Amazon se veut plus un allié des commerçants qu’un éléphant dans un magasin de porcelaine

S’en prendre à Amazon, géant du e-commerce et première place de marché pour des commerçants, c’est se tirer une balle dans le pied. « Ennemi public n°1 » pour Marianne. « Oui ils se gavent » juge Roselyne Bachelot. Le « brigand du numérique » (sic) est en fait un bon pis-aller en tant de crise.

La firme mondiale de Jeff Bezos fait l’objet de « beaucoup de fantasmes », pour reprendre l’expression qu’a formulée le directeur général d’Amazon France, Frédéric Duval, le 5 novembre (1). Le ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance, Bruno Le Maire, s’en est pris aussi le 17 novembre à ceux qui veulent « interdire » le géant américain du e-commerce, devenu le bouc-émissaire en France, voire « l’ennemi public n°1 » selon la pleine Une de Marianne (2).

Pétition contre Amazon, qui l’hébergeait !
Le même jour, une pétition « Noël sans Amazon » venait d’être lancée sur le site web Wesign.it, lequel était alors encore hébergé chez… Amazon Web Services. Ecornée par des twittos (3) et critiquée par le secrétaire d’Etat au Numérique, Cédric O (4), l’association « We Sign It pour la participation citoyenne » a aussitôt corrigé sa boulette en indiquant… un autre hébergeur (5). « Alors non, on a oublié de mettre à jour cette page ! Mais nous sommes bien hébergés chez les français d’Octopuce », s’est-elle défendue in extremis. Cette anecdote illustre à elle seule l’hypocrisie qui règne dans l’Hexagone autour d’Amazon, perçu comme le grand méchant loup et suspecté de vouloir dominer le monde. La théorie du complot n’est pas loin. « Cher Père Noël, cette année, nous prenons l’engagement d’un #NoëlSansAmazon », promet le collectif de la pétition qui a recueilli 33. 764 signatures sur son objectif de 200.000 – avant d’être fermée pour cause de piratages (6).
Parmi les signataires, l’on retrouve Anne Hidalgo, maire de Paris, François Ruffin, député de la Somme, Delphine Batho, députée des Deux-Sèvres, Carole Delga, présidente de la région Occitanie-Pyrénées-Méditerranée, Leïla Chaibi, députée européenne ou encore José Bové, ancien eurodéputé. Des organisations professionnelles sont aussi signataires de « Noël sans Amazon », telles que la Confédération des commerçants de France (CDF), le Syndicat de la librairie française (SLF) et, entre autres, l’Association nationale de défense des consommateurs et usagers (CLCV). Tous accusent la firme de Jeff Bezos d’être « prédatrice », pêle-mêle : des emplois (7), du commerce, des terres, des aides publiques, … Fustigeant au passage « cette entreprise (…) qui s’exonère de ses impôts en France ». Tous veulent en outre « au pied de [leur] sapin (…) des lois ». Dans l’anaphore de cette pétition, « des lois » sera répété huit fois ! « Des lois. Des lois qui interdisent la construction de nouveaux entrepôts géants. Des lois qui mettent fin à la concurrence déloyale et à l’injustice fiscale entre les mastodontes du numérique et les commerces physiques et de proximité. Des lois qui mettent à égalité les géants des plateformes et les librairies et commerces du coin ». Mais aussi : « Des lois qui punissent les brigands du numérique qui abusent de nos données personnelles, et qui leur imposent l’interopérabilité pour ne pas enfermer l’utilisateur dans leur monopole. Des lois qui protègent mieux ses employés. Des lois qui permettent enfin de taxer les profits immenses d’Amazon [pour] abonder un fonds exceptionnel pour le maintien des commerces de proximité. Des lois utiles à notre économie plutôt qu’à accroître encore davantage la fortune déjà délirante de Jeff Bezos ».
Le Wesign.it a subi trois cyberattaques du 17 au 21 novembre. Roselyne Bachelot, ministre de la Culture depuis le 6 juillet dernier, aurait pu signer elle aussi cette pétition, tant sa saillie du 2 novembre sur LCI résumait à elle seule le ressenti des anti-Amazon : « Oui ils se gavent. A nous de ne pas les gaver ! ». La présidente du conseil régional d’Ile-de-France, Valérie Pécresse, a de son côté lancé le 16 novembre sur BFM TV un appel : « Si nous ne rouvrons pas dès le 27 novembre [jour du Black Friday, finalement reporté en France au 4 décembre, ndlr (8)] il y aura une concurrence qui se fera des commerces en ligne, une injustice de plus pour les petits commerces ». L’ancienne ministre de Nicolas Sarkozy a lancé la plateforme Mescommerces.iledefrance.fr sous le slogan « Sauvons Noël ! ». Objectif aider le commerce physique à « prendre des rendez-vous et faire du click-andcollect ». Décidément, pour tous ces pétitionnaires et politiques, Amazon n’est plus en odeur de sainteté – si tant qu’il l’ait été un jour en France – ni pris pour le père Noël.

Amazon, un franc succès économique
Pourtant, Amazon, c’est en France : 132.300 emplois, dont 9.300 employés directement, 110.000 induits (chaîne logistique, construction, …), et 13.000 emplois créés chez les marchands tiers qui vendent en ligne sur la marketplace d’Amazon que la Fevad (9) recommande avec son « #Ecommerce4Good » (10), entre autres places de marché (Cdiscount, eBay, Carrefour, Rakuten, etc). « En 2019, nous avons réalisé 5,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France, et notre contribution fiscale totale s’est élevée à 420 millions d’euros », a indiqué à l’AFP début novembre le patron d’Amazon France. @

Charles de Laubier

Les YVOT (russes) montent en puissance face aux GAFA (américains) et aux BATX (chinois)

L’Europe a aimé être colonisée par les Google, Amazon, Facebook et Apple (GAFA), et potentiellement par les Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi (BATX) : elle adorera l’être par les Yandex, VKontakte, Ozon et Telegram (YVOT), mais aussi Avito et Wildberries. L’Internet russe part à la conquête du monde, concurrencer américains et chinois.

Yandex, « le Google russe »
https://yandex.ru et https://yandex.com
Création : en 1997 par Arkadi Voloj.
Dirigeant : Arkady Volozh (CEO).
Maison mère : Yandex N.V., basée à Moscou.
Bourse : société cotée à Moscou et à New York (valorisée 21,6 milliards de dollars au 15 10-20).
Fréquentation : environ 100 millions d’utilisateurs.
Chiffre d’affaire : 3 milliards de dollars (2019).
International : Yandex, enregistré juridiquement aux Pays-Bas depuis 2011, compte 37 bureaux dans le monde. Développements dans plusieurs pays de Yandex.taxi et de Yandex.panoramas.

VKontakte, « le Facebook russe »
https://vk.com
Création : en 2006 par Pavel Durov.
Dirigeant : Andrey Rogozov (CEO).
Maison mère : Mail.Ru Group, basé à Moscou.
Bourse : société cotée à Londres (valorisée 6,4 milliards de dollars au 15-10-20).
Fréquentation : près de 600 millions d’utilisateurs.
Chiffre d’affaire : résultas non-communiqués depuis le rachat par Mail.ru en 2014.
International : le réseau social russe est présent dans les pays de l’ex-URSS, sauf en Ukraine où il est banni depuis 2017, et vise l’Asie (Malaisie, Chine, Thaïlande, Singapour, …). La banque publique russe Sber (ex-Sberbank), un actionnaire de Mail.ru, a notamment lancé en septembre 2020 SberPay.

Ozon, « l’Amazon russe »
https://www.ozon.ru
Création : en 1998 par Alexander Egorov (Reksoft).
Dirigeant : Alexander Shulgin (CEO), la Française Maëlle Gavet ayant été CEO durant quatre ans (2011-2015).
Maison mère : Ozon Group, basé à Moscou.
Bourse : introduction à New York prévue fin 2020 ou début 2021. (société valorisée entre 3 et 5 milliards de dollars, selon le WSJ). Fréquentation : près de 100 millions d’utilisateurs.
Chiffre d’affaire : non-communiqué.
International : ayant commencé comme Amazon dans la vente en ligne de livre, Ozon vise la Bourse pour lever des fonds et engager son expansion au-delà de la Russie.

Telegram, « le WhatsApp russe »
https://telegram.org
Création : en 2013 en Russie par Nikolai and Pavel Durov.
Dirigeant : Pavel Durov (CEO).
Maison mère : Telegram LLP, basée à Londres et LLC, aux Iles Vierges.
Bourse : levée de fonds en cryptomonnaie (ICO) lancée en octobre 2019, mais le projet TON est stoppé par la SEC.
Fréquentation : 400 millions d’utilisateurs.
Chiffre d’affaire : non-communiqué.
International : l’équipe de développement de Telegram a déménagé fin 2017, de Saint-Pétersbourg en Russie à Dubaï aux Emirats arabes unis (après un séjour à Berlin). La messagerie hautement cryptée est utilisée notamment dans les pays qui pratique la censure.

Avito, « le Bon Coin russe » ou l’« eBay russe »
https://www.avito.ru
Création : en 2007 par Jonas Nordlander et Filip Engelbert.
Dirigeant : Vladimir Pravdivy (CEO).
Maison mère : Avito Holding, basée Moscou et contrôlé depuis 2015 par le groupe sud-africain Naspers.
Bourse : société non cotée (Napster l’est).
Fréquentation : plus de 10 millions d’utilisateurs.
Chiffre d’affaire : non-communiqué.
International : aidé par le sud-africain Naspers, Avito a lancé le site de petites annonces Kain’chi (kainchi.net) au Maroc.

Wildberries, « l’Amazon russe de l’habillement »
https://www.wildberries.ru
Création : en 2004 par Tatiana Bakaltchouk et Vladislav Bakaltchouk.
Dirigeante : Tatiana Bakaltchouk (CEO).
Maison mère : Wildberries.ru, basée à Moscou.
Fréquentation : 2 millions d’utilisateurs.
Chiffre d’affaire : non-communiqué.
International : au-delà des pays de l’ex-URSS, Wildberries a annoncé en janvier 2020 son lancement en Pologne, premier pays européen avant d’en conquérir d’autres comme la Slovaquie.

Amazon, porté par l’explosion des achats en ligne due au confinement, s’attire des critiques de toutes parts

Le géant mondial du e-commerce fondé par Jeff Bezos profite-t-il du malheur des autres ? C’est en substance ce que pensent certains, victimes ou pas de la position dominante renforcée d’Amazon dans la vente et les services en ligne. Et ce, au moment où la pandémie du covid-19 faire rage.

(Depuis cet article paru dans EM@ n°231 du 6 avril, le tribunal de Nanterre a ordonné le 14 avril à Amazon de s’en tenir aux seuls produits essentiels durant un mois, et d’évaluer les risques au covid-19. Le 24 avril, la cour d’appel de Versailles a confirmé ce jugement, mais en ramenant l’astreinte de chaque infraction de 1 million à 100.000 euros)

A qui profite le crime ? Amazon est plus que jamais pris pour cible par ses détracteurs, qui reprochent au géant du e-commerce de profiter de la pandémie du coronavirus pour booster son chiffre d’affaires (qui affichait déjà 280,5 milliards de dollars en 2019) et son bénéfice net (11,5 milliards). Et à son président fondateur Jeff Bezos (photo), déjà l’homme le plus riche du monde (1) et détenteur de 12 % de ce GAFA, de s’enrichir encore plus (fortune de 117,3 milliards de dollars au 02-04-20).

Des revenus colossaux qui dérangent
Bien que redescendue sous la barre des 1.000 milliards de dollars, la valorisation boursière d’Amazon continue de tutoyer ce seuil, à 949,7 milliards (au 02-04-20). Si entre son pic du 19 février et son plongeon du 12 mars, l’action d’Amazon a perdu 22,7 % de son prix, entraînée dans sa chute par l’effondrement des Bourses dans le monde, elle s’est redressée depuis et à contre-courant de la plupart des autres entreprises cotées. Cette insolente résilience financière est d’autant plus dérangeante qu’elle s’affiche en cette période historique de crise sanitaire mondiale sans précédent, contraignant plus de 3 milliards d’êtres humains au confinement, et annonçant de terribles conséquences économiques qui appauvriront le plus grand nombre. Alors que la vente en ligne explose dans le monde en raison de ces mesures de confinement et de mises en quarantaine de la population dans de nombreux pays, le commerce physique et les commerçants indépendants se sentent, eux, les premiers sacrifiés sur l’autel du covid-19. Déjà que le e-commerce était en temps normal montré du doigt comme destructeur de magasins de proximité et de boutiques brick and mortar dans les centres-villes et les villages (2), les plateformes de vente en ligne se retrouvent plus que jamais accusées de tous les maux. Amazon est en toute première ligne, tant il est le premier géant du Net à tirer profit du #Restezchezvous, situation qui provoque une recrudescence de commandes sur Internet et via les applications mobiles. Et ce, au détriment des enseignes ayant pignon sur rue. C’est que l’activité de e-commerce de la firme de Seattle – avec notamment ses 150 millions d’abonnés revendiqués par Jeff Bezos au 30 janvier pour son bouquet de services Prime (3) – tourne à plein régime, lorsqu’elle n’est pas en surchauffe et ses entrepôts débordés, avec des ruptures de stocks à la clé. Amazon dans le monde, c’est un effectif de quelque 800.000 personnes travaillant soit à temps plein, soit à temps partiel (intérimaires), voire comme saisonniers (4). Et Jeff Bezos a annoncé le 21 mars aux « Amazoniens » qu’il recrutait 100.000 personnes supplémentaires (5), tout en gratifiant ses salariés – aux Etats-Unis et en Europe – de 2 dollars, livres ou euros de plus par heure « afin que les autres puissent rester chez eux ». Mais de là à fermer ses entrepôts où des employés ont été diagnostiqués « Covid- 19 », il y a un pas sanitaire que Jeff Bezos se refuse à franchir, ce que reproche par exemple l’ONG Les Amis de la Terre (6). Surtout lorsqu’un salarié de Brétigny-sur-Orge se trouve en réanimation. Par précaution face au « danger grave et imminent » de la pandémie, des salariés du groupe ont soit déposé des congés, soit exercé leur droit de retrait (comme dans les entrepôts d’Amazon près de Douai dans le Nord et à Montélimar dans la Drôme). Sous la pression, Amazon France a annoncé le 3 avril la fourniture de masques à tous ses salariés. Amazon est en outre critiqué pour son peu d’empressement à lutter contre les fake news et arnaques autour du coronavirus, en particulier sur les prix élevés de masques FFP2, gels hydroalcooliques, gants ou encore lingettes désinfectantes. Pendant que des secteurs d’activité sont contraints d’être à l’arrêt, les livraisons e-commerce restent, elles, autorisées – comme l’a rappelé la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (Fevad), le 24 mars (7) en France où les ventes par Internet ont franchi l’an dernier les 100 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Et le gouvernement français a garanti dès le 15 mars « l’appro-visionnement en produits alimentaires et en produits de première nécessité »

Shoppertainment versus « première nécessité »
Difficile pour Amazon – leader mondial du « shoppertainment » (8) – de s’en tenir aux produits dits de première nécessité, à ceci près que « certains produits » domestiques et médicaux « seront désormais prioritaires dans les centres de commandes » (jusqu’au 5 avril). « Si la vente de livres en librairie n’est pas “indispensable” à la vie de la nation, pourquoi la vente de livres par Amazon ou un hypermarché l’est-elle ? », s’est plaint le Syndicat national de la librairie française (SLF), accusant d’« hérésie sanitaire » cette « concurrence déloyale » (9). A la demande de la Commission européenne et à l’instar de Netflix et Google/YouTube, Amazon a réduit de 25 % la bande passante de sa plateforme Prime Video. @

Charles de Laubier