Pourquoi Orange, Deutsche Telekom, Telefónica et Vodafone lancent leur adtech Utiq en Europe

Lancée le 10 février après avoir obtenu le même jour le feu vert de la Commission européenne qui n’y voit « aucun problème de concurrence », la co-entreprise Utiq d’Orange, Deutsche Telekom, Telefónica et Vodafone cherche à obtenir le consentement publicitaire des mobinautes.

Les cookies sont morts, vive l’identifiant mobile ? Les géants du Net avaient imposé le dépôt de cookies publicitaires sur les terminaux pour traquer les internautes sur le Web et les mobiles. Des opérateurs télécoms pensent avoir trouvé l’alternative aux cookies, voués à disparaître, avec un identifiant numérique associé à l’adresse IP de chaque mobinaute (mais pas à sa carte SIM). Le consentement préalable et obligatoire des utilisateurs, avant de leur envoyer des publicités ciblées, sera recueilli par les opérateurs télécoms.

Identifiant mobile publicitaire
Basée en Belgique, à Bruxelles, la coentreprise Utiq – détenue à parts égales (25 % du capital) par ses cofondateurs Deutsche Telekom, Orange, Telefónica et Vodafone (initiateur du projet) – veut être un tiers de confiance dans la publicité numérique en Europe. La plateforme Utiq, ouverte « à tous les autres opérateurs télécoms européens », se veut aussi exemplaire dans la protection des données, au regard de la législation applicable par les Vingt-sept à travers le règlement général RGPD et la directive ePrivacy.
L’adtech des « telcos » permet d’obtenir ou pas de chaque abonné son consentement explicite (opt-in), condition sine qua non pour les marques de faire de la publicité ciblée sur les sites web et dans les applications mobiles (in-app). Utiq sonne d’ailleurs « you » (vous) et « tick » (cocher). « La seule donnée partagée est un jeton numérique [token, ndlr] pseudo-anonymisé et non réversible. Les consommateurs sont libres de donner ou de refuser leur consentement en un seul clic, ainsi que de révoquer tout autre consentement préalablement donné », assure la coentreprise dirigée par Marc Bresseel (photo de gauche), un ancien IBMeur ayant passé ensuite quinze ans chez Microsoft Advertising, suivis de moins de deux ans chez Interpublic (IPG Mediabrands), quatrième groupe mondial de publicité. Après des tests menés sous son ex-nom « Trust PID » durant des mois en Allemagne (avec Axel Springer, RTL et IQ Digital) et en Espagne, Utiq a créé fin mai sa troisième filiale, cette fois en France, basée à Boulogne-Billancourt et dirigée par Sophie Poncin (photo de droite). Contactée par Edition Multimédi@, celle-ci nous indique avoir démissionné de chez Orange, où elle a passé quinze ans, notamment en tant que directrice déléguée d’Orange Advertising, après avoir été moins de deux ans chez Google, et après huit ans chez France Télévisions Publicité (1). Des tests en France avec des marques et des médias auront lieu en juillet et en septembre, avec Orange, Bouygues Telecom et SFR, en attendant Free. L’Italie et, en dehors de l’Union européenne, le RoyaumeUni ont aussi leur filiale Utiq. D’autres pays européens suivront à partir de 2024. « Utiq est une initiative paneuropéenne visant à accompagner notre secteur vers plus de responsabilité, par le biais d’un consentement qui soit volontaire, clair et informé », a déclaré Marc Bresseel le 6 juin. Interrogé sur une éventuelle introduction en Bourse, il nous répond : « Il n’y a aucun plan en ce moment de faire une IPO [Initial Public Offering]. Il faut vraiment lancer le service, l’étendre au reste de l’Europe. Après, les actionnaires décideront de la stratégie d’investissement ».
Cette « solution mutualisée multi-opérateurs de publicité digitale et de marketing digital » permet aux « telcos » de tenter de reprendre la main sur le marché de la publicité numérique dominé par Google et Facebook. Utiq a noué un partenariat européen exclusif avec la société danoise Adform, spécialiste de la publicité programmatique. Il s’agit d’une plateforme d’intermédiation publicitaire dite DSP (Demand Side Platform) pour l’achat d’espaces publicitaires par les annonceurs et agences de publicité (2). « Les annonceurs peuvent désormais s’engager sereinement dans une stratégie cookieless [sans cookies tiers, ndlr], tout en ayant la certitude de bénéficier des normes européennes les plus rigoureuses en matière de gestion du consentement et de traitement des données personnelles », explique Alexandra Jarry-Bourne, vice-présidente chez Adform.

Reste convaincre les médias en ligne
Pour l’heure, l’accueil d’Utiq de la part d’éditeurs et de médias semble plutôt timoré, comme l’a révélé mi-juin Le JDNet. Certains sont « sceptiques » sur le double opt-in (consentement Utiq avec logo de l’opérateur télécoms, puis consentement de l’éditeur si ce n’est pas déjà fait). « Cela va augmenter mon taux de rebond [visiteurs quittant aussitôt le site web, ndlr] », craint un acteur sous couvert d’anonymat. Un autre se demande pourquoi une exclusivité avec une seule plateforme d’achat d’espace (Adform). Audelà de l’« opacité » (3), une inconnue demeure : quelle commission vont prendre les opérateurs télécoms ? Sophie Poncin a tenté de rassurer (4), sans donner de tarifs, ni à Edition Multimédi@. @

Charles de Laubier

Google News : articles de presse et de pub ensemble

En fait. Le 10 avril dernier, Edition Multimédi@ consacrait dans son n°297 (p. 3) un article sur les « communiqués de presse » (entreprises ou gouvernement) diffusés sur Google Actualités parmi les articles des médias. Cette fois, nous nous penchons sur des articles promotionnels présentés par ces mêmes médias.

En clair. Ils sont de plus en plus nombreux sur Google Actualités : ce sont les articles promotionnels ou sponsorisés (articles publicitaires) publiés sous la marque de certains médias, et non des moindres (Le Figaro, Le Parisien, 20 Minutes, Ouest-France, Europe 1, Le Point, 01net, etc.), sans que rien ou presque ne les distingue des articles publiés par les rédactions de journalistes de ces mêmes médias. Comme les autres actualités journalistiques, ces publirédactionnels présentés comme les autres actualités font eux aussi l’objet de « couverture complète de cet événement » – révélant de ce fait une véritable campagne publicitaire qui ne dit pas son nom. Celle-ci peut porter sur la promotion publicitaire d’un robot-tondeuse (1), d’un smartphone (2), d’un vélo électrique (3), d’un forfait mobile (4), ou encore d’une paire de baskets (5).
Ainsi, plusieurs marques de médias publient sous des formes plus ou moins différentes ces mêmes articles promotionnels – sans que ce caractère publicitaire ne soit précisé. Rien ne dit non plus que le média en question touche une rémunération lorsque le lecteur clique sur un lien sponsorisé inséré dans l’article. C’est après avoir lu la première partie de l’article en question que peut apparaître la mention suivante : « La rédaction du Parisien n’a pas participé à la réalisation de cet article ». Pourtant, dans cet exemple, tout laisse à croire – le logo du Parisien et la mise en forme rédactionnelle identique à celle du journal en ligne – que cet article a été écrit par et pour le quotidien du groupe Le Parisien-Les Echos (LVMH).
Ces mêmes médias classent ces articles sous des « rubriques » qui leur sont propres et ressemblent aux autres rubriques de leur publication : « Le Figaro Services », « Ouest-France Shopping », « Europe 1 l’équipe Shopping », « 20 Minutes Article d’opinion/Guide d’achat/Bon plan » ou encore « Le Point Services ». Cela peut aussi concerner une « Vente flash ». Ouest-France, par exemple, indique que sa rubrique « Shopping » est « animée par nos experts sport » mais en ajoutant plus bas que « la rédaction n’a pas participé à sa réalisation ». C’est parfois à s’y méprendre puisque ni le caractère sponsorisé ou promotionnel n’est clairement indiqué. Pourtant, les règles de « Google Actualités » semblent claires : « Tout sponsoring (…) doit être clairement indiqué aux lecteurs » (6). Contacté, Google France va répondre à nos interrogations. @

Filiale médias du groupe Verizon, Oath passe à l’offensive éditoriale et publicitaire en Europe

Oath, la filiale médias de l’opérateur télécoms américain Verizon, passe à l’offensive en Europe. Dans un entretien à Edition Multimédi@, son vice-président pour l’Europe, Stuart Flint, explique sa stratégie éditoriale et publicitaire multi-marque (Yahoo, AOL, HuffPost, …) avec sa technologie omnicanal, ainsi que son partenariat avec Microsoft.

Yahoo! est mort, vive Yahoo ! Depuis son rachat il y
a deux ans – le 25 juillet 2016 – par Verizon pour 5 milliards de dollars, l’ancienne icône du Web n’est plus une entreprise en tant que telle mais une marque
« média » intégrée parmi d’autres au sein de la filiale Oath créée par l’opérateur télécom américain en juin 2017. Et dire qu’il y a tout juste dix ans, Microsoft était prêt à débourser 44,6 milliards de dollars pour acquérir Yahoo…
L’ancien moteur de recherche devenu portail Internet cohabite maintenant avec les autres marques d’Oath (1) telles qu’AOL, TechCrunch, Tumblr, HuffPost, Engadget ou encore Makers (2). Microsoft n’est toujours pas loin, via un partenariat stratégique où Oath monétise les plateformes en ligne
de la firme de Redmond – MSN, Outlook, Xbox, … L’ensemble de ces plateformes totalise 1 milliard de visiteurs dans le monde. « La mission d’Oath est de construire des marques que les gens aiment mondialement, que cela soit nos propres marques ou celles de nos clients. Nous produisons des contenus éditoriaux de qualité et originaux ; nous construisons des expériences de contenus reconnues pour les annonceurs grâce à l’équipe
de création de Ryot Studio ; et nous distribuons les contenus sur nos plateformes et sur celles de partenaires premium avec nos technologies », explique Stuart Flint (photo), vice-président d’Oath pour l’Europe dans un entretien à Edition Multiméd@.

Ryot Studio, nerf de la guerre publicitaire d’Oath
Plus connue aux Etats-Unis, la filiale médias de Verizon l’est moins en Europe où elle a décidé de passer à l’offensive après avoir fait ses premiers pas il y a un an (3). Présente dans quatorze pays dans le monde, dont la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Grande-Bretagne, l’entité Ryot Studio est, elle, le nerf de la guerre du développement à l’international d’Oath dans les contenus pour le compte d’annonceurs et de médias. Cette nouvelle génération d’agence de création éditoriale et publicitaire a été créée il y a près d’un an, avec le regroupement des entités Yahoo Storytellers et Partner Studio by AOL. Ryot Studio est une division de Ryot, société créée en 2012 et basée à Los Angeles que le Huffington Post (AOL) avait rachetée en avril 2016 avant d’être intégrée dans Oath.

Publicité éditoriale disruptive et ciblée
On y trouve également la division Ryot Films pour de la production audiovisuelle (classique ou immersible) et Ryot Lab pour l’innovation technologique. « Avec la croissance continue du mobile, le contenu marketing sera la clé du succès dans la construction des marques du futur. Ryot Studio est à l’avant-garde de cette disruption, afin d’aider les agences et les marques à élaborer des relations approfondies entre les consommateurs et les contenus marketing remarquables », déclarait John DeVine, « Chief Revenue Officer » d’Oath, lors du lancement du studio de création en novembre 2017. Que cela soit sur ses propres médias ou ceux de partenaires, la publicité en ligne ainsi produite en interne s’apparente plus à du contenu éditorial en mode brand content ou native advertising qu’à des annonces publicitaires traditionnelles. « Oath ambitionne de façonner l’avenir des médias », affirme la filiale de Verizon. Pour aider les marques
à atteindre les bons médias et cibler les bonnes audiences, Ryot Studio s’appuie en outre sur la data des consom-mateurs, les économies d’échelle dans la diffusion de contenus, et l’édition premium.
Fort de cette stratégie de monétisation, Oath passe à l’action sur le Vieux Continent et, plus largement, sur la région EMEA (4). « Nous investissons dans nos propres marques en Europe et nous avons des partenariats mondiaux comme avec Microsoft [depuis 2009, ndlr] et plus récemment avec Samsung. Nous intégrons notre savoir-faire technologique pour fournir une plateforme unifiée et omnicanal aux annonceurs et aux éditeurs afin qu’ils atteignent les consommateurs par la qualité, des expériences et des formats de marques premium », nous indique Stuart Flint qui, lui, est basé à Londres où il fut l’ancien directeur général d’AOL, après avoir été directeur des ventes chez Microsoft. En 2013 et 2014, il fut aussi directeur des ventes de Yahoo au Royaume-Uni. Depuis plus d’un an,
il a la casquette « Oath ». Les principaux domaines éditoriaux dans lesquels la filiale de Verizon investit sont l’actualité, la finance, le divertissement, les styles de vie et les communications. « Vous verrez ainsi nos marques mises en avant en Europe, offrant les meilleures expériences sur les mobiles et
les ordinateurs de bureau pour les consommateurs et les annonceurs. En France, nos propres marques incluent Yahoo News, Sport et Finance, ainsi que Yahoo Mail et AOL. Nous monétisons aussi les plateformes en ligne de Microsoft comme MSN, Outlook et Xbox. Et HuffPost est une joint venture avec Le Monde », poursuit-il. L’historique messagerie instantanée Yahoo Messenger lancée il y a vingt ans s’est, elle, définitivement arrêtée le 17 juillet dernier (5) – en attendant le group chat Yahoo Squirrel actuellement en bêta-test. Quant à la plateforme de partage de photos Flickr, que Yahoo avait rachetée en 2005, elle a été finalement cédée en avril à SmugMug. Aux Etats-Unis, la plateforme vidéo Yahoo! View est partenaire de Hulu depuis 2016. L’offre technologique d’Oath s’étend en outre au marché B2B avec un service DSP (Demand Side Platform) destiné aux annonceurs et agences média pour réaliser et optimiser leurs achats d’espaces publicitaires, et un service SSP (Sell Side Platform) permettant aux éditeurs d’automatiser et d’optimiser la vente de leurs espaces publicitaires. Est aussi proposée la plateforme de marché Yahoo Gemini, qui associe en un guichet unique : publicités basées sur les recherches (search) et publicités natives (display). L’expertise technique d’Oath est aussi issue des sociétés One by AOL (ex-Millennial Media racheté par AOL en 2015) et BrightRoll (acquise par Yahoo en 2014).
Décidé à s’imposer en Europe, Stuart Flint nous indique que seront bientôt lancées d’autres offres pour les consommateurs et les annonceurs. Pour l’heure, sur les cinq pays européens où le groupe est présent avec Ryot Studio, Oath revendique une audience cumulée – plateformes de Microsoft comprises – de 175 millions de personnes, dont 36,7 millions en France (6). Afin de promouvoir sur l’Hexagone ses solutions publicitaires et ses plateformes technologiques, Oath a nommé début juin Fabien Omont directeur en charge des agences médias. Il fut auparavant chez AOL dans
le marketing, la data et le programmatique, après avoir été chez Microsoft Advertising France et antérieurement Skyrégie. Fabien Omont est placé sous la responsabilité de Erik-Marie Bion, un ancien DG d’AOL France, lui aussi passé chez Microsoft Advertising. Ce dernier nous indique avoir des partenariats avec les agences OMD (Omnicom), Publicis et Ecrans & Media, et les éditeurs Media Square, Webedia, Entreparticuliers, Jeune Afrique ou encore Media365 (Sporever).

Oath s’inquiète de la directive « Copyright »
Stuart Flint a en outre confié à Edition Multimédi@ qu’il s’inquiétait du projet de directive européenne sur le droit d’auteur, dont les débats se poursuivent en septembre, prévoyant un « droit voisin » (7) à payer par Yahoo News ou Google News aux éditeurs de presse. « La proposition de réforme du copyright actuelle risque de saper le pluralisme des médias
et mettre à long terme en échec les plus grands éditeurs de presse qui cherchent à détourner l’innovation en leur faveur », met-il en garde. @

Charles de Laubier