Fréquences 5G : en plus des 2,7 milliards d’euros, les opérateurs verseront 1 % de leur chiffre d’affaires

Les lauréats Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free Mobile, qui peuvent utiliser leurs fréquences 5G depuis le 18 novembre, verseront entre 2020 et 2034 une « redevance fixe » totale de plus de 2,7 milliards d’euros à l’Etat. Mais aussi « redevance variable » de 1 % de leurs revenus mobiles, dont ceux de la publicité et des contenus.

Au total, les quatre lauréats des premières fréquences 5G en France – bande des 3,4 à 3,8 Ghz dite « bande coeur », en attendant cette des 26 Ghz dite « bande pionnière » – devront verser à l’Etat une redevance fixe de précisément 2.789.096.245 euros. Celle-ci est exigible en plusieurs parts entre 2020 et 2034. Mais ce n’est pas tout : Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free Mobile verseront en plus chaque année une redevance variable égale à 1 % du chiffre d’affaires réalisé sur ces fréquences, comme c’est le cas sur les fréquences 3G et 4G.

Taxe de 1 % des revenus 5G durant 15 ans
C’est Orange qui paiera la redevance fixe la plus élevée, à savoir 854 millions d’euros. Vient ensuite SFR (groupe Altice) avec 728 millions d’euros. Free Mobile arrive en troisième position avec 605 millions d’euros. Bouygues Telecom ferme le ban avec 602 millions d’euros à débourser. Ce qui fait, pour ces fréquences 5G, un total de redevance fixe supérieur à 2,7 milliards d’euros. Mais ce n’est pas un record en France. A titre de comparaison : les fréquences 4G dans les bandes 800 Mhz et 2.6 Ghz avaient rapporté 3,6 milliards d’euros en 2012, et les 700 Mhz avaient rapporté 2,98 milliards en 2015 (1).
L’Etat français, dont le chef actuel est Emmanuel Macron (photo), est loin d’empocher les quelque 6,5 milliards d’euros obtenus par l’Allemagne de ses enchères 5G, certes avec plus de fréquences mises en vente. L’Italie a aussi récolté la même somme record.
Pour s’acquitter de leur redevance fixe d’ici à 2034 pour leurs fréquences 5G dans la bande 3,4-3,8 Ghz, les quatre opérateurs mobiles français doivent débourser trois fois, conformément à un décret « Redevances » (2). L’autorisation d’utilisation des fréquences attribuée en 2020 porte sur l’exploitation d’un réseau mobile en France métropolitaine pendant une durée initiale de quinze ans. La redevance pour chaque opérateur mobile se décompose en deux parts fixes et une part variable.
La première part fixe correspond au montant déterminé par le résultat de la phase d’attribution des blocs de 50 Mhz dans la bande 3,5 Ghz en France métropolitaine pour établir et exploiter un système mobile terrestre. Ainsi, chacun des quatre opérateurs mobiles doit s’acquitter de la même somme, à savoir 350 millions d’euros payables « en quinze parts égales sur quinze ans ».
La deuxième part fixe correspond, elle, au montant déterminé par le résultat des enchères principales et de positionnement dans le cadre de l’attribution d’autorisations d’utilisation de fréquences. Orange devra s’acquitter de 504 millions d’euros, SFR de 378 millions d’euros, Bouygues Telecom de 252 millions d’euros et Free Mobile de 252 millions d’euros. Ces sommes-là sont exigibles « en quatre parts égales sur quatre ans ». A noter que Free Mobile est le seul à payer 3 millions d’euros supplémentaires (3 096 245 euros) à l’issue de « l’enchère de positionnement » pour permettre de positionner les fréquences de chacun des lauréats (3). Orange, SFR et Bouygues Telecom, eux, ne paient rien.
La part variable, quant à elle, est versée annuellement et correspond à une taxe de 1% du montant total du chiffre d’affaires annuel réalisé avec les fréquences 5G. Un acompte provisionnel est versé avant le 30 juin de l’année en cours – en l’occurrence d’ici le 30 juin 2021. Le décret « Redevances » précise que ce « chiffre d’affaires » sur lequel sera prélevé ce 1 % ne comprend pas les revenus de la vente de terminaux.
Cette taxe porte en revanche sur les recettes d’exploitation (hors taxes) « réalisées grâce à l’utilisation des fréquences allouées » : recettes de fourniture de service téléphonique et de transport de données aux clients directs et indirects, et celles réalisées par les entreprises dont l’opérateur détient le contrôle ou qui sont contrôlées par une société détenant également le contrôle de l’opérateur, ainsi que les recettes liées à l’interconnexion (à l’exclusion des appels issus d’un autre réseau mobile titulaire d’une autorisation en France), et celles issues des clients en itinérance sur le réseau de l’opérateur.

Pub, contenus ou services mis à contribution
Entrent enfin en ligne de compte les recettes perçues par l’opérateur sur les services ou les prestations fournis à des tiers en rapport avec les services précédents, « en particulier les prestations publicitaires, de référencement ou la perception de commissions dans le cadre du commerce électronique ». Sont aussi pris en compte les revenus tirés des mises en service et des raccordements au réseau, et ceux liés à « la vente de services (y compris la fourniture de contenus) dans le cadre d’une transaction vocale ou de données » – étant même précisé que « les reversements aux fournisseurs de services sont déduits de ces recettes ». Et même « éventuellement tout nouveau service utilisant les fréquences considérées ». @

Charles de Laubier

Filiale médias du groupe Verizon, Oath passe à l’offensive éditoriale et publicitaire en Europe

Oath, la filiale médias de l’opérateur télécoms américain Verizon, passe à l’offensive en Europe. Dans un entretien à Edition Multimédi@, son vice-président pour l’Europe, Stuart Flint, explique sa stratégie éditoriale et publicitaire multi-marque (Yahoo, AOL, HuffPost, …) avec sa technologie omnicanal, ainsi que son partenariat avec Microsoft.

Yahoo! est mort, vive Yahoo ! Depuis son rachat il y
a deux ans – le 25 juillet 2016 – par Verizon pour 5 milliards de dollars, l’ancienne icône du Web n’est plus une entreprise en tant que telle mais une marque
« média » intégrée parmi d’autres au sein de la filiale Oath créée par l’opérateur télécom américain en juin 2017. Et dire qu’il y a tout juste dix ans, Microsoft était prêt à débourser 44,6 milliards de dollars pour acquérir Yahoo…
L’ancien moteur de recherche devenu portail Internet cohabite maintenant avec les autres marques d’Oath (1) telles qu’AOL, TechCrunch, Tumblr, HuffPost, Engadget ou encore Makers (2). Microsoft n’est toujours pas loin, via un partenariat stratégique où Oath monétise les plateformes en ligne
de la firme de Redmond – MSN, Outlook, Xbox, … L’ensemble de ces plateformes totalise 1 milliard de visiteurs dans le monde. « La mission d’Oath est de construire des marques que les gens aiment mondialement, que cela soit nos propres marques ou celles de nos clients. Nous produisons des contenus éditoriaux de qualité et originaux ; nous construisons des expériences de contenus reconnues pour les annonceurs grâce à l’équipe
de création de Ryot Studio ; et nous distribuons les contenus sur nos plateformes et sur celles de partenaires premium avec nos technologies », explique Stuart Flint (photo), vice-président d’Oath pour l’Europe dans un entretien à Edition Multiméd@.

Ryot Studio, nerf de la guerre publicitaire d’Oath
Plus connue aux Etats-Unis, la filiale médias de Verizon l’est moins en Europe où elle a décidé de passer à l’offensive après avoir fait ses premiers pas il y a un an (3). Présente dans quatorze pays dans le monde, dont la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Grande-Bretagne, l’entité Ryot Studio est, elle, le nerf de la guerre du développement à l’international d’Oath dans les contenus pour le compte d’annonceurs et de médias. Cette nouvelle génération d’agence de création éditoriale et publicitaire a été créée il y a près d’un an, avec le regroupement des entités Yahoo Storytellers et Partner Studio by AOL. Ryot Studio est une division de Ryot, société créée en 2012 et basée à Los Angeles que le Huffington Post (AOL) avait rachetée en avril 2016 avant d’être intégrée dans Oath.

Publicité éditoriale disruptive et ciblée
On y trouve également la division Ryot Films pour de la production audiovisuelle (classique ou immersible) et Ryot Lab pour l’innovation technologique. « Avec la croissance continue du mobile, le contenu marketing sera la clé du succès dans la construction des marques du futur. Ryot Studio est à l’avant-garde de cette disruption, afin d’aider les agences et les marques à élaborer des relations approfondies entre les consommateurs et les contenus marketing remarquables », déclarait John DeVine, « Chief Revenue Officer » d’Oath, lors du lancement du studio de création en novembre 2017. Que cela soit sur ses propres médias ou ceux de partenaires, la publicité en ligne ainsi produite en interne s’apparente plus à du contenu éditorial en mode brand content ou native advertising qu’à des annonces publicitaires traditionnelles. « Oath ambitionne de façonner l’avenir des médias », affirme la filiale de Verizon. Pour aider les marques
à atteindre les bons médias et cibler les bonnes audiences, Ryot Studio s’appuie en outre sur la data des consom-mateurs, les économies d’échelle dans la diffusion de contenus, et l’édition premium.
Fort de cette stratégie de monétisation, Oath passe à l’action sur le Vieux Continent et, plus largement, sur la région EMEA (4). « Nous investissons dans nos propres marques en Europe et nous avons des partenariats mondiaux comme avec Microsoft [depuis 2009, ndlr] et plus récemment avec Samsung. Nous intégrons notre savoir-faire technologique pour fournir une plateforme unifiée et omnicanal aux annonceurs et aux éditeurs afin qu’ils atteignent les consommateurs par la qualité, des expériences et des formats de marques premium », nous indique Stuart Flint qui, lui, est basé à Londres où il fut l’ancien directeur général d’AOL, après avoir été directeur des ventes chez Microsoft. En 2013 et 2014, il fut aussi directeur des ventes de Yahoo au Royaume-Uni. Depuis plus d’un an,
il a la casquette « Oath ». Les principaux domaines éditoriaux dans lesquels la filiale de Verizon investit sont l’actualité, la finance, le divertissement, les styles de vie et les communications. « Vous verrez ainsi nos marques mises en avant en Europe, offrant les meilleures expériences sur les mobiles et
les ordinateurs de bureau pour les consommateurs et les annonceurs. En France, nos propres marques incluent Yahoo News, Sport et Finance, ainsi que Yahoo Mail et AOL. Nous monétisons aussi les plateformes en ligne de Microsoft comme MSN, Outlook et Xbox. Et HuffPost est une joint venture avec Le Monde », poursuit-il. L’historique messagerie instantanée Yahoo Messenger lancée il y a vingt ans s’est, elle, définitivement arrêtée le 17 juillet dernier (5) – en attendant le group chat Yahoo Squirrel actuellement en bêta-test. Quant à la plateforme de partage de photos Flickr, que Yahoo avait rachetée en 2005, elle a été finalement cédée en avril à SmugMug. Aux Etats-Unis, la plateforme vidéo Yahoo! View est partenaire de Hulu depuis 2016. L’offre technologique d’Oath s’étend en outre au marché B2B avec un service DSP (Demand Side Platform) destiné aux annonceurs et agences média pour réaliser et optimiser leurs achats d’espaces publicitaires, et un service SSP (Sell Side Platform) permettant aux éditeurs d’automatiser et d’optimiser la vente de leurs espaces publicitaires. Est aussi proposée la plateforme de marché Yahoo Gemini, qui associe en un guichet unique : publicités basées sur les recherches (search) et publicités natives (display). L’expertise technique d’Oath est aussi issue des sociétés One by AOL (ex-Millennial Media racheté par AOL en 2015) et BrightRoll (acquise par Yahoo en 2014).
Décidé à s’imposer en Europe, Stuart Flint nous indique que seront bientôt lancées d’autres offres pour les consommateurs et les annonceurs. Pour l’heure, sur les cinq pays européens où le groupe est présent avec Ryot Studio, Oath revendique une audience cumulée – plateformes de Microsoft comprises – de 175 millions de personnes, dont 36,7 millions en France (6). Afin de promouvoir sur l’Hexagone ses solutions publicitaires et ses plateformes technologiques, Oath a nommé début juin Fabien Omont directeur en charge des agences médias. Il fut auparavant chez AOL dans
le marketing, la data et le programmatique, après avoir été chez Microsoft Advertising France et antérieurement Skyrégie. Fabien Omont est placé sous la responsabilité de Erik-Marie Bion, un ancien DG d’AOL France, lui aussi passé chez Microsoft Advertising. Ce dernier nous indique avoir des partenariats avec les agences OMD (Omnicom), Publicis et Ecrans & Media, et les éditeurs Media Square, Webedia, Entreparticuliers, Jeune Afrique ou encore Media365 (Sporever).

Oath s’inquiète de la directive « Copyright »
Stuart Flint a en outre confié à Edition Multimédi@ qu’il s’inquiétait du projet de directive européenne sur le droit d’auteur, dont les débats se poursuivent en septembre, prévoyant un « droit voisin » (7) à payer par Yahoo News ou Google News aux éditeurs de presse. « La proposition de réforme du copyright actuelle risque de saper le pluralisme des médias
et mettre à long terme en échec les plus grands éditeurs de presse qui cherchent à détourner l’innovation en leur faveur », met-il en garde. @

Charles de Laubier

Passé à 280 caractères il y a six mois, Twitter mise sur la vidéo et se voit déjà en «T» de GAFAT

C’est historique depuis sa création il y a douze ans : Twitter génère des bénéfices depuis deux trimestres consécutifs. Ses recettes publicitaires sont boostées par la vidéo. Le site de micro-blogging à l’oiseau bleu a pris son envol, devenant aussi une plateforme vidéo de directs et de contenus live.

L’assemblée générale annuelle des actionnaires de Twitter se réunit le 30 mai prochain. Pour la première fois, elle sera « complètement virtuelle » et diffusée en direct et en audio sur le Web. «Nous sommes ravis de fournir un accès étendu, une communication améliorée et des économies à nos actionnaires et à Twitter. Les actionnaires pourront participer et écouter l’assemblée générale, soumettre leurs questions et voter électroniquement à partir de n’importe quel endroit du globe », a annoncé Jack Dorsey (photo), cofondateur et directeur général du réseau social de micro-blogging.

Vidéos publicitaires et contenus vidéo
Une assemblée générale virtuelle en streaming vidéo et en direct n’aurait pas été possible techniquement au regard du nombre d’actionnaires, mais cela aurait pu être une occasion sans précédent pour Twitter de démontrer son savoir-faire dans le « live streaming video ». L’AG annuelle aurait été retransmise sur Periscope, l’application mobile de diffusion vidéo en direct que Twitter a racheté en mars 2015 pour réinventer la télévision (1). Qu’à cela ne tienne, la firme – enregistrée dans l’Etat américain du Delaware, fiscalement attractif, et basée en Californie pour ses opérations – devient une véritable plateforme vidéo et non plus seulement un site de micro-blogging passé de 140 à 280 caractères.
Lors de la présentation, le 25 avril dernier, de ses résultats sur le premier trimestre de l’année en cours, le groupe de Jack Dorsey a indiqué que « la vidéo représente maintenant plus de la moitié de [ses] recettes publicitaires et était le format d’annonce qui affichait la croissance la plus rapide ». Le réseau social multiplie les publicités vidéo, en in-stream pre-roll, en mid-roll, en première place publicitaire sur le fil d’actualité (First View), en format alliant vidéo et site web (Video Website Card), ou encore en faisant la promotion vidéo d’applications mobile (Video App Cards), sans parler du parrainage vidéo (in-stream sponsorships). Avec 336 millions d’utilisateurs actifs chaque mois, dont 267 millions en dehors des Etats-Unis où la base d’utilisateurs reste stable, Twitter a augmenté son audience et son attractivité auprès des annonceurs. Le média social aux 280 caractères multiplie les partenariats non seulement avec les marques mais aussi avec les éditeurs de contenus et des médias pour tirer parti du live-streaming,
de la mise en avant (highlight) ou encore de la vidéo à la demande (VOD). Chaque trimestre, ce sont plus d’un millier d’événements en direct (live events) qui sont diffusés sur Twitter : événements sportifs, divertissements, programmes, … Du coup, les recettes publicitaires progressent ; les résultats des deux derniers trimestres sont pour la première fois bénéficiaires ; le cours de Bourse reprend des couleurs depuis six mois, après avoir perdu du terrain depuis son introduction en novembre 2013. Twitter s’impose surtout peu à peu comme une plateforme vidéo de contenus dits « premium ».
Le 30 avril dernier, Disney a annoncé le lancement de programmes sportifs, notamment du direct avec « SportsCenter Live », spécialement conçus par la chaîne sportive ESPN pour la plateforme de micro-blogging. Le géant américain du divertissement audiovisuel entend ainsi partir à la conquête d’un nouveau public, au moment où la télévision traditionnelle voit son audience se tasser (2). D’autres chaînes de Disney telles que ABC, Disney Channels ou encore Freeform, ainsi que le studio Marvel, seront mis à contribution pour des programmes de divertissement. Matthew Derella, vice-présidente en charge des partenariats chez Twitter, a qualifié cet accord de « grand pas en avant dans le développement de contenu vidéo » que le réseau social à l’oiseau bleu propose. En fait, cet accord avec Disney vient s’ajouter à d’autres partenariats vidéo que Twitter a noués : avec NBCUniversal (groupe Comcast) qui diffusera des vidéo en direct et des clips vidéo provenant de ses chaînes NBC News, MSNBC ou encore E! News, avec le groupe Viacom qui y diffusera deux nouveaux programmes baptisés respectivement « Bet Breaks » et « Comedy Central’s Creator’s Room », ou encore avec Fox Sports (Twenty First Century Fox) qui couvrira la Coupe du monde de football en Russie l’été prochain.

Partenariats médias (télé, web, presse, …)
Twitter France, que dirige Damien Viel depuis octobre 2015 (3), mise aussi sur les partenariats médias comme avec France Télévisions, TF1 ou encore l’INA. En devenant une plateforme vidéo premium et streaming en direct, Twitter se présente de plus en plus en rival de Facebook – notamment de sa plateforme Watch. La multiplication des programmes originaux à côté ou dans les conversations à 280 caractères est le fait de partenaires médias tels que Vice News, HuffPost, BuzzFeed, Vox Media, Hearst ou encore Bloomberg. @

Charles de Laubier

Altice lâche la marque SFR pour tenter de redorer son blason en France et faire bonne figure face aux GAFA

Altice devient la marque unique du groupe de Patrick Drahi dans le monde. Les trois lettres SFR, héritées de la « Société française du radiotéléphone » créée il
y a 30 ans, passent par pertes et profits. Son image a été « abîmée ». Selon nos calculs, SFR a perdu 3,5 millions d’abonnés depuis son rachat en 2014.

Par Charles de Laubier

« La marque SFR a été un peu abîmée en France au cours des années qui viennent de s’écouler parce que l’on a été déceptifs vis-à-vis de nos clients. De plus, le groupe a évolué depuis quelques années dans sa stratégie en passant d’un opérateur de télécoms à un opérateur global : télécoms, médias, publicité. Et il n’intervient plus uniquement en France mais dans de multiples pays », a expliqué Michel Combes (photo), directeur général d’Altice, la maison mère de l’opérateur télécoms SFR dont il est le PDG, devant l’Association des journalistes économiques et financiers (Ajef), le 17 mai dernier, soit six jours avant que Patrick Drahi n’officialise de New York l’abandon de la marque SFR pour Altice assorti d’un nouveau logo. A noter que Michel Combes s’était refusé
à confirmer ce jour-là l’information selon laquelle Altice devenait la marque unique du groupe. « Je ne vous ai pas dit de nom…, quel qu’il soit. Et si l’on devait en changer, nous le ferions avec beaucoup de délicatesse. J’ai fait beaucoup de changement de marques dans ma vie antérieure (Orange, Vodafone, …) », s’était-il contenté de dire devant l’Ajef. Altice sera donc bien cette marque unique, qui était avancée comme « logique » dans Les Echos dès avril (1) et qui a bien été annoncée en mai comme l’avait indiqué Satellifax (2). SFR va être rebaptisé Altice France, comme il existe déjà Altice Portugal, Altice Caribbean ou encore Altice Africa.

En finir avec le patchwork de marque et bénéficier d’économies d’échelle
Cette transformation sur tout le groupe sera menée d’ici à fin juin 2018. C’est que le groupe Altice, à force d’acquisitions tous azimuts, se retrouve avec une multitude de marques. Outre SFR en France, il y a Hot en Israël, Meo et M4O au Portugal, Tricom dans la République Dominicaine, ou encore Suddenlink et Optimum depuis les acquisitions aux Etats-Unis de Suddenlink et Cablevision (3), sans parler des marques secondaires dans tous ces pays. A ce patchwork s’ajoute le fait qu’en République Dominicaine, Altice utilise la marque Orange dans le cadre d’un accord de licence avec son premier concurrent en France. Les marques Numericable et Virgin Mobile, elles, ont disparu. « Ce que nous observons, avait poursuivi Michel Combes, c’est que beaucoup de nos concurrents sont issus du monde digital et sont allés vers des marques uniques au niveau mondial pour pouvoir bénéficier d’effets d’échelle ». Cependant, demeureront les marques médias telles que BFM, RMC, Libération, L’Express ou encore i24News, ainsi que d’autres commerciales comme Teads dans la publicité vidéo et Red dans le mobile en France. Alors qu’Altice Media avait été rebaptisé SFR Presse en octobre 2016, ce sera bientôt l’inverse ! Alain Weill en restera le dirigeant.

Il y a urgence à redorer le blason
Dans son rapport annuel 2016 publié le 10 avril dernier, le groupe avait indiqué qu’il
« évaluait les bénéfices supplémentaires que pourrait générer l’adoption d’une marque globale, laquelle permettrait de communiquer plus clairement sur la stratégie globale d’Altice comme acteur innovant, disruptif et fournisseur de meilleurs services de nouvelle génération à ses clients ». Cette stratégie monomarque va donc passer par
« une harmonisation et un changement de marques existantes dans les pays où le groupe opère pour partager une nouvelle identité globale ». La marque Altice a l’avantage de ne pas être entachée de discrédit auprès d’une partie des clients français et de bénéficier d’une notoriété internationale. Certes, le siège social du groupe du milliardaire franco-israélien Patrick Drahi n’est pas en France mais basé aux Pays-Bas (après l’avoir été au Luxembourg). L’entreprise est cotée en Bourse à Amsterdam (4), pas à Paris, et il est prévu que des actifs soient cotés aux Etats-Unis.
Mais Altice permettrait de tourner la page des années peu reluisantes de SFR en matière de relation clientèle et d’investissement dans son réseau, notamment lorsque l’opérateur télécoms était la pleine propriété de Vivendi de 2011 jusqu’à son rachat par Altice en avril 2014. Selon les calculs de Edition Multimédi@, le nouveau propriétaire
a été confronté à la perte de plus de 3,5 millions d’abonnés cumulés depuis trois ans
– dont 84,8 % dans le mobile et 15,2 % dans le fixe. Même si l’érosion de la base de clientèle a été freinée depuis le début de l’année, le parc total de clients a encore baissé sur un an au premier trimestre 2017, à 20,043 millions dans le mobile (14,513 million de particuliers et 5,529 millions de professionnels) et à 6,078 millions dans le fixe (voir tableau ci-dessous). A ce train-là, le groupe de Patrick Drahi pourrait repasser en France sous la barre des 20 millions de clients dans le fixe et sous les 6 millions dans le mobile – si ce n’est pas déjà fait à l’heure où nous publions. Selon l’Association française des utilisateurs de télécommunications (Afutt), plus de la moitié des plaintes sont émises en 2016 par les clients de trois marques du groupe : SFR, Red et Numericable. Il y a donc en effet urgence à redorer le blason. Le rebranding est toujours une opération à risque et la filiale française d’Altice, à l’instar de toutes les autres entités du groupe concernées par ce changement d’image, va devoir investir
des dizaines de millions d’euros pour asseoir la nouvelle identité. Cette uniformisation génèrera aussi des économies d’échelle. C’est Publicis aux Etats-Unis qui a conçu le nouveau logo d’Altice.
La marque SFR, créée il y a 30 ans – en février 1987 sous le nom de Société française du radiotéléphone – par la Compagnie générale des eaux (devenue en 1998 Vivendi),
a vécu. La disparition de la marque au carré rouge aura aussi l’avantage de faire oublier les sanctions que lui a infligées l’Autorité de la concurrence telles que l’amende de 40 millions d’euros prononcée le 8 mars dernier pour non-respect de ses engagements pris lors du rapprochement Numericable- SFR  et atteinte à la concurrence (5). L’an dernier, SFR avait aussi écopé le 19 avril d’une amende de 15 millions d’euros engagements pris à La Réunion et à Mayotte.

54 milliards d’euros de dettes
Par ailleurs, SFR est synonyme de suppression d’emplois (6) et de grèves dans les boutiques SFR (en mars dernier). La multinationale Altice, créée en 2001 au Luxembourg, a réalisé en 2016 un chiffre d’affaires de 20,7 milliards d’euros pour une perte nette de 1,8 milliard d’euros et un effectif de 49.732 personnes. Son endettement atteint près de 54 milliards d’euros. @

Charles de Laubier

Le centre de gravité du New York Times bascule dans le numérique, le quotidien papier passant au second plan

Le New York Times accélère sa mutation numérique. Maintenant que le quotidien new-yorkais compte plus d’abonnés en ligne – 2 millions – qu’il n’en a jamais eus sur le papier, le groupe – bientôt dirigé par Arthur Gregg Sulzberger – va pour la première fois cette année réaliser la moitié de son chiffre d’affaires avec le digital.

Par Charles de Laubier

The New York Times, l’un des journaux américains les plus lus au monde, a dépassé en début d’année la barre des 3 millions d’abonnés. Les deux tiers d’entre eux le sont uniquement en ligne, leur nombre ayant fait un bond de près de 46 % l’an dernier. Ce seuil de 2 millions d’abonnés online est d’autant plus historique qu’il dépasse désormais le nombre d’abonnés papier le plus élevé que le quotidien new-yorkais n’ait jamais eus : c’était en 1993 avec 1,8 million d’abonnés au quotidien imprimé.
Et c’est au cours de l’année 2017 que le chiffre d’affaires publicitaire numérique pèsera pour la première fois la moitié des recettes publicitaires du groupe, contre 41,9 % au quatrième trimestre de l’an dernier. Malgré une baisse des recettes de la publicité display traditionnelle sur les sites web, le digital est plus que jamais pour le « Times » – comme les habitués l’appellent aussi – un relais de croissance à double chiffre, même si la progression du journal dématérialisé ne compense pas encore l’érosion du journal physique.

Cash disponible pour des acquisitions digitales ?
La baisse des recettes de la publicité imprimée s’accélère (- 15,8% l’an dernier), tandis que celles des supports numériques continue de progresser (+ 5,9 %) grâce à la publicité sur mobile, à la publicité programmatique et au brand content (1). « Cela ne fait que commencer et je pense qu’il y a un potentiel énorme de croissance en termes d’abonnements et de chiffre d’affaires », a prédit enthousiaste Mark Thompson (photo), le directeur général du groupe The New York Times Company et ancien dirigeant de la BBC, lors de la présentation de ses résultats annuels début février. Le New York Times a en outre cédé aux sirènes du e-commerce en faisant l’acquisition en octobre 2016 des sites Internet de recommandation de produits et gadgets Thewirecutter.com et Thesweethome.com, très éloignés du journalisme. D’autres acquisitions pourraient intervenir dans le monde digital, tant le groupe new-yorkais dispose d’une trésorerie confortable de 737,5 millions de dollars à fin décembre 2016 et d’un relativement faible endettement de 247 millions de dollars. Egalement éditeur d’autres journaux, dont l’International New York Times basé à Paris-La Défense (ex-International Herald Tribune) et le Boston Globe, la compagnie NYT a réalisé en 2016 un chiffre d’affaires de 1,5 milliard de dollars en baisse de 1,5 % sur un an, pour un bénéfice net de 23,8 millions de dollars en recul de 62 %. Coté à la Bourse de New York, le titre vient de passer sous la barre des 2,5 milliards de dollars de valorisation.

Spotify, podcast, « bots », VR, …
Créé il y a 166 ans, le NYT tente aujourd’hui de défier la crise de la presse confrontée au numérique et à la baisse des recettes publicitaires. Pour s’adapter à la nouvelle économie des médias, le quotidien new-yorkais – détenu par la fondation familiale Ochs-Sulzberger et présidé par Arthur Ochs Sulzberger Jr (2) (65 ans) – multiplie les initiatives numériques pour accroître sa diversification en ligne. Le fils de ce dernier, Arthur Gregg Sulzberger (photo de droite), appartenant à la génération Y (36 ans) et auteur en 2014 d’un rapport remarqué sur l’innovation au New York Times, s’apprête
à lui succéder après avoir été nommé en octobre dernier directeur adjoint de la publication.
La conquête d’abonnés en ligne à travers le monde entier (3), plutôt que de vendre
les articles à l’unité ou gratuitement, est la priorité du plan stratégique baptisé « 2020 Group » et dévoilé en janvier afin d’enrayer l’érosion des revenus du papier. Pour mettre en musique sa stratégie de conquête d’abonnements online, le groupe de presse n’a pas hésité à annoncer début février un partenariat avec Spotify. Objectif : proposer aux nouveaux abonnés un accès à la première plateforme mondiale de musique en ligne, s’ils s’engagent pour un an, et moyennant 5 dollars par semaine
pour l’abonnement « All Access ».
L’avenir du journal passe plus que jamais par Internet avec, sur NYTimes.com et les applications mobiles, plus d’images et de vidéos dans les articles et plus de contributions des lecteurs, tout en faisant en sorte que l’organisation de la rédaction aux 1.300 journalistes ne soit plus uniquement centrée autour du papier – lequel n’est bien sûr pas abandonné pour autant mais subira cette année des suppressions de postes : leur nombre sera bientôt précisé (4). Un rapport interne, baptisé « 2020 Report » et publié en janvier (5), préconise aussi de rapides changements dans la newsroom, la salle de rédaction du Times devant être réduite et diversifiée. « Breaking News, World News & Multimedia ». Tel est le nouveau triptyque mis en avant. Depuis le 1er février,
le Times a lancé un bulletin d’information quotidien en podcast baptisé « The Daily ». Il ne dépasse pas les 20 minutes et quatre sujets traités. Le principe s’inspire du podcast « The Run-Up » que le journal avait lancé avec succès pour couvrir l’élection présidentielle américaine. Avec « The Daily », le NYT compte bien être se maintenir en tête des podcasts les plus téléchargés de la presse aux Etats-Unis – devant ceux du Washington Post ainsi que du Wall Street Journal – et propose en outre aux auditeurs-lecteurs de recevoir aussi sur leur smarphone des SMS d’actualité pour réagir s’ils le souhaitent.
Le New York Times n’hésite pas à explorer les nouvelles technologies pour accroître l’interaction avec son lectorat ou attirer de nouveaux lecteurs, voire conquérir de nouveaux abonnés. Début 2016, il s’est ainsi lancé dans les « bots » que sont ces programmes automatisés simulant une conversation avec une personne humaine afin de l’informer, le renseigner ou lui rendre un service. Le quotidien newyorkais utilise la messagerie instantanée Messenger de Facebook, laquelle propose depuis le printemps 2016 la fonctionnalité « bot ». Un journaliste en chair et en os envoie régulièrement des messages d’information aux utilisateurs, lesquels peuvent ensuite interagir avec le bot de ce même journaliste afin d’en savoir plus. Selon Andrew Phelps, directeur produit
du New York Times, ce conversational journalism – une sorte de « journaliste-robot » – a été pratiqué l’an dernier avec succès pour les Jeux olympiques de Rio et pour les élections présidentielles américaines auprès de plusieurs centaines de milliers d’utilisateurs. A défaut de monétiser les bots, cette relation public-journaliste permet d’intéresser de nouveaux lecteurs au journal et en particulier la jeune génération
« Internet Native ».
Autre terrain numérique où le New York Times se veut à l’avant-garde : la réalité virtuelle. Depuis plus d’un an et demi, une rédactrice s’en charge, Jenna Pirog, qui
a déjà produit une vingtaine de films en VR (Virtual Reality). L’application NYT VR, disponible sur iOS ou Android (6), a été lancée en novembre 2015 pour regarder une vidéo en 360 degrés, à savoir un reportage sur les enfants réfugiés intitulée « The Displaced ».

Reportages et fictions VR à Biarritz
Au lancement, plus de 1,3 million de visionneuses en carton de type Google Cardboard avaient été distribuées pour regarder en réalité virtuelle – à partir d’un smartphone inséré dans ce casque de VR – la vie réelle des réfugiés (7). Jenna Pirog est même venue fin janvier en France, à Biarritz, au Festival international de programmes audiovisuels (Fipa), pour y présenter sa dernière production « The fight for Fallujah ». Le Times s’aventure aussi dans la fiction en VR avec « L.A. Noir » en neuf épisodes. Peu importe le mode de narration, pourvu que le public ait accès à l’information. @