Deux ans après la nomination de Christel Heydemann à la tête du groupe Orange, l’heure est au premier bilan

Il y a un an, Christel Heydemann présentait son plan stratégique à horizon 2025 baptisé « Lead the future », en tant que directrice générale du groupe Orange – poste auquel elle a été nommée il y a deux ans. Malgré une rentabilité en hausse, la participation et l’intéressement pour les plus de 127.000 salariés déçoivent.

Orange reste très rentable, avec un bénéfice net de près de 3 milliards d’euros en 2023 – 2.892 millions d’euros précisément, en croissance de 10,5 % sur un an. Depuis l’annonce le 15 février de ses résultats financiers annuels, « en ligne avec le plan Lead the Future » que sa directrice générale Christel Heydemann (photo) a présenté il y a un an, le cours de l’action en Bourse a quelque peu frémi à la hausse (passant de 10,63 euros la veille à 10,90 euros le 20 février). Mais, depuis, le prix du titre n’a cessé de piquer du nez, à 10,51 euros au 7 mars. Et la capitalisation boursière de ce groupe du CAC40 ne dépasse pas les 30 milliards d’euros (27,9 milliards au 08-03-24), alors qu’elle a connu des jours meilleurs par le passé. Le groupe au carré orange – et aux 127.109 salariés dans le monde (au 31-12- 23), dont 73.000 en France – a vu son chiffre d’affaires progresser de 1,8 % sur un an, à 44,1 milliards d’euros. Christel Heydemann a envoyé à tous les employés d’Orange un e-mail pour les remercier « chaleureusement » de « [leur] professionnalisme et [leur] engagement de tous les instants ». Et ? « Très logiquement, les personnels du groupe en France s’attendent donc à bénéficier d’une participation et d’un intéressement correspondant aux succès annoncés. Il n’en est rien.

Les syndicats d’Orange mécontents
Tout au contraire, la participation et l’intéressement qui seront versés à chaque collaborateur en 2024 accusent une baisse moyenne de 10 %, une première chez Orange », regrette le premier syndicat de l’entreprise, CFE-CGC. Cette baisse de 10 % en moyenne de la participation et de l’intéressement est à rapprocher de l’inflation – donc de la perte du pouvoir d’achat – qui a été d’environ 10 % depuis le début de l’année 2022. « La claque ! », dénonce la Confédération générale des cadres, qui demande au conseil d’administration « la distribution d’un intéressement supplémentaire pour tous les personnels du groupe en France ». Cette déception du côté des personnels et des syndicats est d’autant plus forte qu’elle intervient au moment où le gouvernement – le ministère de l’Economie et des Finances (Bercy) en tête – incite à plus de partage de la valeur dans les entreprises au profit de leurs salariés. « Au conseil d’administration d’Orange, les représentants de Bercy [l’Etat détenant près de 23 % du capital du groupe et près de 29 % des droits de vote (1), ndlr] préfèrent Continuer la lecture

Thierry Breton « milite » pour un « Telecom Act » sur 20 ans favorable financièrement aux opérateurs télécoms

Ex-PDG d’Atos, ex-PDG de France Télécom et ex-administrateur de l’opérateur télécoms Sonatel (filiale sénégalaise d’Orange), Thierry Breton – ex-ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie – est devenu fin 2019 commissaire européen après avoir désamorcé tout conflits d’intérêts. Mais son parti pris « télécoms » demeure.

Le commissaire européen Thierry Breton (68 ans) en charge du marché intérieur, qui fut dans une ancienne vie président de France Télécom devenu Orange, a décidément pris le parti des opérateurs télécoms dans le cadre des réflexions de la Commission européenne sur l’avenir du secteur des communications électroniques et de ses infrastructures. Son vaste portefeuille bruxellois couvrant aussi bien l’industrie, la défense et l’espace que le numérique et les télécoms, n’y voyez là aucun conflit d’intérêt puisque vingt ans ont passé depuis qu’il fut à la tête de l’ancien monopole public des télécoms français, d’octobre 2002 à février 2005. D’ailleurs, après que le chef de l’Etat français Emmanuel Macron l’ait proposé comme commissaire européen il y a près de quatre ans, le Parlement européen (notamment sa commission des affaires juridiques) n’avait alors rien trouvé à redire à Thierry Breton (photo) qui s’était alors démis de ses fonctions de PDG d’Atos. Il a aussi été ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, de février 2005 à mai 2007 sous la présidence de Jacques Chirac, l’Etat français étant actionnaire d’Orange et encore aujourd’hui à hauteur de 22,95 % du capital et 29,25 % des droits de vote (1).

Doutes levés fin 2019 sur des conflits d’intérêts
Les soupçons de conflits d’intérêts que certains exprimaient alors envers le candidat Thierry Breton, avant que celui-ci ne soit finalement adoubé par le Parlement européen pour prendre ses fonctions le 1er décembre 2019 au sein de la Commission « von der Leyen » (2), ont été balayés. Les doutes de probité étaient par rapport à ses fonctions antérieures à sa candidature à Bruxelles, à savoir lorsqu’il était PDG du groupe de services informatiques Atos pendant près de onze ans (de février 2009 à octobre 2019). Pour mettre un terme à toute suspicion qui perdurait après sa démission d’Atos au 31 octobre 2019, Thierry Breton avait assuré aux eurodéputés lors de son audition qu’il avait cédé toutes ses actions dans Atos (Worldline compris) et démissionné en plus de tous ses mandats exercés dans divers conseils d’administration – parmi lesquels celui de Sonatel. Il s’agit de l’opérateur télécoms historique du Sénégal, devenu en 1997 filiale de France Télécom et encore à ce jour filiale d’Orange à hauteur de 42,3 % du capital mais contrôlée et consolidée dans les comptes de l’ex-France Télécom par un pacte d’actionnaire (3). Ayant réalisé en 2022 un chiffre d’affaires de plus de 2,2 milliards d’euros, « la » Sonatel opère à ce jour sous la marque Orange dans cinq pays : Sénégal, Mali, Guinée, Guinée Bissau et Sierra Leone.

Du temps d’Atos et de Sonatel (Orange)
C’est sous la présidence de Thierry Breton que France Télécom – renommé il y a tout juste dix ans Orange – démarre le développement international de Sonatel, en faisant l’acquisition d’Ikatel au Mali fin 2002, puis en s’implantant en Guinée et en Guinée Bissau l’année suivante. Depuis lors, Thierry Breton ne cessera de développer son « amour » pour l’Afrique en tant que PDG d’Atos et, parallèlement de 2014 à 2019, comme administrateur de Sonatel. Ce qui lui a valu là aussi des soupçons de conflits d’intérêts car Atos est réputé être le grand fournisseur informatique d’Orange Sénégal – « sans appels d’offres », selon des sources syndicales au Pays de la Teranga (surnom désignant l’hospitalité sénégalaise). Les nouveaux sièges de Sonatel et d’Atos Afrique de l’Ouest ont en outre été inaugurés à un an d’intervalle – respectivement en juin 2015 et en juin 2016 par le président de la République du Sénégal, Macky Sall lui-même et Thierry Breton (4) – dans les mêmes immeubles d’activités ultra modernes Pyrotechnie à Dakar (5). C’est que Thierry Breton a développé des liens d’amitiés avec l’Afrique, notamment avec le Sénégal où il se rend régulièrement. Atos y fournit non seulement l’opérateur historique des télécoms Sonatel mais aussi l’Etat sénégalais pour son informatisation, et avec l’aide de la Banque mondiale. Atos intervient aussi bien dans les services numériques mais aussi en tant que constructeur d’ordinateurs (supercalculateurs et serveurs) depuis que le groupe a racheté en août 2014 le français Bull, dont Thierry Breton devint alors aussi président du conseil d’administration. Il en avait été vice-président de 1996 à 1997, avant de devenir PDG de Thomson de 1992 à 2002.
Quoi qu’il en soit, entre Thierry Breton et les télécoms, c’est une passion qu’il entretient plus que jamais en tant que commissaire européen au Marché intérieur. Grâce à une seule voix seulement, le candidat avait pu le 12 novembre 2019 – devant la commission des affaires juridiques du Parlement européen examinant sa déclaration d’intérêt – franchir l’étape décisive suivante. A savoir, le 14 novembre, une majorité de eurodéputés avait finalement approuvé sa candidature. Thierry Breton leur a assuré durant son audition ce jour-là à Bruxelles que, sur les questions de conflits d’intérêts et d’éthique, il sera « radical » – « Je dis bien radical, avec toujours le seul intérêt général en tête. (…) Donc, (…) sur tout sujet financier [comme des contrats] directement lié à l’entreprise que je viens de quitter [Atos] ou l’une de ses filiales, je me récuserai automatiquement. (…) Si jamais il y a un appel d’offres et qu’Atos y répond, c’est simple : je n’en serai pas informé ». En revanche, sur le vaste secteur du numérique couvert par Atos, y compris les télécoms (6), il a prévenu : « Je ne vais pas me déporter du secteur. Ce serait une aberration » (7). A défaut de conflits d’intérêts, l’ancien PDG de France Télécom et ex-administrateur de la filiale Sonatel d’Orange garde un parti pris pour les opérateurs télécoms depuis qu’il est commissaire européen.
A deux reprises, alors même que la Commission européenne n’a pas encore pris position sur la question, Thierry Breton va dans deux entretiens accordés à un an d’intervalle au quotidien Les Echos – le 4 mai 2022 et le 15 juin 2023 – plaider en faveur des « telcos » pour que soit instaurée une rémunération des réseaux (network fee) par les grandes plateformes (les GAFAM). C’est un « principe acquis », affirme-t-il dans l’un (8) ; C’est un « sujet légitime » dans l’autre (9). Et ce, alors que le lobbying des grands opérateurs télécoms en Europe – représentés à Bruxelles par leur association Etno (10) – est intense pour tenter d’imposer cette « juste part » (fair share) en leur faveur (11). Or, la vice-présidente de la Commission européenne en charge de la Concurrence et du Numérique, Margrethe Vestager (photo ci-contre), attend les résultats de la « consultation exploratoire sur l’avenir du secteur de la connectivité et de ses infrastructures », qui s’est achevée le 19 mai dernier (12), pour se prononcer. Le questionnaire évoque bien l’idée d’une « contribution équitable » (question 60), mais sans prendre parti comme le fait Thierry Breton.
Le groupement européen des « Arcep » en Europe, le Berec (13), a estimé dès le 7 octobre 2022 que « cette contribution financière n’est pas justifiée » et vient de le redire en réponse à la consultation (14). D’autant qu’est soulevée la question de la neutralité de l’Internet, évoquée aussi par le commissaire européen le 23 février 2023 (15), la Commission européenne se référant à la Déclaration européenne sur les droits et principes numériques pour la décennie numérique (DEDPN), telle que promulguée le 23 janvier 2023 au Journal officiel de l’Union européenne (16).

« Telecom Act » versus neutralité du Net
La consultation sur « la régulation des réseaux », qui est assortie d’une proposition de règlement « Infrastructure Gigabit Act » (17) et d’une recommandation « Accès aux réseaux gigabit » (18) à l’attention des « Arcep » des Vingt-sept, est en cours d’analyse cet été. Et à l’automne, la Commission européenne présentera un « Paquet connectivité » (19). Thierry Breton, lui, « milite pour un “Telecom Act” », tout en se défendant de « placer les acteurs les uns [Orange, Deutsche Telekom, Telefonica, …, ndlr] en face des autres [Google/YouTube, Meta/Facebook, Netflix, …, ndlr] ». Le bras de fer se jouera autour de la neutralité du Net. @

Charles de Laubier

Nicolas Guérin, stratège discret mais très influent au sein de la filière télécoms et au coeur de l’Etat

Probablement l’homme le plus influent des télécoms en France. Nicolas Guérin fête ses 25 ans chez Orange, dont il est secrétaire général depuis 5 ans. Il conseille depuis 2020 le gouvernement en tant que président du Comité stratégique de filière « Infrastructures numériques ».

En plus de sa fonction stratégique de secrétaire général d’Orange depuis mars 2018, et à ce titre l’un des treize membres du comité exécutif (le « comex »), Nicolas Guérin (photo) est depuis l’automne 2020 président du Comité stratégique de filière « Infrastructures numériques » (CSF-IN). Il s’agit de l’une des dix-neuf filières représentées au sein du Conseil national de l’industrie (CNI), lequel est présidé par la Première ministre, Elisabeth Borne. Nicolas Guérin est en outre très impliqué au sein de la Fédération nationale des télécoms (FFTélécoms), qu’il présidera à nouveau le 3 juillet prochain. Nicolas Guérin (55 ans le 19 août prochain) est la personnalité la plus influente des télécoms en France, dont il a vécu la libéralisation depuis le début, il y a… un quart de siècle. C’est le 5 janvier 1998, après un passage chez TDR, opérateur de la radiomessagerie Tam Tam et filiale de SFR (où il avait fait un premier stage), qu’il entre chez France Télécom, soit au cinquième jour de l’ouverture du marché français des télécoms à la concurrence et au moment où l’ancien monopole public des télécoms devient une société anonyme. Il y rentre en tant que juriste chargé justement de la concurrence et de la réglementation.

Il a vu passer quatre présidents d’Orange
L’Etat, unique actionnaire à l’époque avant de se retrouver minoritaire, détient encore aujourd’hui 22,95 % du capital et 29,25 % des droits de vote (1). Nicolas Guérin s’est ensuite rendu indispensable pour la stratégie et le lobbying d’Orange – la dénomination sociale depuis dix ans (2). Il verra défiler à la présidence du groupe Michel Bon, Thierry Breton, Didier Lombard et Stéphane Richard, avant de se retrouver il y a plus d’un an aux côtés du duo formé par Christel Heydemann (directrice générale) et Jacques Aschenbroich (président). Après avoir été promu il y a vingt ans directeur juridique « concurrence et réglementation » d’Orange, dont il devient le directeur juridique et « secrétaire du conseil d’administration », Nicolas Guérin est secrétaire général du groupe Orange depuis plus de cinq ans. Le rapport d’activité 2022 publié le 30 mars le mentionne toujours bien ainsi dans le « comité exécutif à compter du 3 avril 2023 », lequel a évolué « pour accompagner les évolutions liées au nouveau plan stratégique [« Lead the future« ]» présenté le 16 février par Christel Heydemann. Mais Continuer la lecture

Le nouveau plan stratégique d’Orange vise 2025 ; beaucoup attendaient une vision « humaine » à 2030

Après le plan « Engage 2025 » de l’ancien PDG d’Orange, Stéphane Richard, Orange va devoir se contenter d’un nouveau plan stratégique à horizon… 2025, baptisé « Lead the future », que Christel Heydemann, la DG du groupe, a présenté le 16 février. Au programme : recentrage et économies, sur fond de baisse des effectifs.

Certaines mauvaises langues diront que la feuille de route à horizon 2025, présentée par Christel Heydemann (photo) le 16 février à l’occasion de la publication des résultats annuels d’Orange dont elle directrice générale depuis le 4 avril 2022, est plus un « plan comptable » qu’un « plan stratégique ». Chez les syndicats, c’est la déception à tous les étages. « Les salariés du groupe attendaient beaucoup de cette annonce pour se projeter dans l’avenir. Orange a besoin d’un vrai projet industriel ambitieux et non de la poursuite d’une politique de gestion par l’optimisation des coûts engagée depuis plusieurs années et qui a accéléré la casse des compé- tences clefs », regrette le syndicat CFDT.
Recentrage de l’opérateur télécoms et économies drastiques : telles sont les deux priorités qu’assigne la nouvelle direction d’Orange aux 130.307 salariés du groupe, dont 28 % sont des agents fonctionnaires. Rappelons que l’Etat (1) détient toujours 22,95 % du capital de l’entreprise et 29,25 % des droits de vote, tout en ayant trois administrateurs sur les quatorze membres du conseil d’administration présidé par Jacques Aschenbroich. Et comme un plan peut en cacher un autre : « Lead the future » est doublé de « Scale up », un remède de cheval financier concocté par Stéphane Richard lorsqu’il était PDG et administré à Orange depuis 2019 pour faire 1 milliard d’euros d’économies d’ici 2023. Nous y sommes.

Atteindre 1,6 milliard d’économies cumulées d’ici à 2025
Mais, alors que le groupe Orange s’est déjà serré la ceinture pour dégager 700 millions d’euros d’économies cumulées de 2019 à fin 2022, Christel Heydemann en remet une couche sans même attendre cette année le 1 milliard. D’ici 2025, son plan « Lead the future » ajoute en plus 600 millions d’euros de réduction de coûts à réaliser « d’ici 2025 ». Si l’inflation devait se calmer, ce nouvel objectif pourrait être atteint avant cette échéance, comme cela aurait pu être le cas pour le 1 milliard. « Hors coûts additionnels liés à l’inflation, le groupe aurait atteint avec un an d’avance l’objectif d’économies nettes de 1 milliard d’euros », a expliqué la direction le 16 février. Et de détailler les baisses de charges déjà réalisées : « Ces économies résultent principalement de l’évolution des effectifs liée à l’attrition naturelle [comprenez les départs en retraite, les licenciements ou les démissions, ndlr] mais aussi aux accords de temps partiel seniors et à la politique salariale stricte du groupe, ainsi qu’à des efforts continus d’optimisation et de rationalisation, principalement dans les activités du siège et les fonctions support ».

En dix ans : 23,5 % d’effectifs en moins
La masse salariale est en première ligne. Selon les données collectées par Edition Multimédi@, les effectifs d’Orange ont diminué de 5.636 salariés entre 2018 et 2022, soit une baisse de plus de 4,1 % pour se situer aux 130.307 personnes évoquées plus haut à la date du 31 décembre 2022 (2). L’année 2023 verra Orange passer pour la première fois sous la barre des 130.000 salariés. En dix ans, Orange s’est délesté de plus de 40.000 em- ployés par rapport aux 170.531 de 2012 (-23,5 %). Mais si l’on regarde sur les vingt dernières années, l’ex-France Télécom a vu fondre ses effectifs de… 107.900 employés (-45,3 %). Et ce, par rapport au pic de 237.900 atteint au 31 décembre 2002 lorsque le PDG du groupe était un certain Thierry Breton (3). Lui succèdera en février 2005 Didier Lombard qui, après la vague de suicides durant son mandat, sera condamné en 2019 pour « harcèlement moral institutionnel » – ce que confirmera définitivement la cour d’appel de Paris le 30 septembre dernier (4).
« La première richesse d’Orange que sont les personnels a été oubliée… Regrettable », pointe le syndicat CFE-CGC. Même ressenti du côté de Force Ouvrière (FO Com) : « Pas de futur pour Orange sans son personnel au cœur ! Il ne peut y avoir de performance économique sans performance sociale, et nous ne voyons aucun élément social dans cette stratégie ». La CGT, elle, « estime que la situation est inquiétante, et le constate tous les jours sur les lieux de travail ; ceci explique probablement le blackout des résultats du baromètre social par la direction ce qui rappelle les heures sombres vécues par les salariés dans les années 2000 ». Elle fait référence à ce qu’Orange appelle aussi le « baromètre salarié », une enquête que la direction s’était engagée à réaliser chaque année pour lui permettre de « mesurer la perception de la qualité de vie au travail et l’adhésion du personnel à la mise en œuvre du plan stratégique » (à l’époque le plan « Engage 2025 » de Stéphane Richard). Or le groupe, qui ne nous a pas répondu sur ce point, précise dans son dernier rapport d’activité qu’« en 2021, l’enquête a cependant été décalée à 2022 ». Nous sommes en 2023, et toujours pas de baromètre salarié en vue depuis celui de 2020 (5). Le thermomètre social montrerait-il une poussée de fièvre inquiétante ? « La sous-traitance à outrance dégrade la fourniture des services d’Orange », dénonce la CFE-CGC. « Nous réaffirmons notre opposition à une politique de filialisation et de sous-traitance à outrance », abonde FO. « Derrière ces annonces se cachent une filialisation à outrance des activités et des infrastructures et encore plus de sous-traitance dans la gestion du réseau », déplore aussi la CGT.
Le rapport annuel d’Orange indique que « le recours à la sous-traitance concerne 32.221 effectifs équivalent temps plein à fin décembre 2021 », soit plus de 30 % de effectifs d’Orange en France, pour un montant total annuel dépassant pour la première fois les 3 milliards d’euros. Outre la sous-traitance, il y a la filialisation comme avec le « projet Libellule », comme l’appelle la direction d’Orange, qui consiste à « accompagner » les salariés des 323 boutiques du réseau physique de distribution – les « agences de distribution » dont Orange est proprié- taire – vers les 220 boutiques de la filiale Générale de Téléphone (GDT) détenue à 100 %. Les syndicats craignent à terme une « filialisation des salariés » de l’ensemble des boutiques d’Orange vers GDT, dont la « convention collective nationale des commerces et services de l’audiovisuel, de l’électronique et de l’équipement ménager » est bien moins avantageuse que les accords « Orange SA ». La CFDT « s’oppose elle aussi, à la filialisation au sein du groupe dès lors qu’elle se traduit par du dumping social, des conditions de travail dégradées ».
Lors d’un comité social et économique central d’entreprise (CSEC) qui s’était tenu le 22 septembre 2022, la DG d’Orange avait laissé entendre que son plan stratégique 2030 allait être plus « humain » que comptable (6), sa stratégie à 2025 exposée dans un communiqué (7) et des slides (8) donne l’impression de l’inverse.

Nouveaux métiers et hausse des forfaits
« L’humain, l’agilité organisationnelle et la simplification des processus seront au cœur de cette transformation. Dans un monde fait de ruptures technologiques, le groupe investira dans la formation et (…) facilitera l’évolution des salariés vers les nouveaux métiers de la data, du cloud, de la cybersécurité ou de l’IA », a tout de même assuré Christel Heydemann.
Son plan « concentre Orange sur son cœur de métier » (fibre, 5G, Wifi, réseau d’entreprise avec Orange Business, cybersécurité, satellite avec Eutelsat), après avoir cédé OCS à Canal+. Orange Bank est à vendre. « Augmenter de 1 à 2 euros nos forfaits » (mobile et fixe) fait aussi partie de sa stratégie, même si elle a attendu le 17 février pour l’annoncer sur RTL. @

Charles de Laubier

Stéphane Richard joue les prolongations à la tête d’Orange, malgré sa condamnation dans l’affaire « Tapie »

PDG depuis près de onze ans d’Orange, Stéphane Richard ne quitte pas l’opérateur télécoms historique fin janvier. Il poursuit son mandat jusqu’à l’entrée en fonction, le 4 avril, de Christel Heydemann comme directrice générale. Et si un nouveau président n’est pas nommé d’ici le 19 mai, il pourrait rester jusqu’à cette date.

Stéphane Richard ne cessera pas d’être PDG du groupe Orange « au plus tard le 31 janvier 2022 ». En effet, contrairement à ce qui avait été prévu par le conseil d’administration du groupe réuni de façon extraordinaire le 24 novembre dernier, soit le jour-même de la condamnation de son président dans l’affaire « Tapie-Adidas », ce dernier va continuer à assumer ses fonctions jusqu’à l’arrivée – le 4 avril – de Christel Heydemann (photo) en tant que directrice générale de l’opérateur télécoms. Et si le nouveau président n’était pas trouvé d’ici là – présidence et direction générale étant désormais dissociées –, Stéphane Richard pourrait même rester au-delà – cette fois comme président non-exécutif. Et ce, jusqu’à l’échéance de son mandat initial le 19 mai – date de la prochaine assemblée générale – et afin d’assurer la passation de pouvoir dans de bonnes conditions. Cette période d’overlap (ou d’handover), comme disent les Anglo-saxons pour désigner cette transition délicate, devrait permettre à Orange d’opérer son changement de gouvernance sereinement et sans heurts. Fini donc le poste de PDG : Christel Heydemann (47 ans), choisie par Bercy et approuvée par l’Elysée, sera à la direction générale du groupe. Sa nomination est entérinée ce vendredi 28 janvier lors de la réunion du conseil d’administration, dont elle est membre, et encore sous la présidence de Stéphane Richard qui la soutient.

Christel Heydemann sera DG d’Orange au printemps
Reste à désigner une autre personne qui lui succèdera à la présidence du conseil d’administration. Sébastien Crozier (photo page suivante), à la tête depuis une quinzaine d’années du syndicat majoritaire CFE-CGC d’Orange et directeur du mécénat public du groupe, est le premier candidat déclaré – depuis mi-décembre – à cette présidence du conseil d’administration, dont il membre depuis fin 2017. Passée la surprise, son nom familier en interne s’est installé depuis dans le paysage des prétendants présidentiables à 450.000 euros (salaire maximum d’une entreprise publique) – parmi lesquels Pascal Cagni, ancien dirigeant Europe d’Apple et actuel président de Business France, Jean-Noël Tronc, ancien DG de la Sacem et ancien PDG de Canal+ Overseas, ou encore Jacques Aschenbroich, PDG de Valeo. Quatre anciens dirigeants exécutifs de France Télécom/Orange se sont aussi positionnés pour cette présidence : Nicolas Dufourcq, Vivek Badrinath, Bruno Mettling et Didier Quillot. Les statuts d’Orange limite à 70 ans l’âge pour l’exercice des fonctions de président du conseil d’administration ; il faut donc que l’impétrant ou l’impétrante (mais pas de femme en vue) ait moins de 66 ans pour assurer jusqu’au bout le mandat qui est de quatre ans pour tous les administrateurs d’Orange (président compris).

Sébastien Crozier, futur président ?
Sébastien Crozier (54 ans) a, lui, 28 ans de maison ; il est entré en 1994 chez France Télécom Multimédia et a participé dans la foulée au lancement de Wanadoo (avec un intermède entrepreneurial extérieur de 1997 à 2002). Contacté par Edition Multimédi@, le syndicaliste dirigeant nous confirme être plus que jamais candidat à la présidence d’Orange. « J’ai fait acte de candidature le 16 décembre, en présentant mon projet d’articulation pour l’avenir du groupe que je connais parfaitement, en France et à l’international, ayant aussi dirigé plusieurs filiales, notamment en Afrique et en Amérique Latine », nous confie-t-il. Stéphane Richard aurait accueilli sa candidature de façon plutôt favorable, en raison de ses compétences, en la considérant « atypique ». Il s’agit d’une candidature sans précédent pour un administrateur salarié et représentant du personnel.
En devenant directrice générale du groupe Orange, Christel Heydemann est, elle, la première femme à être nommée à sa tête depuis la création de France Télécom il y a 31 ans – société anonyme depuis un quart de siècle maintenant, devenue Orange en juillet 2013. Bien qu’elle n’ait jamais rempli de telles fonctions par le passé, celle qui est encore pour quelques semaines vice-présidente Europe de Schneider Electric n’est pas une inconnue chez Orange. Cooptée par Stéphane Richard qui l’a faite entrer au conseil d’administration en juillet 2017, elle est aussi membre du comité d’audit chargé du suivi du contrôle interne et de la gestion des risques (financiers, sociaux et environnementaux). L’Etat, qui est encore actionnaire à hauteur de 23 % du capital d’Orange tout en détenant près de 30 % des droits de vote (2), a réussi à imposer Christel Heydemann au détriment : d’un favori qui s’est finalement retirer, Frank Boulben, « Chief Revenue Officer » de l’opérateur télécoms américain Verizon, d’un outsider, Michel Paulin, directeur général d’OVHCloud, et d’une revenante, Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions (écartée par l’Elysée afin de ne pas déstabiliser l’audiovisuel public en pleine campagne présidentielle). Des candidats en interne s’étaient aussi positionnés : Fabienne Dulac, directrice générale d’Orange France, Ramon Fernandez, directeur financier du groupe, et Mari-Noëlle Jégo-Laveissière, directrice générale adjointe Europe. « Les membres du comex [le comité exécutif du groupe, ndlr] qui se sont portés candidats à la direction générale du groupe, mais qui n’ont pas été retenus, devraient partir à court ou moyen termes, nous indique une source. Sans parler de ceux qui vont bientôt partir à la retraite comme Gervais Pellissier, directeur général délégué du groupe en charge des ressources humaines, et Alioune Ndiaye, directeur général d’Orange Afrique et Moyen-Orient ». Il y a aussi Helmut Reisinger, directeur général d’Orange Business Services (OBS), qui a quitté ses fonctions le 17 janvier dernier après avoir été débauché. « Quant à Béatrice Mandine, directrice de la commu-nication, de la marque et de l’engagement, elle s’est dite “au chômage” le jour de la condamnation de Stéphane Richard. Tandis que Nicolas Guérin, secrétaire général et bras armée du PDG partant, pourra difficilement garder sa position », nous indique-t-on. C’est dire que le remaniement du comex semble inéluctable après l’entrée en fonction de cette nouvelle direction bicéphale.
Le prolongement de Stéphane Richard au sein de la maison rassure en interne, même si Bercy (alias Bruno Le Maire) aurait préféré que le PDG condamné en appel parte aussitôt. Mais nécessité fait loi. Et la candidature de Sébastien Crozier est aussi perçue, si elle était retenue, comme un gage de stabilité. Christel Heydemann, bien qu’ayant passé quinze ans dans les télécoms (chez Alcatel racheté par Nokia), devra être cornaquée dans ses nouvelles responsabilités. Car être équipementier, ce n’est pas être opérateur… Initialement prévu le 24 janvier, le conseil d’administration avait finalement été reporté au 28 janvier pour se donner le temps de préparer les esprits à la nomination « étatique » de Christel Heydemann qui ne faisait pas consensus au sein des quinze membres du conseil d’administration. « Chez Orange, des administrateurs indépendants – dont elle fait partie depuis le 26 juillet 2017 aux côtés notamment de Alexandre Bompard, PDG de Carrefour – n’étaient pas très ravis de sa candidature », nous signale-t-on. Il s’agit aussi de bien régler la dissociation des mandats (présidence et direction générale).

Stéphane Richard clame son innocence
Du moins si Bercy et l’Elysée ne s’opposent pas aux prolongations de Stéphane Richard… « La temporalité par rapport à l’élection présidentielle ne facilite pas son maintien », convient un proche du dossier. D’autant qu’il faut choisir en amont les nouveaux administrateurs et déposer les résolutions de nominations un mois avant les votes de l’AG. Pour autant, Stéphane Richard n’est pas empêché. Le fait qu’il se soit pourvu en cassation rend sa condamnation du 24 novembre – à un an de prison avec sursis et 50.000 euros d’amende pour « complicité de détournement de biens publics » (3) dans l’affaire « Tapie-CDR » (4) – non définitive. Et il reste présumé innocent. « Les accusations portées contre moi sont parfaitement infondées », avait-il encore martelé le 24 novembre dans un live vidéo (5) adressé en interne aux salariés du groupe : plus de 133.000 personnes dans le monde, dont plus de 64.000 en France, parmi lesquels 34 % de fonctionnaires. @

Charles de Laubier