Engagements FTTH : « Orange veut gagner du temps »

En fait. Le 8 février, Laure de La Raudière, présidente de l’Arcep, a profité de son audition au Sénat par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable pour s’interroger sur les recours d’Orange devant le Conseil d’Etat contre l’Arcep – notamment avec une QPC déposée le 5 février. Verbatim.

En clair. « Nous constatons un ralentissement inquiétant des déploiements dans les zones très denses, mis aussi dans les zones moins denses d’initiatives privée : les zones “Amii” (1). Cette situation est problématique car cela prive certains de nos concitoyens du bénéfice de la fibre. Nous avons donc, en mars 2022, mis en demeure Orange de respecter ses engagements pris auprès du gouvernement : couvrir 100 % des locaux de la zone Amii Orange, dont au plus 8 % en raccordable à la demande. Orange avait d’abord contesté cette décision de mise en demeure devant le Conseil d’Etat, estimant s’être engagé sur un volume de lignes à déployer (2). [Or, en réalité] il s’agit d’un engagement de couverture d’une liste de communes qui doit être complète à une date donnée. Plus récemment, Orange a déposé [le 3 février 2023, selon Le Monde (3)] une demande de QPC (4), d’une part sur le pouvoir de sanction de l’Arcep, mais aussi sur la constitutionnalité de l’article L33-13 du CPCE (5). Cet article est justement la base juridique rendant ses engagements, pris auprès du gouvernement, juridiquement opposables. Orange demande au Conseil d’Etat de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel et ainsi de sursoir à statuer sur la mise en demeure de l’Arcep dans l’attente de la décision. En réalité, ce qu’Orange cherche à faire, c’est a minima gagner du temps par rapport à ses engagements. C’est retarder la décision du Conseil d’Etat sur la mise en demeure elle-même. Voire que le Conseil d’Etat ne soit jamais en mesure de se prononcer sur le fond, dans l’incapacité juridique de confirmer la mise en demeure de l’Arcep ».
« Doit-on comprendre que les engagements d’Orange – pris devant le gouvernement – n’avaient pas de valeur en 2018 ? Qu’Orange renie ses engagements ? Doit-on comprendre que de nombreux habitants des Sables-d’Olonne, de La Roche-surYon, de Brive-la-Gaillarde et de bien d’autres communes en zones Amii Orange vont devoir attendre longtemps la fibre ? Doit-on comprendre qu’Orange défie les objectifs assignés à la régulation par la volonté du Parlement ? Doit-on comprendre enfin qu’Orange préfère tenter d’arracher son sifflet au gendarme des télécoms, plutôt que viser l’atteinte des objectifs qu’il s’était lui-même fixé en 2018 ? La stratégie d’Orange sur ses déploiements en zones Amii – à l’aube de la fermeture du réseau cuivre – reste un mystère ». @

La BEI, la CDC et le groupe Axel Springer soutiennent toujours le moteur de recherche Qwant

La Banque européenne d’investissement (BEI) lui a accordé « un rééchelonnement raisonnable » de sa dette. La Caisse des Dépôts (CDC) et le groupe allemand Axel Springer sont toujours ses plus importants actionnaires. Ayant échappé à la banqueroute, Qwant pourra fêter ses dix ans en 2023.

« Face à la domination sans réel partage de Google, la concurrence européenne s’organise. C’est le cas de Qwant, moteur de recherche franco-allemand qui tente de percer en assurant à ses utilisateurs un respect total de leur vie privée et des contenus non violents pour les plus jeunes », peut-on encore lire sur le site web (1) de la Banque européenne d’investissement (BEI), le plus gros créancier de Qwant. Il y a sept ans, la start-up française bénéficiait d’un prêt de la BEI de 25 millions d’euros.

Sa situation financière reste fragile
L’annonce de ce prêt européen avait été faite en grande pompe lors de la grande conférence numérique franco-allemande qui avait eu lieu le 28 octobre 2015 à l’Elysée, en présence d’un certain Emmanuel Macron (2), alors ministre français de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique. L’eau a depuis coulé dans le Rhin et la société franco-allemande – vedette de la French Tech promue par celui qui est devenu en 2017 président de la République – a dû faire face cette année à deux échéances de remboursements de la BEI. Mais au lieu de devoir régler 5 millions d’euros en janvier et 10 millions d’euros en juin, l’entreprise a obtenu de la banque au Luxembourg « un rééchelonnement raisonnable de la dette », indique Raphaël Auphan (photo), directeur général de Qwant, à Edition Multimédi@.
Les nouvelles échéances sont confidentielles. Il nous précise que sur les 25 millions d’euros initialement annoncés en 2015, ce sont finalement 20 millions d’euros qui ont été tirés par l’entreprise auprès de la BEI. Qwant s’était endetté non seulement auprès de la BEI mais aussi en janvier 2017 auprès de la Caisse des dépôts (CDC) à hauteur de 15 millions d’euros. A cela s’ajoutaient 5 millions d’euros levés auprès du groupe de médias allemand Axel Springer, son actionnaire historique (3). Qwant doit en outre 3millions d’euros à l’Etat au titre du prêt garanti par celui-ci (PEG) accordé durant la crise sanitaire. « La dette de Qwant n’a pas diminué en 2021 », nous indique Raphaël Auphan, par rapport aux 39,3 millions d’euros d’endettement de 2020. Quant au prêt de 8 millions d’euros consenti en mai 2021 par le chinois Huawei sous forme d’obligations convertibles, « il s’agit d’une dette qui sera bientôt remboursée ». Et l’accord de « l’utilisation du moteur de recherche sur les smartphones Huawei arrive aussi à échéance ». L’an dernier, l’entreprise a réalisé un chiffre d’affaires de 10,3 millions d’euros (4), pour une perte nette de 9,2 millions d’euros. Alors qu’en 2020 le déficit était de 12,8 millions pour un chiffre d’affaires de 7,5 millions d’euros (5). La situation financière reste fragile, mais Qwant peut compter sur le soutien de ses deux principaux actionnaires – Axel Springer et la CDC – qui ont réinjecté en 2020 de l’argent frais. Le premier était entré à hauteur de 18,4 % du capital de Qwant en 2014, via son fonds Axel Springer Digital Ventures, mais sa participation est moindre depuis l’entrée de la CDC.
Après l’ère de son PDG fondateur Eric Léandri (6), lequel a été contraint en janvier 2020 de passer les rênes de l’entreprise mal en point, Qwant a pris un nouveau départ début juillet 2021 avec une nouvelle direction : le tandem actuel composé de Corinne Lejbowicz, présidente, et Raphaël Auphan. « Nous sommes une tech de croissance et nous avons un plan de développement qui demandera de nouveaux moyens financiers », explique le directeur général. Qwant ne cesse d’innover. Il indique par exemple qu’« une offre spécifique de moteur de recherche, toujours gratuit, respectueux de la vie privée et sécurisé, sera proposée en 2023 aux entreprises ». Son offre « privacy » va s’étoffer. En plus de Qwant Search (moteur principal), Qwant Junior (dédié aux 6-12 ans), Qwant Maps (service de cartographie « sans laisser de traces »), Qwant VIPrivacy (extension de navigation anti-tracking publicitaire) et bientôt de Qwant pour les entreprises, d’autres produits sont en projet, dont un éventuel VPN (réseau privé virtuel). Depuis juin, le moteur de recherche permet de traduire ses textes dans 28 langues grâce à un partenariat avec la société allemande DeepL.

Développer son propre « master index »
Pour autant, Qwant reste encore dépendant de l’index Bing de Microsoft et de sa régie publicitaire Bing Ads. « Nous poursuivons le développement de notre propre master index, actuellement de 10 milliards de documents. Et sur certains segments comme l’actualité en France nous répondons à 100 % des requêtes », nous assure Raphaël Auphan. Le zéro-tracking séduit à ce jour 6 millions d’utilisateurs par mois, bien loin des 37,9 millions d’utilisateurs par mois pour le moteur de recherche Google en France. Peu importe puisque Qwant ne prétend plus devenir son « grand » rival en Europe, mais seulement une alternative « respectueuse de la vie privée ». Cela ne l’empêche pas de se réjouir lorsque la filiale d’Alphabet est mise à l’amende comme le 14 septembre (7). @

Charles de Laubier

Après le rejet de trois amendements taxant à 1,5 % le streaming musical pour financer le CNM, place à la mission « Bargeton »

L’UPFI la prône ; le Snep n’en veut pas ; des députés ont tenté de l’introduire en vain par trois amendements rejetés le 6 octobre dernier : la taxe de 1,5 % sur le streaming musical en faveur du Centre national de la musique (CNM) va refaire parler d’elle lors des auditions de la mission confiée au sénateur Julien Bargeton.

Une taxe sur le streaming musical de 1,5% sur la valeur ajoutée générée par les plateformes de musique en ligne. Telle était la proposition faite par des députés situés au centre et à gauche de l’échiquier politique, dans le cadre du projet de loi de finances 2023. Mais avant même l’ouverture des débats en séance publique le 10 octobre à l’Assemblée nationale (et jusqu’au 4 novembre), la commission des finances réunie le 6 octobre, a rejeté les trois amendements – un du centre et deux de gauche, déposés respectivement les 29 et 30 septembre. La ministre de la Culture, Rima Abdul Malak (« RAM »), n’a-t-elle pas assuré que le budget du Centre national de la musique (CNM) pour en 2023 est « suffisamment solide » ? Le CNM sera doté l’année prochaine de plus de 50 millions d’euros, grâce à la taxe sur les spectacles de variétés qui, d’après le projet de loi de finances 2023 déposé fin septembre, rapportera l’an prochain 25,7 millions d’euros (contre 35 millions en 2019, soit avant la pandémie).

Julien Bargeton missionné par décret d’Elisabeth Borne publié le 25 octobre
S’y ajouteront un financement garanti par l’Etat à hauteur de 26 millions d’euros et une contribution des sociétés de gestion collective (1) de quelque 1,5 million d’euros. Pour autant, la question de son financement se posera pour 2024 et les années suivantes. Or la pérennité du budget de cet établissement public à caractère industriel et commercial – placé sous la tutelle du ministre de la Culture – n’est pas assuré. D’où le débat qui divise la filière musicale sur le financement dans la durée du CNM, aux missions multiples depuis sa création le 1er janvier 2020 – et présidé depuis par Jean-Philippe Thiellay. A défaut d’avoir obtenu gain de cause avec ses trois amendements, l’opposition compte maintenant sur le sénateur de la majorité présidentielle Julien Bargeton (photo) qui vient d’être missionné – par décret publié le 25 octobre et signé par la Première ministre Elisabeth Borne – pour trouver d’ici le printemps 2023 un financement pérenne au CNM. L’une des vocations de ce CNM est de soutenir la filière dans sa diversité, un peu comme le fait le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) pour la production cinématographique, audiovisuelle ou multimédia. Mais Continuer la lecture

La DGMIC change de tête, y compris face aux GAFA

En fait. Le 5 octobre, Florence Philbert a été nommée – sur proposition de la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak – directrice de la DGMIC, la direction générale des médias et des industries culturelles. Plus discrètement, Matthieu Couranjou devient « délégué à la régulation des plateformes numériques ».

En clair. Florence Philbert succède à Jean-Baptiste Gourdin qui occupait ces fonctions de directeur général des médias et des industries culturelles depuis janvier 2020 (1). La DGMIC est au ministère de la Culture l’épicentre des réformes du gouvernement pour l’audiovisuel, la presse, les services d’information en ligne, le pluralisme des médias, le livre, la musique, la publicité et les activités multimédias, ainsi que pour l’économie culturelle et l’économie numérique.
Ses effectifs sont actuellement de près de 150 personnes, regroupées cette année dans l’immeuble des Bons-Enfants (rue Saint-honoré dans le 1er arrondissement de Paris, près de la rue de Valois). Et depuis janvier 2021, la DGMIC a été renforcée avec la création d’une « délégation à la régulation des plateformes numériques ». Jusqu’alors adjoint à cette délégation chargée notamment de se mettre d’accord avec les GAFA, Matthieu Couranjou (ingénieur des mines) est depuis septembre pleinement délégué à la régulation des plateformes numériques (« DRPN »). Il succède ainsi à Laure Durand-Viel, qui fut la première à ce poste stratégique et jusqu’à son départ en mai dernier. C’est elle qui a supervisé pour le gouvernement les négociations du Digital Services Act (DSA) et du Digital Markets Act (DMA), les règlements européens qui sont sur le point d’entrer en vigueur dans les Vingt-sept pour respectivement les services et les marchés numériques.
Conseillère d’Etat et juriste, Laure Durand-Viel (« LDV ») a contribué à l’activité normative, notamment sur les contenus (« conciliation entre ordre public et liberté d’expression », « promotion de la diversité culturelle et du pluralisme », …). Cette DRPN compte pour l’instant sept personnes – agents, juristes et ingénieurs. Elle « conçoit la politique de régulation des plateformes numériques » pour le gouvernement, « assure une veille technologique » et « analyse l’évolution des modèles économiques (…) et des effets de la transition numérique » sur les médias et les industries culturelles, tout en « apport[ant] son expertise juridique sur ces questions, en lien avec le secrétariat général [du gouvernement] » (2) où LDV vient d’être nommée (3). Florence Philbert arrive à la tête de la DGMIC après « a[voir] notamment œuvré à la transposition des directives Services de médias audiovisuels (SMA), droits d’auteur et droits voisins ». Elle était depuis 2015 DG de l’IFCIC (4). @

Union européenne, Etats-Unis, Chine : la grande bataille pour le « Bigcoin » est bien engagée

Le 16 septembre, la Maison-Blanche a livré les premières réflexions de l’administration Biden sur la future monnaie numérique américaine – un « dollar digital ». Le même jour, la Banque centrale européenne a fait le point sur le projet d’« euro numérique ». La Chine devance avec son « e-yuan ».

« Le développement responsable des actifs numériques est vital pour les intérêts américains, du bien-être des consommateurs et des investisseurs pour la sécurité et la stabilité de notre système financier, et pour notre leadership financier et technologique dans le monde », a déclaré Brian Deese (photo de gauche), conseiller économique de la Maison-Blanche, lors d’une conférence téléphonique le 15 septembre. En ajoutant : « Plus que jamais, une réglementation prudente des cryptomonnaies est nécessaire si les actifs numériques sont amenés à jouer un rôle que nous croyons dans la promotion de l’innovation et le soutien de notre compétitivité économique et technologique ».

Esquisse d’une loi « CBDC » pour le 10 octobre
Depuis le 14mars 2022, le président des Etats-Unis, Joe Biden, a fait des actifs numériques « une priorité ». Dans un décret – Executive Order (EO) – signé ce jour-là de sa main et intitulé « Assurer le développement responsable des actifs numériques », le locataire de la Maison-Blanche avait demandé à différentes autorités administratives – « le secrétaire du Trésor, en consultation avec le secrétaire d’État, le procureur général, le secrétaire au Commerce, le secrétaire à la Sécurité intérieure, le directeur du Bureau de la gestion et du budget, le Directeur du Renseignement national et les responsables des autres agences concernées » – de lui remettre dans les 180 jours, soit le 10 septembre 2022, « une évaluation de la nécessité de modifications législatives pour instaurer une CBDC des Etats-Unis, si elle est jugée appropriée et dans l’intérêt national ». CBDC (Central Bank Digital Currencies) désigne les monnaies numériques de Banque centrale, c’està- dire émanant des Etats. Ce premier rapport a été présenté par la Maison-Blanche le 16 septembre, précédé la veille du briefing téléphonique de Brian Deese. « Une monnaie numérique de banque centrale des Etats-Unis (CBDC) serait une forme numérique du dollar américain. Bien que les Etats- Unis n’aient pas encore décidé s’ils allaient ou non adopter une CBDC, ils ont examiné de près les répercussions et les options de l’émission d’une telle monnaie numérique de banque centrale », a-t-il indiqué en présentant le rapport de Alondra Nelson, la directrice de l’OSTP (Office of Science and Technology Policy), bureau rattaché au cabinet de Joe Biden. Ce premier rapport de 58 pages (1) procède à une évaluation technologique d’une monnaie en faisant des recommandations mais sans dire si les Etats-Unis vont ou pas se lancer dans cette aventure (2). Prochaine étape : dans les 210 jours suivant le décret, soit le 10 octobre prochain, le président américain recevra cette fois « une proposition législative correspondante fondée sur l’examen du rapport présenté par le secrétaire du Trésor (…) et de tout document élaboré par le président de la Réserve fédérale [la Fed, ndlr]». Sans attendre, l’OSTP et la National Science Foundation (NSF), une agence indépendante du gouvernement américain et supervisée par la Chambre des représentants des Etats-Unis, ont commencé à élaborer « un programme national de recherche et développement (R&D) sur les actifs numériques », portant notamment sur la cryptographie, sur la protection des consommateurs (y compris l’inclusion financière et l’équité dans l’écosystème des actifs numériques). L’objectif est d’être en phase avec la priorité budgétaire de l’exercice 2024 fixée par Joe Biden, qui demande aux ministères et organismes fédéraux de collaborer sur les technologies essentielles et émergentes, y compris les technologies financières.
Selon l’EO n°14067, les différents rapports demandés doivent se pencher sur l’avenir des systèmes de paiement et de monnaie, « y compris les conditions qui conduisent à une large adoption des actifs numériques ». Le but est de mesurer l’influence de l’innovation technologique et les répercussions sur le système financier des Etats-Unis, ainsi que les répercussions sur la modernisation et les changements des systèmes de paiement, la croissance économique, l’inclusion financière et la sécurité nationale. Mais surtout, les rapports demandés doivent explorer la mise en place aux Etats-Unis de monnaies numériques de la Banque centrale (CBDC), en l’occurrence la Fed (Federal Reserve). Et ce, en garantissant le principe de la « monnaie souveraine » du pays, comprenez le e-dollar, tout en évaluant les avantages et les risques possibles pour les consommateurs, les investisseurs et les entreprises, ainsi que la stabilité financière et le risque systémique pour les systèmes de paiement et la sécurité nationale.

Maintenir le dollar au centre du monde
Il s’agit aussi pour Joe Biden de « mettre en valeur le leadership et la participation des Etats-Unis » dans les instances internationales concernées par les CBDC et dans les projets pilotes multinationaux de monnaies numériques auxquels participent les autres banques centrales. Dans son décret présidentiel, le président des Etats-Unis esquisse ce futur e-dollar : « Une CBDC des Etats-Unis pourrait soutenir des transactions efficaces et peu coûteuses, en particulier pour les transferts de fonds et les paiements transfrontaliers, et favoriser un meilleur accès au système financier, avec moins de risques posés par les actifs numériques administrés par le secteur privé ». Cette future CBDC américaine devrait être, selon Joe Biden, « interopérable avec les CBDC émises par d’autres autorités » et pourraient « potentiellement stimuler la croissance économique, soutenir le maintien de la centralité des Etats-Unis au sein du système financier international et aider à protéger le rôle unique que joue le dollar dans la finance mondiale ». E-euro : conclusions de la BCE début 2023 L’une des priorités de l’administration Biden est donc de maintenir le dollar américains au centre du système monétaire international. En creux, Washington veut éviter à tout prix que le dollar ne soit court-circuité par des cryptomonnaies nonétatiques telles que le Bitcoin, l’Ether ou encore le Ripple (3). En outre, Joe Biden encourage Jerome Powell, le président de la banque centrale américaine, à savoir la Fed, à lui remettre un rapport pour savoir comment les CBDC pourraient « améliorer l’efficacité et réduire les coûts des systèmes de paiement actuels et futurs » et pour continuer à « évaluer la forme optimale d’une CBDC des Etats-Unis et élaborer un plan stratégique pour la Réserve fédérale et l’action plus large du gouvernement des Etats-Unis (dans la perspective de) la mise en œuvre et du lancement possible d’une CBDC des Etats-Unis » (4). La remise de ces deux rapports – le premier sur l’évaluation de la nécessité de légiférer (remis miseptembre) et le second sur une proposition législative correspondante (à remettre le 10 octobre) –, se fait par l’entremise de l’adjoint du président américain pour les affaires de sécurité nationale (APNSA) et de son autre adjoint pour la politique économique (APEP). La commission fédérale du commerce, la FTC, ou encore l’autorité des marchés financiers – la SEC – sont, elles aussi, mises à contribution pour préparer le terrain à la création de monnaies numériques de la Banque centrale des Etats-Unis – dollar digital en tête.
Hasard du calendrier (quoique), de l’autre côté de l’Atlantique, la Banque centrale européenne (BCE) – dirigée depuis près de trois ans par Christine Lagarde (photo de droite) – a communiqué ce même 17 septembre sur le futur euro digital. Au nom de l’Union européenne, qui s’apprête à adopter un règlement dit « MiCA » sur les marchés de crypto-actifs (5), l’institution monétaire basée à Francfort a fait part de la sélection de cinq entreprises « pour développer des interfaces utilisateur potentielles pour l’euro numérique ». Le but est de tester dans quelle mesure la technologie de l’euro numérique s’intègre aux prototypes déjà développés par ces entreprises, à savoir : le géant mondial du e-commerce Amazon pour les paiements en ligne, la société italienne spécialisée dans le e-paiements Nexi pour les paiements au point de vente effectués par le bénéficiaire, l’initiative européen EPI pour les paiements au point de vente effectués par le payeur, la société française leader dans la « paytech » Worldline pour les paiements hors ligne entre pairs (peerto- peer offline payments), et l’établissement financier espagnol CaixaBank pour les paiements en ligne entre pairs (peer-topeer online payments).
La présence d’Amazon parmi ces cinq entreprises, choisies par la BCE au sein d’un pool de 54 fournisseurs de services, n’a pas manqué de soulever des interrogations sur la « souveraineté européenne » de la démarche. « Leur sélection fait suite à l’appel à manifestations d’intérêt lancé en avril 2022 pour participer à l’exercice de prototypage, a expliqué la BCE. Les 54 entreprises remplissent un certain nombre de “capacités essentielles” décrites dans l’appel, tandis que les cinq fournisseurs choisis correspondaient le mieux aux “capacités particulières” » (6). Ces cinq sociétés développeront leur prototype respectifs, dont les transactions seront simulées et traitées par l’interface et l’infrastructure dorsale d’Eurosystème, l’organe de l’Union européenne qui regroupe la BCE et les banques centrales nationales des Etats membres. Sous la houlette de Christine Lagarde, l’institution francfortoise publiera au premier semestre 2023 ses conclusions sur ses deux ans d’étude sur le projet d’euro numérique. Selon le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau qui s’est exprimé le 27 septembre, l’Eurosystème prendra une décision d’ici fin 2023, en vue d’un lancement éventuel en 2026 ou 2027. Quant à la Chine, elle a un coup d’avance sur l’Occident. Le président chinois Xi Jinping veut faire un « Grand bond en avant » numérique en voulant généraliser l’e-yuan, qui est testé depuis 2020 après des développements commencés dès 2014. Le renminbi digital – appelé officiellement Digital Currency Electronic Payment (DCEP) – a commencé à être utilisé à grande échelle dans l’Empire du Milieu à l’occasion des Jeux olympiques d’hiver qui se sont déroulés à Pékin en février 2022. Mais aucun bilan n’a été donné depuis.

Chine : l’e-yuan, futur « Bigcoin » ?
Selon Sharnie Wong, une analyste de Bloomberg Intelligence (BI), l’e-yuan ou e-CNY pourrait d’ici 2025 représenter 9% des paiements numériques en Chine (7). D’autant que Pékin a interdit le bitcoin, car trop « spéculatif ». Plus de 4,5 millions de commerçants en Chine acceptent les paiements en e-CNY grâce à l’application mobile éponyme téléchargées par millions. WeChat (Tencent) et AliPay (Alibaba) sont tenus eux aussi de faire la promotion de la crypto nationale. Pour autant, ni les Etats-Unis, ni l’Europe, ni la Chine ne veulent perdre leur pouvoir régalien étatique historique de « frapper monnaie », chahuté par le paiement mobile et les cryptomonnaies. Et chacun rêve en plus d’imposer au monde son propre « Bigcoin » somme. @

Charles de Laubier