qui touchent des redevances proportionnelles (« artistes principaux » dans le jargon des producteurs) et les musiciens rémunérés essentiellement au cachet (« artistes musiciens »). Les premiers bénéficieront des taux de royalties supérieurs à 10 %, calculés sur une assiette tenant compte des différents modèles économiques de production existants, ainsi qu’un droit à percevoir systématiquement une avance minimale du producteur et une bonification de taux en cas de succès important. Les seconds percevront tous une somme forfaitaire spécifique au titre du streaming, ainsi que des rémunérations nouvelles supplémentaires et automatiques chaque fois que sont atteints les niveaux de succès définis par l’accord, à partir d’un demi-single d’or (7,5 millions d’écoutes). L’accord valable pour cinq ans (2), trouvé au bout de nombreux mois de négociations et faisant figure de « compromis » (dixit la SCPP et la SPPF), prévoit aussi le soutien de tous les producteurs de musique, notamment les plus fragiles (« les labels TPE (3) »), dans le cadre d’un dispositif cofinancé par l’Etat : le fonds national pour l’emploi pérenne dans le spectacle (Fonpeps), qui a été créé en 2016 pour soutenir l’emploi dans le spectacle vivant et enregistré, dans le secteur public comme dans le secteur privé (4). « Le présent accord revêt une force obligatoire à compter du premier jour du mois suivant la date de publication de l’arrêté du ministère chargé de la Culture qui le rend obligatoire. Il entre en vigueur, le cas échéant avec effet rétroactif, à compter du 1er juillet 2022 » prévoit l’accord paraphé, signé et daté du 12 mai, même si les discussions se sont poursuivies tard dans la nuit.
Il était temps, avec six ans de retard ! En effet, ce compromis met enfin en œuvre la garantie de rémunération minimale (GRM) introduit dans le code de propriété intellectuelle (CPI) par la loi dite « Création » de juillet 2016 (5). Pourtant la loi était claire : il accordait aux organisations professionnelles de la musique enregistrée un délai de douze mois à compter de la promulgation de la loi « Création », à savoir jusqu’au 8 juillet 2017, pour signer un accord collectif. A défaut, la garantie de rémunération minimale devait être fixée par une commission présidée par un représentant de l’Etat. Rien de tout cela n’avait finalement eu lieu, jusqu’à ce compromis qui a au moins le mérite d’exister. A noter qu’outre l’arrêté attendu du ministère de la Culture, cet accord peut aussi être rendu obligatoire par un arrêté du ministre chargé du Travail.

Partage de la valeur du streaming
« Les acteurs de la musique enregistrée en France sont capables de trouver ensemble des solutions innovantes et ambitieuses pour apporter des réponses au débat essentiel du partage de la valeur sur la musique en ligne », s’est félicitée le ministère de Roselyne Bachelot-Narquin le 16 mai, soit le dernier jour de son mandat rue de Valois. Cet accord s’applique aux exploitations en streaming des musiques enregistrées des artistes-interprètes « en France et à l’étranger » (articles 2 et 4 de l’accord), mais les exploitations relevant de la gestion collective obligatoire n’entrent pas dans son champ. Il s’applique aux artistes-interprètes engagés par un employeur dans le cadre de son activité de producteur de musique enregistrée lorsqu’elle constitue son activité principale, dans un contrat de travail relevant de la convention collective nationale de l’édition phonographique (CCNEP).

En phase avec la directive « Copyright »
Prévue dès juillet 2016 dans la loi « Création », cette disposition « GRM » concernant une rémunération équitable dans le streaming fut une première en Europe, bien avant la directive européenne sur « le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique » adoptée en 2019 et applicable depuis un an par les Vingtsept (6). « Au regard des autres pays européens, je crois vraiment que ce que nous faisons est inédit et converge avec les principes posés par la directive, mais n’en est pas en soi la transposition », nous précise Jean-Philippe Mochon. La directive « Copyright » de 2019 prévoit bien que « les Etats membres devraient être libres de mettre en œuvre le principe de rémunération appropriée et proportionnelle en recourant à divers mécanismes existants ou nouvellement introduits, qui pourraient inclure la négociation collective » (considérant 73). La directive « Copyright » a gravé dans le marbre le principe de « rémunération appropriée et proportionnelle » (article 18). L’accord collectif français du 12 mai 2022 concrétise enfin cet objectif.
Dans le détail, selon qu’il s’agit d’un « artiste principal » irremplaçable (un groupe, un soliste, un, …) ou d’un « artiste musicien » remplaçable (un accompagnateur, un choriste, …), la rémunération diffère. « Le caractère proportionnel de la rémunération de artistes-interprètes, et a fortioride la garantie de rémunération minimale, peut inclure par conséquent le recours à des modalités de rémunération différenciées de la cession de droits, sous forme de redevance [les royalties, ndlr] ou d’un ou plusieurs forfaits [au cachet, ndlr] », est-il expliqué dans l’accord.
• Rémunération des artistes principaux. Si le producteur de musique enregistrée est son propre distributeur auprès des plateformes de streaming, il garanti un taux minimum de 11 % (en période d’abattements) ou de 10 % (hors période d’abattement) sur les sommes qui lui sont reversées par ces dernières. Si le producteur de musique enregistrée n’est pas son propre distributeur auprès des plateformes de streaming, il garantit un taux minimum de 13 % (en période d’éventuels abattements) ou de 11 % (hors période d’abattement), sans pour autant que cette rémunération minimale dépasse respectivement les 11% et les 10 % des sommes encaissées par le distributeur. Quant à ces abattements éventuels, négociés de gré à gré entre l’artiste-interprète et le producteur, ils ne peuvent réduire de plus de la moitié le taux prévu au contrat. Pour les producteurs de musique bénéficiant d’un contrat de licence exclusive, ils garantissent un taux minimum de 28 % des sommes qu’ils encaissent en streaming (sans abattements possibles). Concernant cette fois les avances minimales garanties, l’accord collectif prévoit que le producteur verse 1.000 euros bruts par album inédit, somme ramenée à 500 euros lorsqu’il s’agit d’une TPE. Les organismes de gestion collective de producteur (SCPP, SPPF, …) doivent soutenir ces dernières (7).
• Rémunération des artistes musicaux. Le producteur garantit à l’artiste-interprète une rémunération forfaitaire minimale correspondant à 2% ou 1,5 % (selon les cas), et par minute de l’enregistrement, du cachet de base défini par la convention collective (CCNEP). A cela s’ajoutent des rémunérations minimales complémentaires « qui sont fonction du seuil de streams atteint » par la musique sur les plateformes de streaming. Si le seuil atteint en France soit les 7,5 millions de streams, soit les 30 millions de streams, soit les 50 millions de streams dans les 50 ans suivant la première commercialisation de la musique, l’artiste-interprète perçoit l’équivalent de respectivement 20 %, 30 % ou 35 % « d’une valeur monétaire égale au montant du cachet de base » (plafonné à dix fois cette valeur). Et au-delà d’un multiple de 50 millions de streams, cela donne droit à une nouvelle rémunération complémentaire. L’accord collectif précise en outre que « la méthodologie de décompte de volumes de streams est annexée au présent accord ». Pour l’heure, les plateformes de streaming Amazon, Apple, Deezer, Qobuz, Soundcloud, Spotify et Tidal participent au panel qui contribue aux classements et aux certifications. Lorsqu’il s’agit de téléchargement (pas de flux), Amazon, Apple, Juno, Prestoclassical et Qobuz sont pris en référence.

Napster et YouTube négocient encore
« Le panel est amené à s’enrichir des acteurs suivants dont les négociations sont en cours : Napster (un accord de principe existe mais la mise en place des flux se heurte encore à des délais de réponse importants de la plateforme) ; YouTube Music (pas d’accord de principe à ce stade, YouTube souhaitant la prise en compte des streams et visualisations gratuites) », est-il indiqué dans cette annexe. Autres précisions : « Seuls les streams payants d’une durée supérieure à 30 secondes sont pris en compte. Les téléchargements d’un enregistrement et les singles physiques (8) sont convertis en équivalentstreams en application des paramètres publiés sur le site Internet du Snep, et sont ensuite rajoutés aux volumes des streams de cet enregistrement ». Cet accord historique intervient alors que la musique enregistrée fêtera ses 100 ans le 28 juin prochain. @

Charles de Laubier

Droits voisins et presse : l’accord Google-AFP sur 5 ans est un bon début de (re)partage de la valeur

Résultat de plusieurs mois de négociations, l’accord d’une durée de cinq ans annoncé le 17 novembre 2021 entre Google et l’Agence France-Presse (AFP), sur les droits voisins de cette dernière, est un précédent qui devrait inspirer les éditeurs en France et dans le reste de l’Europe.

Par Fabrice Lorvo*, avocat associé, FTPA.

Deepfake : les vidéos truquées à l’intelligence artificielle sous l’œil du Parlement européen

Le création « deepfake » – consistant à manipuler des contenus vidéo, des images et/ou de l’audio – permet d’obtenir des résultats ultra-réalistes grâce à l’intelligence artificielle. Parodies ou désinformations, ces « hypertruquages » seront encadrés par le futur règlement européen AIA.

Le futur « Artificial Intelligence Act » que le Parlement européen examine actuellement en commissions aura un droit de regard sur les vidéos truquées et les contenus manipulés relevant de la pratique très en vogue du « deepfake » (1) – nom composé à partir de deep learning et de fake news. La commission « marché intérieur et protection des consommateurs » (Imco), tête de file dans le processus législatif de ce projet de règlement européen (2), a comme rapporteur l’eurodéputé italien Brando Benifei (photo). Selon nos informations, « un échange de vues avec les représentants de la Commission européenne » a eu lieu avec lui le 27 octobre dernier.

Lignes directrices de l’article 17 : ménager chèvre (droit d’auteur) et chou (liberté d’expression)

La lutte contre le piratage sur Internet en Europe prend un tournant décisif avec la transposition – censée l’être depuis le 7 juin dernier par les Etats membres – de la directive « Droit d’auteur et droits voisins ». Mais les orientations de son article 17 déplaisent aux industries culturelles.

Par Véronique Dahan, avocate associée, Joffe & Associés

Le 4 juin dernier, la Commission européenne a publié des lignes directrices (1) sur l’application de l’article 17 controversé de la directive « Droit d’auteur et droits voisins dans le marché numérique » (2). Pour l’exécutif européen « l’objectif des lignes directrices [sur l’article 17 de cette directive censée avoir été transposée depuis le 7 juin 2021 au plus tard] est de parvenir à une transposition correcte et cohérente de cet article dans les Etats membres, en portant attention à la nécessité d’équilibrer les droits fondamentaux et le recours aux exceptions et limitations [au droit d’auteur] » (3).

Œuvres protégées et liberté de création
Ces « orientations » sur l’article 17 étaient très attendues, même si de nombreux Etats membres ont d’ores et déjà transposé la directive « Copyright » en question dans leur droit national, ou sont en phase finale de transposition. La rédaction de ces lignes directrices a provoqué des craintes de la part des titulaires de droits qui redoutaient que la Commission européenne recommande aux Etats membres de restreindre l’application et les effets de l’article 17. Rappelons que l’intention du législateur est d’assurer un niveau élevé de protection aux titulaires de droits d’auteur en Europe. Aussi, toute recommandation qui viserait à restreindre la portée de la directive « Droit d’auteur et droits voisins dans le marché numérique » serait contraire à l’intention du législateur. Et ce, d’autant qu’une protection élevée des droits d’auteur est essentielle non seulement pour la création mais aussi pour son financement – tout en maintenant l’équilibre entre les intérêts des auteurs (propriété intellectuelle sur leurs œuvres) et ceux des utilisateurs (liberté d’expression et de création).
Seule une transposition uniforme dans tous les pays européens permettra une application efficace de cette directive « Copyright ». Son article 17 propose un nouveau régime juridique de responsabilité pour les plateformes de partage de contenus en ligne, lesquelles mettent à disposition, à des fins lucratives, une quantité importante de contenus protégés que leurs utilisateurs ont souvent directement mis en ligne. Ce texte législatif, qui a suscité de nombreux débats, répond à l’un des objectifs que s’était fixée la Commission européenne, à savoir : améliorer le fonctionnement du marché de la diffusion en ligne des biens culturels protégés, en mettant en place un système d’autorisation et de responsabilité des plateformes de services de partage de contenus en ligne. L’article 17 de la directive, intitulé justement « Utilisation de contenus protégés par des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne », pose un régime de responsabilité hybride qui conduit les plateformes à répondre à deux types d’obligations : fournir leurs meilleurs efforts pour obtenir les autorisations nécessaires auprès des titulaires de droits et assurer une rémunération appropriée au profit de ces derniers ; fournir également leurs meilleurs efforts afin de garantir l’indisponibilité des contenus non autorisés par les titulaires de droits.
Ainsi, cet article 17 est inédit en ce qu’il impose désormais aux services de partage de contenus en ligne d’obtenir les autorisations des ayants droit pour diffuser leurs œuvres, et de les rémunérer en conséquence. Sans accord préalable, ces plateformes numériques devront faire état de l’indisponibilité des œuvres non-autorisées. Les lignes directrices de la Commission européenne font suite aux dialogues mis en place entre les fournisseurs de services de partages de contenus en ligne et les titulaires de droits, afin d’examiner les meilleures pratiques pour une coopération. L’objectif principal étant d’apporter une aide aux Etats membres dans le cadre de la transposition de cette directive. Ces « orientations » – terme employé dans la traduction en français de ce guidance, plutôt que « lignes directrice » qui n’apparaît pas dans le texte – apportent, tout d’abord, des précisions quant au champ d’application de l’article 17.

Le streaming illicite dans le collimateur
Le « fournisseur de services de partage de contenus en ligne » concerné par la directive « Copyright » est défini par celle-ci (4) comme étant « le fournisseur d’un service de la société de l’information dont l’objectif principal […] est de stocker et de donner au public l’accès à une quantité importante d’œuvres protégées par le droit d’auteur ou d’autres objets protégés qui ont été téléversés par ses utilisateurs qu’il organise et promeut à des fins lucratives ». Cette directive de 2019 vise notamment ceux qui « jouent un rôle important sur le marché des contenus en ligne en étant en concurrence pour les mêmes publics avec d’autres services de contenus en ligne, comme les services de diffusion audio et vidéo en flux continu ». Autant dire que les GAFAM et toutes plateformes de streaming vidéo, de musique en ligne ou de réseau social sont visés. La Commission européenne recommande aux Etats membres, par souci de sécurité juridique, de transposer explicitement, sans modification, cette définition dans leur législation nationale et précise, par ailleurs, que ce champ ne peut être augmenté ou réduit.

Pas de surveillance généralisée du Net
Une analyse au cas par cas devra être menée afin de déterminer si le fournisseur tombe dans le champ de l’article ou non. En outre, ces lignes directrices apportent des précisions au regard de l’« autorisation des titulaires de droits » (5). Le terme « autorisation » n’est pas défini par la directive « Copyright ». Dès lors, il est conseillé aux Etats membres de mettre en place des moyens visant à encourager le développement de licences (modèles d’autorisation, mécanisme volontaire de facilitation d’accord, licences collectives, …). Par ailleurs, il est spécifié que les autorisations octroyées aux fournisseurs couvrent également les usages non-commerciaux ou ne générant pas de revenus significatifs réalisés par les utilisateurs.
Ainsi, les plateformes numériques de partage de contenus en ligne deviennent directement responsables de la mise à disposition d’un contenu non autorisé par son auteur, sans que le régime de responsabilité limitée de l’hébergeur ne puisse s’appliquer. Toutefois, le service en ligne sera exonéré de toute responsabilité s’il démontre avoir satisfait aux trois conditions cumulatives suivantes : fournir ses meilleurs efforts pour obtenir une autorisation ; (1) fournir ses meilleurs efforts pour assurer l’indisponibilité des œuvres protégées pour lesquelles les titulaires de droit ont fourni les informations nécessaires ; (2) faire preuve de réactivité dès la réception d’une notification motivée pour bloquer l’accès aux contenus protégés (3-a) et mettre en œuvre ses meilleurs efforts pour éviter dans le futur un scénario similaire (3-b). Ces conditions sont appréciées selon un principe de proportionnalité (6), détaillé par l’article 17 justement (7), et qui est rappelé à de nombreuses reprises par Bruxelles. La première condition – meilleurs efforts d’obtention d’une autorisation – se doit d’être évaluée au cas par cas au regard des spécificités du marché. Sans définition, là aussi, de la notion de « meilleurs efforts », la Commission européenne ajoute que cela s’entend par des démarches proactives et de bonne foi de la part des plateformes numériques concernées pour engager et poursuivre les négociations avec les titulaires de droit. L’objectif de la deuxième condition – fournir ses meilleurs efforts pour assurer l’indisponibilité des œuvres protégées pour lesquelles les titulaires de droit ont fourni les informations nécessaires – n’est pas de recommander l’usage de technologies spécifiques pour parvenir à rendre indisponibles les œuvres protégées. L’idée est de favoriser la coopération entre les fournisseurs en ligne et les titulaires de droits en leur laissant une certaine flexibilité, et que les acteurs du Net en question procèdent à un examen humain rapide pour décider si le contenu doit rester en ligne ou être supprimé. La Commission européenne tient à rappeler que l’objectif de la troisième et dernière condition – faire preuve de réactivité dès la réception d’une notification motivée pour bloquer l’accès aux contenus protégés et mettre en œuvre ses meilleurs efforts pour éviter dans le futur un scénario similaire – n’est pas de créer une obligation générale de surveillance pour les plateformes numériques.
Ce régime de responsabilité se veut pragmatique et prévoit un système particulier pour les fournisseurs qui proposent du contenu en ligne depuis moins de trois ans et qui ont un chiffre d’affaires annuel de moins de 10 millions d’euros. Il s’agit de critères que les Etats membres ne peuvent pas modifier. Parmi ces fournisseurs, les conditions qu’ils doivent respecter vont dépendre de leur audience : ceux réunissant moins de 5 millions de visiteurs devront respecter les conditions (1) (2) et (3-a) susvisées, tandis que ceux qui réunissent plus de 5millions de visiteurs devront respecter les conditions (1), (2), (3-a) et (3-b).
Enfin, la Commission européenne rappelle que le régime instauré par l’article 17 se veut souple. Une souplesse marquée par l’essence même du texte qui tend à protéger les usages légitimes ne portant pas atteinte aux droits d’auteur. L’article 17 n’affecte en rien la possibilité pour les utilisateurs et les plateformes de se prévaloir des exceptions existantes relatives notamment au droit de critique et de citation, à la caricature, à la parodie et au pastiche. Des notions non-définies qui doivent, selon la Commission européenne, être analysées dans leur sens commun et au regard du contexte dans lequel elles interviennent. Ainsi, elle ajoute que les Etats membres devraient adapter ces exceptions ou limitations obligatoires de manière à ce qu’elles s’appliquent de façon cohérente avec la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (8), « notamment la liberté d’expression et la liberté des arts ».

Expression des internautes et titulaires de droits
Toujours dans une logique de souplesse, ce régime de responsabilité des plateformes numériques impose la mise en place d’un mécanisme de traitement des plaintes des utilisateurs. La Commission européenne préconise un mécanisme simple et sans frais pour garantir son efficacité. En ce sens, il est proposé que les plateformes pourraient fournir des formulaires en ligne aux utilisateurs. Ce mécanisme pourrait également aller plus loin en permettant directement aux titulaires de droits et utilisateurs d’échanger. En définitive, l’article 17 et les récentes lignes directrices de la Commission européenne tentent de trouver un équilibre entre protection des titulaires de droits et la liberté d’expression. @

Copyright : les limitations à l’article 17 déplaisent

En fait. Le 14 juin, dix-huit organisations des industries créatives – dont l’IFPI (musique), Eurocinema (cinéma), l’ACT (télévisions privées), la Fep (livre) ou encore l’EPC (presse) – ont écrit aux Etats membres pour leur demander de ne pas tenir compte des lignes directrices que la Commission européenne a publiées le 4 juin.

En clair. « Nous demandons aux Etats membres de continuer à se laisser guider par le texte de la directive [sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique, ou directive Copyright, ndlr] tel qu’adopté (…) et d’assurer une mise en œuvre fidèle qui garantirait l’équilibre nécessaire entre tous les droits fondamentaux et les intérêts légitimes en jeu [droits d’auteur et droits voisins, d’une part, et liberté d’expression et de création, d’autre part, ndlr]. Il est impératif que le droit fondamental des ayants droit à la propriété reste protégé et qu’ils puissent obtenir un juste retour pour leurs efforts, afin de continuer à contribuer à la riche diversité culturelle qui définit l’Union européenne », ont déclaré une vingtaine d’organisations de la culture et des médias dans une lettre datée du 14 juin, adressée aux Etats membres (1). Cette missive est une réaction hostile aux lignes directrices (2) publiées dix jours plus tôt par la Commission européenne pour donner des orientations non-contraignantes sur la manière d’interpréter le fameux article 17 toujours controversé de la directive Copyright. Celui-ci renforce la responsabilité des fournisseurs de contenus en ligne dans la lutte contre le piratage, mais sans les pousser à faire du filtrage et du blocage généralisés au détriment de l’« utilisation légitime » (legitimate use) de contenus relevant des « exceptions et limitations » aux droits d’auteur. Par exemple, prévient la Commission européenne, « les utilisateurs légitimes [legitimate users] doivent être respectés, (…) notamment si les “nouveaux” fournisseurs de services utilisent des outils automatisés de reconnaissance de contenu ». C’est cette utilisation légitime, ressemblant au « faire use » américain, qui effraie les industries culturelles et créatives.
Pour la Commission européenne, qui vise à une harmonisation de la directive Copyright (censée être transposée par les Vingt-sept depuis le 7 juin 2021), il s’agit de ne pas sacrifier la liberté d’expression, de création et d’information (dont font partie la citation, la critique, la revue, la caricature, la parodie ou le pastiche) sur l’autel du droit de propriété intellectuelle (3). Bloquer des contenus, oui, mais seulement en cas de contrefaçon certaine, tout en permettant à chaque utilisateur – dans le cadre d’un «mécanisme de recours » – de contester le blocage d’un contenu qu’il estimerait, lui, légitime. @