Après Netflix, Disney est désigné comme le nouvel épouvantail du cinéma et de l’audiovisuel français

La veille de l’ouverture du 72e Festival de Cannes, le président de la République
a reçu à l’Elysée les industries culturelles pour lesquelles est créé un fonds
« Bpifrance » de 225 millions d’euros. Emmanuel Macron les a surtout exhortés
à « s’organiser collectivement » face à Netflix mais aussi Disney.

Il n’y a pas que Netflix qui fait trembler « l’exception culturelle » chère au cinéma et à l’audiovisuel français, lesquels ne s’estiment plus protégés par la ligne Maginot réglementaire nationale devenue obsolète face ces acteurs globaux. The Walt Disney Compagny est aussi perçue comme une menace pour le 7e Art et le PAF (1) de l’Hexagone. Netflix et Disney ont été les deux épouvantails américains les plus évoqués lors du déjeuner culturel de l’Elysée le 13 mai dernier.

« Face aux grands champions américains » (Macron)
La presque centenaire major d’Hollywood, dirigée avec succès par Robert Iger (photo), « Bob » pour les intimes, inquiète de plus en plus en France le cinéma et la télévision, jusqu’au plus haut sommet de l’Etat. « Si nous n’arrivons pas à nous organiser, nous Français, la bataille est perdue. Face aux défis du numérique, c’est un engagement collectif dont nous avons besoin. Je suis convaincu que si nous restons divisés, nous ferions une erreur face aux grands champions américains », a lancé Emmanuel Macron à plus d’une centaine de convives venus de toutes les industries culturelles (y compris musique, jeu vidéo, médias, livre, etc.). A la veille de l’ouverture du 72e Festival de Cannes et de son 60e Marché du Film (2), le propos présidentiel visait plus particulière Netflix mais aussi Disney (3).
Le géant hollywoodien du divertissement et des médias est lui aussi montré du doigt, tant il a repris du poil de la bête depuis quinze ans que Bob Iger en a les rênes (4). Aujourd’hui, ne faudrait-il pas accoler le « D » de Disney pour parler désormais de GAFAD comme on le fait avec le «N» de Netflix pour faire GAFAN (ou avec le « M » de Microsoft pour GAFAM) ? Une chose est sûre : la Walt Disney Company se positionne plus que jamais comme le principal rival de Netflix, dont il veut damer le pion avec Disney+, sa plateforme de vidéo à la demande par abonnement (SVOD). Elle est annoncée pour novembre 2019 et sera « moins cher que Netflix », à 6,99 dollars par mois, avec des contenus pour toute la famille. Disney+ sera d’abord disponible à la fin de l’année aux Etats-Unis, avant son lancement en Europe prévu pour 2020. C’est que les dommages collatéraux pourraient toucher en France l’écosystème du cinéma et
de la télévision, déjà impacté par l’arrivée de Netflix en septembre 2014. Pour des programmes plus adultes, Disney vient de prendre le contrôle opérationnel de Hulu – autre plateforme de streaming vidéo – après avoir racheté le 20 mars dernier la participation de Fox – la 21st Century Fox (de Rupert Murdoch), dont la plupart des actifs ont été dans le même temps acquis par Disney pour plus de 71 milliards de dollars. Disney est maintenant l’actionnaire majoritaire de Hulu avec 60 % des actions (contre 30 % auparavant), avec la possibilité de monter à 100 % à partir de 2024. L’opérateur télécoms AT&T avait cédé en avril aux deux actionnaires restants de Hulu (Disney et Comcast) les 9,5 % qu’il détenait dans le capital de cette plateforme de SVOD (5) valorisée 27,5 milliards de dollars. Aux Etats-Unis, Disney a en outre lancé
il y a un an sa plateforme de streaming de programmes sportifs ESPN+.
Intégrant les actifs issus de Fox, la Walt Disney Company est tout de même devenue
le plus grand groupe de médias et de divertissement au monde ! Il faut dire qu’en cinq ans, le groupe dirigé par Bob Iger s’était emparé de studios de cinéma et d’animation indépendants, et non des moindres : Pixar en 2006 (dont « Toy Story»), Marvel en 2009 (dont « Spider-Man »), et Lucasfilm en 2011 (dont « Star Wars »). En rachetant les studios Marvel il y a dix ans, Disney profite de leurs blockbusters. Le dernier-né des films aux superhéros sorti cette année, « Avengers: Endgame » (22e et dernier film de la saga des Avengers), pourrait dépasser le record des recettes mondiales en salles de cinéma détenu par « Avatar » coproduit par Lightstorm Entertainment (2,79 milliards de dollars) – après avoir coiffé au poteau « Star Wars-Le réveil de la fore » de Disney (2,07 milliards) et « Titanic » coproduit lui aussi par Lightstorm Entertainment (2,18 milliards). Le catalogue de films et d’animations de Disney, aux budgets dépassant parfois chacun les 100 millions de dollars (350 millions de dollars pour le dernier « Avengers »), n’a rien à envier au catalogue de séries de Netflix.

Après DisneyLife en Europe, Disney+ et Hulu ?
L’exception culturelle à la française se retrouve ainsi prise en étau entre une presque centenaire du film (Disney, valorisé en Bourse 238,8 milliards de dollars au 24-05-19), multimilliardaire du box-office, et un jeune conquérant de la série d’une vingtaine d’année (Netflix, valorisé 153,9 milliards après avoir dépassé un temps Disney en 2018). En Europe, Disney a lancé en novembre 2015 au Royaume-Unis un service
« jeunesse » de SVOD baptisé DisneyLife (6), qui a vocation à s’étendre à toute l’Europe. @

Charles de Laubier

A 60 ans, le Marché du Film se prépare au futur

En fait. Du 14 au 23 mai, parallèlement au Festival de Cannes, se tient le Marché du Film qui fête cette année ses 60 ans d’existence. Au sein de ce marché international du cinéma aux 800 millions de dollars par an, les nouvelles technologies s’invitent et pour la première fois un espace « Cannes XR » est créé.

En clair. « Le Marché du Film génère chaque année environ 800 millions de dollars de chiffre d’affaires (1), comprenant les transactions de financement, de cofinancement,
de ventes ou d’acquisitions. Cette évaluation, faite environ tous les cinq ans, date d’il
y a trois ans. Les revenus sont plutôt dans la stabilité, car les prix de vente ne progressent pas et, par exemple, la VOD offre de nouvelles opportunités mais ses revenus sont plus faibles », indique Jérôme Paillard, directeur exécutif du Marché du film, à Edition Multimédi@. Les technologies numériques font une percée remarquée. Pour ses 60 ans, le Marché du Film ouvre l’espace « Cannes XR » (pour Extended Reality) consacré à la réalité virtuelle (VR), à la réalité augmentée et à la réalité mixte. Ce nouvel espace présente près de 80 films « XR », c’est-à-dire des contenus narratifs, documentaires, fictions ou animations (pas de jeux vidéo donc) utilisant des technologies d’immersion. « Il n’y a pas de long-métrage ; il n’en existe pas dans ces technologies. Ce sont des films qui font entre 5 et 15 voire 20 minutes, car le mode de présentation de la VR dans un casque fait que cela n’est pas assez confortable pour y rester une heure et demie », fait remarquer Jérôme Paillard. Outre les conférences, il y a aura une douzaine d’exposants (2) comme Intel qui montrera la capture volumétrique (filmer dans toutes les directions pour créer un film en 3D) ou Immersify qui présentera la salle immersive pour voir des contenus VR sans casque (contenus panoramiques
sur écran de 180 degrés). « Comme la VR nécessite de monter fortement en résolution pour obtenir un écran beaucoup plus grand – en 360° – qu’un écran de cinéma, nous projetons en ultra-haute définition 8K ou 16K, voire en 64K pour avoir des images immenses couvrant la totalité de la sphère. La VR ne se voit pas forcément dans la salle de cinéma mais dans des lieux comme le “lobby” du cinéma ou des endroits spécialisés appelés LBE (3) », explique-t-il. Et pour la sixième année, le programme Next, lui, présente la blockchain, l’intelligence artificielle et des start-up mettant l’analyse du Big Data, la sécurisation, la distribution ou encore l’audience au service
du cinéma. Globalement, 70.000 professionnels du cinéma sont inscrits sur le réseau social professionnel Cinando, créé il y a dix ans par le Marché du Film et où les films peuvent être visionnés en ligne. @