Thierry Breton « milite » pour un « Telecom Act » sur 20 ans favorable financièrement aux opérateurs télécoms

Ex-PDG d’Atos, ex-PDG de France Télécom et ex-administrateur de l’opérateur télécoms Sonatel (filiale sénégalaise d’Orange), Thierry Breton – ex-ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie – est devenu fin 2019 commissaire européen après avoir désamorcé tout conflits d’intérêts. Mais son parti pris « télécoms » demeure.

Le commissaire européen Thierry Breton (68 ans) en charge du marché intérieur, qui fut dans une ancienne vie président de France Télécom devenu Orange, a décidément pris le parti des opérateurs télécoms dans le cadre des réflexions de la Commission européenne sur l’avenir du secteur des communications électroniques et de ses infrastructures. Son vaste portefeuille bruxellois couvrant aussi bien l’industrie, la défense et l’espace que le numérique et les télécoms, n’y voyez là aucun conflit d’intérêt puisque vingt ans ont passé depuis qu’il fut à la tête de l’ancien monopole public des télécoms français, d’octobre 2002 à février 2005. D’ailleurs, après que le chef de l’Etat français Emmanuel Macron l’ait proposé comme commissaire européen il y a près de quatre ans, le Parlement européen (notamment sa commission des affaires juridiques) n’avait alors rien trouvé à redire à Thierry Breton (photo) qui s’était alors démis de ses fonctions de PDG d’Atos. Il a aussi été ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, de février 2005 à mai 2007 sous la présidence de Jacques Chirac, l’Etat français étant actionnaire d’Orange et encore aujourd’hui à hauteur de 22,95 % du capital et 29,25 % des droits de vote (1).

Doutes levés fin 2019 sur des conflits d’intérêts
Les soupçons de conflits d’intérêts que certains exprimaient alors envers le candidat Thierry Breton, avant que celui-ci ne soit finalement adoubé par le Parlement européen pour prendre ses fonctions le 1er décembre 2019 au sein de la Commission « von der Leyen  » ont été balayés. Les doutes de probité étaient par rapport à ses fonctions antérieures à sa candidature à Bruxelles, à savoir lorsqu’il était PDG du groupe de services informatiques Atos pendant près de onze ans (de février 2009 à octobre 2019). Pour mettre un terme à toute suspicion qui perdurait après sa démission d’Atos au 31 octobre 2019, Thierry Breton avait assuré aux eurodéputés lors de son audition qu’il avait cédé toutes ses actions dans Atos (Worldline compris) et démissionné en plus de tous ses mandats exercés dans divers conseils d’administration – parmi lesquels celui de Sonatel. Il s’agit de l’opérateur télécoms historique du Sénégal, devenu en 1997 filiale de France Télécom et encore à ce jour filiale d’Orange à hauteur de 42,3 % du capital mais contrôlée et consolidée dans les comptes de l’ex-France Télécom par un pacte d’actionnaire (2). Ayant réalisé Continuer la lecture

Le jeune ministre de la Transition numérique et des Télécoms, Jean-Noël Barrot (40 ans), s’active

Nommé il y a un peu plus de dix mois ministre délégué de la Transition numérique et des Télécoms, Jean-Noël Barrot – 40 ans depuis le 13 mai – intensifie son action aussi bien sur la régulation d’Internet (G7 numérique au Japon et projet de loi en France) que sur le plan France Très haut débit et la French Tech.

Pas de temps à perdre pour ce jeune quadra. L’agenda bien rempli de Jean-Noël Barrot (photo), ministre délégué de la Transition numérique et des Télécommunications auprès de Bruno Le Maire (1), s’accélère. Après un périple de deux jours au Japon pour représenter la France au G7 Numérique les 29 et 30 avril, le revoici à pied d’oeuvre sur le sol français où ses dossiers s’enchaînent à Bercy. En haut de la pile : le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique. Après l’avoir présenté le 10 mai en conseil des ministres, puis transmis au Parlement, le texte du gouvernement devrait être examiné au Sénat en juin puis à l’Assemble nationale début juillet. L’une des mesures très attendues est le « filtre anti-arnaques » annoncé par le candidat Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle du printemps 2022.

Un ministre délégué à l’agenda de ministre
Sur un autre front, Jean-Noël Barrot interviendra le 16 mai à l’occasion de la publication – par la fédération professionnelle Infranum (2) – de l’Observatoire du très haut débit 2023 sur fond de polémiques sur les malfaçons dans le déploiement de la fibre optique jusqu’aux abonnés. Pour tenter de remédier à ces dysfonctionnements, une proposition de loi a été adoptée le 2 mai au Sénat et transmise à l’Assemblée nationale. Les différents acteurs de la filière télécoms se rejettent plus que jamais la responsabilité des couacs. Jean-Noël Barrot (« JNB ») oeuvre aussi en faveur de la « Startup Nation » chère à Emmanuel Macron, lequel fut ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique d’août 2014 à août 2016 (sous la présidence de François Hollande). La « French Tech » est une initiative du gouvernement français lancée il y aura dix ans en fin d’année. Passage en revue des principaux sujets d’actualité concernant JNB : Continuer la lecture

A 75 ans, l’Unesco – dirigée par Audrey Azoulay – prend des airs de régulateur mondial de l’Internet

C’est en novembre 1946 qu’est formellement créée l’organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture. Soixante-quinze ans après, son onzième directeur général et deuxième femme – Audrey Azoulay – a été réélue pour un second mandate de quatre ans. Parmi ses priorités : le numérique.

Comme en octobre 2017, la Française Audrey Azoulay (photo) a été élue en novembre 2021 – cette fois pour un second mandat de quatre ans – à la direction générale de l’Unesco, lors de la 41e conférence générale de celle-ci, avec à nouveau le soutien de « la République française » qui a proposé une seconde fois sa candidature. Entre le précédent locataire de l’Elysée, François Hollande, et l’actuel, Emmanuel Macron – lequel, faut-il le rappeler, y a été le secrétaire général adjoint du premier puis « son » ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique (avant de devenir son rival) –, il y a un point commun : celui d’avoir été à l’origine de la nomination d’Audrey Azoulay à la tête de cette organisation onusienne basée à Paris. Autant son accession à ce poste international n’avait pas été évidente il y a quatre ans, autant sa réélection est passée comme une lettre à la poste : sur 193 Etats membres de l’Unesco, 169 ont voté le 9 novembre, dont 155 voix se sont portées sur l’ancienne ministre de la Culture et de la Communication (après avoir été conseillère dans ces domaines auprès de François Hollande à l’Elysée). Il faut dire que l’énarque était seule en lice pour ce mandat 2021-2025, alors que pour remporter son premier mandat (après une candidature déposée in extremis) elle avait dû battre le Qatari Hamad bin Abdulaziz al-Kawari.

Encadrer l’intelligence artificielle, les algorithmes et les données
Bientôt quinquagénaire (en août 2022), la voici à pied d’œuvre pour quatre nouvelles années à l’Unesco, laquelle organisation a fêté ses 75 ans le 12 novembre dernier . Le premier jour de cette 41e conférence générale de l’Unesco, qui s’est tenue du 9 au 24 novembre, Audrey Azoulay a prononcé – en français, en anglais et en espagnol – son discours de politique générale. Plus que jamais, en plus des défis de l’éducation, de l’environnement et de la paix, le défi du numérique est désormais au cœur de son action. « Le quatrième défi que je souhaite relever est celui de construire un univers numérique qui soit au service de nos valeurs sans les assujettir A l’ère des métavers, des mégadonnées et des robots d’Asimov [écrivain américano-russe et biochimiste, auteur de science-fiction et de vulgarisation scientifique, ndlr], nous avons besoin d’orientations claires », a déclaré la directrice générale fraîchement reconduite à la tête de l’Unesco. Pour Audrey Azoulay, l’organisation onusienne doit avoir son mot à dire sur le monde du numérique, comme elle l’a eu sur le génome humain par exemple, quand bien même 2,9 milliards de personnes sur près de 8 milliards d’être humains ne sont toujours pas connectés, selon l’Union internationale des télécommunication (UIT), elle aussi organisation des Nations Unies (2).

Recommandations et directives opérationnelles
Sur fond de fracture numérique, l’Unesco veut sans tarder dompter l’intelligence artificielle (IA) : « Il appartiendra à cette conférence générale d’incarner cette voix en se prononçant sur l’adoption du premier instrument normatif mondial sur l’éthique de l’intelligence artificielle. Il faudra ensuite lui donner vie et forme, en aidant les Etats membres à le mettre en oeuvre, en renforçant les capacités et en suivant de près les progrès accomplis ». Une quinzaine de jours après cette déclaration, l’Unesco présentait le tout premier accord mondial sur l’éthique de l’IA – une « recommandation sur l’éthique de l’intelligence artificielle » d’une trentaine de pages (3) adoptée formellement le 22 novembre lors de la 41e conférence générale de l’Unesco. L’ont ratifiée 193 pays, y compris la Russie, la Chine ou l’Iran, mais pas les Etats-Unis ni Israël qui ne sont plus membres de l’Unesco. « Les technologies de l’IA peuvent rendre de grands services à l’humanité et tous les pays peuvent en bénéficier, mais elles soulèvent également des préoccupations éthiques de fond, à l’égard, par exemple, des biais qu’elles sont susceptibles de comporter et d’accentuer, lesquels pourraient entraîner discrimination, inégalité, fractures numériques et exclusion, menacer la diversité culturelle, sociale et biologique et entraîner des clivages sociaux ou économiques », met en garde l’Unesco. Et d’insister sur « la nécessité d’assurer la transparence et l’intelligibilité du fonctionnement des algorithmes et des données à partir desquelles ils ont été entraînés ».
Cette recommandation sans précédent, et à portée mondiale, part du constat qu’il n’y a pas de définition unique de l’IA, « celle-ci étant appelée à évoluer en fonction des progrès technologiques » mais qu’il est bien question de « systèmes capables de traiter les données et l’information par un processus s’apparentant à un comportement intelligent, et comportant généralement des fonctions de raisonnement, d’apprentissage, de perception, d’anticipation, de planification ou de contrôle ». L’Unesco appelle les Etats à encadrer l’IA quant à ses « implications éthiques » dans plusieurs domaines : éducation, science, culture, communication et information. Par exemple, concernant « l’identité et la diversité culturelles », l’Unesco estime avec inquiétude que « les technologies de l’IA peuvent enrichir les industries culturelles et créatives, mais aussi aboutir à une concentration accrue de l’offre, des données, des marchés et des revenus de la culture entre les mains d’un petit nombre d’acteurs, avec des répercussions potentiellement négatives sur la diversité et le pluralisme des langues, des médias, des expressions culturelles, la participation et l’égalité ». Autre préoccupation : l’IA jouant un rôle croissant dans le traitement, la structuration et la transmission de l’information, « les questions du journalisme automatisé et de l’utilisation d’algorithmes pour diffuser des actualités et pour modérer et organiser des contenus sur les réseaux sociaux et les moteurs de recherche » soulèvent de multiples sujets : accès à l’information, désinformation, mésinformation, discours de haine, discrimination, liberté d’expression, protection de la vie privée, éducation aux médias et à l’information, etc… « Les Etats membres devraient veiller à ce qu’il soit toujours possible d’attribuer la responsabilité éthique et juridique de tout stade du cycle de vie des systèmes d’IA à des personnes physiques ou des entités juridiques existantes », recommande notamment l’Unesco, laquelle propose avec l’ONU d’apporter son « soutien » aux pays du monde pour qu’ils puissent « adopter une approche d’”espace commun numérique” des données » et « accroître l’interopérabilité des outils et des ensembles de données ». Cette recommandation « Ethique de l’IA » vient compléter les avancées de l’Unesco dans le domaine du numérique, à travers ses « directives opérationnelles » de mise en oeuvre dans l’environnement numérique de la Convention de 2005, à savoir la Convention de l’Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.
Celle-ci, historique, fut signée le 20 octobre 2005 à Paris. Les récentes directives opérationnelles sur le numérique, qui sont comparables à des décrets pour les lois (c’est-à-dire contraignantes mais sans sanctions), ont commencé à être élaborées il y a huit ans (4). Il s’agit d’adapter ce texte international qu’est la Convention de l’Unesco – ratifiée par 150 pays (5) et par l’Union européenne – pour que l’éducation, la science et la culture soient protégées et promues sur Internet. Et ce, en coopération avec les GAFAM (américains), les BATX (chinois), les YVOT (russes) et toutes les plateformes numériques du cyberespace. Les premières « directives opérationnelles destinées à promouvoir la diversité des expressions culturelles dans l’environnement numérique » (6) ont été adoptées en juin 2017 et une « feuille de route » (7) pour leur mise en œuvre a été établie en juin 2019 par la prédécesseure d’Audrey Azoulay, la Bulgare Irina Bokova.

Convention de 2005 : 15e comité début 2022
La quinzième session du « comité intergouvernemental pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles », qui se tiendra du 8 au 11 février 2022, sera décisive sur les avancées « numériques » de la Convention de 2005 et sur le bilan de son Fonds international pour la diversité culturelle (FIDC) ou IFCD (8). Problème : les Etats-Unis ne sont plus membres de l’Unesco depuis 2019 et encore moins signataires de la Convention de 2005. Outre le reproche de « préjugés anti-israéliens » qu’ils font à l’Unesco (qu’Israël a quitté en même temps), les Américains exigent depuis des années d’inclure les services audiovisuels et culturels dans les accords de libreéchange (9). Audrey Azoulay réussira-t-elle l’exploit de faire revenir les Etats-Unis de Joe Biden, et Israël, dans l’organisation culturelle de l’ONU ? Ce serait la plus grande réussite de son second mandat qui s’achèvera en novembre 2025. @

Charles de Laubier

Le président chinois Xi Jinping se mue en « Grand Timonier » de l’économie numérique de son pays

Alors qu’il est depuis près de dix ans président de la République populaire de Chine, Xi Jinping n’a jamais été aussi centralisateur et exigeant sur la manière de réguler le capitalisme dans l’Empire du Milieu. Tout en accentuant la censure de l’Internet, le secrétaire du parti communiste chinois met au pas la finance de ses géants du numérique.

Le président de la Chine, Xi Jinping (photo), et son homologue des Etats-Unis, Joe Biden, lequel a pris l’initiative de cet appel, se sont longuement parlé au téléphone le 9 septembre au soir. Les dirigeants des deux plus grandes puissances économies mondiales, dont le dernier coup de fil remontait à sept mois auparavant (février 2021), ont eu une « discussion stratégique » pour tenter d’apaiser les relations sino-américaines qui s’étaient tendues sous l’administration Trump. Durant leur entretien de près d’une heure et demie, ils sont convenus d’éviter que la concurrence exacerbée entre leur deux pays ne dégénère en conflit.
Cet échange franc au sommet – où économie, tarifs douaniers punitifs, restrictions à l’exportation (1), affaire « Huawei », climat et coronavirus ont été parmi les sujets abordés – semble tourner la page de la guerre économique engagée par Donald Trump. En apparence seulement, car l’administration Biden a fait siennes les accusations lancées – sans preuve – par l’ancien locataire de la Maison-Blanche à l’encontre du géant technologique chinois Huawei toujours accusé de cyber espionnage via notamment ses infrastructures 5G dont il est le numéro un mondial (2). Face aux coups de boutoir de Washington (3), la firme de Shenzhen a perdu la première place mondiale des fabricants de smartphone qu’il avait arrachée un temps à Samsung début 2020 et après avoir délogé Apple de la seconde début 2018 (4).

Les BATX rappelés à l’ordre en Chine
Cette accalmie – passagère ? – entre Etats-Unis et Chine permet à Xi Jinping de se concentrer sur ses affaires intérieures, où il a décidé de reprendre le contrôle du capitalisme financier qui a prospéré dans son pays de façon débridée. Et de s’attaquer dans le privé à l’enrichissement démesuré qui reste à ses yeux incompatible avec « la prospérité commune ». Cette dernière expression, le chef de l’Etat chinois l’avait utilisée pour rappeler à l’ordre les milliardaires chinois en leur demandant de ne pas creuser les inégalités au sein de son peuple. Le président de l’Empire du Milieu, également secrétaire du parti communiste chinois, fait monter la pression réglementaire et gouvernementale sur les puissances de l’argent. Premier à avoir essuyé les plâtres de cette « répression » du pouvoir central sur les grandes entreprises et leurs dirigeants : Jack Ma, le fondateur d’Alibaba, qui se fait depuis très discret depuis des mois, alors qu’en octobre 2020 il avait critiqué publiquement la régulation de son pays.

Xi Jinping à la tête du CAC
Le géant du e-commerce et des réseaux sociaux est dans le viseur du pouvoir central de Pékin pour sa puissance financière débridée, ses abus de position dominante, la surexploitation des données personnelles et l’opacité de ses algorithmes, ou encore les conditions de travail de leurs employés. En avril dernier, la firme de Hangzhou a été condamnée à une amende équivalente à 2,3 milliards d’euros pour entrave à la concurrence. A la suite de l’intervention des autorités chinois début novembre 2020, en prétextant vouloir éviter un « risque financier », Alibaba avait dû abandonner son mégaprojet d’introduction en Bourse – à Hong Kong et à Shanghaï – de sa filiale bancaire Ant Group, dont le système de paiement en ligne Alipay est massivement utilisé par les Chinois et procure à sa maison mère un avantage quasi-monopolistique. Xi Jinping, qui envisagerait un démantèlement d’Alipay (5), projette par ailleurs de généraliser en 2022 l’e-yuan, actuellement testé (6). Depuis ce premier coup de pied dans la fourmilière du Net chinois, la pression de Pékin n’est pas redescendue depuis près d’un an. Plus d’une trentaine de grands groupes technologiques chinois se sont aussi attiré les foudres de Pékin, parmi lesquels Tencent (WeChat), ByteDance (TikTok), Baidu (Baidu.com), Meituan (Meituan.com) ou encore Didi (« Uber » chinois).
Xi Jinping siffle ainsi la fin de la récrée pour que le profit ne supplante pas le social, et pour que l’innovation et le consommateur ne soient pas les grands perdants de la mainmise de ces géants chinois du Net, surnommés parfois les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi). Au printemps dernier, l’Administration chinoise du cyberespace, ou CAC (7) alias le Bureau de la commission des affaires du cyberespace central (8), avait convoqué les géants chinois du numérique pour leur reprocher des pratiques de concurrence déloyale et les mettre en garde contre les abus de position dominante. Le CAC, qui est le régulateur de l’Internet chinois, est officiellement dirigé par le secrétaire général du Parti communiste chinois, Xi Jinping lui-même, et est rattaché aux organes d’information (propagande ou idéologie), de censure (des médias ou sites web) et de sécurité (contre les contenus illégaux, politiques ou religieux). Quant au ministère chinois de l’Industrie et des Technologies de l’information (MIIT), il a le 13 septembre appelé les BATX à ne pas évincer leurs concurrents (9). Plus récemment, le régulateur chinois s’en est pris aux jeux vidéo, notamment à deux géants du gaming du pays, Tencent (WeGame) et Netease (163.com) qui ont aussitôt décroché en Bourse. Et pour cause : l’administration Jinping, qui a considéré cet été que les jeux en ligne étaient le nouvel « opium spirituel » du peuple, a fait savoir qu’elle allait « geler » les autorisations de nouveaux jeux en ligne, avant de préciser ensuite qu’il ne s’agissait pas d’un moratoire sur la sortie des titres – comme ce fut le cas en 2018 durant dix mois – mais seulement de « ralentir » le rythme frénétique de leur mise sur le marché. Le 8 septembre, plusieurs acteurs de ce qui constitue la plus grande industrie du jeu vidéo au monde ont été réunis par les autorités chinoises pour les rappeler à leur devoir de « solidarité », les réfréner dans leur course aux profits, et exiger d’eux qu’ils luttent contre l’« addiction », notamment des mineurs. Parmi les nouvelles règles du jeu : limitation à trois heures par semaine le temps des enfants à jouer aux jeux vidéo, afin qu’ils ne deviennent pas accros ni myopes, qu’ils réduisent leurs dépenses en objets virtuels et qu’ils deviennent plus productifs en dehors des jeux vidéo. Dans ce contexte de mise au pas des jeux, Tencent – propriétaire de l’éditeur américain Riot Games depuis 2015 – a reporté à octobre la sortie tant attendue de la version mobile de « League of Legends », au lieu de la date initiale du 15 septembre.
Cette offensive du président Xi Jinping pour mettre un terme à l’« expansion désordonnée du capital » dans l’Empire du Milieu aux 1,4 milliard de Chinois interpelle tous les secteurs économiques du pays, au premier rang desquels le numérique qui a contribué fortement à une flambée boursière désordonnée et perçue comme trop capitaliste aux yeux du pouvoir communiste. En secouant le cocotier du Net, celui qui prend des airs de « Grand timonier » est parti en guerre contre ce qu’il appelle aussi « la croissance barbare ». Jusqu’où ira l’administration Jinping dans ce vaste recadrage de l’économie numérique chinoise ? Seul Xi le sait, lui qui veut apparaître comme le deuxième homme fort de l’histoire de l’empire, après Mao Tsé-toung.

20e Congrès du PPC à l’automne 2022
Après avoir célébré le 1er juillet dernier le centenaire du Parti communiste chinois (PCC), où ses racines marxistes-léninistes ont été rappelées à ses quelque 95 millions de « camarades » membres, le leader pékinois briguerait un nouveau mandat à la tête de la première économie mondiale en puissance. La prochaine étape cruciale est dans un an : ce sera le 20e Congrès du PCC à l’automne 2022. Xi Jinping, qui n’a pas mis un pied en dehors de la Chine depuis plus d’un an et demi, pourrait se rendre au prochain G20 prévu fin octobre à Rome et serrer la main de Joe Biden. @

Charles de Laubier

En bannissant sans limite Donald Trump, les réseaux sociaux Facebook et Twitter ont dépassé les bornes

Persona non grata sur des réseaux sociaux, l’ex-45e président des Etats-Unis Donald Trump – décidé à briguer un nouveau mandat en 2024 – fait l’objet d’un débat sur la régulation mondiale de l’Internet. Facebook, Twitter ou encore YouTube, sociétés privées devenues censeurs sans juge, mettent à mal la liberté d’expression.

(Finalement, le 4 juin 2021, Facebook a décidé de suspendre pour deux ans Donald Trump)

Il n’a plus rien à perdre. Quarante-cinquième président des Etats-Unis (janvier 2017-janvier 2021), Donald J. Trump (photo) – qui aura 75 ans le 14 juin prochain – compte bien se représenter à la prochaine présidentielle américaine de 2024 afin de reprendre sa revanche et de tenter d’être le 47e locataire de la Maison-Blanche. Car dans le monde réel, le turbulent milliardaire n’a pas été banni ni même jugé devant les tribunaux pour les faits qui lui sont reprochés, à savoir d’avoir « encouragé » – sur Facebook – ses partisans à envahir le Capitole des Etats-Unis lors de l’émeute du 6 janvier dernier. En réalité, le mauvais perdant n’a pas explicitement incité – ni encore moins ordonné – l’invasion par la foule du Congrès américain, alors en plein débat sur la ratification de l’élection présidentielle ayant donné Joe Biden vainqueur, mais peut-être implicitement en clamant qu’il avait gagné l’élection présidentielle. Nuance. Ce jour-là, devenu historique, le président sortant était d’ailleurs introuvable, sauf sur Internet pour affirmer qu’on lui avait « volé » l’élection en organisant une « fraude massive ». Jugé coupable le 5 mai par Facebook d’avoir, selon le numéro un des réseaux sociaux, « créé un environnement où un risque sérieux de violence était possible », Donald Trump a été exclu pour encore six mois – mais pas indéfiniment – de Facebook (où il comptait 35 millions d’amis) et d’Instagram (24 millions d’abonnés).

Entreprises privées versus Premier amendement
Ses comptes avaient été supprimés le lendemain des événements du Capitole. Car dans ce monde virtuel, les entreprises privées telles que Facebook ou Twitter ne sont pas soumises au Premier amendement de la Constitution des Etats-Unis d’Amérique interdisant de limiter la liberté d’expression. Donald Trump a ainsi été condamné dès le 7 janvier dernier au bannissement par ces réseaux sociaux tout puissants. « Les entreprises privées ne sont pas tenues par le Premier amendement. Et donc, il [Donald Trump] n’a pas le droit au Premier amendement. C’est un client. Facebook n’est pas un gouvernement, et il [l’ex-président] n’est pas un citoyen de Facebook », a d’ailleurs bien expliqué le 9 mai dernier Michael McConnell, coprésident du « conseil de surveillance » de Facebook, dans un entretien accordé à la chaîne d’information en continu américaine Fox News.

« L’erreur » de Facebook et de Twitter
Et sur sa lancée, le spécialiste du droit constitutionnel et professeur à Stanford a expliqué comment ce jury « indépendant » – appelé en anglais Oversight Board, où il a été nommé il y a un an parmi les vingt membres – a obtenu de la firme de Mark Zuckerberg que Donald Trump soit suspendu provisoirement de Facebook et d’Instagram et non sur une durée indéfinie voire ad vitam aeternam : « Ce que nous avons dit, c’est qu’[il n’était] pas justifié de [le] supprimer indéfiniment [comme envisagé initialement par Facebook, ndlr], qu’ils [les dirigeants de Facebook et d’Instagram] n’ont fourni aucune raison pour cela, que ce n’est pas une disposition de leur règlement, que c’est une erreur. Et nous leur avons donné un certain temps pour (…) mettre de l’ordre dans leur maison ».
Dans un tweet du 5 mai, l’Oversight Board, cette sorte d’ombudsman mondial, a même lancé : « Facebook a enfreint ses propres règles en imposant une suspension “indéfinie” » (1). Autrement dit, le groupe aux réseaux sociaux planétaires doit faire le ménage dans ses « règles chaotiques », « non transparentes », « pas claires », « incohérentes en elles » (2). Le « conseil de surveillance », qui a estimé nécessaire de faire des recommandations à la firme de Menlo Park (Californie) sur la façon de mettre de l’ordre dans ses règles pour les rendre plus acceptables, a donc décidé de maintenir jusqu’à début novembre 2021 l’interdiction faite à l’ancien président des Etats-Unis et le temps pour Facebook durant cette période de clarifier sa politique interne en général et vis-à-vis du « puni » en particulier. C’est un peu comme renvoyer dos à dos Trump et Zuckerberg. « Le conseil de surveillance confirme la suspension de l’ancien président Trump mais estime que la sanction de Facebook n’était pas opportune », déclarait le 5 mai l’organe privé de régulation (3) au moment de rendre son verdict sur « le cas 2021-001-FB-FBR » (4).
L’instance « indépendante » aux allures de cour suprême, financée par Facebook, a été créée pour juger et dire « quels contenus supprimer, quels contenus laisser en ligne et pourquoi ». C’est là que le bât blesse. Ecarté virtuellement « pour avoir encouragé les émeutiers » du Capitole (5), mais plus que jamais réellement présent dans la vraie vie pour se préparer à la campagne présiden-tielle de 2024, Donald Trump est devenu un cas d’école pour la régulation mondiale de l’Internet. D’autant que celui qui fut le 45e président des Etats-Unis a aussi été évincé de Twitter, de YouTube (plateforme vidéo de Google), de Snapchat (de la société Snap) et même de Twitch (filiale d’Amazon). Cette affaire montre les limites d’une régulation privée par des entreprises privées, à savoir une auto-régulation sans intervention du juge. Le verdict du tandem « Facebook- Oversight Board » crée un malaise bien au-delà du Nouveau Monde, tout comme son éviction à vie de Twitter (où le twittos @realDonaldTrump avait 89 millions d’abonnés) en début d’année et pour les mêmes raisons. Et ce, là aussi, sans que la firme de Jack Dorsey ne soit liée par le Premier amendement garantissant la liberté d’expression et sans qu’aucun juge n’ait eu à se prononcer sur cette sentence aux limites de l’arbitraire. Twitter a même enfoncé le clou en suspendant le 6 mai dernier plusieurs comptes qui relayaient des messages postés par l’ancien président des Etats-Unis sur sa nouvelle plateforme numérique lancée le 4 mai et baptisée « From the Desk of Donald J. Trump » (6) (*) (**). Celle-ci préfigure sous forme de blog ce que sera le futur réseau social en gestation du candidat à l’élection présidentielle de 2024. Le site web « Depuis le bureau de Donald J. Trump » renvoie aussi vers sa campagne « Save America » pour lever des fonds et où l’on peut lire « Le président Trump est toujours BANNI de Facebook ! Ridicule ! » (7). Tout le monde pourrait en rire, s’il n’était pas question dans cette affaire hors normes du sort de la liberté d’expression sur Internet et, partant, dans les démocraties dignes de ce nom. Que l’on soit partisan de Trump – passé quand même de 63 millions d’électeurs en 2016 à plus de 74 millions en 2020 – ou hostile à sa politique clivante et nationaliste, son cas est sans précédent en matière d’auto-régulation des réseaux sociaux.
La firme de « Zuck » a six mois pour trancher le dilemme que lui pose Donald Trump. Il y a fort à parier que le PDG cofondateur de Facebook réhabilitera l’impétrant dans sa décision finale attendue pour début novembre. Pendant que la pression monte aux Etats-Unis pour que soit réformée la section 230 du « Communications Decency Act » de 1996, qui accorde une « immunité » judiciaire aux plateformes numériques quant aux contenus mis en ligne par leurs utilisateurs (8), l’Union européenne est plus que sceptique sur le bannissement de Trump.

Police privée : l’Europe très sceptique
« Qu’un PDG puisse débrancher le haut-parleur du président des Etats-Unis sans autre forme de contrôle et de contrepouvoir fait plus qu’interpeller », a estimé le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, dans une tribune publiée le 10 janvier (9). La chancelière allemande Angela Merkel a quant à elle jugé « problématique » cette éviction du président américain. De son côté, la Grande- Bretagne a présenté le 12 mai un projet de loi « Online Safety Bill » (10) en vue d’interdire aux plateformes numériques de discriminer les points de vue politique et de protéger la liberté d’expression avec possibilité de faire appel en cas de suppression de contenus. La police privée a des limites. @

Charles de Laubier