Vers une 2e recapitalisation de Bouygues Telecom ?

En fait. Le 11 juin était la date butoir pour déposer un recours devant le Conseil d’Etat contre la décision de l’Arcep prise en avril d’autoriser Bouygues Telecom
à utiliser des fréquences de la 2G pour faire de la 4G. C’est ce qu’ont fait Orange
et Free. La filiale télécoms de Bouygues joue son avenir.

En clair. Bouygues Telecom est de tous les opérateurs français celui qui inquiète le plus les analystes. « Beaucoup s’interrogent sur une nouvelle recapitalisation », a constaté fin mai Yves Gassot, directeur général de l’Idate. La filiale télécoms du groupe Bouygues souffre le plus de l’arrivée fracassante de Free Mobile au début 2012 et des lourds investissements à consentir dans la 4G et le très haut débit fixe. Une seconde recapitalisation n’est donc pas à exclure. La première augmentation de capital remonte
à novembre 2012 pour 700 millions d’euros, dont 678 millions financés par la maison mère (1). « Cette opération visait à donner à Bouygues Telecom les moyens de relever les défis auxquels cette société est confrontée (concurrence accrue, déploiement de la 4G, développement du fixe, etc.) », précise le document de référence 2012. Il s’agissait surtout de compenser l’achat des fréquences 4G (800 MHz et 2,6 Ghz).
Dans la partie « Facteurs de risques », l’actionnaire est prévenu : « L’arrivée de Free a (…) créé (…) une évolution généralisée des prix vers le bas ». Avec un chiffre d’affaires 2012 en chute de 9 % à 5,2 milliards d’euros, malgré 11,3 millions d’abonnés mobile
et 1,8 million d’abonnés (très) haut débit, Bouygues Telecom a accusé une perte de
16 millions d’euros (effectif de 9.659 employés). Son endettement s’élève à 650 millions d’euros (2). L’an dernier, l’opérateur a lancé un plan de restructuration pour réaliser 300 millions d’économies, lesquelles devraient même dépasser les 400 millions. Mais rien ne dit que réductions de coûts et cessions d’actifs seront suffisantes. Le 30 mai, la direction de l’opérateur a été resserrée autour d’Olivier Roussat, nommé PDG, pour traverser cette passe bien difficile.
Dans son rapport d’activité (3), le groupe a prévenu : « Afin de maintenir sa compétitivité face aux concurrents, Bouygues Telecom a sollicité des pouvoirs publics l’autorisation de déployer la 4G [à compter du 1er octobre 2013] sur la bande de fréquence 1.800 Mhz utilisée aujourd’hui pour la 2G ». Mais, selon BFM Business, il conteste devant le Conseil d’Etat le prix de 60 millions d’euros par an à payer à l’Etat pour ces 1.800 Mhz. Autant dire que si l’autorisation de l’Arcep parue au J.O. le 10 avril devait être annulée par le Conseil d’Etat, c’est tout l’avenir de Bouygues Telecom qui serait remis en question. @

Exclusif : le projet de loi « fiscalité numérique » que Philippe Marini déposera au Sénat en juillet

Le 14 février s’est tenu le Forum de fiscalité numérique parrainé par le sénateur Philippe Marini, et « père de la taxe Google » (abandonnée mi-2011). Le président
de la commission des Finances du Sénat explique à Edition Multimédi@ ce que prévoira son futur texte, s’inspirant de l’Arjel.

« En réponse à votre question concernant la date de dépôt et la teneur de la proposition de loi que j’ai annoncée, je vous indique que j’entame dès à présent un programme de travail pour l’élaboration d’une proposition de loi qui serait déposée en juillet prochain », écrit le sénateur Philippe Marini à Edition Multimédi@ le 23 février. Et de préciser : « Je procèderai à des auditions techniques et me rendrai à Bruxelles pour en examiner la recevabilité au regard du droit communautaire » (1).

Nommer un « référent fiscal »
Le sénateur UMP de l’Oise précise nous précise que « la préfiguration du dispositif (…) pourrait comporter deux volets » :
« D’une part, une obligation de déclaration d’un référent fiscal par les acteurs de l’Internet basés à l’étranger à partir de seuils d’activités qui ne viserait que les grands groupes (les ‘’Over-The-Top’’) sur le modèle procédurale de l’agrément accordé aux sites de jeux en ligne » ;
« D’autre part, deux séries de taxes, l’une destinée à rétablir l’équité fiscale en appliquant aux acteurs étrangers les taxes relatives au soutien de l’audiovisuel public et sur la copie privée versée aux ayants droits, l’autre portant sur la publicité en ligne et, le cas échéant, sur (…) la taxation de la valeur ajoutée ou des flux (clics, adresse IP, données, …) ». Enfin, Philippe Marini nous indique que « dans une perspective à plus long terme, deux propositions méritent un examen spécifique pour savoir si elles pourraient répondre à nos problématiques : les notions de cycles commercial et d’établissement stable ».
Un an après avoir vu le rejet de sa « taxe Google », par le Sénat le 22 juin 2011 après
que l’Assemblée nationale l’eut qualifiée d’« erreur » des sénateurs dix jours plus tôt (2), le président de la commission des Finances du Sénat repart donc à l’offensive contre Google/YouTube, Amazon, Facebook Apple ou encore Yahoo. Tous ces géants du Net sont implantés dans d’autres pays à la TVA plus attractive (Luxembourg ou en Irlande) et aux obligations de financements audiovisuels et culturels inexistantes, y gagnant en optimisation fiscale. « L’agrément et l’imposition fiscale à la manière de l’Arjel (3), constitue un exemple qui mériterait d’être transposé de manière général », avait estimé Philippe Marini lors du forum. Le sénateur intervenait après Jean-François Vilotte, président de l’Arjel, lequel a montré l’efficacité fiscale de la loi du 12 mai 2010 sur les jeux d’argent et de hasard en ligne. « Ce n’est pas impossible d’établir l’assiette [fiscale] et de recouvrer [l’impôt] quand les serveurs sont implantés dans le monde »,
lui avait répondu ce dernier.
L’instruction de la Direction générale des Finances publiques, datée du 14 mai 2010 (4), prévoit en effet que « lorsqu’une personne non établie en France est redevable de (…) prélèvements, elle est tenue de faire accréditer auprès de l’administration fiscale un [seul] représentant établi en France, qui s’engage (…) à acquitter le ou les prélèvements à sa place (5) ». Ce représentant fiscal peut être une personne physique, une filiale de l’entreprise étrangère, un établissement bancaire ou encore une entreprise spécialisée dans la représentation fiscale (6). Si la fiscalité numérique était appliquée en France selon le dispositif Arjel, Google – par exemple – aurait à envoyer
à l’administration fiscale française la lettre suivante : « Je soussigné, Eric E. Schmidt, président exécutif, agissant au nom et pour le compte de Google Inc. basé à Mountain View en Californie (Etats-Unis), désigne (…) Google France, 8, rue de Londres 75009 Paris, numéro de Siret 443 061 841 00039, en qualité de représentant pour (…) acquitter ces prélèvements et tenir à la disposition de l’administration fiscale (…) la comptabilité de l’ensemble des [transactions effectuées en France, ndlr] ». Une fois l’agrément octroyé à l’entreprise étrangère, le fic français aurait alors le pouvoir de contrôler (7) et de corriger l’assiette par rapport aux déclarations fiscales et ainsi prélever l’impôt numérique calculé au plus juste. Par exemple, les prélèvements (sociaux inclus) sur les jeux d’argent en ligne s’échelonnent
de 2 % pour le poker à 14,4 % pour les paris hippiques, en passant par 9 % pour les paris sportifs. Cela aurait rapporté à l’Etat l’an dernier un total de 258 millions d’euros (8).

Bloquer les mauvais payeurs ?
Et s’ils n’obtempèrent pas ? Faudra-t-il prévoir une autorité administrative indépendante
– comme l’Arjel – ayant le pouvoir d’injonction pour que les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) et les hébergeurs bloquent les sites web hors-la-loi fiscalement ? Ce blocage pourra-t-il aussi se faire sur décision en référé du TGI de Paris ? Jean-François Vilotte dispose d’une procédure dite de « blocage judiciaire » des sites, lui permettant de saisir en référé le président du TGI de Paris « aux fins d’ordonner à l’hébergeur du site et aux principaux fournisseurs d’accès de bloquer l’accès au site litigieux ». @

Charles de Laubier

Accord-cadre « CNM » : pourquoi la FFT n’a pas signé

En fait. Le 31 janvier, en marge des vœux de la Fédération française des télécoms (FFT), son directeur général Yves Le Mouël a expliqué à Edition Multimédi@ pourquoi son organisation n’avait pas souhaité signer l’accord-cadre créant
le Centre national de la musique (CNM) qui lui avait pourtant été soumis.

En clair. L’accord-cadre créant le CNM, cosigné le 28 janvier au Midem à Cannes par
les représentants de la filière musicale et le ministre de la Culture et de la Communication Frédéric Mitterrand, ne l’a pas été par les opérateurs télécoms réunis au sein de la FFT. C’est ce que nous a indiqué son directeur général Yves Le Mouël. « Nous avons été invités à signer l’accord-cadre mais nous avons refusé de le faire car nous n’avons
pas obtenu la garantie que le financement du CNM se fera en réaffectant une partie des taxes déjà versées par les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) au Centre national du cinéma (CNC) dans le cadre du Cosip (1) », a-t-il expliqué. Au titre de l’année 2012,
les opérateurs télécoms vont contribuer au financement de la création audiovisuelle à hauteur de 192 millions d’euros. La FFT espère qu’une partie de cette contribution sera
« redéployée » vers le CNM.
Les opérateurs télécoms et les FAI pensaient avoir été entendus au plus haut sommet
de l’Etat depuis le rapport Création musicale et diversité à l’heure du numérique remis
le 3 octobre dernier à Frédéric Mitterrand et à Nicolas Sarkozy. Ses auteurs (2) prévoit
le financement du CNM par « le prélèvement d’une partie du produit de la taxe sur les services de télévision (TST) » que versent les FAI au CNC (lire EM@44, p. 4). Pour les opérateurs télécoms, justifient-ils, cela a un avantage : « La pression fiscale globale sur les FAI demeure inchangée ».
Hélas pour les FAI, le 33e et dernier point de l’accord-cadre dit bien que « cette taxe
dont le rendement sera, en 2013 et en année pleine, de l’ordre de 70 à 95 millions d’euros, interviendra sans augmentation de la pression fiscale sur les opérateurs de télécommunications ». Mais rien ne dit que les recettes du CNM seront prélevées sur celles du CNC (3). Le jour même de la signature de l’accord-cadre au Midem, la FFT a joué la prudence : « Les opérateurs seront donc particulièrement attentifs à l’absence
de toute nouvelle taxe pour financer le CNM et relèvent avec satisfaction les termes de l’accord-cadre prévoyant que le financement du CNM sera réalisé à pression fiscale constante (…) sur eux ». Reste une inconnue de taille : l’élection présidentielle. Favori
des sondages, le socialiste François Hollande a indiqué que, s’il était élu en mai prochain, il maintiendrait le CNM. @

Les internautes sont appelés à financer la presse

En fait. Le 28 mars, le New York Times a lancé son édition payante au-delà
de 20 articles gratuits par mois après l’avoir d’abord testée quelques jours
au Canada. Le même jour, en France, Jaimelinfo.fr lance sa plateforme de financement de la presse en ligne – après avoir testé une version bêta depuis novembre.

En clair. Qu’il s’agisse de journaux imprimés, comme le New York Times, décidés à
faire payer leurs articles mis en ligne, ou des sites web d’information, comme Rue89
ou Mediapart, faisant appel aux dons des lecteurs, la presse sur Internet tente de tourner la page du tout gratuit. Dans un cas (les journaux historiques) comme de
l’autre (les nouveaux pure players), l’objectif est de trouver de « nouvelles sources
de revenus » pour « financer l’information ». Le journalisme a un coût que la gratuité financée par la publicité en ligne se suffit pas à couvrir. Mais le dilemme est draconien : en faisant payer les articles, l’éditeur fait un trait sur une audience élevée et renonce de ce fait aux recettes publicitaires correspondantes. C’est le passage du mass media au média ciblé. Le New York Times n’a pas opté pour le tout-payant comme c’est le cas du Times et du Sunday Times du groupe News Corp. (Murdoch), mais pour une formule
« freemium » : à partir de 20 articles gratuits par mois, trois formules d’abonnement numériques sont proposés – de 15 à 35 dollars par mois (1). Cette formule hybride permet de ménager la chèvre (l’abonnement) et le chou (la publicité). Le spectre d’un effondrement de l’audience du site web existe, comme ce fut le cas du Times et du Sunday Times qui ont perdu près de 90 % de leur lectorat d’internautes après être devenus payant comme le Wall Street Journal (également propriété de Rupert Murdoch) et du Financial Times (groupe Pearson). Passer de quelques millions de connexions par mois à quelques dizaines de milliers a de quoi bousculer le modèle économique des journaux bien établis. Pour les autres, les nouveaux entrants nés sur le Web, il n’y a rien à perdre. Il y a même tout à gagner, comme le montrent Spot.us aux Etats-Unis ou Jaimelinfo.fr en France. Ce dernier réunit à ce stade 78 sites web ou de blogs d’informations, qui trouvent là une source de revenus supplémentaires allant de 5 à 50 euros ou plus par donation. J’aimelinfo prélève 10 % sur chaque transaction effectuée. « Nous ne visons pas tant à faire appel à la générosité des lecteurs qu’à les associer à la construction de l’information et au financement de nouveaux projets. Il s’inscrit dans la mouvance du “crowdfunding“ (2) », explique Laurent Mauriac, président de Jaimelinfo, dont le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil) est membre fondateur. La plateforme Jaimelinfo a été développée par Rue89, dont Laurent Mauriac est cofondateur. @