Le 38e Mipcom, marché international des contenus audiovisuels, fait la part belle aux streamers

Du 17 au 20 octobre se tient le 38e Mipcom, le grand raout du marché mondial des contenus audiovisuels qui a lieu chaque année à Cannes, organisé par le groupe RX (ex-Reed Exhibitions) et sa filiale française (ex-Reed Midem). Les plateformes de streaming vidéo n’ont jamais été aussi présentes.

La capitale du tapis rouge reçoit sur sa Croisette les grands noms du streaming vidéo. Sont à Cannes pour le 38e Mipcom précédé du 30e MipJunior, tous les deux sous la direction de Lucy Smith (photo) : Netflix avec une quinzaine d’« acheteurs », Amazon avec une bonne cinquantaine, Disney+ avec trois buyers sur plus d’une quarantaine de dirigeants envoyés par la Walt Disney Company, mais aussi YouTube (Google) avec quatre dirigeants, Apple avec deux acheteurs, Paramount+ avec également deux sur près de vingt-cinq dirigeants du groupe Paramount Global (ex-ViacomCBS), dont deux buyers de sa plateforme Pluto TV. Notons aussi la présence de trois dirigeants du belge Streamz, une dizaine du français Orange ou encore un de son concurrent Altice Média.

Les streamers contribuent à la diversité
Ces buyers (1), qui font la pluie et le beau temps pour la saison 2022-2023 de l’industrie mondiale de la production audiovisuelle, sont venus en nombre à cette 38e édition du Mipcom. Après deux années perturbées par la pandémie de covid, RX (ex-Reed Exhibitions) – filiale expositions du groupe anglo-néerlandais-américain RELX (ex-Reed Elsevier) – table sur la présence de 3.000 acheteurs et agents, 2.000 producteurs et plus de 300 stands d’exposition pour un total de 10.000 participants de près d’une centaine de pays.
Au cours de ce Marché international des contenus audiovisuels et de la coproduction (son libellé officiel), jamais les chaînes de télévision n’ont eu à se frotter aux plateformes de streaming pour la « haute saison d’achat » automnale de nouvelles séries ou de productions existantes.
Netflix, le numéro un mondial des plateformes de SVOD (2), qui n’a pas toujours pas eu au printemps dernier les honneurs du tapis rouge du Festival de Cannes pour cause d’incompatibilité avec la chronologie des médias française, prend sa revanche cet automne. La firme de Los Gatos (Californie) a dépêché au Mipcom l’une des plus importantes délégations pour un streamer. La plateforme au « N » rouge – … comme le tapis cannois – est même un des partenaires du 6e Prix de la Diversité qui sera décerné le mercredi 19 octobre 2022 au Palais des Festivals. Et ce, aux côtés de A+E Networks (groupe NBCUniversal), de Téléfilm Canada, de Canada Media Fund (CMF) ou encore du producteur britannique All3Media. Sur les 190 dossiers de candidature reçus pour concourir à ce 6e « Diversify TV Awards » (diversité et inclusion), 10 gagnants seront récompensés. Netflix fait d’ailleurs parti des nominés, dans la catégorie « Représentation des LGBTQIA+ » (scénario) pour sa série originale « Heartstopper » coproduite avec See- Saw Films (3). Parmi les autres nominés, la plateforme vidéo YouTube est sélectionnée trois fois : dans la catégorie « Représentation de la race et de l’ethnicité » (non-écrit) avec le show « Race Around Britain », une production YouTube Originals et Expectation & Munz Made It ; dans la catégorie « Représentation de la diversité dans les programmes pour enfants » (enfants plus âgés) avec la série « Onyx Family Dinner », coproduite par YouTube Originals et Pocket.watch ; dans la catégorie « Premio MIP Cancun » (nouveau pour 2022 en partenariat avec MIP Cancún, ville mexicaine) avec « Grandes Mujeres Latinoamericanas » (Grandes femmes latino-américaines) coproduit par YouTube et Billiken. La plateforme Amazon Prime Video n’est pas en reste, elle qui se retrouve elle aussi nominée dans cette même dernière catégorie avec « Because Victoria », une coproduction avec Vis et Oficina Burman.
Le Mipcom de l’automne étant aux « pilotes » (nouveautés) ce que le MipTV au printemps est aux « formats » (déclinables dans différents pays), il reflète les prises de risque des différents diffuseurs de contenus audiovisuels venus du monde entier. Les streamers tels que Netflix ou Amazon ont une approche plutôt globale de leurs publics, alors que les chaînes de télévision ont encore tendance à raisonner localement. Résultat : les plateformes mondiales sont plus enclines à refléter la diversité et à prendre plus de risque, tandis que les chaînes nationales font des efforts en faveur de la diversité mais ne peuvent se permettre de prendre trop de risque.

Plateformes SVOD, AVOD et FAST
Le 38e Mipcom illustre par ses contenus audiovisuels « le monde d’après », potentiellement plus inclusif et plus varié. Il en ira de même pour la multiplicité des accès aux productions (4). Les chaînes ne sont plus les passages obligés pour les téléspectateurs depuis que la SVOD les a détrônées du salon. La vidéo à la demande par abonnement va encore bondir dans les cinq ans qui viennent, à 1,68 milliard d’abonnés dans le monde en 2027 – contre 475 millions d’abonnés en 2021, selon Digital TV Research. La SVOD devrait alors ainsi atteindre 132 milliards de dollars de chiffre d’affaires, dont 30 milliards pour Netflix et 15 milliards pour Disney+, malgré la montée en charge des services de vidéo AVOD (5) ou de télé FAST (6) avec publicités. @

Charles de Laubier

Netflix France tire toujours à boulets rouges sur la chronologie des médias, bientôt rediscutée

La chronologie des médias n’en finit pas d’être remise sur le métier. Bien que la clause de revoyure ait fixé à janvier 2023 le prochain rendez-vous des signataires, le retour autour de la table des négociations est prévu dès septembre prochain. Netflix entend faire encore bouger les lignes.

Damien Bernet (photo), directeur du développement (1) de Netflix France depuis avril 2020, était l’invité le 28 juin dernier de l’Association des journalistes médias (AJM), accompagné d’Anne-Gabrielle Dauba- Pantanacce, directrice de la communication. Il a notamment été amené à s’exprimer sur la nouvelle chronologie des médias en vigueur depuis le 24 janvier 2022 (2), Netflix étant la seule plateforme de la SVOD à l’avoir signée (3). En est-il satisfait ? « Oui et non, a-t-il répondu. Oui car ce fut un pas important. Nous étions à 36 mois après la salle de cinéma dans l’univers du cinéma français, ce qui était totalement anachronique. Le fait de passer à 15 mois, c’est déjà une victoire ».

Revoyure dès septembre prochain
« C’est la raison pour laquelle nous l’avons signée, pour signifier et concrétiser cette avancée, montrer que Netflix est un acteur vertueux. Nous avons montré dans la discussion que nous étions ouvert à la négociation : Netflix est le seul acteur de la SVOD à l’avoir signée. Maintenant, a prévenu Damien Bernet, l’ex-ministre de la Culture Roselyne Bachelot l’a déclaré au moment de la signature : ce n’est qu’un premier pas ; il y a une clause de revoyure en janvier 2023. En fait, la revoyure sera dès le mois de septembre 2022… Tout le monde va revenir à la table des négociations ». Il n’a pas manqué de rappeler « le mouvement de Disney » qui a décidé de sortir en fin d’année en France son film d’animation « Strange World » directement sur sa plateforme Disney+, sans passer par les salles de cinéma. Il a rappelé aussi que Disney+ est adossé à un grand studio de cinéma, comme le sont les plateformes HBO Max (attendue en France en 2023) au sein du groupe Warner Bros. Discovery et Paramount+ (dont le lancement français est programmé pour décembre prochain) au sein de Paramount Global, ex-ViacomCBS.
La pression ne cesse donc de croître sur la chronologie des médias française jugée obsolète. Damien Bernet la fustige : « Cette chronologie des médias ne peut pas tenir. Elle ne correspond pas aux usages – le public a besoin d’avoir les contenus rapidement. Et les mettre sur une étagère ou au frigo pendant 15 mois n’a aucun sens. Cela ne sert surtout pas le programme, le film. Ce que cela génère, c’est du piratage ». Sert-elle les salles de cinéma, qui bénéficient de quatre mois d’exclusivité lors de la sortie des nouveaux films ? « Non, répond-t-il, le fait de séparer de 15 mois la sortie en salle et la sortie sur Netflix n’a aucun intérêt pour la salle ». Sert-elle Canal+, qui fut longtemps le premier pourvoyeur de fonds du cinéma français ? « Canal+ a une position qui correspond à une histoire et à la manière dont cette chronologie des médias se déroule. Maintenant, déplore-il, celle-ci n’est pas cohérente film par film. Dans les autres pays, il y a une date de sortie qui est négociée pour chaque film selon le diffuseur. En France, cette rigidité a été créée par cette histoire qui se règle sur l’acteur historique (Canal+) ». Cette situation est unique au monde, alors qu’au-delà de l’Hexagone la sortie d’un film en SVOD 45 jours après la salle ne choque personne – notamment aux Etats- Unis pour les blockbusters d’Hollywood. Lorsque ce n’est pas dans certains cas des sorties simultanées salles streaming (day-and-date), comme ce fut le cas en 2021 des films « Dune » et « Matrix » de Warner Bros. Pictures, ou de « Mulan » et « Soul » sur Disney+.
« Nous sommes favorables au cas-par-cas. On serait prêt à payer plus, film par film, et à financer beaucoup plus sur un film donné si on peut disposer d’une fenêtre qui soit plus cohérence dans l’intérêt de nos abonnés, explique Damien Bernet. Dans le monde, on le voit, il y a un usage à 45 jours. Mais on ne fait pas de la sortie en salle une condition pour nous. La sortie en salle peut parfois se justifier sur certaines œuvres, comme nous l’avons fait sur “The Power of the Dog”» (4). Netflix sort environ 30 films par an dans le monde entier, et la salle ne leur est pas interdite, notamment lors de festivals ou d’avant-premières. « On a toujours dit qu’il y avait une complémentarité totale salles-streaming. Mais ce n’est pas le cœur de notre business model, temporise quant à elle Anne-Gabrielle Dauba-Pantanacce. On n’est pas dogmatique. Nous le faisons sur certains films ».

Cannes : Lescure part, Netflix arrive
Netflix sera présent au festival international du film La Mostra de Venise, du 31 août au 10 septembre 2022. « Pour le Festival de Cannes, cela ne dépend pas de nous, rappelle la directrice de la communication. Nous sommes accueillis dans tous les festivals (de cinéma) du monde entier… Il y a un changement de président au Festival de Cannes : on verra dans les prochains mois ». Iris Knobloch, ancienne présidente de Warner Bros. en France, a remplacé le 1er juillet dernier Pierre Lescure à la présidente du Festival de Cannes. Netflix a de l’avenir sur la Croisette. @

Charles de Laubier

Après Netflix, Disney est désigné comme le nouvel épouvantail du cinéma et de l’audiovisuel français

La veille de l’ouverture du 72e Festival de Cannes, le président de la République
a reçu à l’Elysée les industries culturelles pour lesquelles est créé un fonds
« Bpifrance » de 225 millions d’euros. Emmanuel Macron les a surtout exhortés
à « s’organiser collectivement » face à Netflix mais aussi Disney.

Il n’y a pas que Netflix qui fait trembler « l’exception culturelle » chère au cinéma et à l’audiovisuel français, lesquels ne s’estiment plus protégés par la ligne Maginot réglementaire nationale devenue obsolète face ces acteurs globaux. The Walt Disney Compagny est aussi perçue comme une menace pour le 7e Art et le PAF (1) de l’Hexagone. Netflix et Disney ont été les deux épouvantails américains les plus évoqués lors du déjeuner culturel de l’Elysée le 13 mai dernier.

« Face aux grands champions américains » (Macron)
La presque centenaire major d’Hollywood, dirigée avec succès par Robert Iger (photo), « Bob » pour les intimes, inquiète de plus en plus en France le cinéma et la télévision, jusqu’au plus haut sommet de l’Etat. « Si nous n’arrivons pas à nous organiser, nous Français, la bataille est perdue. Face aux défis du numérique, c’est un engagement collectif dont nous avons besoin. Je suis convaincu que si nous restons divisés, nous ferions une erreur face aux grands champions américains », a lancé Emmanuel Macron à plus d’une centaine de convives venus de toutes les industries culturelles (y compris musique, jeu vidéo, médias, livre, etc.). A la veille de l’ouverture du 72e Festival de Cannes et de son 60e Marché du Film (2), le propos présidentiel visait plus particulière Netflix mais aussi Disney (3).
Le géant hollywoodien du divertissement et des médias est lui aussi montré du doigt, tant il a repris du poil de la bête depuis quinze ans que Bob Iger en a les rênes (4). Aujourd’hui, ne faudrait-il pas accoler le « D » de Disney pour parler désormais de GAFAD comme on le fait avec le «N» de Netflix pour faire GAFAN (ou avec le « M » de Microsoft pour GAFAM) ? Une chose est sûre : la Walt Disney Company se positionne plus que jamais comme le principal rival de Netflix, dont il veut damer le pion avec Disney+, sa plateforme de vidéo à la demande par abonnement (SVOD). Elle est annoncée pour novembre 2019 et sera « moins cher que Netflix », à 6,99 dollars par mois, avec des contenus pour toute la famille. Disney+ sera d’abord disponible à la fin de l’année aux Etats-Unis, avant son lancement en Europe prévu pour 2020. C’est que les dommages collatéraux pourraient toucher en France l’écosystème du cinéma et
de la télévision, déjà impacté par l’arrivée de Netflix en septembre 2014. Pour des programmes plus adultes, Disney vient de prendre le contrôle opérationnel de Hulu – autre plateforme de streaming vidéo – après avoir racheté le 20 mars dernier la participation de Fox – la 21st Century Fox (de Rupert Murdoch), dont la plupart des actifs ont été dans le même temps acquis par Disney pour plus de 71 milliards de dollars. Disney est maintenant l’actionnaire majoritaire de Hulu avec 60 % des actions (contre 30 % auparavant), avec la possibilité de monter à 100 % à partir de 2024. L’opérateur télécoms AT&T avait cédé en avril aux deux actionnaires restants de Hulu (Disney et Comcast) les 9,5 % qu’il détenait dans le capital de cette plateforme de SVOD (5) valorisée 27,5 milliards de dollars. Aux Etats-Unis, Disney a en outre lancé
il y a un an sa plateforme de streaming de programmes sportifs ESPN+.
Intégrant les actifs issus de Fox, la Walt Disney Company est tout de même devenue
le plus grand groupe de médias et de divertissement au monde ! Il faut dire qu’en cinq ans, le groupe dirigé par Bob Iger s’était emparé de studios de cinéma et d’animation indépendants, et non des moindres : Pixar en 2006 (dont « Toy Story»), Marvel en 2009 (dont « Spider-Man »), et Lucasfilm en 2011 (dont « Star Wars »). En rachetant les studios Marvel il y a dix ans, Disney profite de leurs blockbusters. Le dernier-né des films aux superhéros sorti cette année, « Avengers: Endgame » (22e et dernier film de la saga des Avengers), pourrait dépasser le record des recettes mondiales en salles de cinéma détenu par « Avatar » coproduit par Lightstorm Entertainment (2,79 milliards de dollars) – après avoir coiffé au poteau « Star Wars-Le réveil de la fore » de Disney (2,07 milliards) et « Titanic » coproduit lui aussi par Lightstorm Entertainment (2,18 milliards). Le catalogue de films et d’animations de Disney, aux budgets dépassant parfois chacun les 100 millions de dollars (350 millions de dollars pour le dernier « Avengers »), n’a rien à envier au catalogue de séries de Netflix.

Après DisneyLife en Europe, Disney+ et Hulu ?
L’exception culturelle à la française se retrouve ainsi prise en étau entre une presque centenaire du film (Disney, valorisé en Bourse 238,8 milliards de dollars au 24-05-19), multimilliardaire du box-office, et un jeune conquérant de la série d’une vingtaine d’année (Netflix, valorisé 153,9 milliards après avoir dépassé un temps Disney en 2018). En Europe, Disney a lancé en novembre 2015 au Royaume-Unis un service
« jeunesse » de SVOD baptisé DisneyLife (6), qui a vocation à s’étendre à toute l’Europe. @

Charles de Laubier

A 60 ans, le Marché du Film se prépare au futur

En fait. Du 14 au 23 mai, parallèlement au Festival de Cannes, se tient le Marché du Film qui fête cette année ses 60 ans d’existence. Au sein de ce marché international du cinéma aux 800 millions de dollars par an, les nouvelles technologies s’invitent et pour la première fois un espace « Cannes XR » est créé.

En clair. « Le Marché du Film génère chaque année environ 800 millions de dollars de chiffre d’affaires (1), comprenant les transactions de financement, de cofinancement,
de ventes ou d’acquisitions. Cette évaluation, faite environ tous les cinq ans, date d’il
y a trois ans. Les revenus sont plutôt dans la stabilité, car les prix de vente ne progressent pas et, par exemple, la VOD offre de nouvelles opportunités mais ses revenus sont plus faibles », indique Jérôme Paillard, directeur exécutif du Marché du film, à Edition Multimédi@. Les technologies numériques font une percée remarquée. Pour ses 60 ans, le Marché du Film ouvre l’espace « Cannes XR » (pour Extended Reality) consacré à la réalité virtuelle (VR), à la réalité augmentée et à la réalité mixte. Ce nouvel espace présente près de 80 films « XR », c’est-à-dire des contenus narratifs, documentaires, fictions ou animations (pas de jeux vidéo donc) utilisant des technologies d’immersion. « Il n’y a pas de long-métrage ; il n’en existe pas dans ces technologies. Ce sont des films qui font entre 5 et 15 voire 20 minutes, car le mode de présentation de la VR dans un casque fait que cela n’est pas assez confortable pour y rester une heure et demie », fait remarquer Jérôme Paillard. Outre les conférences, il y a aura une douzaine d’exposants (2) comme Intel qui montrera la capture volumétrique (filmer dans toutes les directions pour créer un film en 3D) ou Immersify qui présentera la salle immersive pour voir des contenus VR sans casque (contenus panoramiques
sur écran de 180 degrés). « Comme la VR nécessite de monter fortement en résolution pour obtenir un écran beaucoup plus grand – en 360° – qu’un écran de cinéma, nous projetons en ultra-haute définition 8K ou 16K, voire en 64K pour avoir des images immenses couvrant la totalité de la sphère. La VR ne se voit pas forcément dans la salle de cinéma mais dans des lieux comme le “lobby” du cinéma ou des endroits spécialisés appelés LBE (3) », explique-t-il. Et pour la sixième année, le programme Next, lui, présente la blockchain, l’intelligence artificielle et des start-up mettant l’analyse du Big Data, la sécurisation, la distribution ou encore l’audience au service
du cinéma. Globalement, 70.000 professionnels du cinéma sont inscrits sur le réseau social professionnel Cinando, créé il y a dix ans par le Marché du Film et où les films peuvent être visionnés en ligne. @

Entre Série Mania de mars et CanneSéries d’avril, les webséries peinent à sortir de l’ombre

Malgré la bulle des séries qui agite le paysage audiovisuel, les webséries ont
du mal à se frayer un chemin dans le nouveau monde de la production et de la diffusion. Les festivals des séries ne leur donnent pas assez de visibilité, sauf
si la websérie a inspiré une série – à l’image d’« Osmosis ».

Avant de devenir une série que diffuse Netflix depuis le 29 mars, « Osmosis » était à l’origine une websérie créée par Audrey Fouché (photo) et produite par Arte Creative en 2015. L’histoire racontée par cette série part d’une application algorithmique qui garantit avec certitude de trouver l’âme soeur, grâce à un… implant avalé puis logé dans le cerveau. La marque Osmosis n’a pas été cédée à Netflix par la société de production Newen (filiale du groupe TF1) qui en est propriétaire, mais elle est louée en licence
de marque au géant mondiale de la SVOD pour lequel Newen a produit la série
« Osmosis » (1).

Webcréation, parent pauvre des festivals Netflix a acheté cette série pour le monde entier, avec des fenêtres de droits de diffusion sur plusieurs années. « Osmosis » est
la troisième production française financée par la firme de Reed Hastings, après
« Marseille » et « Plan Coeur ». Cette success story d’une websérie devenue l’une
des séries la plus en vue dans le monde entier (8 épisodes de 45 minutes) illustre la convergence de deux mondes de la création, a priori distincts. « Osmosis » a été sélectionné au festival Séries Mania (qui s’est tenu à Lille du 22 au 30 mars derniers). Pour autant, ne cherchez pas la websérie sur le site web d’Arte où elle était disponible via Arte.tv/osmosis ; elle n’est malheureusement plus disponible. Seul le premier épisode est resté disponible sur les sites webs d’AlloCiné (2) et de Vimeo (3), tandis que le sixième épisode est encore dans un coin d’Arte.tv (4). Ne cherchez pas non plus de webséries à Séries Mania ; elles n’ont pas le droit de cité dans la capitale des Hauts-de-France. Pas plus qu’elles n’intéresseront le festival CanneSéries qui se déroule sur la Croisette du 5 au 10 avril, parallèlement au MipTV. Quant au Festival de Cannes, dont la 72e édition se tiendra du 14 au 25 mai, il ne s’intéresse qu’aux oeuvres cinématographiques de long métrage et à condition qu’elles soient diffusées dans les salles de cinéma. En revanche, la 14e cérémonie des Globes de Cristal, qui a eu lieu
à Paris le 4 février dernier, a récompensé des personnalités dans les catégories cinéma, musique, art vivant, littérature, télévision et… webséries. Parmi ces dernières, « Loulou » (saison 2), créée par Marie Lelong et Alice Vial (Arte Créative/La Onda Productions), a reçu le trophée en tant que meilleure websérie. Une autre reconnaissance de la websérie est venue du Festival des créations télévisuelles de Luchon, qui s’est déroulé du 6 au 10 février : le Prix de la websérie attribué par le public est allé à « Jean 2 Mahj la série » (Shaolin Shadow, YouTube) réalisée par Michel Nogara ; le Prix de la websérie dans la compétition « web & digital » est allé à « F++K » (Kiwi Collectif Créatif) réalisée par Simon Dubreucq. Plus récemment, le 18 mars à Paris au Trianon, les 25e Prix de la Procirep ont été remis notamment – pour le Prix du producteur animation – à la société Doncvoilà Productions (Virginie Giachino, Joris Clerté) qui produit la saison 2 de la websérie « La petite mort » pour France Télévisions. La 8e édition du Marseille Web Fest, qui s’est tenue du 18 au 20 octobre derniers, a lui aussi fait honneur à une websérie, « Gimel », réalisée par Assaf Machnes et Miki Fromchenko et ayant obtenu le Prix de la meilleure réalisation et le Prix « Coup de cœur-Première ».
Ce même festival de la cité phocéenne a aussi décerné le Prix « Coup de Cœur-La Provence » à la websérie « Les Engagés », créée par Sullivan Le Postec, ainsi que le Prix de meilleure série SACD pour « Yasmina & Rim », réalisée par Antoine Desrosières, une websérie adaptée de son film « A genoux les gars » sorti en juin 2018 et présenté au Festival de Cannes 2018 dans la section « Un certain regard ». Comme quoi, si la websérie « Osmosis » a inspiré une série, un film peut aussi inspirer une websérie. Il y a deux ans, au Festival Séries Mania 2017, le Prix de « la meilleure série digitale » avait été décerné à la saison 1 de « Loulou », la websérie cofinancée par Arte Créative et La Onda Productions, laquelle avait également reçu en 2018 le Prix du public et une mention du jury (pour l’interprétation du casting) au Festival de Luchon.

Webséries, marchepied pour le long-métrage ?
« On ne se disait pas au départ qu’on allait le vendre à une chaîne : on était plus sur une histoire pour YouTube… Je ne connaissais pas du tout le digital, mais un monde
de liberté s’est ouvert à nous. C’est un peu une affaire familiale : mon cousin est le producteur de Loulou. Il venait de monter sa société de production lorsqu’il a eu le pitch par hasard – il était en coworking avec Alice Vial [auteure et co-créatrice de la websérie ndlr]. Ça lui a plu et il s’est lancé avec nous. On a fait une campagne de financement participatif et on a tourné 5 épisodes avec 15 000 euros… », a raconté en 2018 au CNC la comédienne Louise Massin, alias Loulou, l’une des trois créatrices de « Loulou » (avec Marie Lelong et Géraldine de Margerie). Elle n’excluait pas à terme un long métrage. Le CNC soutient la plupart des webséries mentionnées, notamment à travers son fonds d’aide aux créateurs vidéo sur Internet, baptisé « CNC Talent » et créé en octobre 2017.

Des aides financières tous azimuts
Ce fonds est dédié aux projets en première diffusion gratuite sur Internet et aide les créateurs vidéo sur Internet d’œuvres d’expression originale française de tous formats avec un travail de scénarisation, dont les webséries. « L’aide à la création est plafonnée à 30.000 euros et chiffrée à partir d’un devis fourni par le porteur de projet. Attention,
la proportion de l’apport d’aide publique ne pourra excéder 50 % du budget total prévisionnel, conformément à la règlementation européenne », précise le CNC. Parmi d’autres webséries aidées par le CNC, il y a « Une séance presque parfaite » lancée par le magazine Première en collaboration avec les Youtubeurs Axel Lattuada, Fabrice et Marc de Boni de la chaîne « Et tout le monde s’en fout ». Depuis le 13 février dernier et chaque deuxième mercredi du mois, le magazine sur le cinéma publie sur son site web un nouvel épisode consacré à la culture cinématographique. En complément du fonds « CNC Talent » et dans le prolongement de l’ancien « Fonds nouveaux médias », l’organisme du boulevard Raspail a lancé en octobre 2018 le Fonds d’aide aux expériences numériques – surnommé « Fonds XN ». D’emblée, ce nouveau fonds est doté de 3 millions d’euros et soutient des oeuvres audiovisuelles innovantes fondées sur une démarche de création interactive et/ou immersive telles que la réalité virtuelle, la réalité augmentée, les narrations interactives conçues pour le Web ou les écrans mobiles (5).
De leur côté, la SACD et France Télévisions ont lancé en 2016 le Fonds Web Séries afin de favoriser l’émergence de talents, d’écriture et de formats de webséries.
« Destiné aux nouveaux talents comme aux auteurs confirmés de web séries, ce fonds est une aide à l’écriture de séries courtes, feuilletonnantes, prioritairement imaginées pour une pratique en mobilité, tournées vers l’innovation dans sa pratique des formats, des styles et des genres de fiction. La copie privée est une source de financement capitale pour les auteurs », explique la SACD. L’an dernier, pour la 3e édition, 14 lauréats ont été désigné en mai comme « Alien Ura », de Marc Bruckert et Etienne Labroue, « La petite fille qui rêvait d’être un lama » de Pablo Pinasco, ou encore « Pop Voyance », de Marion Dupas. « Ce fonds Web Séries est une première. C’est la première fois que la SACD s’associe à un grand groupe de télévision pour favoriser l’émergence de nouvelles créations », précise encore la société de gestion collective des droits d’auteur. Mais la 4e édition de ce Fonds Web Séries ne semble pas au programme cette année. Par ailleurs, France Télévisions a aussi lancé début 2018 une offre numérique gratuite, baptisée France TV Slash (6), qui rassemble webséries, documentaires et reportages à destination des jeunes adultes jusque sur les réseaux sociaux et plateformes vidéo. On y trouve des webséries telles que « Les Haut-parleurs », « Human Postcards », « Selfiraniennes » ou encore « Putain de nanas ». Fin 2018, le groupe public de télévisions lançait en plus « Culture Prime », un média social culturel 100 % vidéo pour la génération « Millennials » (7). France Télévisions dispose aussi de Studio 4, une plateforme de nouvelles écritures, qui a produit par exemple
« Zérostérone », une websérie réalisée par Nadja Anane et produite par la société de production La Dame de Coeur (pour Studio 4). Ne disposant pas du système de compte automatique, cette websérie d’anticipation a bénéficié de l’aide sélective à la production audiovisuelle du CNC. A noter que la 7e édition des SMA Awards, organisée le 11 décembre dernier par NPA Conseil, a récompensé parmi les meilleures réalisations numériques de l’année 2018 la websérie documentaire « La Grande Explication » produite par l’Ina avec la productrice Amandine Collinet et l’auteureréalisatrice Flore-Anne d’Arcimoles. Les 10 épisodes de la saison 1 de cette websérie, qui revient en 5 minutes à chaque épisode sur les événements qui ont marqué l’Histoire, sont diffusés sur les plateformes digitales de FranceTV Education, TV5Monde, RTS archives et Ina.fr, ainsi que sur les réseaux sociaux de Facebook, Instagram, IGTV et YouTube. Une deuxième saison est prévue fin avril pour les révisions du baccalauréat 2019. L’apparition des premières webcréations remonte à 2009, il y a dix ans. Cela a commencé par des webdocs, ces premières écritures interactives du monde non-linéaire. Après avoir créé « Addicts », qui fut l’une des toute premières webfictions d’Arte, la scénariste et réalisatrice d’histoires interactives, Camille Duvelleroy, en réalisé depuis une quinzaine d’oeuvres (bandes-dessinée, contes interactifs, documentaires mobiles, webfictions, …).

Des webséries pour les plateformes mobile
Aujourd’hui, les nouvelles plateformes vidéo pour mobiles commencent à miser sur des webséries. L’an dernier, l’une d’entre elles, Blackpills (fondée il y a près de deux ans avec le soutien de Xavier Niel, patron de Free) a financé et diffusé « The Show », du réalisateur Jan Kounen. Cette websérie tourne en dérision les GAFA et met en garde contre leur emprise sur la vie privée. Mais Blackpills, à l’instar de Brut et de Loopsider, mise encore essentiellement sur les vidéos – plus facilement monétisables par la publicité (8). Les webséries mériteraient une plateforme dédiée. @

Charles de Laubier