Ce que les GAFAM pensent de l’« accord politique provisoire » européen sur le Digital Services Act

Les grandes plateformes « systémiques » concernées par la future régulation du Digital Services Act (DSA) font bonne figure face à l’arsenal législatif qui entrera en vigueur d’ici fin 2023. Google, Amazon, Facebook, Apple ou encore Microsoft devront être plus précautionneux en Europe. Qu’en disent-ils ?

« Nous apprécions les efforts déployés pour créer un marché unique numérique européen plus efficace, clarifier les responsabilités de chacun et protéger les droits en ligne », a déclaré Victoria de Posson (photo de gauche), directrice des affaires publiques de la CCIA Europe, la représentation à Bruxelles de l’association américaine du même sigle, dont sont notamment membres les géants du Net, mais pas Microsoft (1). Elle « reconnaît le travail acharné des décideurs pour parvenir à cet accord historique », tout en mettant un bémol : « Cependant, un certain nombre de détails importants restent à éclaircir » (2). C’est le cas des obligations de retrait de contenus notifiés comme illicites.

« Accord politique provisoire » : et après ?
Car ce qui a été signé le 23 avril vers 2 heures du matin (3), après de longues négociations entamées la veille, n’est encore qu’un « accord politique provisoire » obtenu à l’arrachée entre les négociateurs de la commission « marché intérieur et protection des consommateurs » (Imco), tête de file dans le processus législatif de ce projet de règlement européen sur les services numériques, et le Conseil de l’Union européenne – dont Cédric O représentait la France qui préside l’Union européenne jusqu’au 30 juin prochain. Le DSA en cours de finalisation prévoit de réguler les grandes plateformes numériques dites « systémiques » pour : les obliger à lutter contre le piratage et les contenus illicites, les contraindre à donner accès à leurs algorithmes, les amener à renforcement de la protection des mineurs notamment vis-à-vis des contenus pornographiques ou vis-à-vis de la publicité ciblée fondée sur des données sensibles (orientation sexuelle, religion, origine ethnique, etc.), les forcer à mieux informer les utilisateurs sur la manière dont les contenus leur sont recommandés.
Mais le diable étant dans « les détails importants », la CCIA Europe attend beaucoup de la dernière ligne droite de ce texte unique au monde. Selon les informations de Edition Multimédi@, ce futur règlement DSA devra être approuvé par le Coreper, à savoir le comité des représentants permanents au Conseil de l’UE, et par l’Imco. « Nous espérons que le vote final en plénière aura lieu en juillet, mais cela doit encore être confirmé. Le vote en plénière sera suivi d’un accord formel au Conseil de l’UE », indique une porte-parole du Parlement européen. Pour l’heure, le texte passe par les fourches caudines des juristes-linguistes pour être finalisé techniquement et vérifié jusqu’à la virgule près. Une fois la procédure terminée, probablement l’été prochain, il entrera en vigueur vingt jours après sa publication au Journal officiel de l’UE – sous la présidence cette fois de la République tchèque – et les règles commenceront à s’appliquer quinze mois après, c’est-à-dire au second semestre 2023. Car un règlement européen s’applique dans sa totalité et directement, contrairement à une directive européenne qui donne des objectifs à atteindre par les Etats membres, en leur accordant un délai de plusieurs mois pour les transposer dans la législation nationale.
Les GAFAM auront le temps (quinze mois) de se préparer pour ne pas tomber sous le coup de cette nouvelle loi européenne. Par ailleurs, il ne faudra pas s’attendre à ce que le voyage prévu du 23 au 27 mai prochain dans la Silicon Valley par une délégation de la commission Imco – pour notamment visiter plusieurs sièges sociaux de Big Tech telles que Meta (ex-Facebook), Google ou Apple – change les données du problème. Cette délégation d’eurodéputés y rencontrera également d’autres entreprises du numérique, des start-up, des universitaires américains ainsi que des représentants du gouvernement. « La mission aux Etats-Unis n’affectera pas l’accord politique déjà conclu avec les autres institutions. Elle sera une occasion d’explorer plus en profondeur les questions actuelles liées aux dossiers en cours sur le marché unique numérique au sein de la commission du marché intérieur (Imco) », nous précise la porte-parole du Parlement européen.

Attention aux libertés fondamentales
Cette escapade au pays des GAFAM sera notamment une opportunité pour les députés d’examiner la législation américaine sur le commerce électronique et les plateformes, en faisant le point sur les négociations récemment conclues en rapport avec les dossiers DSA et DMA (Digital Markets Act, pendant concurrentiel du DSA), ainsi que sur d’autres dossiers en cours comme celui sur l’intelligence artificielle. Également contactée, Victoria de Posson n’attend « pas d’impact sur le DSA » de ce voyage. Reste que le DSA, lui, ne sera pas facile à mettre en oeuvre par les GAFAM tant il touche à la liberté des internautes européens. C’est en tout cas ce que pointe DigitalEurope (ex-Eicta), organisation professionnelle des GAFAM entre autres Big Tech (4), et également installée à Bruxelles : « Le cadre du DSA crée un ensemble d’obligations à plusieurs niveaux pour différents types et tailles de services Internet, dont certains seront très complexes à mettre en oeuvre parce qu’ils touchent aux droits fondamentaux comme la liberté d’expression. Nous exhortons tous les intervenants à collaborer de façon pragmatique pour obtenir les meilleurs résultats », prévient sa directrice générale, Cecilia Bonefeld-Dahl (photo de droite).

Retrait de contenus : risque de censure
Bien que le futur règlement sur les services numériques aidera, d’après DigitalEurope, à rendre l’Internet plus sûr et plus transparent, tout en réduisant la propagation de contenus illégaux et de produits dangereux en ligne, « la modération du contenu sera toujours difficile, compte tenu des intérêts concurrents en cause » (5). D’autant que la réglementation d’Internet est un équilibre entre la protection des droits fondamentaux comme la liberté d’expression, d’une part, et la prévention des activités illégales et nuisibles en ligne, d’autre part.
Il y a un an, dans un « position paper » sur le DSA, DigitalEurope se félicitait déjà que « la proposition préserve les principes fondamentaux de la directive sur le commerce électronique, qui ont permis à l’Europe de se développer et de bénéficier d’une économie Internet dynamique ». Et de se dire satisfaite : « Le maintien de principes tels que la responsabilité limitée, l’absence de surveillance générale et le pays d’origine est essentiel à la poursuite de l’innovation et de la croissance de ces services numériques en Europe et sera crucial pour une reprise économique rapide ». Par exemple, le lobby des GAFAM a souligné que le DSA reconnaît que le contenu préjudiciable (mais légal) exige un ensemble de dispositions différent du contenu illégal. Le contenu nuisible et contextuel, difficile à définir, peut être subjectif sur le plan culturel et est souvent juridiquement ambigu. Est apprécié également le fait que le texte impose aux plateformes numériques des « exigences de diligence raisonnable » (signaleurs fiables, traçabilité des négociants et mécanismes de transparence), « de façon proportionnelle et pratique ». De plus, DigitalEurope est favorable pour fournir aux intervenants une transparence significative au sujet des pratiques de modération du contenu et d’application de la loi. « Toutefois, ajoute DigitalEurope, il sera important que les mesures de transparence du DSA garantissent que la vie privée des utilisateurs est protégée, que les mauvais acteurs ne peuvent pas manipuler le système et que les renseignements commerciaux sensibles ne sont pas divulgués » (6).
Les intermédiaires de l’écosystème numérique, à savoir les plateformes en ligne que sont les réseaux sociaux et les places de marché, devront prendre des mesures pour protéger leurs utilisateurs contre les contenus, les biens et les services illicites. Une procédure de notification et d’action plus claire permettra aux utilisateurs de signaler du contenu illicite en ligne et obligera les plateformes en ligne à réagir rapidement (les contenus cyberviolents comme le « revenge porn » seront retirés immédiatement). Et ces notifications devront être traitées de manière non-arbitraire et non-discriminatoire, tout en respectant les droits fondamentaux, notamment la liberté d’expression et la protection des données. Quant aux places de marché en ligne, elles seront plus responsables : les consommateurs pourront acheter des produits et services en ligne sûrs et non-illicites, « en renforçant les contrôles permettant de prouver que les informations fournies par les vendeurs sont fiables (principe de “connaissance du client”, (…) notamment via des contrôles aléatoires ».
En cas d’infraction à toutes ces obligations et bien d’autres, des pénalités pécuniaires sont prévues à l’encontre des plateformes en ligne et des moteurs de recherche qui pourront se voir infliger des amendes allant jusqu’à 6% de leur chiffre d’affaires mondial. Concernant les très grandes plateformes (disposant de plus de 45 millions d’utilisateurs), la Commission européenne aura le pouvoir exclusif d’exiger le respect des règles. Algorithmes de recommandation, publicité en ligne, protection des mineurs, choix et désabonnement facilités, compensation des utilisateurs en cas d’infraction, … Une multitude de mesures en faveur du consommateur seront mises en place pour un Internet plus sûr.

Bruxelles dompte la Silicon Valley
Par exemple, les plateformes numériques qui utilisent des « systèmes de recommandation » – basés sur des algorithmes qui déterminent ce que les internautes voient à l’écran – devront fournir au moins une option qui ne soit pas fondée sur le profilage des utilisateurs. « Les très grandes plateformes devront évaluer et atténuer les risques systémiques et se soumettre à des audits indépendants chaque année », est-il en outre prévu (7). Malgré la distance de 8.894 km qui les séparent, Bruxelles et la Silicon Valley n’ont jamais été aussi proches. @

Charles de Laubier

Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, le CSPLA a vingt ans et veut étendre son influence

Méconnu du grand public, le CSPLA conseille – depuis l’année 2000 – le ministère de la Culture, dont il dépend, sur le droit d’auteur et les droits voisins à l’ère du numérique. Cette instance consultative atteint cette année les 100 membres et veut se faire entendre en Europe. Sa séance plénière du 15 décembre est la 40e !

Le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), présidé depuis deux ans par Olivier Japiot (photo), veut passer à la vitesse supérieure et étendre son influence, y compris au niveau européen. Evoluant dans l’ombre de la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) du ministère de la Culture, avec laquelle il occupe les locaux de l’immeuble des Bons enfants, rue Saint-Honoré à Paris (1), cette instance consultative sur le droit d’auteur et les droits voisins à l’ère de l’Internet entend donner un coup de projecteur sur ses travaux et rapports qui sont publiés à un rythme soutenu. Rien que pour sa prochaine séance plénière, la 40e, qui se tient ce 15 décembre, sont présentés pas moins de quatre rapports : celui sur les outils de reconnaissance des contenus et des œuvres sur Internet, au regard de la transposition de la directive européenne de 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique ; celui sur l’exception au droit d’auteur pour les fouilles de textes et de données, ou text and data mining, à des fins de recherche scientifique voire d’intelligence artificielle ; celui sur le contrat de commande rémunérant en droit d’auteur le temps de travail lié à l’activité créatrice des artistes auteurs ; celui enfin sur la preuve de l’originalité de l’oeuvre pour que celle-ci puisse bénéficier de la protection légale pendant la durée de son « monopole ».

Piratage en ligne et article 17 européen : le CSPLA est aux avant-postes
« Nous publierons donc cinq rapports cette année, en comptant celui sur la réalité virtuelle et la réalité augmentée publié cet été », indique Olivier Japiot à Edition Multimédi@. L’an dernier, le CSPLA avait aussi été productif, avec pas moins de quatre rapports : les ventes passives, l’intelligence artificielle, les outils de reconnaissance des contenus (premier rapport précédant le second présenté ce 15 décembre, tous deux réalisés avec l’Hadopi et le CNC), et les services de référencement automatique d’images sur Internet. Ce dernier rapport avait, lui, débouché sur un projet de taxe « Google Image » (7) qui cherche encore son véhicule législatif. « Parmi mes priorités pour 2021, il y a la poursuite des études prospectives concernant l’impact des nouvelles technologies sur le droit d’auteur, comme l’illustre la mission que je viens de lancer sur les systèmes de recommandation d’œuvres sur les plateformes en ligne », explique le conseiller d’Etat. Pour autant, certains s’interrogent sur l’existence même du CSPLA : la sénatrice centriste Françoise Férat a demandé à la ministre de la Culture Roselyne Bachelot – dont elle attend la réponse (9) – s’il ne fallait pas le supprimer « dans un souci de rationalisation des dépenses publiques et de simplification administrative ». Selon elle, l’Hadopi (dont la fusion avec le CSA est prévue) et le Conseil national du numérique (CNNum) « couvrent une partie de ses compétences ».

Influencer la Commission européenne et d’autres
Le CSPLA, dont le budget est pris en charge par l’Etat et la rue de Valois, a atteint cette année les 100 membres exactement (dont 38 suppléants), à la suite d’un arrêté aoûtien (10) qui élargit le champ de compétences des « personnalités qualifiées » (PQ) et crée une nouvelle catégorie de « membres d’honneur » afin de mettre à des PQ comme l’avocate Josée-Anne Bénazéraf, son confrère Jean Martin et au professeur Pierre Sirinelli de continuer à collaborer aux travaux. A part cette faveur, pas d’évolution. La recommandation du rapport Racine de renforcer la représentation des auteurs (artistes auteurs) n’a pas été suivie d’effet, relève ActuaLitté (11). S’il n’y a aucun salarié au CSPLA, son président, lui, touche une indemnité, laquelle – depuis un décret pris en plein confinement (12) – ne sera plus forfaitaire mais« ajustée en fonction de la complexité et du temps requis par la fonction ».
C’est qu’Olivier Japiot entend bien continuer à faire exister plus que jamais le CPLA jusqu’à la fin de son mandat présidentiel de trois ans qui s’achèvera en novembre 2021, nous disant d’ailleurs disposé à être renouvelé. Il compte développer des coopérations avec d’autres organismes, comme avec l’Hadopi – dont est membre du collège Alexandra Bensamoun, une des PQ du CSPLA – et le CNC sur la reconnaissance des contenus protégés sur Internet. Par exemple, «un travail commun sur l’impression 3D a également pu être conduit avec l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) ». Il a en outre opéré des « rapprochements » avec, cette fois, le CNNum. Il s’agit aussi de rayonner à l’international. « La plupart des nouveaux rapports sont désormais traduits en anglais afin de mieux faire connaître nos analyses et propositions novatrices à nos partenaires à l’étranger », comme avec l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) et la Commission européenne.
Hasard du calendrier : c’est justement ce 15 décembre que la Commission européenne présente son paquet législatif pour mieux réguler l’économie numérique, composé du Digital Services Act (DSA) et du Digital Market Act (DMA). En ligne de mire : les géants du numérique en général et les GAFA en particulier, qui, en tant que « plateformes structurantes », seront soumis à de nouvelles règles et « responsabilités systémiques ». Ces propositions DSA et DMA, qui doivent être encore débattues courant 2021 par le Parlement européen, remettent notamment en cause pour les plateformes numériques leur statut protecteur d’hébergeur – que leur octroie depuis vingt ans la directive européenne « E-commerce » – et pour les acteurs dominants leurs pratiques non-transparentes et anticoncurrentielles. C’est dans ce contexte de réglementation accrue du marché unique numérique que le CSPLA enchaîne missions et rapports sur des questions liées au « copyright », et notamment au moment crucial où la Commission européenne s’apprête à publier ses lignes directrices (guidance) sur les modalités de mise en œuvre du blocage de contenus – dans la lutte contre le piratage sur Internet – que prévoit l’article 17 controversé de la directive européenne sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique. « L’élaboration de cette directive a été inspirée (…) par les travaux du CSPLA, en particulier notre rapport sur les outils de reconnaissance automatique d’œuvres protégées sur les plateformes de partage, celui sur l’exploration et la fouille de données ou encore ceux sur le droit voisin des éditeurs de presse », se félicite Olivier Japiot dans l’introduction du rapport d’activité 2019 du CSPLA, mis en ligne le 7 décembre dernier (13). Cette directive « Copyright » (14) doit être transposée au plus tard le 7 juin 2021. La France est le premier Etat membre à le faire, par ordonnance et via un nouveau « projet de loi sur l’audiovisuel et la lutte contre le piratage » annoncé pour 2021. Publié l’été dernier par la Commission européenne, le projet de guidance (15) sur l’article 17 a provoqué une levée de boucliers des industries culturelles sur la question du blocage des contenus. Le 10 septembre dernier, les autorités françaises (16) et l’Hadopi (17) ont critiqué l’approche de la Commission européenne, laquelle est soucieuse d’éviter un filtrage automatique et généralisé des contenus sur Internet en instaurant un distinguo entre contenus « vraisemblablement contrefaisants » et ceux « vraisemblablement légitimes ».

Lignes directrices « préoccupantes », selon le CSPLA
Il s’agit pour la Commission européenne de trouver un point d’équilibre et des exceptions au droit d’auteur pour ne pas sacrifier la liberté d’expression, de création et d’information – dont la citation, la critique, la revue, la caricature, la parodie ou le pastiche (dixit l’article 17) – sur l’autel de la propriété intellectuelle. Travaillant en amont pour le gouvernement, le CSPLA a, lui, a regretté dans une note préparatoire – révélée par Next Inpact le 2 décembre dernier (18) – que la Commission européenne « esquiss[e] des lignes directrices qui réserveraient les blocages aux seuls cas de certitude de contrefaçon, et en donnant à la protection des exceptions […] une place centrale au détriment de l’effectivité des droits ». Ce que nous confirme Olivier Japiot : « Certaines orientations paraissent en effet préoccupantes ». Le rapport du CSPLA sur les outils de reconnaissance des contenus au regard de l’article 17, réalisé avec l’Hadopi et le CNC et présenté ce 15 décembre en séance plénière, servira aussi à mettre en garde la Commission européenne avant qu’elle ne mette un point final à ses lignes directrices. @

Charles de Laubier

Digital Services Act (DSA) : un draft sous le manteau

En fait. Les 1er et 2 octobre, à Bruxelles, s’est tenu un conseil européen extraordinaire, où a été abordé le futur Digital Services Act (DSA) que la Commission européenne doit encore finaliser pour le présenter au Parlement européen le 2 décembre. Une version provisoire (draft) a circulé sous le manteau…

En clair. La version préliminaire du futur « paquet législatif sur les services numériques » – instrument de régulation ex ante des très grandes plateformes en ligne jouant le rôle de contrôleurs d’accès (gatekeepers) – a savamment été distribuée sous le manteau à Bruxelles. Quelques médias et agences de presse ont pu « consulter » le document de travail, à l’encre à peine sèche, qui circulait en mode strictement confidentiel, avec interdiction de le publier et encore moins de le mettre en ligne ! Si le Conseil de l’Union européenne avait voulu faire dans la non-transparence et cultiver un certain flou artistique sur l’avancée du Digital Services Act (DSA), il ne s’y serait pas pris autrement. Contactée par Edition Multimédi@, la Commission européenne déplore « ces fuites », un porteparole nous précisant qu’« un rapport d’étape issu de la consultation publique sur le futur DSA va être publié ces tout prochains jours » et que « la proposition du DSA sera présentée le 2 décembre » par Margrethe Vestager (1). La première grande notion qu’introduit le draft du DSA, c’est celle de « plateforme structurante » (structuring platforms). Les GAFA américains sont les premiers concernés par ce statut qui reflète leur position dominante sur le marché unique numérique. Ces plateformes structurantes seraient à l’avenir soumis à une régulation ex ante, c’est-à-dire une réglementation qui définit a priori des obligations applicables aux entreprises des secteurs régulés. « Il convient (…) d’adopter des règles sur le rôle et les responsabilités systémiques des plateformes en ligne générant des effets de réseau importants », sont convenus les dirigeants des Etats membres, dont Emmanuel Macron pour la France, dans les conclusions publiées au sortir du conseil européen extraordinaire (2). Pour appliquer cette régulation ex ante, une liste de pratiques et comportements anti-concurrentiels serait dressée (3). Google et son moteur de recherche, Amazon et sa plateforme de e-commerce, Facebook et son réseau social ou encore Apple et sa boutique d’applications seraient ainsi mis sous surveillance. Le DSA pourrait en outre forcer les GAFA à rendre accessibles les données qu’ils exploitent pour en faire bénéficier aussi les entreprises (marchands, éditeurs, …) qui, tout en étant concurrents, empruntent leurs plateformes. Quant au régime de responsabilité des plateformes, il fait aussi débat. @

L’Allemagne légifère contre les abus des GAFAM

En fait. Le 2 septembre, l’Autorité de la concurrence allemande a publié son rapport annuel dans lequel son président Andreas Mundt et le ministre allemand de l’Economie Peter Altmaier se félicitent des projets d’amendements qui seront débattus au Parlement afin de mieux « combattre les abus » des Big Tech.

En clair. Ce sont des amendements allemands destinés à modifier le « German Competition Act » (GWB) qui pourraient avoir des répercussions sur toute l’Europe. Car l’Allemagne est non seulement un des piliers de l’Union européenne (UE), mais en plus pour six mois (de juillet à décembre 2020) le pays qui préside le Conseil des ministres de l’UE justement. D’autant que la Commission européenne prépare un Digital Services Act (DSA) responsabilisant plus les plateformes du Net (1). Ces amendements « antitrust numérique », approuvés par la chancelière Angela Merkel le 9 septembre, vont renforcer les pouvoirs de l’Office anti-cartel fédéral allemand (le Bundeskartellamt), vis-à-vis des GAFAM. Ces amendements vont maintenant devoir être votés par le Parlement.

L’Allemagne préside le Conseil de l’Union européenne jusqu’en décembre 2020
« L’Allemagne assur[e] la présidence du Conseil de l’UE (…). Nous aimerions profiter de cette occasion pour développer davantage le droit européen de la concurrence, en particulier en ce qui concerne la numérisation et l’économie des plateformes (…). Les modifications apportées à la loi allemande sur la concurrence (GWB) renforcent en particulier le rôle-clé du Bundeskartellamt dans la lutte contre l’abus de position dominante par les plateformes numériques et constituent ainsi un signal pour l’UE également », a prévenu le ministre allemand de l’Economie (2), Peter Altmaier (photo), dans un son « message de salutation » introduisant le rapport 2019 de l’autorité antitrust. C’est lui qui a confirmé en conférence de presse le 9 septembre l’approbation de ces amendements « anti-abus de position dominante numérique ». Dans l’avant-propos du rapport, le président du Bundeskartellamt, Andreas Mundt, enfonce le clou : « Pour l’avenir, il sera vital pour nous de garder les marchés en ligne ouverts, afin de donner aussi une chance aux nouveaux arrivants, et pour empêcher les grandes entreprises d’abuser de leur pouvoir de marché au détriment des consommateurs. Nous espérons que […] la loi allemande sur la concurrence, auquel nous sommes très étroitement associés, renforcera entre autres le contrôle des abus sur les grandes entreprises numériques ». Par exemple, le Bundeskartellamtes contrôlera voire sanctionnera la manière dont sont exploitées les données des e-marchands par les places de marché – « Gatekeeper » – comme Amazon, ou les règles abusives imposées aux développeurs par les boutiques d’applications comme Apple Store ou Google Play. @

Le Digital Services Act veut abolir la directive «E-commerce» et responsabiliser les plateformes

La directive « E-commerce » aura 20 ans en juin 2020. La Commission européenne veut la remplacer par le futur « Digital Services Act », une nouvelle législation sur les services numériques où la responsabilité des plateformes sera renforcée. Mais les GAFAM défendent leur statut d’hébergeur.

La vice-présidente exécutive de la Commission européenne chargée d’œuvrer « pour une Europe préparée à l’ère numérique », Margrethe Vestager (photo de gauche), a été missionnée par Ursula von der Leyen – laquelle a succédé il y a près de deux mois à Jean-Claude Juncker – pour coordonner la mise à niveau des règles de responsabilité et de sécurité des plateformes, des services et des produits numériques (1).

Le DSA pour compléter le DSM
Cette réforme d’envergure se fera par une « loi sur les services numériques », appelée Digital Services Act (DSA), que va proposer la Commission européenne cette année pour « compléter » le Digital Single Market (DSM) qui avait été présenté pour la première fois par la Commission « Juncker » il y aura cinq ans en mai prochain. Ce DSA portera sur de nombreux aspects de l’économie numérique et des nouveaux médias, dont la liste n’a pas encore été arrêtée à ce stade. La future proposition de texte, qui sera présentée au Parlement européen (dont la commission juridique prépare un rapport) et au Conseil de l’Union européenne, devrait comporter des mesures de lutte contre les contenus illicites en ligne, d’interdiction de la publicité politique lors de campagnes électorales, ou encore d’action communautaire pour empêcher la cyberhaine et le cyberharcèlement. Pourraient aussi être intégrées dans ce DSA des dispositions pour interdire les fausses nouvelles (fake news) et la désinformation en ligne. Cette future législation européenne sur les services numériques devrait en outre permettre de veiller aux conditions de travail de ceux qui offres leurs services aux plateformes numériques contre rémunération.
Mais le point le plus sensible à traiter par la Commission « Leyen » sera la question des exemptions de responsabilité dont bénéficient les plateformes d’hébergement depuis vingt ans. La directive « E-commerce » de juin 2000, qui est censée être transposée par l’ensemble des Vingt-huit depuis le 17 janvier 2002, prévoit en effet dans son article 15 – intitulé explicitement « Absence d’obligation générale en matière de surveillance » – que « les Etats membres ne doivent pas imposer aux [plateformes d’Internet] une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent, ou une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites » (2). Cette responsabilité limitée des GAFAM a été confortée à maintes reprise par la jurisprudence européenne (3) (*) (**) (***) (****) (*****). Pourtant, un mois après sa prise de fonctions, le nouveau commissaire européen en charge du Marché intérieur, le Français Thierry Breton, a mis d’emblée les pieds dans le plat lors de sa première interview à la presse européenne : « Il faut évidemment mettre les plateformes face à leurs responsabilités. Le monde a changé. L’opinion publique aussi. On ne peut continuer à vivre dans un monde dans lequel cinq ou six grands acteurs stockent 80 % des données de la planète sans se considérer responsables des usages qui en sont faits ! », a-t-il lancé dans Les Echos datés du 8 janvier dernier. Et d’enfoncer le clou : « La directive “E-commerce” a longtemps fonctionné mais l’environnement et les usages ont considérablement évolué depuis son adoption. (…) Mon objectif, c’est de renforcer, vite, la responsabilité des grandes plateformes ». Et d’ajouter en plus : « Je préférerais le faire dans le cadre de la directive “E-commerce” mais nous verrons s’il nous faut aller plus loin » (4).
Son propos catégorique dans le quotidien économique français était une réponse à Edima, qui, la veille, a appelé la Commission européenne à préserver ce statut d’hébergeur à responsabilité limitée. Cette organisation (5), basée à Bruxelles, représente les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) ainsi que Airbnb, Allegro, eBay, Expedia, Mozilla Mozilla, OLX, Snap, TripAdvisor, Twitter, Verizon Media, Yelp et un nouveau membre : Spotify). « La responsabilité limitée doit être réaffirmée. (…) Il est essentiel de garder à l’esprit les avantages du régime établi par la directive sur le commerce électronique, notamment (…) l’interdiction d’une obligation générale de surveillance [d’Internet] », déclare Siada El Ramly (photo de droite), directrice générale de Edima.

Les GAFAM attachés à leur régime
Plutôt que d’abolir la directive « E-commerce », Edima propose un nouveau « cadre de responsabilité en ligne », qui permettrait et encouragerait les fournisseurs de services en ligne à faire davantage pour protéger les consommateurs contre les contenus illicites en ligne. Une brèche dans la responsabilité limitée des plateformes a déjà été ouverte avec la nouvelle directive « Droit d’auteur et droits voisins dans le marché unique numérique » promulgué en mai dernier (6). Ainsi, sans accord avec les ayants droits, les GAFAM seront responsables du piratage en ligne (7) sans qu’ils puissent invoquer le régime de responsabilité limité d’hébergeur. @

Charles de Laubier