Discours de la présidente von der Leyen sur l’état de l’UE : l’IA a éclipsé le métavers européen

Lors de son discours sur l’état de l’Union européenne, prononcé le 13 septembre, Ursula von der Leyen – présidente de la Commission européenne – s’est focalisée sur l’intelligence artificielle. Mais pas un mot sur la stratégie du métavers européen, dont les défis sont pourtant nombreux.

Ursula von der Leyen (photo) a fait l’impasse sur les mondes virtuels. La présidente de la Commission européenne, dont le mandat commencé en décembre 2019 se terminera en novembre 2024, n’a pas eu un mot sur le métavers européen dans son discours du 13 septembre (1) à Strasbourg sur l’état de l’Union européenne (UE). Ni dans sa lettre d’intention datée du même jour et envoyée de Bruxelles à la présidente du Parlement européen (2) et au président du Conseil de l’UE (3), pour leur faire part de ses « principales priorités pour 2024 » (4).

Mondes virtuels : principes directeurs fin 2023
Pourtant, les défis des mondes virtuels sont tout aussi importants que ceux des intelligences artificielles. Est-ce à dire que « la nouvelle stratégie sur le Web 4.0 et les mondes virtuels » – présentée à Strasbourg le 11 juillet dernier n’est plus prioritaire d’ici les élections du Parlement européen de juin 2024 ? Ursula von der Leyen semble avoir tourné la page du « métavers européen », renvoyant la mise en œuvre à la Commission européenne 2024-2029.
« Les mondes virtuels changeront la façon de vivre en société et leur avènement s’accompagnera de possibilités et de risques qui doivent être pris en compte », avaient pourtant prévenu cet été pas moins de trois commissaires européens – Margrethe Vestager, Dubravka Suica et Thierry Breton – en dévoilant cette nouvelle stratégie et son calendrier. Ainsi, d’ici fin 2023, la Commission européenne va promouvoir des « principes directeurs pour les mondes virtuels », identifiés par un panel de 150 citoyens européens sélectionnés de façon aléatoire (5) et réunis entre les mois de février et d’avril derniers. Il en était ressorti 23 recommandations (6) qui ont inspiré la stratégie « Mondes virtuels », parmi lesquelles : « formation harmonisée pour le travail dans les mondes virtuels » ; « soutien financier au développement des mondes virtuels » ; « forums participatifs pour des avancées, des réglementations et des normes communes » ; « police pour agir et protéger dans les mondes virtuels » ; « accessibilité pour tous – personne n’est laissé de côté » ; « labels/certificats européens pour les applications des mondes virtuels », etc.

Le Digital Services Act (DSA) présente un vrai risque pour la liberté d’expression des Européens

Les 19 très grandes plateformes Internet en Europe avaient quatre mois, après avoir été désignées comme telles le 25 avril 2023 par la Commission européenne, pour se mettre en règle avec la législation sur les services numériques (DSA). La liberté d’expression sera-t-elle la victime collatérale ?

La liberté d’expression risque gros en Europe depuis le 25 août 2023, date à laquelle les 19 très grandes plateformes numériques – Alibaba, AliExpress, Amazon Store, Apple AppStore, Booking.com, Facebook, Google Play, Google Maps, Google Shopping, Instagram, LinkedIn, Pinterest, Snapchat, TikTok, Twitter, Wikipedia, YouTube, Zalando, Bing, et Google Search – doivent appliquer à la lettre le Digital Services Act (DSA), sous peine d’être sanctionnées financièrement jusqu’à 6 % de leur chiffre d’affaires mondial.

« Définition large » des « contenus illicites »
Cette épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête de ces 19 géants du Net, dépassant chacun plus de 45 millions d’utilisateurs actifs par mois (soit l’équivalent de 10 % de la population de l’Union européenne), pourrait les pousser à faire de l’excès de zèle. Et ce, pour ne pas prendre le risque d’être hors des clous du DSA et de se voir infliger une sanction pécuniaire. Entre leur désignation le 25 avril 2023 comme « Very large Online Platforms » (VLOP) par la Commission « von der Leyen » (photo) et leur mise en conformité avec la législation sur les services numériques, les dix-sept très grandes plateformes et les deux grands moteurs de recherche avaient un délai de quatre mois pour se préparer.
Depuis le 25 août 2023, soit moins d’un an après la publication du règlement au Journal officiel de l’Union européenne (1), le « Big 19 » est censé agir comme un seul homme pour réguler en Europe une grande partie de l’Internet relevant de leurs activités (2). Le DSA les oblige désormais à lutter contre « la diffusion de contenus illicites en ligne et contre les risques pour la société que la diffusion d’informations trompeuses ou d’autres contenus peuvent produire ». Vaste et flou à la fois.

Commission européenne : Margrethe Vestager part

En fait. Le 20 juillet, cela a fait un mois que Margrethe Vestager, la commissaire européenne chargée de la concurrence depuis 2014 ainsi que du numérique depuis 2019, a annoncé sa candidature à la présidence de la Banque européenne d’investissement (BEI), laquelle dévoilera les candidats en août. En clair. Pour la Commission « von der Leyen », c’est le début de la fin. Son mandat a débuté en décembre 2019, succédant à la Commission « Juncker » (1), et se terminera en novembre 2024. Margrethe Vestager, troisième vice-présidente de la Commission européenne « pour une Europe préparée à l’ère numérique » et en charge de la concurrence depuis novembre 2014, a lancé le compte à rebours. Cela fait un mois qu’un mercato se prépare à Bruxelles, depuis que la Danoise (55 ans) a annoncé le 20 juin qu’elle se portait candidate à la présidence de la BEI. « Je suis heureuse que le gouvernement danois ait proposé mon nom comme candidate possible au poste de président de la Banque européenne d’investissement », a-t-elle déclaré. Le conseil d’administration de la BEI fera connaître en août la liste des candidats à sa présidence, et Margrethe Vestager devra officiellement quitter ses fonctions et se mettre en congé sans solde, d’après Euractiv. La dame « antitrust » de Bruxelles aura marqué pendant près de dix ans l’exécutif européen en tenant tête aux GAFAM, en infligeant notamment des amendes records. Google a ainsi écopé de trois sanctions financières de la part de la Commission européenne, entre 2017 et 2019 pour un total de plus de 8 milliards d’euros (2). Dernier grief en date envers de la filiale d’Alphabet : le 14 juin dernier, la Commission européenne l’accuse d’abuser, depuis au moins 2014, de ses positions dominantes dans la publicité en ligne (3). Margrethe Vestager a même brandi la menace du démantèlement (4). Apple est aussi dans le collimateur. Amazon et Facebook, eux, ont été épinglés pour violation du RGPD. Margrethe Vestager va passer le flambeau de la puissante direction générale de la concurrence (DG COMP) que dirige Olivier Guersent. D’après des spéculations, le Français Thierry Breton ne serait pas candidat à la succession de Margrethe Vestager mais se verrait bien à la concurrence lors du prochain mandat 2024-2029 de la Commission européenne. Ce jeu de chaises musicales s’annonce au moment où Bruxelles est au coeur d’une polémique autour de la nomination de l’Américaine Fiona Scott Morton comme économiste en chef de la DG COMP justement. Ce devait être à partir du 1er septembre (5). Margrethe Vestager a été auditionnée au Parlement européen le 18 juillet, annonçant « avec regret » le désistement de la professeure d’économie qui officie à la Yale SOM. @

Pourquoi Orange, Deutsche Telekom, Telefónica et Vodafone lancent leur adtech Utiq en Europe

Lancée le 10 février après avoir obtenu le même jour le feu vert de la Commission européenne qui n’y voit « aucun problème de concurrence », la co-entreprise Utiq d’Orange, Deutsche Telekom, Telefónica et Vodafone cherche à obtenir le consentement publicitaire des mobinautes. Les cookies sont morts, vive l’identifiant mobile ? Les géants du Net avaient imposé le dépôt de cookies publicitaires sur les terminaux pour traquer les internautes sur le Web et les mobiles. Des opérateurs télécoms pensent avoir trouvé l’alternative aux cookies, voués à disparaître, avec un identifiant numérique associé à l’adresse IP de chaque mobinaute (mais pas à sa carte SIM). Le consentement préalable et obligatoire des utilisateurs, avant de leur envoyer des publicités ciblées, sera recueilli par les opérateurs télécoms. Identifiant mobile publicitaire Basée en Belgique, à Bruxelles, la coentreprise Utiq – détenue à parts égales (25 % du capital) par ses cofondateurs Deutsche Telekom, Orange, Telefónica et Vodafone (initiateur du projet) – veut être un tiers de confiance dans la publicité numérique en Europe. La plateforme Utiq, ouverte « à tous les autres opérateurs télécoms européens », se veut aussi exemplaire dans la protection des données, au regard de la législation applicable par les Vingt-sept à travers le règlement général RGPD et la directive ePrivacy. L’adtech des « telcos » permet d’obtenir ou pas de chaque abonné son consentement explicite (opt-in), condition sine qua non pour les marques de faire de la publicité ciblée sur les sites web et dans les applications mobiles (in-app). Utiq sonne d’ailleurs « you » (vous) et « tick » (cocher). « La seule donnée partagée est un jeton numérique [token, ndlr] pseudo-anonymisé et non réversible. Les consommateurs sont libres de donner ou de refuser leur consentement en un seul clic, ainsi que de révoquer tout autre consentement préalablement donné », assure la coentreprise dirigée par Marc Bresseel (photo de gauche), un ancien IBMeur ayant passé ensuite quinze ans chez Microsoft Advertising, suivis de moins de deux ans chez Interpublic (IPG Mediabrands), quatrième groupe mondial de publicité. Après des tests menés sous son ex-nom « Trust PID » durant des mois en Allemagne (avec Axel Springer, RTL et IQ Digital) et en Espagne, Utiq a créé fin mai sa troisième filiale, cette fois en France, basée à Boulogne-Billancourt et dirigée par Sophie Poncin (photo de droite). Contactée par Edition Multimédi@, celle-ci nous indique avoir démissionné de chez Orange, où elle a passé quinze ans, notamment en tant que directrice déléguée d’Orange Advertising, après avoir été moins de deux ans chez Google, et après huit ans chez France Télévisions Publicité (1). Des tests en France avec des marques et des médias auront lieu en juillet et en septembre, avec Orange, Bouygues Telecom et SFR, en attendant Free. L’Italie et, en dehors de l’Union européenne, le RoyaumeUni ont aussi leur filiale Utiq. D’autres pays européens suivront à partir de 2024. « Utiq est une initiative paneuropéenne visant à accompagner notre secteur vers plus de responsabilité, par le biais d’un consentement qui soit volontaire, clair et informé », a déclaré Marc Bresseel le 6 juin. Interrogé sur une éventuelle introduction en Bourse, il nous répond : « Il n’y a aucun plan en ce moment de faire une IPO [Initial Public Offering]. Il faut vraiment lancer le service, l’étendre au reste de l’Europe. Après, les actionnaires décideront de la stratégie d’investissement ». Cette « solution mutualisée multi-opérateurs de publicité digitale et de marketing digital » permet aux « telcos » de tenter de reprendre la main sur le marché de la publicité numérique dominé par Google et Facebook. Utiq a noué un partenariat européen exclusif avec la société danoise Adform, spécialiste de la publicité programmatique. Il s’agit d’une plateforme d’intermédiation publicitaire dite DSP (Demand Side Platform) pour l’achat d’espaces publicitaires par les annonceurs et agences de publicité (2). « Les annonceurs peuvent désormais s’engager sereinement dans une stratégie cookieless [sans cookies tiers, ndlr], tout en ayant la certitude de bénéficier des normes européennes les plus rigoureuses en matière de gestion du consentement et de traitement des données personnelles », explique Alexandra Jarry-Bourne, vice-présidente chez Adform. Reste convaincre les médias en ligne Pour l’heure, l’accueil d’Utiq de la part d’éditeurs et de médias semble plutôt timoré, comme l’a révélé mi-juin Le JDNet. Certains sont « sceptiques » sur le double opt-in (consentement Utiq avec logo de l’opérateur télécoms, puis consentement de l’éditeur si ce n’est pas déjà fait). « Cela va augmenter mon taux de rebond [visiteurs quittant aussitôt le site web, ndlr] », craint un acteur sous couvert d’anonymat. Un autre se demande pourquoi une exclusivité avec une seule plateforme d’achat d’espace (Adform). Audelà de l’« opacité » (3), une inconnue demeure : quelle commission vont prendre les opérateurs télécoms ? Sophie Poncin a tenté de rassurer (4), sans donner de tarifs, ni à Edition Multimédi@. @

Charles de Laubier

Majorité numérique à 15 ans harmonisée en Europe ?

En fait. Le 28 juin, la proposition de loi « visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne » a été définitivement adoptée en commission mixte paritaire par députés et sénateurs. L’âge de 15 ans pour les réseaux sociaux va-t-il être harmonisé au niveau des Vingt-sept ? En clair. Maintenant que la loi française « Majorité numérique » a été adoptée le 28 juin, obligeant les réseaux sociaux et plateformes numériques à vérifier non seulement que leurs jeunes utilisateurs ont bien l’âge de 15 ans pour les utiliser, mais aussi à obtenir une autorisation parentale en dessous de cet âge-là, la Commission européenne devra donner son avis. Le gouvernement français lui a en effet notifié la proposition de loi telle qu’adoptée, afin d’avoir le feu de Bruxelles qui doit vérifier que cette législation est bien conforme au droit de l’Union européenne. Une fois le blanc-seing de la Commission européenne obtenu, le gouvernement fixera par décret une date d’entrée en vigueur de la loi, « [date] qui ne peut être postérieure de plus de trois mois à la date de réception par le gouvernement de la réponse de la Commission européenne ». L’harmonisation de la majorité numérique en Europe ne semble pas prévue, le règlement général sur la protection des données (RGPD) laissant le loisir aux Etats membres de fixer cette majorité numérique entre 13 et 16 ans (1). Cette vérification de l’âge viendra donc s’ajouter à l’obtention du consentement de l’enfant « e-majeur » ou d’un parent pour le traitement des données à caractère personnel – cette obligation concernant la protection de la vie privée étant déjà en vigueur. Pour l’accès aux réseaux sociaux, ce n’est qu’à compter de la date de promulgation de la loi « Majorité numérique » que les plateformes numériques (YouTube, Instragram, WhatsApp, TikTok, Facebook, Google Actualités, …), ainsi que les sites pornographiques premiers visés (2), disposeront de deux ans pour vérifier l’âge de leurs utilisateurs. C’est le président de l’Arcom qui est chargé de veiller à ce que les plateformes numériques mettent en œuvre une « solution technique certifiée pour vérifier l’âge des utilisateurs finaux et l’autorisation de l’un des titulaires de l’autorité parentale de l’inscription des mineurs de moins de quinze ans ». Au préalable, l’Arcom devra établir un « référentiel » validé par la Cnil (3), auquel les « solutions techniques » devront être conformes. Or la Cnil, qui a préconise depuis juin 2021 le mécanisme de « double anonymat » (4) préféré à la carte d’identité, n’a toujours pas rendu public le bilan du test mené par un laboratoire de l’Ecole polytechnique et le Pôle d’expertise de la régulation numérique (PEReN) de Bercy. @